EGYPTE

Au moins 18 personnes ont été tuées et plus d’une centaine ont été blessées dans des attentats à l’explosif perpétrés en avril à Dahab, dans le sud du Sinaï. La police a dispersé avec violence des manifestations pourtant pacifiques menées en faveur de réformes politiques et de l’indépendance de la justice. Plusieurs centaines de membres d’Al Ikhwan al Muslimin (Les Frères musulmans), mouvement interdit, ont été arrêtés ; beaucoup étaient maintenus en détention à la fin de l’année dans l’attente de leur procès. Des milliers de sympathisants présumés de groupes islamistes interdits étaient toujours incarcérés en vertu de la Loi relative à l’état d’urgence, sans inculpation ni jugement ; certains étaient détenus depuis plus de dix ans. Parmi eux se trouvaient peut-être des prisonniers d’opinion. La torture et les mauvais traitements en détention restaient systématiques. La plupart des tortionnaires présumés n’ont pas été traduits en justice. Au moins trois personnes ont été condamnées à mort et quatre autres ont été exécutées.






Contexte

L’état d’urgence a été prorogé en avril pour deux ans, malgré des appels en faveur de sa levée. En vigueur depuis 1981 sans interruption, il a favorisé les violations des droits humains, notamment la détention prolongée sans inculpation, la torture et les mauvais traitements, les restrictions excessives de la liberté d’expression, d’association et de réunion, ainsi que les procès inéquitables devant des tribunaux militaires et la Cour suprême de sûreté de l’État (instaurée par la législation d’exception). Le gouvernement a mis en place, en mars, une commission chargée de préparer une nouvelle loi antiterroriste destinée à remplacer la législation d’exception.
En février, le Parlement a voté en faveur d’un report de deux ans des élections municipales, prévues pour le mois d’avril. Les autorités ont affirmé que ce délai allait permettre de rédiger une nouvelle loi visant à renforcer les pouvoirs de l’administration locale, mais d’aucuns ont fait valoir qu’il serait alors plus difficile à d’éventuels candidats indépendants à la présidence de la République de remplir les critères d’enregistrement introduits en 2005.
En mai, la Cour de cassation a confirmé la peine de cinq ans d’emprisonnement prononcée contre Ayman Nour, dirigeant du parti Al Ghad (Demain), arrivé en deuxième position, loin derrière Hosni Moubarak, au scrutin présidentiel de septembre 2005. On craignait que les poursuites engagées contre cet homme et son procès n’aient été motivés par des considérations politiques.
Des violences interconfessionnelles ont éclaté de manière sporadique entre musulmans et chrétiens. Ainsi, en avril, au moins trois personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées lors de violences religieuses qui ont duré trois jours à Alexandrie.
L’Égypte et l’Union européenne ne sont pas parvenues à s’entendre sur la mise en application d’un accord d’association entré en vigueur en 2004 dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV). Les négociations auraient échoué en raison de divergences portant essentiellement sur les droits humains en Égypte et sur la manière dont devait être abordée dans le plan d’action de la PEV la question des armes nucléaires au Moyen-Orient.
En décembre, le Tribunal administratif suprême a annulé une décision rendue en avril 2006 par une juridiction inférieure, qui reconnaissait le droit des baha’is égyptiens de se définir comme tels sur les documents officiels. Ce jugement a été rendu à la suite d’un recours formé par le ministère de l’Intérieur. Les baha’is étaient donc tenus de se faire enregistrer comme musulmans, chrétiens ou juifs pour obtenir des documents officiels tels qu’un acte de naissance ou de décès ou une carte d’identité.

