KENYA République du Kenya

Les autorités ont intensifié leurs manœuvres de harcèlement et d’intimidation contre les journalistes et les défenseurs des droits humains. Des allégations de violences policières n’ont fait l’objet d’aucune enquête, ce qui a encore renforcé l’impunité des policiers responsables d’atteintes aux droits humains. Malgré l’adoption d’une loi érigeant en infractions pénales différents crimes et délits à caractère sexuel, le viol et les autres violences commises contre les femmes, les jeunes filles et les fillettes, notamment au sein du foyer, constituaient toujours un sujet de préoccupation majeur.






Contexte
Deux affaires de corruption dans lesquelles étaient impliqués plusieurs hauts fonctionnaires ont déclenché une vague de critiques contre le gouvernement. Le vice-président et deux ministres figuraient en effet sur une liste de 30 personnes convoquées par la Kenya Anti-Corruption Commission (KACC, Commission anticorruption du Kenya) dans le cadre de l’enquête sur le scandale Anglo Leasing, une société à laquelle le gouvernement kenyan a versé de très grosses sommes d’argent pour du matériel qui n’a jamais été livré. Le procureur général, Amos Wako, a toutefois décidé de ne pas engager de poursuites contre les 15 suspects mis en cause par la KACC.
Le rapport d’une commission d’enquête sur le scandale Goldenberg a été publié en février. Dans cette affaire de détournement de fonds survenue dans les années 1990, les pouvoirs publics ont perdu un milliard de dollars des États-Unis (770 millions d’euros environ) dans des opérations fictives d’exportation d’or et de diamants. Le document recommandait l’ouverture de poursuites judiciaires pour corruption contre l’homme d’affaires Kamlesh Patni, le ministre de l’Éducation George Saitoti, l’ancien président Daniel arap Moi, et plusieurs autres personnes. Cinq personnes, dont Kamlesh Patni, ont été inculpées en mars. En août, un collège de trois juges de la Haute Cour a conclu que George Saitoti, qui avait remis sa démission, ne devait pas être poursuivi.

Atteintes à la liberté de la presse
Les autorités ont multiplié les actes d’intimidation et de harcèlement envers les personnes travaillant dans la presse, dont les journalistes.
En mars, des policiers armés qui agissaient sur instruction du gouvernement ont effectué une descente dans les locaux et dans l’imprimerie du Standard, un important groupe de presse, et dans les studios de la chaîne de télévision KTN. Ils ont brûlé l’édition du 2 mars du quotidien The Standard, endommagé du matériel dans les deux sites et confisqué des ordinateurs. L’opération a suscité une vague de protestations dans le pays et à l’étranger. Trois journalistes du Standard avaient été interpellés avant la descente de police et inculpés pour avoir écrit des articles « alarmants » faisant état de contacts secrets entre le chef de l’État et un opposant politique. Le groupe de presse a déposé une plainte contre le ministre de la Sécurité nationale et contre le chef de la police, et une commission parlementaire a mené une enquête. En septembre, les poursuites contre les trois journalistes ont été abandonnées.
Clifford Derrick Otieno, qui avait porté plainte pour coups et blessures contre Lucy Kibaki, l’épouse du chef de l’État, en mai 2005, a été visé à plusieurs reprises par des menaces et des actes de harcèlement et contraint de quitter le pays en janvier 2006. Sa famille demeurait toutefois en butte à des menaces. La procédure engagée contre Lucy Kibaki, en citation directe, avait été close une première fois. En novembre, après plusieurs ajournements, la Cour constitutionnelle a rejeté l’appel que Clifford Derrick Otieno avait interjeté contre cette décision.
En mai, deux journalistes travaillant pour la chaîne de télévision Citizen auraient été agressés par des policiers après avoir tenté de photographier des fonctionnaires qui, selon eux, essayaient d’extorquer des pots-de-vin.
Un projet de loi a été déposé en vue de la mise en place d’un Conseil des médias qui aurait un statut public et remplacerait l’actuelle instance, indépendante. Plusieurs aspects du texte ont été critiqués : imposition de restrictions au travail des journalistes par le biais d’accréditations renouvelables tous les ans, risque d’ingérence du pouvoir politique en raison de la composition du comité des nominations et droit de recours limité contre les décisions du nouvel organe. Le texte n’avait pas été adopté par le Parlement à la fin de l’année.

Harcèlement de défenseurs des droits humains
Les autorités ont tenté d’entraver l’action des défenseurs des droits humains. Des organisations non gouvernementales ont accusé le gouvernement d’exercer des manœuvres d’intimidation contre ses détracteurs par le biais de la KACC et de l’administration fiscale.
En septembre, le président de la Commission kenyane des droits humains, Maina Kiai, a été convoqué par la KACC dans le cadre d’une enquête sur des allégations de forfaiture. Maina Kiai, qui ne cache pas son opposition au gouvernement, était visé notamment par des accusations concernant l’indemnité de réinstallation qu’il avait perçue et la manière dont des commissaires aux comptes avaient été sélectionnés. Quarante organisations issues de la société civile lui ont apporté leur soutien, déclarant que l’enquête avait été déclenchée pour des raisons politiques et qu’elle faisait partie des tentatives gouvernementales visant à harceler et à intimider les défenseurs des droits humains.

