Mexique

De graves violations des droits humains ont été commises par des membres des forces armées et de la police, qui se sont notamment rendus coupables d’homicides illégaux, d’un usage excessif de la force, d’actes de torture et de détentions arbitraires. Plusieurs journalistes ont été tués. Les défenseurs des droits humains étaient en butte à des menaces, des inculpations reposant sur des éléments forgés de toutes pièces et des procédures judiciaires inéquitables. Des personnes qui protestaient contre des projets de développement économique ont été harcelées. La Cour suprême a rejeté des recours en inconstitutionnalité concernant une loi du District fédéral dépénalisant l’avortement. Des réformes de la justice pénale ont été lancées. La violence contre les femmes demeurait endémique.

CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Felipe de Jesús Calderón Hinojosa
PEINE DE MORT : abolie
POPULATION : 107,8 millions
ESPÉRANCE DE VIE  : 75,6 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 22 / 17 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 91,6 %

Contexte

La sécurité publique et la réforme du secteur de l’énergie ont été au cœur du débat politique. Des milliers d’agents de la police fédérale et 45 ?000 militaires ont été déployés dans le cadre d’opérations de lutte contre le crime organisé. La violence attribuée à ces réseaux s’est toutefois intensifiée ; d’après les médias, plus de 6 ?000 personnes ont été tuées lors d’incidents violents en 2008. De très nombreux membres des forces de sécurité ont par ailleurs été tués ou blessés en service.

  • En septembre, les cadavres de 24 hommes assassinés ont été retrouvés dans le Parc national de La Marquesa, dans l’État de Mexico. Lors d’un attentat qui aurait été perpétré en représailles par un gang de narcotrafiquants, deux grenades ont été lancées dans la foule rassemblée à l’occasion de la fête nationale à Morelia, dans l’État du Michoacán. Elles ont fait huit morts et de nombreux blessés. La police fédérale a arrêté trois hommes en octobre, qui ont avoué être les auteurs de l’attaque. Ils ont néanmoins affirmé qu’ils avaient été torturés pendant leur garde à vue, et ont porté plainte.

Parmi les mesures de lutte contre la criminalité nouvellement adoptées figuraient l’imposition de peines plus lourdes et l’intégration dans la Constitution de l’arraigo, une forme de détention avant inculpation d’une durée de quatre-vingts jours. En septembre, les autorités fédérales et celles des États ont signé un accord national sur la sécurité, la justice et la légalité, qui vise à améliorer la coordination du maintien de l’ordre et des autres mesures de sécurité. En décembre, le Congrès a adopté une loi en matière de sécurité publique qui encadrait l’action des forces de police, mais sans renforcer les garanties en matière de protection des droits humains.
En juin, le Congrès des États-Unis a approuvé l’Initiative de Mérida, qui prévoit le versement de 400 millions de dollars américains au Mexique. Le programme incluait la fourniture de matériel et la formation de membres de la police et de l’armée, ainsi que de fonctionnaires de l’appareil judiciaire et des services d’immigration. Une partie – 15 % – des fonds destinés à l’armée ont été retenus, dans l’attente que la secrétaire d’État des États-Unis confirme que le Mexique avait respecté les conditions en matière de droits humains. Il s’agissait notamment de mener une enquête crédible pour identifier les responsables de la mort du journaliste américain Bradley Roland Will, tué lors de troubles politiques à Oaxaca en 2006. En octobre, Juan Manuel Martínez Moreno, un membre d’un groupe d’opposition politique, a été arrêté et inculpé du meurtre de Bradley Will par le Bureau du procureur général de la République. De nombreux acteurs, dont des experts médicolégaux indépendants et la Commission nationale des droits humains, ont dénoncé les raisons ayant mené à son arrestation et craignaient que les personnes mises en cause dans cette affaire servent de boucs émissaires et n’aient été inculpées que pour prouver le respect des conditions imposées par l’Initiative de Mérida.
Le gouvernement a rendu public en août son Programme national en faveur des droits humains, qui ne précisait pas quand et comment les grands engagements pris seraient respectés. De nombreuses organisations issues de la société civile ont déploré que le gouvernement n’entretienne pas le dialogue avec elles pour élaborer un programme solide de défense des droits humains. Les autorités et la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies ont renouvelé l’accord signé prévoyant la présence d’un bureau du Haut-Commissariat au Mexique.