Violences commises dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme »
Malgré le nombre croissant de preuves du contraire, les autorités ont continué de nier leur rôle dans la détention secrète de personnes arrêtées pour cause de « guerre contre le terrorisme » et dans les actes de torture qui leur ont été infligés. Le Premier ministre avait pourtant reconnu en 2005 qu’une soixantaine de suspects détenus par les États-Unis avaient été renvoyés en Égypte. Les autorités n’ont pas accédé à la demande formulée par le rapporteur spécial des Nations unies sur la protection et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste de se rendre en Égypte pour examiner la situation des droits humains dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».
Au moins 13 suspects ont été tués par les forces de sécurité entre avril et août à la suite des attentats à l’explosif perpétrés à Dahab. Un policier aurait également été tué et deux autres blessés au cours d’affrontements dans le nord du Sinaï. Plusieurs centaines de personnes accusées de liens avec Tawhid wal Jihad (Unicité de Dieu et guerre sainte), un nouveau groupe terroriste selon les forces de sécurité, ont été arrêtées. De nombreuses autres ont été interpellées en septembre au nord du Caire pour leurs liens présumés avec Al Qaïda. Certaines des personnes qui avaient été accusées d’infractions en lien avec le terrorisme puis disculpées par les tribunaux étaient toujours incarcérées en vertu d’ordres de détention administrative.
En avril, Osama Mostafa Hassan Nasr (alias Abu Omar) a comparu devant le procureur. Il a été autorisé, pour la première fois depuis son enlèvement en Italie en février 2003, à être assisté d’un avocat durant son interrogatoire. Cet homme a raconté comment il avait été enlevé en Italie et renvoyé illégalement en Égypte. Il s’est plaint d’avoir été torturé pendant sa détention secrète dans ce pays et notamment d’avoir été exposé à des températures extrêmes et soumis à des décharges électriques sur les organes génitaux. Les autorités égyptiennes n’avaient, semble-t-il, ordonné aucune enquête sur ces allégations. En novembre, le procureur italien chargé des investigations sur l’enlèvement d’Abu Omar a reçu une lettre manuscrite non datée de 11 pages que celui-ci avait réussi à faire sortir clandestinement du centre pénitentiaire de Tora, dans laquelle il exposait en détail les actes de torture qui lui avaient été infligés ainsi que ses conditions inhumaines de détention. Les autorités italiennes avaient décerné, en 2005, des mandats d’arrêt contre 22 agents de la Central Intelligence Agency (CIA, services de renseignements des États-Unis) qui auraient été impliqués dans l’enlèvement d’Abu Omar.
Le procès de 13 personnes soupçonnées d’implication dans les attentats à l’explosif perpétrés à Taba et à Nuweiba en octobre 2004 s’est poursuivi devant la Cour suprême de sûreté de l’État, instaurée par la législation d’exception. Les accusés ont affirmé que leurs « aveux » avaient été obtenus sous la torture, mais la Cour a rejeté leurs allégations. Muhammed Gayiz Sabbah, Usama Abd al Ghani al Nakhlawi et Yunis Muhammed Abu Gareer ont été condamnés à mort. Deux accusés ont été condamnés à la détention à perpétuité et huit autres à des peines comprises entre cinq et quinze ans d’emprisonnement.

Détention administrative
La législation d’exception qui permet de maintenir une personne en détention pour une durée illimitée sans inculpation était toujours utilisée. Certains prisonniers étaient incarcérés depuis plus de dix ans, bien que les tribunaux aient ordonné leur remise en liberté. L’Organisation égyptienne des droits humains, non gouvernementale, estimait que quelque 18 000 personnes étaient maintenues en détention sans inculpation ni jugement, bon nombre d’entre elles dans des conditions effroyables. Le ministère de l’Intérieur a rejeté ce chiffre, affirmant que les détenus n’étaient pas plus de 4 000, mais sans fournir de détails. Selon certaines sources, de nombreux prisonniers étaient malades en raison du manque d’hygiène et de soins médicaux ainsi que de la surpopulation et de la médiocrité du régime alimentaire.
En août, des organisations non gouvernementales (ONG) et des défenseurs des droits humains ont créé le Réseau égyptien pour la défense des détenus dans le but de former des avocats dans le domaine de la détention administrative et de mobiliser la société civile sur la question.
Le procès de 14 personnes accusées d’avoir pris part aux attentats à l’explosif perpétrés au Caire en avril et en mai 2005 s’est ouvert au mois de juin. Des centaines de personnes interpellées à la suite de ces attentats étaient apparemment maintenues en détention administrative bien que les tribunaux aient ordonné leur remise en liberté. La plupart étaient, semble-t-il, des voisins ou des connaissances des personnes jugées, ou fréquentaient la même mosquée qu’elles. Beaucoup de ces détenus ont entamé une grève de la faim en août pour protester contre leur maintien en détention. Des parentes de certains d’entre eux ont été convoquées au bureau du Service de renseignements de la sûreté de l’État dans le quartier de Shubra al Kheima, dans le nord de la capitale, où elles ont été retenues pendant deux jours. Elles auraient été insultées et on aurait menacé de leur administrer des décharges électriques.

