Tchad

En février, des centaines de civils ont été blessés ou tués au cours de deux jours d’affrontements entre l’armée tchadienne et une coalition de groupes armés d’opposition. Plus de 50 000 personnes ont fui le pays.
Des civils ont été victimes de disparition forcée, d’arrestations illégales, de détentions arbitraires, de torture ou d’autres mauvais traitements. Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont été soumis à des mesures d’intimidation et à des actes de harcèlement. Des enfants ont été enlevés ou enrôlés comme soldats. La situation en matière de sécurité demeurait très précaire dans l’est du pays.
Des milliers de personnes ont été expulsées de leur foyer sans avoir été consultées au préalable et aucune solution de relogement ni dédommagement ne leur a été proposée.

CHEF DE L’ÉTAT : Idriss Déby Itno
CHEF DU GOUVERNEMENT : Nouradine Delwa Kassiré Coumakoye, remplacé par Youssouf Saleh Abbas le 15 avril
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 11,1 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 50,4 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 195 / 180 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 25,7 %

Contexte

Le 14 février, le président Idriss Déby a décrété l’état d’urgence, restreignant très fortement le droit de circuler librement et la liberté d’expression. Le 29 février, l’application du décret a été prorogé jusqu’au 15 mars. Le 15 avril, le chef de l’État a nommé Youssouf Saleh Abbas à la tête d’un nouveau gouvernement, dont quatre ministères ont été confiés, le 23 avril, à des membres de l’opposition.
Le Tchad et le Soudan s’accusaient mutuellement de soutenir leurs opposants. En mai, le Tchad a fermé sa frontière avec le Soudan, qui a de ce fait rompu les relations diplomatiques avec son voisin. En novembre, les deux États ont renoué le dialogue à la suite d’une médiation de la Libye.
Cette année encore, l’est du pays a été secoué par des affrontements sporadiques entre forces gouvernementales et groupes armés tchadiens ainsi que par des violences interethniques, essentiellement entre Tamas et Zaghawas. La population était en proie à l’insécurité, qui se caractérisait par des viols et des homicides. Le personnel des organisations humanitaires internationales œuvrant dans la région demeurait exposé aux actes de banditisme, notamment aux braquages de véhicules et aux vols à main armée.
L’est du Tchad accueillait plus de 290 ?000 réfugiés soudanais ayant fui la région du Darfour, ainsi que plus de 180 000 personnes déplacées. Pour recruter des combattants, les groupes armés tchadiens et soudanais se tournaient vers les camps qui accueillaient ces personnes et où, d’après certaines informations, avaient lieu des ventes d’armes.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé jusqu’au 15 mars 2009 le mandat de la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT). À la fin de 2008, la MINURCAT disposait de représentants à N’Djamena, dans l’est du Tchad, ainsi qu’à Bangui, en République centrafricaine. Le déploiement d’un contingent tchadien entraîné par la MINURCAT a débuté en septembre. Le mandat de la Force de l’Union européenne (EUFOR) déployée dans l’est du Tchad et dans le nord de la République centrafricaine a été reconduit jusqu’en mars 2009.
Le 31 mars, le président Déby a gracié six membres de l’ONG française L’Arche de Zoé qui avaient été déclarés coupables en 2007 de l’enlèvement de 103 enfants. Un tribunal de N’Djamena les avait condamnés à huit ans de travaux forcés. Les membres de l’ONG avaient été transférés en France, où un tribunal avait remplacé la peine de travaux forcés, jugée inapplicable en vertu du droit français, par une peine de huit années d’emprisonnement. En octobre, le Tchad a réclamé à la France le paiement de dommages et intérêts aux familles des enfants concernés, mais à la fin de 2008 aucun versement n’avait encore eu lieu.

Conflit armé – attaque contre N’Djamena

Le 31 janvier, des groupes d’opposition armés ont lancé une offensive de grande ampleur sur N’Djamena. Deux jours durant, d’intenses combats ont fait rage dans la capitale tchadienne. Des centaines de civils ont été blessés et au moins 700 autres ont été tués, tandis que plus de 50 000 personnes se réfugiaient au Cameroun. L’attaque a été lancée par une coalition de trois groupes armés : l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), l’Union des forces pour la démocratie et le développement-Fondamentale (UFDD-Fondamentale), et le Rassemblement des forces pour le changement (RFC).
La Commission nationale d’enquête nommée par le gouvernement à la suite de ces affrontements a rendu public son rapport en septembre. Le document concluait que la plupart des atteintes aux droits humains avaient été commises après le départ des groupes armés de N’Djamena et recommandait la création d’un comité de suivi chargé de faire appliquer ses recommandations. En septembre, le chef de l’État a mis en place un comité composé uniquement de ministres du gouvernement. Les organisations de la société civile réclamaient une instance plus indépendante.

Disparitions forcées

Les autorités ont refusé de dire où se trouvaient certains hommes qui ont disparu après avoir été arrêtés par les forces gouvernementales.

