SRI LANKA

Le gouvernement n’a pas réglé le problème de l’impunité dont jouissaient les auteurs des atteintes aux droits humains perpétrées les années précédentes. Des représentants des pouvoirs publics ont continué de se rendre coupables de disparitions forcées, de torture et d’autres mauvais traitements. Les autorités ont imposé des restrictions sévères à la liberté d’expression, de réunion et d’association. Plusieurs milliers de Tamouls soupçonnés d’être liés aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) demeuraient détenus sans inculpation. Les deux parties au conflit qui s’est achevé en mai 2009 ont été accusées de crimes de guerre ; Amnesty International a demandé l’ouverture d’une enquête internationale indépendante.

République socialiste démocratique du Sri Lanka
CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Mahinda Rajapakse
PEINE DE MORT : abolie en pratique
POPULATION : 20,4 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 74,4 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 21 / 18 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 90,6 %

Contexte

Le président sortant, Mahinda Rajapakse, a été réélu pour un second mandat en janvier, à l’issue de la première élection organisée en période de paix depuis 26 ans. Son principal rival, l’ancien chef d’état-major des armées Sarath Fonseka, a été arrêté après le scrutin et inculpé de participation à la vie politique alors qu’il était au service de l’armée ainsi que de corruption dans une passation de marché d’armes, chefs pour lesquels il a été condamné, en septembre, à 30 mois d’emprisonnement. Sarath Fonseka faisait également l’objet de poursuites pénales, notamment pour avoir, dans un journal local, porté des accusations fallacieuses selon lesquelles le secrétaire à la Défense aurait donné l’ordre d’exécuter des membres des LTTE qui s’étaient pourtant livrés aux autorités, en mai 2009. Des journalistes et des syndicalistes soupçonnés de soutenir l’opposition ont été victimes de la vague de répression qui a suivi le scrutin.

En mars, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a fait part de son intention de créer un groupe d’experts pour le conseiller sur les questions des responsabilités au Sri Lanka. Le président Rajapakse s’est élevé contre cette annonce et a nommé une Commission enseignements et réconciliation (LLRC) spécialement chargée de se pencher sur l’échec du cessez-le-feu de 2002. Le mandat de la Commission ne mentionnait cependant aucune obligation pour les responsables présumés de violations du droit humanitaire et d’atteintes aux droits humains de rendre compte de leurs actes. Le Sri Lanka a perdu, en août, son accès privilégié au marché de l’Union européenne, faute d’avoir respecté un ensemble de conditions fixées par la Commission européenne dans l’objectif de remédier à ses défaillances dans la mise en œuvre de trois conventions des Nations unies relatives aux droits humains.

Le résultat des élections législatives d’avril, les nominations au sein du gouvernement qui ont suivi et l’adoption d’une nouvelle loi ont encore renforcé les pouvoirs détenus par les proches de Rajapakse, qui contrôlaient cinq grands ministères et plus de 90 institutions nationales. Une modification de la Constitution, adoptée en septembre, a supprimé la limite de deux mandats présidentiels et attribué au chef d’État la possibilité de contrôler directement les nominations au sein des institutions jouant un rôle important en matière de protection des droits humains, notamment la Commission nationale de la police, la Commission des droits humains et la Commission des services judiciaires.

Les autorités ont, cette année encore, refusé aux organisations de défense des droits humains et à d’autres observateurs indépendants l’autorisation de se rendre dans le pays pour y effectuer des recherches. En octobre, Amnesty International, Human Rights Watch et International Crisis Group ont décliné l’invitation qui leur avait été faite de se présenter devant la LLRC, faisant valoir que celle-ci présentait de graves lacunes, dont un mandat inadapté, que ses garanties d’indépendance étaient insuffisantes et qu’elle ne contenait pas de mesures de protection des témoins.

Personnes déplacées

Environ 20 000 des quelque 300 000 personnes déplacées par le conflit armé en 2009 vivaient toujours dans des camps installés par le gouvernement dans le nord du pays ; l’état des structures d’accueil et des installations sanitaires continuait de se dégrader. Le ministère de la Défense sri-lankais contrôlait toujours l’accès des organismes humanitaires à ces camps ainsi qu’aux lieux destinés à la réinstallation des personnes déplacées. De nombreuses familles ayant quitté les camps vivaient toujours dans des conditions précaires et dépendaient encore de l’aide alimentaire. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont passé une année supplémentaire hébergées par une famille d’accueil et 1 400 autres demeuraient dans des centres de transit.

Exactions commises par des groupes armés alliés au gouvernement
Des groupes armés tamouls favorables au gouvernement continuaient à opérer au Sri Lanka et à perpétrer des exactions et des violations, dont des agressions de personnes critiques envers les autorités, des enlèvements contre rançon, des disparitions forcées et des homicides.