Torture et mauvais traitements
La torture était toujours pratiquée de manière systématique sur les prisonniers politiques et les suspects de droit commun ; plusieurs personnes seraient mortes en détention des suites de sévices. Parmi les méthodes le plus souvent signalées figuraient les coups, les décharges électriques, la suspension prolongée par les poignets et les chevilles dans des positions contorsionnées, les menaces de mort et les sévices sexuels.
Mohammed al Sharqawi et Karim al Shair, militants en faveur de réformes, ont été arrêtés à la suite de manifestations en avril et en mai et relâchés le 22 mai. Ils ont de nouveau été interpellés le 25 mai à la suite d’une manifestation. Passés à tabac dans la rue, ils ont été emmenés au poste de police de Qasr Nil, où ils ont été torturés. Mohammed al Sharqawi aurait subi des sévices sexuels. Les deux hommes ont été libérés en juillet.
Des informations persistantes faisaient état d’actes de torture infligés aux suspects de droit commun dans les postes de police au cours des interrogatoires.
Emad al Kabir, un chauffeur de taxi de vingt et un ans originaire de Bulaq Dakrur, dans le gouvernorat de Guizeh, a été arrêté en janvier après être intervenu pour mettre fin à une dispute entre des policiers et son cousin. Pendant sa détention au poste de police de Bulaq Dakrur, il a été giflé et frappé aux mains et aux jambes à coups de matraque. Accusé de « rébellion », il a été présenté au parquet, qui a ordonné sa remise en liberté sous caution. Au lieu d’être relâché, Emad al Kabir a été renvoyé au poste de police, où il a passé la nuit en détention et a été torturé ; il a notamment été violé avec un bâton. L’un des policiers a filmé le viol sur un téléphone mobile avant de déclarer au jeune homme qu’il ferait circuler cette vidéo dans son quartier pour l’humilier publiquement et intimider les autres. La vidéo, qui aurait eu une large diffusion dans le quartier de Bulaq Dakrur et parmi les chauffeurs de taxi, a été placée sur Internet en novembre. Cette initiative a suscité de vives protestations de la part des organisations de défense des droits humains ainsi qu’une grande couverture médiatique, ce qui a amené le procureur à ordonner, en décembre, l’arrestation de deux policiers qui ont été déférés au tribunal pénal du Caire-Sud pour être jugés.
Les suites données à l’affaire Emad al Kabir constituaient toutefois une exception. Bien que plusieurs policiers aient été jugés au cours de l’année pour avoir torturé des détenus, les allégations de torture faisaient rarement l’objet d’investigations et les tortionnaires présumés n’étaient pratiquement jamais poursuivis.

Menace sur l’indépendance de la justice
Une nouvelle loi régissant le pouvoir judiciaire a été adoptée par le Parlement en juin. Bien qu’elle contienne des dispositions positives, comme les restrictions apportées aux pouvoirs ministériels, des juges favorables à la réforme et des parlementaires d’opposition alliés aux Frères musulmans l’ont dénoncée en arguant qu’elle ne garantissait pas l’indépendance du pouvoir judiciaire. En juillet, le rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats a exprimé sa préoccupation à propos de cette loi. Il a notamment relevé le manque de critère précis pour la sélection et la désignation des juges, ainsi que l’absence de garanties minimales d’équité dans les procédures disciplinaires ouvertes contre les juges.
Deux juges de haut rang, Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi, l’un comme l’autre vice-présidents de la Cour de cassation, ont comparu en mai devant un conseil disciplinaire dans le bâtiment de la Haute Cour, au Caire, pour avoir ouvertement demandé une enquête à la suite d’allégations de fraudes électorales lors du scrutin législatif de 2005. Mahmoud Mekki a été disculpé et Hisham Bastawisi a reçu un blâme. Cette affaire a suscité un vif émoi, ainsi que des manifestations de protestation et de soutien aux deux juges organisées par des partis d’opposition, des groupes favorables aux réformes et des syndicalistes. Ces rassemblements ont été dispersés par la police antiémeutes, et plus de 500 manifestants, appartenant aux Frères musulmans pour la plupart, ont été arrêtés. Parmi eux figuraient Essam al Aryan, Mohammed Morsy et Maged Hassan, membres éminents des Frères musulmans. La plupart des personnes interpellées ont été rapidement relâchées.

