ROUMANIE

Internées en établissement psychiatrique, les personnes souffrant d’un handicap mental étaient arbitrairement privées de leur liberté. Les conditions de vie dans certains hôpitaux constituaient, de fait, un traitement inhumain et dégradant. Plusieurs patients sont morts de malnutrition ou de froid, par manque de soins ou des suites de sévices infligés par des membres du personnel ou d’autres patients. Les mauvais traitements policiers étaient très fréquents et relevaient, dans certains cas, de la torture. Des policiers se sont servis de leurs armes à feu dans des circonstances prohibées par les normes internationales, tuant au moins deux hommes et faisant des dizaines de blessés. Nombre des victimes des brutalités et des bavures policières étaient des Roms (Tsiganes). Les conditions de vie dans les prisons étaient parfois inhumaines et dégradantes. Des cas mauvais traitements infligés à des prisonniers ont été signalés.

Roumanie
CAPITALE : Bucarest
SUPERFICIE : 237 500 km²
POPULATION : 22,3 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Ion Iliescu, remplacé par Traian B ?sescu le 20 décembre
CHEF DU GOUVERNEMENT : Adrian N ?stase, remplacé par C ?lin Popescu T ?riceanu le 28 décembre
PEINE DE MORT : abolie
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome ratifié
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifié

Contexte
Les élections législatives et présidentielle, qui se sont déroulées aux mois de novembre et décembre, ont été marquées par des allégations d’irrégularités. Chacun avait le droit d’aller déposer son bulletin dans n’importe quel bureau de vote, sans avoir à produire de carte d’électeur, et de nombreuses personnes auraient ainsi pu voter plusieurs fois. Le scrutin pour la présidence a été remporté au second tour, le 12 décembre, par Traian B ?sescu, candidat soutenu par l’Alliance justice et vérité, qui a formé à la fin de l’année un gouvernement de coalition.
Le gouvernement n’est pas parvenu à mettre un frein à la corruption généralisée dans la gestion des deniers de l’État et l’organisation des services publics, notamment en ce qui concerne la santé. Au mois de novembre, lorsqu’ont été rendues publiques les minutes des réunions du comité exécutif de la formation au pouvoir, instance présidée par le Premier ministre, il est apparu que celui-ci avait, entre autres, discuté de la manière dont il pouvait influencer le pouvoir judiciaire, manipuler la presse et saper l’action de certaines organisations de la société civile.
Un tiers de la population, dont un grand nombre d’enfants et de personnes âgées, vivait au-dessous du seuil de pauvreté. Selon une étude officielle publiée en juillet, 66 000 enfants travaillaient dans des conditions qualifiées de « déplorables ». Des enfants étaient vendus, pour travailler dans des conditions proches de l’esclavage. D’autres faisaient l’objet d’un trafic et étaient envoyés à l’étranger pour y être exploités, à des fins sexuelles ou autres. Le rapporteur spécial chargé d’étudier la question de la vente d’enfants, de la prostitution des enfants et de la pornographie impliquant des enfants a déclaré, à l’issue d’une visite effectuée en septembre en Roumanie, qu’il avait été choqué par la situation sur place et que les mécanismes d’État n’assuraient pas une réelle protection aux plus vulnérables.
Les médias faisaient l’objet de pressions politiques et économiques, qui se traduisaient par un fort encadrement de la liberté des journalistes. Un certain nombre de journalistes qui avaient eu le courage de parler de la criminalité organisée ou de malversations concernant des fonds publics ont été victimes d’agressions. Les enquêtes ouvertes sur ce genre d’affaires n’aboutissaient manifestement jamais.

