Somalie

La crise humanitaire et celle des droits humains, indissociables, n’ont fait qu’empirer au cours de l’année. Des milliers de personnes ont été tuées, ce qui porte à plus de 16 000 le nombre de civils qui ont trouvé la mort dans le cadre du conflit armé depuis janvier 2007. Les forces du gouvernement fédéral de transition et l’armée éthiopienne combattaient des groupes d’opposition armés liés à des clans et des milices, en particulier les milices Al Shabab (Les Jeunes), issues de l’ex-Union des tribunaux islamiques. Plus de 1,2 million de civils étaient déplacés dans le centre et le sud du pays.
On estimait à la fin de l’année que 3,25 millions de personnes dépendaient de l’aide humanitaire d’urgence, dont la distribution était souvent entravée par l’insécurité généralisée et qui pâtissait de l’insuffisance des contributions des pays donateurs. Les employés des organisations humanitaires et les défenseurs locaux des droits humains étaient de plus en plus souvent la cible de menaces et d’homicides délibérés.
Dans le nord-ouest du pays, la République du Somaliland autoproclamée, dont l’indépendance n’était pas reconnue par la communauté internationale, a connu une paix et une sécurité relatives, jusqu’à ce qu’une série d’attentats à l’explosif soient perpétrés dans la capitale, Hargeisa, le 29 octobre. D’autres attentats ont été commis au même moment à Bossaso, dans la région semi-autonome du Puntland, dans le nord-est de la Somalie.

CHEF DE L’ÉTAT : Abdullahi Yusuf Ahmed, président du gouvernement fédéral de transition, remplacé provisoirement par Adan Mohamed Nuur Madobe le 29 décembre
PREMIER MINISTRE : Nur Hassan Hussein
PEINE DE MORT  : maintenue
POPULATION  : 9 millions
ESPÉRANCE DE VIE  : 47,1 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F)  : 196 / 186 ‰


Contexte

L’insurrection armée qui avait débuté en décembre 2006 contre le gouvernement fédéral de transition basé à Baidoa et soutenu par les troupes éthiopiennes s’est poursuivie tout au long de l’année. Les attaques lancées par les insurgés et les opérations anti- insurrectionnelles menées par le gouvernement et l’armée éthiopienne ont entraîné des atteintes massives aux droits fondamentaux de la population civile, notamment des arrestations arbitraires, des viols et d’autres formes de torture ainsi que des attaques, possiblement aveugles et disproportionnées, contre des quartiers d’habitation. Les autorités fédérales de transition n’ont pas été en mesure de mettre en place des structures de gouvernement ni de protéger les civils à Mogadiscio. Elles ont en outre perdu le contrôle de la plus grande partie du sud et du centre du pays, notamment de Kismaayo et de Belet Uen, ainsi que des ports de Merka et de Barawa.
Créée en 2007 en Érythrée par d’anciens dirigeants des Tribunaux islamiques et d’anciens membres du Parlement fédéral de transition, entre autres opposants au gouvernement fédéral de transition, l’Alliance pour une nouvelle libération de la Somalie (ARS) s’est scindée en deux factions, dont l’une s’est installée à Djibouti tandis que l’autre restait basée en Érythrée. Les deux branches exigeaient le retrait des troupes éthiopiennes de Somalie.
En mai, le chef de la milice Al Shabab, Aden Hashi Ayro, a été tué à Dhusamareb (sud du pays) lors de la cinquième frappe aérienne américaine sur la Somalie signalée depuis le début de 2007. Un nombre indéterminé de civils ont également trouvé la mort, et des biens civils ont été détruits.
Le remplacement, à la fin de 2007, du Premier ministre Mohamed Gedi par Nur Hassan Hussein, et la désignation d’Ahmedou Ould Abdullah comme nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies ont fait naître un espoir de progrès vers un règlement du conflit et le renforcement des institutions, en dépit de la poursuite des combats. Des négociations entre le gouvernement de transition et la faction de l’ARS basée à Djibouti ont débuté en avril. Un accord signé en octobre prévoyait un cessez-le-feu, un partage du pouvoir et le retrait progressif des troupes éthiopiennes ; celui-ci a débuté en novembre. Lors de la réunion qui s’est tenue en octobre à Djibouti, les représentants du gouvernement fédéral de transition et de l’ARS se sont prononcés en faveur de la désignation d’une commission d’enquête sur les atteintes aux droits humains en Somalie.
Le président Abdullahi Yusuf a démissionné en décembre, à la suite d’une série de querelles publiques et d’une tentative de limogeage du Premier ministre. Adan Mohamed Nuur Madobe, président du Parlement, a été nommé président par intérim.
Des groupes armés du Puntlan d et d’autres régions de la Somalie ont détourné plus de 40 bateaux au large des côtes, dont un cargo ukrainien qui transportait 33 chars de combat et des armes légères. Quinze navires au moins, et plusieurs centaines de marins, étaient toujours retenus à la fin de l’année par des pirates qui exigeaient des rançons importantes. Le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Union européenne ont pris des mesures pour améliorer les opérations de lutte contre la piraterie.
À la fin de l’année, un nombre pratiquement égal de soldats ougandais et burundais ont rejoint la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), portant son effectif à 3 ?200 environ, sur un total de 8 ?000 hommes autorisé par l’Union africaine et les Nations unies. Le Nigeria, le Ghana et l’Afrique du Sud n’avaient toujours pas déployé les troupes qu’ils s’étaient engagés à fournir à l’AMISOM. Cette force, qui restait largement inefficace, n’était pas mandatée pour protéger les civils. Les États-Unis et d’autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies continuaient de préconiser le déploiement d’une force de maintien de la paix de l’ONU en Somalie, alors que les troupes éthiopiennes commençaient à se retirer du pays.
L’embargo sur les armes décrété par les Nations unies aurait été violé par toutes les parties au conflit ainsi que par plusieurs pays voisins, entre autres protagonistes.