  • En mars, l’ancien député Suresh Premachandran a accusé des membres du Parti démocratique du peuple d’Eelam (EPDP) de Jaffna d’avoir assassiné Thiruchelvam Kapilthev, un jeune homme de 17 ans. Suresh Premachandran a affirmé que la police avait fait fi des déclarations d’amis de la victime impliquant l’EPDP, et qu’elle protégeait les meurtriers en raison de l’élection législative à venir.

Disparitions forcées

Des membres des forces de sécurité se sont rendus coupables de disparitions forcées et d’enlèvements contre rançon dans de nombreuses régions du pays, en particulier dans le nord et l’est, ainsi qu’à Colombo. On ignorait toujours ce qu’il était advenu de plusieurs centaines de membres des LTTE qui auraient disparu après s’être livrés à l’armée en 2009.

  • Une femme entendue comme témoin en août devant la LLRC a déclaré aux commissaires que ses proches, dont deux enfants, s’étaient rendus à l’armée dans la région de Vadduvaikkal en mai 2009 et qu’elle les avait vus, eux et les autres personnes qui s’étaient ainsi livrées, monter à bord de 16 bus qui avaient ensuite emprunté la route de Mullaitivu. Elle a également indiqué avoir recherché ses proches dans des centres de détention et des prisons, sans parvenir à les localiser. Deux prêtres qui avaient encouragé ces personnes à se rendre aux autorités avaient également disparu.

Arrestations et détentions arbitraires

Le gouvernement a continué de recourir à la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA) et à la réglementation d’urgence, qui étendent les pouvoirs des autorités en matière d’arrestation et détention des suspects et leur permettent de passer outre les garanties procédurales habituelles contre l’arrestation et la détention arbitraires. En avril, Amnesty International a exhorté le nouveau Parlement à lever l’état d’urgence, en vigueur au Sri Lanka quasiment sans interruption depuis 1971, et à abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme ainsi que d’autres dispositions législatives et réglementaires associées en matière de sécurité. En mai, les autorités ont abrogé certaines mesures d’urgence restreignant la liberté d’expression et d’association et prévoyant l’enregistrement des ménages. D’autres lois comportant des dispositions similaires demeuraient cependant en vigueur.
Plusieurs milliers de personnes présumées proches des LTTE ont été placées en détention sans inculpation ni jugement à des fins de « rééducation » ou d’enquête. Sur plus de 11 000 personnes arrêtées arbitrairement en 2009 en vue de subir une procédure de « rééducation », environ 6 000 étaient toujours internées dans des camps de détention, où elles étaient privées de la possibilité de consulter un avocat, de saisir la justice ou de se tourner vers le CICR. Nombre d’entre elles ont toutefois pu avoir quelques contacts avec leurs proches au cours de l’année. Certains éléments attestaient que des personnes se trouvaient en détention secrète dans le nord du pays. D’après des représentants de l’État, 700 à 800 détenus considérés par les autorités comme appartenant à la branche dure des LTTE et emprisonnés séparément devaient faire l’objet d’enquêtes en vue d’éventuelles poursuites. Des centaines d’autres personnes étaient détenues sans inculpation dans des cellules de la police ou dans des prisons du sud du pays, en vertu de la Loi relative à la prévention du terrorisme ou d’autres dispositions d’urgence. Certaines se trouvaient derrière les barreaux depuis plusieurs années. La plupart des détenus étaient tamouls, mais il y avait aussi quelques Cingalais.
 ? En octobre, l’avocat de quatre Cingalais accusés de soutien aux LTTE a indiqué que ses clients étaient détenus sans inculpation depuis près de trois ans. Ces hommes faisaient partie d’un groupe de 25 militants syndicaux et journalistes enlevés en février 2007 et retrouvés aux mains du Service d’enquête sur le terrorisme (TID) ; 21 d’entre eux avaient finalement été remis en liberté par les tribunaux sans avoir été inculpés.

Torture et autres mauvais traitements

Cette année encore, des policiers et des gardiens de prison ont maltraité ou torturé des détenus. Au nombre des victimes figuraient des Tamouls soupçonnés de liens avec les LTTE et des personnes arrêtées pour des infractions pénales « ordinaires ». Des personnes sont mortes en détention après avoir été torturées par la police.