Détention en hôpital psychiatrique
La procédure de placement et les conditions de vie dans de nombreux services et hôpitaux psychiatriques, ainsi que la manière dont les patients étaient traités, constituaient une violation des normes internationales relatives aux droits humains.
Dix-huit patients d’un hôpital de Poiana Mare sont décédés en janvier et février. La plupart d’entre eux seraient morts de froid et de malnutrition.
Le fait d’interner une personne pour lui faire subir contre sa volonté un traitement psychiatrique, en l’absence d’indications thérapeutiques suffisantes et sans qu’elle ait fait l’objet d’une inculpation au titre du Code pénal, constitue, de fait, une mesure de détention arbitraire ainsi qu’un déni de ses droits à bénéficier, le cas échéant, d’un procès équitable. De nombreuses personnes ont ainsi été placées dans des services ou des hôpitaux psychiatriques alors qu’elles ne relevaient manifestement pas de ce type d’établissements. Beaucoup de jeunes adultes ont été internés dans des institutions de ce genre parce qu’ils n’avaient pas de famille et qu’il n’existait aucun programme destiné à assurer leur réinsertion dans la société.
Dans nombre de services et d’hôpitaux psychiatriques, les conditions de vie et le régime alimentaire réservé aux patients étaient déplorables. Les chambres étaient surpeuplées, ce qui obligeait bien souvent les pensionnaires à dormir à plusieurs dans un même lit. Parfois également, les locaux n’étant pas chauffés, plusieurs patients dormaient ensemble pour se tenir chaud. Les conditions de vie étaient particulièrement pénibles dans les services d’internement de longue durée et pour les handicapés les plus lourdement atteints.
Les établissements hospitaliers ne disposaient pas de moyens suffisants pour offrir à tous les patients un traitement médical approprié. Beaucoup, notamment, ne pouvaient pas bénéficier de médicaments adaptés à leur état. La thérapie de l’électrochoc était parfois administrée sans le moindre anesthésiant ou myorelaxant. Rares étaient les hôpitaux disposant du personnel et de l’équipement susceptibles d’offrir une gamme complète de thérapies et de méthodes de rééducation. Outre les problèmes de santé mentale, de nombreux patients n’étaient visiblement pas soignés correctement pour les affections physiques dont ils pouvaient souffrir.
Plusieurs pratiques d’immobilisation et d’isolement, utilisées dans de nombreux établissements psychiatriques, étaient contraires aux normes internationales. Dans certains cas, elles constituaient même une peine ou un traitement cruel, inhumain et dégradant.
Répondant au mois de mai à un mémorandum que lui avait communiqué Amnesty International, le gouvernement a adopté une série de mesures visant à améliorer le fonctionnement du système de prise en charge de la santé mentale en Roumanie. Certaines de ces mesures sont toutefois restées lettre morte. Ainsi, les hôpitaux ont reçu l’ordre de consacrer une part accrue de leurs ressources à l’alimentation des patients et aux salaires de leur personnel. Or, si l’on en croit de nombreux directeurs d’établissements psychiatriques, leur budget n’a pas été augmenté pour autant. Au mois de novembre, divers observateurs locaux ont indiqué n’avoir constaté aucune amélioration dans nombre des hôpitaux qu’ils avaient visités.
Patients et pensionnaires continuaient de faire l’objet de sévices. Plusieurs personnes sont mortes des suites de négligences graves, voire de violences infligées par d’autres patients.
Au mois de septembre, à Braila, un patient âgé de soixante-six ans, atteint de démence, a été mis sous une douche brûlante par un membre du personnel de l’hôpital. Grièvement brûlé, il a finalement succombé à ses blessures.