Conflit armé

Avec plus de 16 ?000 victimes depuis janvier 2007, les civils continuaient de payer un lourd tribut au conflit qui opposait les insurgés d’Al Shabab et d’autres milices au gouvernement fédéral de transition soutenu par les troupes éthiopiennes. Plus de 1,2 million de personnes étaient déplacées dans le sud et le centre de la Somalie, et des centaines de milliers d’autres avaient trouvé refuge dans les pays voisins, notamment au Kenya. Toutes les parties au conflit ont commis des atteintes au droit international humanitaire et des crimes de guerre, entre autres des homicides délibérés de civils et des attaques qui semblaient aveugles et disproportionnées contre des quartiers d’habitation. Le 19 avril, des soldats éthiopiens ont mené un raid contre la mosquée Al Hidaya à Mogadiscio. Ils ont tué 21 personnes et ont retenu plus de 40 enfants pendant plusieurs jours.
Alors que les troupes éthiopiennes continuaient de s’en prendre à des civils, les attaques ciblées contre le personnel humanitaire et les défenseurs locaux des droits humains imputables aux membres de milices, notamment d’Al Shabab, se sont multipliées au cours de l’année.

Liberté d’expression

Les défenseurs des droits humains, les employés d’organisations humanitaires et les journalistes risquaient d’être pris pour cible par toutes les parties au conflit, le plus souvent par des milices armées. Ils étaient régulièrement menacés, enlevés, visés par des tirs et tués. Plus de 40 défenseurs des droits humains et membres d’organisations humanitaires somaliens ont été tués entre janvier et septembre. Les personnes qui critiquaient un groupe armé étaient tout particulièrement en danger malgré les tentatives de médiation de chefs de clans locaux et de dignitaires religieux.

Défenseurs des droits humains et représentants de la société civile

Des groupes de la société civile établis de longue date poursuivaient leur action en faveur des droits humains, du développement, de la paix et de la démocratisation, malgré les risques élevés résultant du conflit et de l’anarchie.

  • Deux enseignants britanniques, Daud Hassan Ali et Rehana Ahmed, et deux enseignants kenyans, Gilford Koech et Andrew Kibet, de l’école communale d’Hiran, à Belet Uen, ont été tués le 14 avril lors d’une attaque de la milice Al Shabab.
  • Mohamed Hassan Kulmiye, militant pacifiste du Centre pour la recherche et le développement, a été abattu à Belet Uen, le 22 juin, par des hommes armés non identifiés qui lui ont tiré plusieurs balles dans la tête.
  • Ali Jama Bihi, militant pacifiste et médiateur entre les milices claniques darods et hawiyes, a été tué le 9 juillet. Deux hommes armés l’ont abattu alors qu’il sortait de la prière de l’aube, à Galkayo.

Insécurité – personnel humanitaire

Le personnel humanitaire international et somalien a été confronté à une violence sans précédent depuis le renversement du président Siyad Barré, au début des années 1990. Il était généralement difficile d’identifier les responsables et les survivants hésitaient le plus souvent à dénoncer des atteintes aux droits humains, par crainte de représailles. Craignant de ne plus avoir accès aux personnes déplacées et aux autres populations vulnérables qui avaient besoin d’une aide, les organisations humanitaires étaient réticentes à parler des conditions déplorables dans lesquelles elles intervenaient.