Défenseurs des droits humains

Pour avoir mené des mouvements de protestation ou prôné le respect des droits fondamentaux, des défenseurs des droits humains ont, cette année encore, été la cible de menaces, d’agressions et de poursuites pénales déclenchées pour des motifs politiques. Certains ont été incarcérés. Le gouvernement a accepté de mettre en place pour plusieurs militants les mesures de protection ordonnées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Certains défenseurs ont cependant déclaré qu’aucun véritable effort n’avait été accompli pour enquêter sur leur cas et leur fournir une protection efficace.

  • En avril, cinq membres de l’Organisation du peuple indigène me’phaa (OPIM, qui milite résolument contre la marginalisation de la communauté me’phaa et pour le respect des droits des peuples indigènes) de la municipalité d’Ayutla, dans l’État du Guerrero, ont été arrêtés et inculpés du meurtre d’Alejandro Feliciano García, commis le 1er janvier. Malgré l’injonction fédérale prononcée en faveur de quatre d’entre eux et la présence d’éléments montrant que l’affaire reposait sur des motifs politiques, les cinq hommes restaient en détention à la fin de l’année. Amnesty International les considérait comme des prisonniers d’opinion.
    Plusieurs projets d’investissement et de développement économique ont soulevé des protestations parmi la population locale, insatisfaite de ne pas avoir été dûment consultée et préoccupée par les répercussions négatives que ces projets pourraient avoir sur le respect des droits sociaux et environnementaux, entre autres. Les communautés indigènes ont fait l’objet d’actions de représailles particulièrement nombreuses.
  • Dans la municipalité de Madera (État de Chihuahua), les membres de la communauté huizopa, qui demandaient que les opérations minières réalisées sur leur territoire respectent les ententes conclues avec leurs représentants, ont été menacés. La police a par ailleurs organisé des opérations pour disperser leurs manifestations légales.

Police et autres forces de sécurité

Armée
Des informations toujours plus nombreuses ont fait état de l’implication de militaires dans des exécutions illégales, des actes de torture, des mauvais traitements, des arrestations arbitraires et des perquisitions domiciliaires illégales. La justice militaire restait compétente pour enquêter lorsque des membres de l’armée étaient accusés de violations des droits humains et pour poursuivre les auteurs présumés de ces violations. La Commission nationale des droits humains a formulé neuf recommandations concernant de graves atteintes aux droits fondamentaux commises par des soldats en 2008.

  • En mars, des militaires ont ouvert le feu sur un véhicule à Santiago de los Caballeros, dans la municipalité de Badiraguato (État de la Sinaloa). Quatre hommes ont été tués et deux autres blessés. Rien n’indiquait que les victimes étaient armées ou qu’elles représentaient une menace. Cinq soldats avaient été placés en détention par l’armée et faisaient l’objet d’une enquête à la fin de l’année. Les parents des victimes ont déposé un recours en amparo pour empêcher que l’armée se déclare compétente dans l’affaire. Leur requête n’avait pas été examinée à la fin de l’année.

Police
Les homicides illégaux, actes de torture, brutalités et placements en détention arbitraires restaient très répandus au sein de la police. Des mesures ont été prises en vue de créer une force de police fédérale unique qui serait dotée de pouvoirs d’enquête accrus. Cependant, aucune initiative importante n’avait été mise en œuvre pour que les fonctionnaires soient davantage amenés à rendre des comptes en cas de violation des droits humains, et aucune réforme des forces de police n’avait été menée au niveau municipal et des États.

  • En septembre, des agents de la Police préventive fédérale (PFP) auraient abattu une passante âgée de dix-sept ans en criblant de balles, inutilement et sans avertissement, une voiture à Matamoros (État du Tamaulipas). Les occupants du véhicule, Carlos Solis et Luis Alberto Salas, ont été arrêtés et accusés de l’homicide, alors que des témoins ont déclaré que seuls les policiers avaient tiré des coups de feu. Les deux hommes auraient été torturés pendant leur garde à vue ; à la fin de l’année, ils étaient en instance de jugement pour détention d’armes à feu.
  • En octobre, six membres de la communauté indigène de Miguel Hidalgo, dans la municipalité de La Trinitaria (État du Chiapas), ont été abattus par des agents de la police de l’État. Au moins quatre d’entre eux ont été tués dans des circonstances laissant suggérer qu’il s’agissait d’une exécution. Plusieurs policiers ont été arrêtés et, d’après les informations recueillies, 26 faisaient l’objet d’une enquête à la fin de l’année.
  • Plus de 30 prisonniers sont morts en septembre lors d’émeutes qui ont éclaté à la prison de La Mesa, à Tijuana (État de la Basse-Californie du Nord). Le directeur de la Commission des droits humains de la Basse-Californie a estimé que certains des décès avaient été causés par un recours excessif à la force et par d’autres actes constituant des violations des droits humains et commis par les forces de sécurité qui sont intervenues.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les autres formes de mauvais traitement demeuraient très répandues. Malgré diverses initiatives, il restait difficile de mettre en œuvre des poursuites efficaces contre les responsables présumés. En août, le Sous-comité pour la prévention de la torture [ONU] a visité des centres de détention dans plusieurs États et recueilli des informations sur de nombreux cas de torture. Ses constatations restaient confidentielles.