Torture et mauvais traitements
Les cas de mauvais traitements mettant en cause des membres des forces de sécurité étaient toujours aussi fréquents, sans que cette situation ne suscite de réponse appropriée de la part des pouvoirs publics. Les victimes étaient souvent des suspects de droit commun. Un certain nombre de personnes ont été frappées et injuriées parce qu’elles n’avaient pas été en mesure de produire des papiers d’identité. D’autres ont été rouées de coups par des policiers qui sont intervenus dans des disputes alors qu’ils n’étaient pas en service.
Des personnes ont été délibérément intimidées par la police sur l’ordre des autorités locales. Ainsi, la police a mené une opération en février contre un foyer d’étudiants de Bucarest, dont les occupants avaient protesté contre le manque d’eau chaude. Au mois de mars, la police s’est livrée à des perquisitions aux domiciles de membres du Misçarea de Integrare Spirituala în Absolut (MISA, Mouvement pour l’intégration spirituelle de l’absolu), composé d’adeptes du yoga et souvent considéré comme marginal au sein de la société roumaine. Plusieurs des personnes concernées ont été maltraitées devant des caméras, et les images des sévices infligés ont été diffusées à la télévision.
Plusieurs membres de l’organisation Falun Dafa Romania, qui regroupe des pratiquants du Fa Lun Gong, auraient été maltraités, à différentes occasions en juin et en juillet, par des policiers et des agents des services secrets de Bucarest. Ces personnes entendaient protester contre les persécutions dont étaient victimes les pratiquants du Fa Lun Gong en Chine. Elles avaient demandé l’autorisation d’organiser une manifestation, mais celle-ci leur avait été refusée. Plusieurs d’entre elles ont été placées dans des services psychiatriques, après avoir été passées à tabac par la police. Le rédacteur en chef d’un quotidien de Bucarest a été lui aussi interné au mois de mai. Il a finalement pu sortir grâce à l’intervention de sa famille.
Un certain nombre de personnes grièvement blessées par la police n’ont pas reçu les soins qu’exigeait leur état. Deux personnes au moins sont mortes des suites de mauvais traitements infligés par des responsables de l’application des lois.
Au mois de septembre, Lauren ?iu Capbun et deux autres hommes, qu’une altercation avait opposés au propriétaire d’un bar de Constanta, auraient été agressés par un ami de ce dernier, fonctionnaire de police, et par quatre membres masqués d’une unité d’intervention spéciale. Les trois hommes auraient subi de nouvelles violences au poste de police de la 4e section, avant d’être finalement libérés le lendemain matin, sans inculpation. Lauren ?iu Capbun est mort cinq jours plus tard, apparemment en raison de problèmes de santé préexistants qui auraient été aggravés par les brutalités subies. Les policiers impliqués dans cette affaire devaient, selon certaines informations, être sanctionnés pour « ne pas avoir signalé les faits à la police municipale de Constanta et être intervenus sans autorisation ». Toutefois, ils n’ont apparemment pas fait l’objet de poursuites pénales.
Les affaires signalées ne donnaient quasiment jamais lieu à une enquête indépendante et impartiale. Un commissaire de police a été démis de ses fonctions pour avoir révélé l’identité de deux agents d’une unité spéciale de la police d’État qui ont été inculpés - fait inhabituel - pour avoir roué de coups un homme en août 2004.
De nombreux enfants ont subi des mauvais traitements aux mains de la police. Bien souvent, les jeunes victimes étaient soupçonnées de délits mineurs ou avaient été témoins d’une intervention des forces de sécurité.
Au mois de mars, C.B., quinze ans, s’est arrêté pour regarder une dispute qui opposait plusieurs policiers à des chauffeurs de taxi, dans l’une des principales artères de Bucarest. Une unité d’intervention spéciale est arrivée, s’est mise à frapper les chauffeurs de taxi et les a embarqués de force dans plusieurs fourgons. Cinq policiers coiffés de cagoules ont ensuite roué C.B. de coups de poing et de pied à la tête et dans le dos, avant de le faire monter dans un de leurs véhicules. Le jeune garçon a été conduit au poste de police n°14, puis libéré deux heures plus tard. C.B. a été admis aux urgences pédiatriques d’un hôpital, où il a été soigné pour des blessures multiples. Il est rentré chez lui deux jours plus tard. L’administration de l’hôpital aurait précipité sa sortie, sous la pression de la police.
Parmi les cas de mauvais traitements ou de torture aux mains de la police signalés cette année, plusieurs concernaient des femmes. Un certain nombre d’entre elles auraient été violées.
On a appris en février 2004 que deux jeunes femmes habitant T ?ndarei, dans le département de Ialomita, auraient été violées et rouées de coups par trois policiers de haut rang, en décembre 2003. Les fonctionnaires auraient proposé à l’une de leurs victimes de l’aider à obtenir un permis de conduire. Les deux jeunes femmes auraient été battues, violées à plusieurs reprises et séquestrées pendant sept jours. Sans nouvelles d’elles, leurs parents avaient appris qu’elles avaient quitté leur lieu de travail en compagnie des trois policiers. Lorsque ce fait a été porté à la connaissance de la police municipale, un haut responsable aurait tenté de faire en sorte que les noms des trois hommes n’apparaissent pas sur la plainte. Lorsque les deux jeunes femmes sont enfin rentrées chez elles, elles ont été examinées par un médecin légiste. Elles auraient fait l’objet de manœuvres de harcèlement de la part de la police, qui aurait tenté de les dissuader de porter plainte. L’affaire a été révélée dans la presse au mois de février. Le ministère de l’Intérieur a alors suspendu de leurs fonctions les trois policiers incriminés, dans l’attente des conclusions d’une enquête interne. Ces conclusions n’avaient toujours pas été rendues publiques fin 2004.