  • On ignorait tout du sort et du lieu de détention des 14 militaires, au moins, et des civils qui avaient été arrêtés en avril 2006, soupçonnés d’avoir participé à une attaque lancée cette année-là sur N’Djamena.
  • On était toujours sans nouvelles de six des membres de l’ethnie tama arrêtés en novembre 2007 à Guéréda. Interpellé en même temps que les six autres hommes, Haroun Mahamat, sultan du Dar Tama, a été remis en liberté le 3 mai après avoir été transféré dans un centre militaire de N’Djamena.
  • La Commission nationale d’enquête n’a pas réussi à déterminer l’endroit où se trouvait Ibni Oumar Mahamat Saleh, un dirigeant de l’opposition arrêté le 3 février par les forces gouvernementales. Elle a laissé entendre que cet homme était sans doute mort.

Arrestations et détentions arbitraires

Des civils ont été arrêtés et placés en détention par les forces de sécurité, en particulier à la suite de l’offensive lancée sur N’Djamena.

  • Trois dirigeants de l’opposition – l’ancien président Lol Mahamat Choua, Ngarlegy Yorongar et Ibni Oumar Mahamat Saleh – ont été interpellés par les forces de sécurité le 3 février. Lol Mahamat a par la suite recouvré la liberté et Ngarlegy Yorongar est réapparu au Cameroun. On restait sans nouvelles d’Ibni Oumar Mahamat Saleh (voir ci-dessus)

Recours excessif à la force

Les forces de sécurité ont fait usage d’une force meurtrière contre des civils dans des circonstances où elle n’était pas nécessaire.

  • Au moins 68 sympathisants du cheik Ahmet Ismaël Bichara et quatre gendarmes ont été tués le 29 juin à Kouno, lorsque les gendarmes ont ouvert le feu sans discrimination en tentant d’arrêter le cheik, qui aurait menacé de lancer « une guerre sainte ». Le cheik a par la suite été appréhendé en même temps que cinq de ses assistants, puis transféré dans un centre de détention de N’Djamena.

Exécutions extrajudiciaires

Les forces gouvernementales ont exécuté des civils de manière extrajudiciaire au lendemain de l’offensive sur N’Djamena. Un certain nombre de corps, dont celui d’Adam Bachir Abeldielil, ont été retrouvés sur les berges du fleuve Chari. Des homicides similaires ont été signalés dans l’est du pays. Les autorités n’ont pris aucune mesure pour déférer à la justice les personnes soupçonnées d’avoir commis ces meurtres.

  • Doungous Ngar a été arrêté par les forces de sécurité le 5 février ; le lendemain, son cadavre a été découvert dans la morgue d’un hôpital de N’Djamena. Il avait été appréhendé sur son lieu de travail par des soldats qui l’accusaient d’avoir volé une moto et lui avaient ligoté les mains et les pieds avant de le faire monter dans un véhicule militaire.
  • Adam Hassan et Bineye Mahamat, deux commerçants de Farcha, une banlieue de N’Djamena, ont été arrêtés le 23 février par des soldats qui les ont accusés de soutenir l’opposition armée. Les deux marchands ont été frappés et jetés dans le véhicule des soldats. On a retrouvé leurs corps sur les rives du Chari.

Violences contre les femmes et les filles

Des femmes, des jeunes filles et des fillettes ont, cette année encore, été victimes de viols et d’autres formes de violences sexuelles. Des jeunes filles réfugiées dans des camps pour personnes déplacées ont été violées lorsqu’elles s’aventuraient à l’extérieur. Un certain nombre de viols imputables à des soldats tchadiens ont été signalés au lendemain de l’attaque contre N’Djamena ; beaucoup ont été commis à l’occasion de perquisitions ayant pour objet la recherche d’armes ou de biens volés.
La pratique des mutilations génitales féminines se poursuivait et des mariages forcés ont été organisés, y compris dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées.

  • Le 21 mai, une femme de cinquante-cinq ans, mère de cinq enfants, a été violée par trois soldats des forces gouvernementales qui surveillaient un poste de contrôle situé de l’autre côté d’un fossé creusé autour de N’Djamena afin de protéger la capitale des incursions armées. Craignant d’être montrée du doigt, la victime s’est par la suite réfugiée au Cameroun.

Expulsions forcées

À la suite d’un décret présidentiel signé le 22 février, le gouvernement a ordonné la destruction de milliers d’habitations à N’Djamena, laissant des dizaines de milliers de personnes sans toit. Le conseil municipal de la capitale a affirmé que ces maisons avaient été construites sans autorisation sur des terres appartenant à l’État. Le gouvernement n’avait pas consulté les propriétaires au préalable et ne leur a proposé ni logement de substitution ni indemnisation.