  • En février, Eliseo Silvano Espinoza et Eliseo Silvano Jiménez, deux Tzeltals, ont été arrêtés à Chilón par la police de la route de l’État du Chiapas. Selon les informations recueillies, la police a tiré sur eux, les a battus et presque asphyxiés. Les deux hommes, à qui il s’agissait d’extorquer des « aveux », auraient également été menacés et aspergés de gaz lacrymogène. Ils ont ensuite été remis en liberté sans inculpation. Deux policiers ont été placés en détention et faisaient l’objet d’une enquête à la fin de l’année.
  • En octobre, des enseignants et des sympathisants de leur cause ont manifesté dans l’État de Morelos. Dans la ville de Xoxocotla, la police fédérale a dispersé les manifestants qui bloquaient un axe de communication majeur. Bon nombre de personnes placées en détention auraient été interpellées à leur domicile et battues ; certaines auraient été forcées de marcher pieds nus sur des braises.

Liberté d’expression – journalistes

Au moins cinq personnes travaillant pour les médias ont été tuées et l’on restait sans nouvelles d’une sixième, qui avait été enlevée. Ces crimes, de même que d’autres attaques de journalistes attribuées à des gangs criminels, restaient impunis.

  • En avril, Felícitas Martínez et Teresa Bautista, deux indigènes qui travaillaient pour une station de radio de la région triqui (État d’Oaxaca), ont été tuées par des hommes armés qui ont fait feu sur la voiture dans laquelle elles se trouvaient. Les autorités ont nié que le meurtre avait quelque chose à voir avec l’activité des deux femmes à la station, mais n’ont pas mené d’enquête exhaustive.

Impunité

Des violations des droits humains commises récemment et dans le passé restaient impunies. L’absence, au niveau fédéral et à celui des États, d’institutions véritablement capables d’enquêter sur ces violations et d’engager des poursuites contre leurs auteurs présumés nuisait gravement au respect de l’obligation de rendre des comptes et à l’accès à la justice.

  • Quarante ans après le massacre de la place des Trois-Cultures, dans le quartier de Tlatelolco, à Mexico, où les forces gouvernementales avaient tiré sur des manifestants dans des circonstances qui n’ont jamais été éclaircies, les responsables présumés n’avaient toujours pas été amenés à rendre des comptes. Un recours présenté à un tribunal fédéral concernant une décision rendue précédemment, selon laquelle l’ancien président Luis Echeverría ne devrait pas être poursuivi, était en instance à la fin de l’année.
    Aucun progrès n’a été accompli sur le plan judiciaire et le gouvernement n’a pris aucun engagement pour amener à rendre des comptes les responsables présumés de centaines d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de cas de torture survenus dans les années 1960, 1970 et 1980.
  • Le cas de Rosendo Radilla, soumis à une disparition forcée par les forces de sécurité en 1976, et dont on n’a jamais su ce qu’il était devenu, a été adressé à la Cour interaméricaine des droits de l’homme en juin.
    Les enquêtes ouvertes sur des cas emblématiques récents – tels que les tortures et autres mauvais traitements infligés à une multitude de protestataires à Guadalajara en 2004, la torture et le viol d’au moins 26 femmes détenues à San Salvador Atenco en mai 2006 et les dizaines de cas de torture, de détention arbitraire et d’homicides illégaux survenus à Oaxaca durant la crise politique en 2006 et 2007 – n’ont pratiquement donné aucun résultat. À la fin de l’année, la Cour suprême du Mexique n’avait pas encore fait connaître les conclusions de ses enquêtes sur les atteintes aux droits humains commises à San Salvador Atenco et à Oaxaca.
  • L’enquête fédérale n’ayant pas progressé, on ne savait toujours pas à la fin de l’année ce qu’étaient devenus Edmundo Reyes Amaya et Gabriel Alberto Cruz Sánchez, deux membres de l’Armée populaire révolutionnaire (EPR) qui auraient été victimes de disparition forcée en mai 2007.