  • Isse Abdulkadir Haji, employé de la Fondation ZamZam, a été tué le 7 janvier. Il a été abattu dans le quartier de Yaaqshiid, à Mogadiscio, par des hommes armés non identifiés.
  • Victor Okumu, chirurgien, Damien Lahalle, logisticien, et Abdi Ali Bidhaan, chauffeur, ont été tués le 28 janvier à proximité de l’hôpital de Kismaayo par une bombe placée au bord de la route et qui visait apparemment leur véhicule, identifié comme étant de Médecins sans frontières (MSF).
  • Ahmed Moalim Bario, directeur de l’ONG Horn Relief, a été tué le 17 mai par des hommes armés et masqués alors qu’il arrivait à son domicile de Kismaayo.
  • Abdikarim Sheikh Ibrahim, président du Comité d’assistance aux orphelins somaliens, a été abattu par des hommes armés alors qu’il regagnait son domicile depuis le marché de Bakara, à Mogadiscio, le 2 juillet.
  • Osman Ali Ahmed, chef du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en Somalie, a été tué le 6 juillet. Il a été abattu à la sortie d’une mosquée de Mogadiscio après la prière du soir. Son frère a été blessé.
  • Abdulkadir Diad Mohamed, employé du Programme alimentaire mondial (PAM), et son chauffeur ont été tués le 15 août à Dinsur, dans le sud du pays.
  • Le 5 novembre, quatre membres du personnel de l’ONG Action contre la faim (ACF) et deux pilotes ont été enlevés à Dhusamareb, dans le sud du pays, par des hommes armés non identifiés.
  • Mohamed Osman, chef de programme de Mercy Corps, a été tué le 9 novembre à Jamame, dans la région du Bas-Juba.

Liberté d’expression – journalistes

Le nombre d’arrestations de journalistes a diminué au cours de l’année, de même que la durée de leur détention. Ceci semblait résulter d’un ensemble de facteurs, notamment la capacité réduite du gouvernement fédéral de transition, en particulier de l’Agence nationale de sécurité, de procéder à des arrestations ainsi que le fait que les journalistes pratiquaient de plus en plus l’autocensure. Comme les années précédentes, les journalistes qui continuaient d’exercer leur profession en Somalie ont été victimes d’intimidation, de menaces de mort et de détention arbitraire de la part de toutes les parties au conflit et de bandes armées. Selon certaines sources toutefois, des groupes islamistes ont tenté d’améliorer les relations avec la presse. Une trentaine de journalistes somaliens ont été détenus, pendant des durées variables (de quatre à cent quinze jours). On a recensé plus de 30 cas de menaces de mort et deux assassinats ; plusieurs journalistes ont par ailleurs été blessés. Personne n’a été traduit en justice pour répondre de ces actes.

  • Abdikheyr Mohamed Jama, présentateur de Radio Galkayo, a été attaqué par des hommes armés dans le Puntland le 10 janvier ; il a été grièvement blessé d’une balle dans la bouche.
  • Nasteh Dahir Farah, journaliste travaillant pour la BBC et responsable de l’Union nationale des journalistes somaliens, a été abattu le 7 juin à Kismaayo.

Réfugiés et personnes déplacées

À la fin de l’année, le nombre total de personnes déplacées s’élevait à 1,2 million au moins, dont 870 ?000 avaient quitté leur foyer au début de l’année 2007. D’autres, notamment des membres de groupes minoritaires, étaient déplacées depuis plusieurs années. Des centaines de milliers de civils qui avaient fui Mogadiscio étaient toujours regroupés le long de la route à Afgooye.
Des centaines de milliers de Somaliens avaient par ailleurs cherché refuge au Kenya, à Djibouti, au Somaliland et au Yémen, entre autres ; certains avaient sollicité l’asile. Bien que la frontière du Kenya demeure officiellement fermée aux réfugiés somaliens, les camps de Dadaab, en territoire kenyan, étaient surpeuplés.
Dans le Somaliland, la situation des personnes déplacées originaires du sud de la Somalie restait délicate, les organismes d’aide internationale les plaçant dans la catégorie des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays alors que le gouvernement du Somaliland les considérait comme des réfugiés originaires d’un pays étranger. Personne n’était en mesure de répondre à leurs besoins les plus élémentaires.
Les réfugiés et migrants somaliens qui tentaient de rejoindre le Yémen par la mer entreprenaient un voyage périlleux. Des passeurs auraient fréquemment jeté des personnes par-dessus bord pour échapper aux forces de l’ordre yéménites. Plusieurs centaines de Somaliens et d’Éthiopiens qui fuyaient la Somalie depuis le Puntland ont péri en mer dans le golfe d’Aden.