Impunité
Les autorités n’ont pas enquêté sur des allégations de violations des droits humains commises par des policiers, notamment des cas de torture et d’homicides illégaux. À la suite d’une flambée de violences interethniques en octobre, le préfet Hassan Noor Hassan aurait donné aux policiers du district de Nakuru l’ordre de tirer sur les émeutiers.
La représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme a demandé des informations concernant les cas d’Ojiayo Samson et de Mithika Mwenda, deux défenseurs des droits humains qui avaient été frappés par des policiers en juillet 2005 après leur arrestation lors d’une manifestation. Aucune information n’est parvenue à Amnesty International concernant l’ouverture d’une éventuelle enquête, et les deux hommes faisaient toujours l’objet de poursuites judiciaires.
À la fin de l’année, aucune enquête n’avait été ouverte sur la mort de Paul Limera (quatorze ans), de Hillary Ochieng (dix-sept ans), de Vincent Otieno (quinze ans), de George Ogada et de Paul Mwela, abattus par des policiers lors d’une manifestation en 2005.
En octobre, la ministre de la Justice, Martha Karua, a annoncé la création d’un nouvel organe chargé de recevoir et d’instruire les plaintes des citoyens concernant les abus commis par des fonctionnaires de police.
En octobre, un groupe d’anciens rebelles du mouvement Mau Mau a intenté une action contre le gouvernement du Royaume-Uni afin d’obtenir réparation pour des violations des droits humains (viols, passages à tabac et autres actes de torture) qui auraient été commises dans les années 1950 lors du soulèvement en faveur de l’indépendance du Kenya. Selon la Commission kenyane des droits humains, des dizaines de milliers de personnes ont été torturées à l’époque par les autorités britanniques.

Violences contre les femmes, les jeunes filles et les fillettes
Les femmes étaient toujours couramment en butte à la violence. Selon les informations recueillies, les actes dirigés contre les jeunes filles et les fillettes se sont multipliés. La plupart des violences sexuelles dont celles-ci étaient victimes étaient perpétrées par des membres de leur famille ou par des amis proches.
En mars, 10 lycéennes ont été violées lors d’une manifestation dans la ville de Nyeri. Cinq jeunes gens ont été arrêtés par la suite, mais Amnesty International n’a pas eu connaissance de l’ouverture de poursuites judiciaires à leur encontre.
La Loi relative aux infractions à caractère sexuel a été adoptée en mai. Le texte prévoit des peines plancher pour une série de crimes et délits, définit le viol, le crime de rapport sexuel avec un enfant et d’autres infractions à caractère sexuel, et interdit d’utiliser à titre de preuve contre la victime des éléments relatifs à une expérience sexuelle ou un comportement antérieurs. Toutefois, la loi ne reconnaît pas le viol conjugal, sa définition du viol est restrictive et elle n’érige pas en infraction pénale les mutilations génitales féminines.

Expulsions
Des dizaines de milliers de personnes ont été expulsées de zones forestières et de logements précaires lors d’opérations brutales au cours desquelles des biens et des habitations ont été détruits, et les habitants ne se sont pas vu proposer un relogement approprié ni des indemnités suffisantes. Dans certains cas, ils n’avaient même pas été avertis.
Le gouvernement s’est engagé à mettre en place sur le plan national des directives en matière d’expulsion. Un groupe de travail interministériel a été constitué en mai à cet effet, mais l’année s’est achevée sans qu’aucun projet de texte ne soit rendu public.
En mars, 3 000 familles ont été expulsées de la forêt de Kipkurere, dans la province de la Vallée du Rift. Des villages ont été incendiés, des biens et des vivres détruits.
En juin, 8 000 personnes ont été expulsées de la forêt d’Emborut, située également dans la Vallée du Rift. Des habitations, des écoles et des églises ont été incendiées lors de l’opération.
Plus de 600 familles se sont retrouvées sans abri en septembre, après que le bidonville de Komora, à Nairobi, eut été détruit pour permettre la construction de logements privés. Les personnes expulsées ont déclaré qu’elles n’avaient nulle part où aller. Elles ont expliqué qu’on leur avait donné dix minutes pour vider les lieux et que les plaques de tôle dont étaient faites leurs habitations avaient été détruites.

Protection des réfugiés et des demandeurs d’asile
Fuyant la recrudescence de la violence dans le sud et le centre de leur pays, des dizaines de milliers de Somaliens (34 000, selon une estimation de fin octobre) ont franchi la frontière kenyane et rejoint les 160 000 réfugiés – pour la plupart somaliens également – déjà présents dans les camps proches de la ville de Dadaab, dans l’est du Kenya.
Selon certaines informations, la situation s’est tendue entre les réfugiés du camp de Kakuma (proche de la frontière soudanaise) et des membres de la population locale appartenant à l’ethnie turkana. En août, quatre personnes ont été tuées lors d’affrontements et d’attaques contre le camp. Des réfugiés soudanais qui étaient rentrés dans leur pays d’origine sont revenus au camp de Kakuma en mai, en raison, ont-ils affirmé, de l’insécurité régnant dans le sud du Soudan.
Le Kenya, le Rwanda et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont signé, en mars, un accord concernant le retour volontaire de quelque 3 000 réfugiés rwandais.

Peine de mort
Bien que les autorités aient déclaré en mars 2005 à la Commission des droits de l’homme [ONU] que le Kenya allait abolir la peine de mort, l’année 2006 s’est achevée sans que des progrès significatifs aient été accomplis dans ce sens. La peine capitale était toujours prononcée, mais aucune exécution n’a eu lieu depuis 1986.

Visites d’Amnesty International
Une délégation d’Amnesty International s’est rendue au Kenya en septembre/octobre.

Autres documents d’Amnesty International

 Kenya : A Joint Appeal to African Ministers on urban housing (AFR 32/002/2006).

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