Réfugiés et personnes déplacées

Fin 2008, le Tchad accueillait dans une douzaine de camps près de 250 000 réfugiés en provenance du Darfour. Plus de 13 000 personnes fuyant les combats au Soudan sont arrivées au Tchad au cours de l’année. Plus de 180 000 Tchadiens ont quant à eux dû quitter leur foyer pour se réfugier ailleurs dans le pays. En outre, près de 50 000 Centrafricains étaient toujours réfugiés dans le sud du Tchad.

Peine de mort

En août, un juge tchadien a reconnu coupable et condamné à mort Hissène Habré, ancien président en exil, ainsi que 11 responsables de l’opposition armée, dont Timane Erdimi et Mahamat Nouri, dirigeants du RFC et de l’Alliance nationale, respectivement. Tous ont été jugés par contumace. Le tribunal les a déclarés coupables « d’atteinte à l’ordre constitutionnel, à l’intégrité et à la sécurité du territoire ».

Enfants soldats

Cette année encore, l’armée tchadienne et les groupes armés ont enrôlé des enfants. Selon les Nations unies, entre 7 000 et 10 000 enfants servaient dans les rangs de l’armée régulière et des groupes armés.
Dans l’est du pays, des groupes armés soudanais comme les Toro Boro et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) ont enrôlé des enfants vivant dans les camps de réfugiés. Le Front uni pour le changement démocratique (FUCD) a également recruté des mineurs dans des camps de réfugiés et de personnes déplacées.

Liberté d’expression – journalistes

Des journalistes ont cette année encore été soumis à des manœuvres d’intimidation, des actes de harcèlement et des arrestations. Ceux qui enquêtaient sur le conflit dans l’est du Tchad ou sur les relations avec le Soudan étaient accusés d’être des « ennemis de l’État ».
Les autorités ne toléraient aucune critique et un certain nombre de journalistes ont été contraints de fuir le pays. Sous l’état d’urgence, un décret présidentiel a restreint la liberté de la presse et alourdi les peines dont étaient passibles les journalistes. Ce texte est demeuré en vigueur après la levée de l’état d’urgence, en mars.

  • Le 16 janvier, la police a arrêté Maji-maji Oudjitan, coordonnateur des programmes de FM Liberté, et a fermé la station de radio. Celle-ci a rouvert le 27 mai sur ordre du nouveau Premier ministre. Le directeur de la station, Djekourninga Kaoutar Lazare, a été détenu du 16 au 22 janvier.
  • Le 16 février, Sonia Roley, correspondante de Radio France Internationale (RFI) et seule journaliste étrangère restée au Tchad, s’est vu retirer son accréditation et a dû quitter le pays.
    Défenseurs des droits humains
    Des défenseurs des droits humains ont été menacés, agressés et arrêtés.
  • Le 28 juillet, le ministère de l’Intérieur a ordonné la dissolution de l’Association des victimes de crimes et répressions politiques au Tchad (AVCRT). Le 31 juillet, le président de l’organisation, Clément Abaïfouta, a été interpellé parce qu’il était accusé d’incitation à la haine tribale, de faux et d’usage de faux. Libéré le 1er août, il a néanmoins continué de subir des manœuvres de harcèlement.
  • Deouzoumbé Daniel Passalet, président de l’association Droits de l’homme sans frontières, a été interpellé le 9 janvier après s’être exprimé sur la disparition forcée d’un représentant du gouvernement. Il est passé dans la clandestinité en février.

Exactions commises par des groupes armés

Dans l’est du Tchad, différents groupes armés tchadiens et soudanais se sont rendus coupables d’exactions contre la population civile : homicides, viols, enrôlements de mineurs et enlèvements à des fins de rançon. Ils s’en sont également pris au personnel d’organisations humanitaires.
Les exécutions illégales de civils par des groupes armés se sont poursuivies dans l’est du pays tout au long de l’année 2008. Des civils ont également été tués au cours d’affrontements intercommunautaires, en particulier entre membres des ethnies tama et zaghawa. Une grande partie des homicides ont eu lieu en avril, en particulier à Guéréda.
Des violences ont éclaté en juillet entre les ethnies moro et dajo à Kerfi, dans l’est du Tchad. Un haut responsable moro a été tué au cours de heurts et des milliers de Dajos ont dû fuir la région.

  • En avril, Ramadan Djom, chauffeur de l’ONG Save the Children – Royaume-Uni, a été assassiné par des hommes armés à proximité de la frontière soudanaise. Le 1er mai, Pascal Marlinge, directeur de cette même organisation au Tchad, a été abattu par des hommes armés entre Farchana et Hajir Hadid, également près de la frontière soudanaise.
    Des enfants ont été enlevés par des bandits armés qui ont assassiné ceux dont les parents ne pouvaient pas payer la rançon.

Visites et documents d’Amnesty International

Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Tchad au mois de mai.

  • Tchad. 68 personnes abattues par les forces de sécurité lors de l’arrestation d’un chef spirituel musulman (AFR 20/006/2008).
  • Tchad. Double malheur. Aggravation de la crise des droits humains au Tchad (AFR 20/007/2008).
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