Usage illégal d’armes à feu par la police
La police aurait tué par balle au moins deux hommes, dans des circonstances contraires aux normes internationales réglementant l’usage des armes à feu. En Roumanie, le fait de tirer sur un suspect non armé qui tente de prendre la fuite était considéré comme une pratique légale, officiellement approuvée. Le Premier ministre a déclaré en janvier que la police espagnole, qui venait de tuer d’une balle dans la tête un ressortissant roumain soupçonné d’un vol de voiture, avait « un régime d’usage des armes à feu plus efficace » que le régime roumain. Les enquêtes en la matière étaient rarement impartiales, indépendantes et approfondies. Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles, il apparaissait que des dizaines de personnes avaient été blessées par balle en 2004.
Le 30 mai, à Jeg ?lia, un village du département de C ?l ?ra ?i, deux policiers qui tentaient d’appréhender Nicu ?or ?erban, soupçonné de viol, auraient tiré sur ce dernier alors qu’il était en train de sauter pardessus une clôture. L’un des policiers, S., aurait ouvert le feu à deux reprises, atteignant le fugitif dans le dos. Nicu ?or ?erban est mort pendant son transport à l’hôpital.

Agressions contre des Roms
Les Roms étaient souvent victimes de mauvais traitements de la part de la police, ou de l’usage illégal d’armes à feu par certains policiers. En outre, les membres de cette communauté étaient fréquemment victimes de brutalités commises par des gardes de sécurité privés agréés par l’administration locale.
Selon le Centre européen pour les droits des Rom et l’association Tumende, un groupe de défense des personnes d’origine rom installé à Vale Jiului, Bela Dodi est mort le 11 mars après avoir été roué de coups par des vigiles privés de la mine Coroiesti, à Vulcan, dans le département de Hunedoara. Bela Dodi était en train de ramasser de la ferraille en compagnie de quatre autres Roms, lorsque plusieurs vigiles les ont attaqués. En tentant de s’enfuir, Bela Dodi est tombé et s’est cogné la tête. La chute aurait été fatale. Ses quatre camarades, blessés, ont été conduits à l’hôpital pour y être soignés. En novembre 2003, des employés de la même société privée de gardiennage avaient déjà, selon certaines informations, roué de coups une femme rom, Olga David, âgée de quarante-deux ans, qui avait succombé à ses blessures.

Conditions carcérales
Dans de nombreuses prisons, les conditions de vie, la surpopulation, ainsi que l’absence d’activités et de services médicaux, constituaient, de fait, un traitement inhumain et dégradant. Cette année encore, des cas de mauvais traitements impliquant des membres du personnel pénitentiaire ont été signalés. Ce personnel avait également recours à des méthodes inacceptables d’immobilisation des détenus (comme le fait de laisser des menottes à des prisonniers hospitalisés).
Trois mineurs détenus dans le pénitencier pour jeunes délinquants de Craiova sont morts dans un incendie en septembre. Deux autres détenus ont été grièvement blessés. Le feu avait été allumé dans leur cellule par un jeune garçon qui entendait ainsi protester contre la disparition d’un colis. Le personnel de l’établissement, qui ne comptait qu’un seul psychologue et assistant social pour 330 détenus, n’avait pas répondu aux doléances de ce garçon et l’avait enfermé dans cette cellule, alors qu’il était dans un état de grande agitation. Les matelas étaient hautement inflammables, tandis que les extincteurs et la procédure applicable en cas d’incendie présentaient un certain nombre de carences. Le directeur de l’établissement et le responsable de la sécurité ont été démis de leurs fonctions à la suite de cette affaire.

Visites d’Amnesty International
Un délégué d’Amnesty International s’est rendu en Roumanie en février pour y mener des recherches. Une délégation de l’organisation a rencontré en novembre des représentants du gouvernement, afin de s’entretenir avec eux des problèmes existant dans les établissements psychiatriques. Amnesty International a organisé, en collaboration avec l’organisation non gouvernementale locale Center for Legal Resources (CLR, Centre d’aide juridique), une table ronde internationale consacrée à la protection des droits fondamentaux des personnes souffrant d’un handicap mental et à la nécessaire réforme des services de santé mentale en Roumanie.

Autres documents d’Amnesty International

  Europe and Central Asia : Summary of Amnesty International’s concerns in the region, January - June 2004 : Romania (EUR 01/005/2004).

  Romania : Memorandum to the government concerning inpatient psychiatric treatment (EUR 39/003/2004).

 Roumanie. Le gouvernement roumain ne reconnaît pas la tragédie humaine dans les hôpitaux psychiatriques (EUR 39/005/2004).

  Romania : More ill-treatment of children (EUR 39/008/2004).

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