Liberté d’expression, d’association et de réunion
Des restrictions pesaient toujours sur la liberté d’expression, d’association et de réunion. Certaines ONG rencontraient des difficultés pour se faire enregistrer et étaient privées de statut légal. Comme les années précédentes, des journalistes ont été menacés, harcelés ou emprisonnés à cause de leurs écrits.
Talat Sadate, neveu de l’ancien président Anouar el Sadate, a été condamné, en octobre, à une année d’emprisonnement et de travaux forcés et à une amende pour diffamation envers les forces armées et diffusion de fausses rumeurs. Il avait donné une série d’interviews dans les médias dans lesquelles il déclarait que des officiers supérieurs de l’armée avaient été impliqués dans l’assassinat de l’ancien président, perpétré par des soldats islamistes en 1981, et laissait entendre que l’actuel chef de l’État, Hosni Moubarak, alors vice-président, y avait également participé. Bien que civil, Talat Sadate a été jugé et condamné par un tribunal militaire après la levée de son immunité parlementaire.
En juillet, le Parlement a adopté une loi controversée maintenant les restrictions sur la liberté de la presse. Certains délits de presse, comme l’insulte envers des agents de l’État, demeuraient punis d’une peine d’emprisonnement. Des journaux indépendants et d’opposition ont suspendu leur parution pendant une journée pour protester contre cette nouvelle loi, et des centaines de personnes travaillant pour les médias ont manifesté devant l’Assemblée nationale.
Ibrahim Eissa et Sahar Zaki, respectivement rédacteur en chef du quotidien d’opposition Al Dostour et journaliste travaillant pour ce même journal, et Saied Mohamed Abdullah ont été condamnés, en juin, à une peine d’un an d’emprisonnement et à une amende pour avoir insulté le président et répandu des fausses rumeurs. Ces inculpations étaient liées à des articles publiés en avril à propos d’une procédure intentée par Saied Mohamed Abdullah contre le président Moubarak et des responsables du Parti national démocrate, au pouvoir. À la fin de l’année, l’affaire était en instance devant une cour d’appel.

Peine de mort
De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées. Trois personnes reconnues coupables d’actes de terrorisme ont été condamnées à la peine capitale à l’issue d’un procès inique. Au moins quatre autres personnes ont été exécutées.
Deux frères, Ezzat et Hamdi Ali Hanafi, ont été exécutés au mois de juin. Ils avaient été condamnés à mort en septembre 2005 par la Cour suprême de sûreté de l’État, instaurée par la législation d’exception, pour s’être opposés par les armes à un raid des forces de sécurité qui recherchaient des substances non spécifiées. La procédure suivie par la Cour violait les normes élémentaires d’équité, en particulier le droit d’interjeter appel devant une juridiction supérieure.

Réfugiés et migrants
Les autorités ont annoncé le 3 janvier qu’elles allaient renvoyer de force environ 650 Soudanais dans leur pays. Ces personnes – des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants – avaient été arrêtées après la dispersion par la police d’une manifestation pacifique qui se déroulait le 30 décembre 2005 devant le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Caire. Au moins 27 Soudanais avaient été tués et des dizaines d’autres blessés. Les détenus ont été libérés par la suite et les autorités ont fait savoir qu’ils ne seraient pas renvoyés au Soudan. Aucune enquête n’a toutefois été ordonnée sur les homicides.
L’Égypte a remis, en août, son rapport au Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille [ONU] qui aurait dû être déposé en 2004.

Visites d’Amnesty International
Des représentants d’Amnesty International se sont rendus au Caire en juillet et en décembre pour participer à des conférences. Au mois de septembre, une délégation emmenée par la secrétaire générale d’Amnesty International a rencontré, également au Caire, le secrétaire général de la Ligue des États arabes ainsi que le ministre égyptien de l’Intérieur et d’autres responsables gouvernementaux.


Autres documents d’Amnesty International


 Égypte. Craintes de renvois forcés / Craintes de torture et de mauvais traitements. Jusqu’à 650 ressortissants soudanais (MDE 12/001/2006).

 Égypte. Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête et s’oppose aux expulsions collectives dont sont menacés les manifestants soudanais (MDE 12/002/2006).

 Égypte. Amnesty International condamne les attentats perpétrés contre des civils à Dahab (MDE 12/006/2006).

 Égypte. Les mesures disciplinaires à l’encontre de juges constituent une menace pour l’indépendance judiciaire (MDE 12/007/2006).

 Égypte. Amnesty International est préoccupée par la répression d’une manifestation pacifique au Caire par les forces de sécurité (MDE 12/009/2006).

 Égypte. Les attaques violentes et les arrestations visant des manifestants pacifiques doivent cesser (MDE 12/010/2006).

 Égypte. : La nouvelle législation anti-terrorisme ne doit pas pérenniser des pouvoirs spéciaux abusifs (MDE 12/014/2006).

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