Justice et état de droit

Il n’existait pas de véritables institutions nationales ni de système judiciaire opérationnel dans le pays. Le programme de renforcement de l’état de droit géré par le PNUD n’était pas en mesure de fournir un soutien suffisant pour la création effective de centres de détention et de tribunaux, ni pour le renforcement des capacités de la police. Ce programme n’a entraîné aucune amélioration visible de la situation des droits humains et les mécanismes de suivi étaient insuffisants.
Les autorités du Somaliland et du Puntland ont procédé à des arrestations à la suite d’attentats-suicides perpétrés en octobre. Un militant des droits humains originaire du sud de la Somalie en visite dans la région et un journaliste local bien connu ont été interpellés ; ils ont été relâchés quelques jours plus tard au Somaliland.

Peine de mort et exécutions extrajudiciaires

Selon certaines informations, des condamnations à mort ont été appliquées par des groupes qui affirmaient exercer le pouvoir à Kismaayo. Un homme accusé de meurtre a notamment été passé par les armes le 22 avril. Des chefs de différentes factions de la milice Al Shabab auraient sommairement exécuté plusieurs hommes accusés de meurtre.
À la suite d’une attaque à la grenade qui a coûté la vie à 10 personnes, dont un officier de l’armée du gouvernement fédéral de transition, deux hommes ont été exécutés sans jugement et un troisième a été abattu en garde à vue le 26 novembre, à Baidoa.

  • Aisha Ibrahim Duholow, âgée de treize ans, a été lapidée en public le 27 octobre par une cinquantaine d’hommes à Kismaayo. Après avoir déclaré aux autorités locales qu’elle avait été violée par trois hommes, elle avait été reconnue coupable d’« adultère » par un tribunal de la charia (droit musulman), sans bénéficier d’une assistance juridique. Les violeurs n’ont pas fait l’objet de poursuites.
    Les autorités du Puntland ont annoncé leur intention d’appliquer la peine de mort aux auteurs d’actes de piraterie dans la région. Aucune exécution n’a toutefois été signalée.

Somaliland

La République du Somaliland, autoproclamée en 1991, réclamait toujours sa reconnaissance par la communauté internationale. Des responsables gouvernementaux ont menacé d’expulser 24 journalistes qui avaient quitté Mogadiscio pour trouver refuge à Hargeisa à la fin de 2007, mais cette annonce n’a pas été suivie d’effets. On estimait que le Somaliland accueillait encore à la fin de l’année plusieurs dizaines de milliers de Somaliens déplacés qui avaient fui les violences dans le sud et le centre de la Somalie.
La paix et la sécurité relatives que connaissait ce territoire ont été troublées en octobre par des attentats- suicides visant des bureaux des Nations unies, la résidence du président ainsi que la mission commerciale éthiopienne à Hargeisa. Plus de 20 personnes ont été tuées et plus de 30 autres ont été blessées.
Des élections nationales qui devaient se dérouler au cours de l’année ont été reportées à mars 2009 ; un scrutin présidentiel était prévu avant les élections locales.
Les comités de sécurité mis en place aux niveaux national et régional par le gouvernement du Somaliland auraient arrêté et emprisonné arbitrairement des individus. Cette année encore, des défenseurs des droits humains ont signalé des cas d’entrave par les autorités des activités de la société civile, qui constituaient des atteintes au droit à la liberté d’expression et de réunion.
La tension restait vive dans les régions frontalières revendiquées par le Puntland, une région semi- autonome de la Somalie. Des milliers de civils originaires de la ville de Las Anod, objet d’un différend, étaient toujours déplacés à la suite des combats acharnés qui avaient opposé les forces du Somaliland et celles du Puntland à la fin de 2007, et qui s’étaient terminés par la prise de contrôle de la région par le Somaliland.

Documents d’Amnesty International

  • Somalia : Journalists under attack (AFR 52/001/2008).
  • Les civils en Somalie, cibles et victimes ordinaires (AFR 52/009/2008).
  • Somalie. Mortelle insécurité.Attaques contre le personnel humanitaire et les défenseurs des droits humains en Somalie (AFR 52/016/2008).
  • Somalie (Somaliland / Puntland). Amnesty International condamne les attentats à la bombe de Hargeisa et Bossasso (AFR 52/018/2008).
  • Somalie. La communauté internationale doit se saisir de l’occasion qui lui est donnée d’établir les responsabilités et de rendre justice (AFR 52/019/2008).
  • Somalie/Éthiopie. Les enfants capturés au cours du raid sur la mosquée Al Hidaya doivent être libérés (23 avril 2008).
  • Somalie. La jeune fille lapidée n’avait que treize ans (31 octobre 2008).
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