Violences contre les femmes et les filles

En août, la Cour suprême du Mexique a rejeté des recours en inconstitutionnalité intentés contre la modification de la législation du District fédéral en 2007, qui a permis la dépénalisation de l’avortement lorsqu’il est pratiqué durant les douze premières semaines de la grossesse.
La violence contre les femmes constituait un phénomène endémique, tant au sein de la famille que dans la société en général et au travail. Le gouvernement n’avait toujours pas publié de nouvelles procédures destinées aux professionnels de la santé s’occupant de femmes ayant été victimes de violences.
Vingt-huit États avaient promulgué la loi sur le droit des femmes à vivre à l’abri de la violence, mais seuls le gouvernement fédéral et trois États avaient publié les textes réglementaires d’application. Les engagements pris quant au financement de nombreux centres d’accueil pour femmes ayant été ajournés, une lourde pression s’exerçait sur les structures existantes.

  • Sur fond d’explosion de la criminalité violente, plus de 75 femmes ont été assassinées à Ciudad Juárez, dans l’État de Chihuahua. Les défenseurs des droits humains qui demandaient que justice soit rendue dans les affaires de meurtre et d’enlèvement de femmes ou de jeunes filles ont été soumis à des menaces et des actes d’intimidation.
  • Trois cas parmi ceux des huit femmes assassinées en 2001 sur le terrain vague de Campo Algodonero, à Ciudad Juárez, ont été portés devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Migrants

Le nombre de migrants traversant la frontière pour se rendre aux États-Unis aurait diminué, à l’inverse des expulsions vers le Mexique. Les migrants en situation irrégulière au Mexique étaient en butte à des actes d’extorsion, des passages à tabac, des enlèvements, des viols, des meurtres et d’autres violences perpétrées par des agents de l’État ou par des bandes criminelles agissant souvent avec la complicité des autorités locales. Les responsables présumés de ces crimes n’étaient que très rarement amenés à répondre de leurs actes. Des modifications apportées à la législation fédérale ont réduit les sanctions infligées en cas de séjour irrégulier au Mexique ; les contrevenants sont désormais passibles d’une amende et non plus d’une peine de prison. La quasi-totalité des migrants restaient placés en détention avant d’être rapatriés. La formation des agents de l’immigration sur les droits de l’enfant a été renforcée. Le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants s’est rendu au Mexique en mars et s’est déclaré gravement préoccupé par le traitement des migrants originaires de l’Amérique centrale.

  • La presse a publié en avril des photos d’une opération menée conjointement par les services d’immigration et la marine pour arrêter des migrants à Las Palmas, dans la municipalité de Niltepec (État d’Oaxaca). Des témoins oculaires ont confirmé l’authenticité des images, qui montraient des migrants passés à tabac et soumis à des humiliations. Les services d’immigration et la marine ont cependant nié que de telles brutalités aient eu lieu.
  • Le père Alejandro Solalinde et d’autres personnes travaillant dans le centre d’accueil de Ciudad Ixtepec (État d’Oaxaca), où ils apportaient de l’aide humani-taire aux migrants et recueillaient les informations sur les atteintes aux droits humains dont ces derniers étaient victimes, ont fait l’objet de menaces répétées en raison de leur action.

Évolutions législatives, constitutionnelles ou institutionnelles

D’importantes modifications ont été apportées à la Constitution mexicaine dans les domaines de la sécurité publique et de la justice pénale, notamment la mise en place de procédures uniquement orales et l’amélioration de la procédure légale relative aux crimes de droit commun, comme l’affirmation du principe de présomption d’innocence. Les réformes ont toutefois aussi renforcé les pouvoirs des procureurs enquêtant sur des infractions graves à une loi fédérale sans prévoir de contrôles adéquats.
Les changements seront mis en place sur une période de huit ans et un comité gouvernemental spécial chargé de proposer des dispositions législatives pour l’application des réformes au niveau fédéral a été créé. Dans la plupart des États, les modifications n’avaient pas été introduites.
Les réformes visant à incorporer explicitement les traités internationaux relatifs aux droits humains dans la Constitution étaient au point mort.

Documents d’Amnesty International

  • Women’s struggle for Justice and safety – Violence in the family in Mexico (AMR 41/021/2008).
  • Mexico : Amnesty International Submission to the UN Universal Periodic Review (AMR 41/038/2008).
  • Promoting Indigenous Rights in Mexico : Me’ phaa Indigenous People’s Organization (AMR 41/040/2008).
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