  • Dans un témoignage vidéo divulgué par Janasansadaya, une ONG sri-lankaise, Samarasinghe Pushpakumara affirmait avoir été appréhendé le 10 novembre et torturé par la police de Beruwala. Un agent avait fait semblant de le prendre comme chauffeur, puis l’avait arrêté pour cambriolage. Samarasinghe Pushpakumara a déclaré avoir été molesté et menacé de poursuites pénales pour détention de stupéfiants ou d’explosifs. On aurait également menacé de le tuer. Il est resté attaché à un lit pendant deux jours, les yeux bandés, avant que la police ne le libère sans inculpation mais en lui intimant de garder le silence à propos du traitement subi.

Exécutions extrajudiciaires

Les informations recueillies faisaient de nouveau état de suspects de droit commun tués par des policiers lors de confrontations ou de tentatives d’« évasion » manifestement mises en scène ; les récits de ces affaires faits par les policiers étaient souvent étonnamment similaires.

  • L’ONG Asian Human Rights Commission a signalé la mort en détention, en septembre, de Suresh Kumar (originaire de Matale), Ranmukage Ajith Prasanna (d’Embilipitiya) et Dhammala Arachchige Lakshman (de Hanwella). Dans les trois cas, la police a affirmé que la victime avait été conduite en dehors de ses locaux pour l’identification d’une cache d’armes, qu’elle avait tenté de s’enfuir et qu’elle avait été abattue.

Impunité

Les enquêtes sur les violations des droits humains perpétrées par l’armée, la police et d’autres organes officiels, ou par des particuliers, n’ont pas enregistré d’avancées manifestes, et les procédures judiciaires étaient souvent bloquées. Des responsables militaires et civils ont réfuté les allégations selon lesquelles les forces sri-lankaises avaient violé le droit international humanitaire lors de la phase finale du conflit armé qui s’est achevé en mai 2009, et ont fait plusieurs déclarations publiques dans lesquelles ils affirmaient qu’il n’y avait eu « aucune victime civile ».

Le 6 juillet, le ministre Wimal Weerawansa a mené une manifestation qui a entraîné la fermeture temporaire du bureau des Nations unies à Colombo. Cette action, qui n’a pas abouti, avait pour objectif de contraindre le secrétaire général Ban Ki-moon à annuler le recours à son groupe d’experts.
À la recherche de nouvelles de leurs proches qui avaient disparu après avoir été arrêtés par l’armée, plusieurs centaines de personnes ont tenté de témoigner devant la LLRC lorsque celle-ci a débuté ses séances dans le nord et l’est du pays, en août. Seules quelques-unes ont pu s’entretenir avec les commissaires et, d’après les informations recueillies, des témoins ont été photographiés et ont reçu des menaces. Le rapport intermédiaire de la Commission contenait des recommandations utiles concernant les droits des détenus et d’autres doléances de la population, mais ne répondait pas aux besoins relatifs à l’obligation de rendre des comptes.

Des personnes soupçonnées de violations des droits humains exerçaient toujours d’importantes responsabilités au sein du pouvoir.

En novembre, le gouvernement a enquêté sur les allégations selon lesquelles les LTTE auraient tué des soldats capturés alors que l’armée poursuivait son avancée vers Kilinochchi. Il a toutefois continué de réfuter les accusations d’après lesquelles ses propres forces auraient tué des civils et capturé des combattants pendant le conflit armé.

Défenseurs des droits humains

Cette année encore, des défenseurs des droits humains ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, d’enlèvements, d’agressions et de menaces.

  • Pattani Razeek, responsable du Community Trust Fund, une ONG sri-lankaise, a disparu le 11 février tandis qu’il quittait la ville de Polonnaruwa pour se rendre à Valaichchenai, dans l’est du pays. Sa famille a porté plainte auprès de la police de Puttalam, où il habitait, et a signalé sa disparition à la Commission sri-lankaise des droits humains. Nulle trace de cet homme n’a toutefois été retrouvée. Un suspect ayant des liens présumés avec la sphère politique et accusé de recourir à des demandes de rançon était en fuite.

Journalistes

Des journalistes ont été victimes d’agressions, d’enlèvements, de manœuvres d’intimidation et de harcèlement imputables aussi bien à des représentants des autorités qu’à des membres de groupes armés proches du gouvernement. Les pouvoirs publics n’ont guère cherché à enquêter sur ces actes ni à en traduire les auteurs en justice.

  • Prageeth Eknaligoda, qui critiquait ouvertement le gouvernement sri-lankais, a disparu le 24 janvier. Il couvrait l’élection présidentielle du 26 janvier et avait procédé à une analyse dont la conclusion faisait apparaître un avantage en faveur du candidat de l’opposition, Sarath Fonseka. La police a indiqué que les enquêtes n’avaient pas permis d’obtenir d’information sur son sort ni sur les circonstances de sa disparition. Une requête en habeas corpus déposée devant la haute cour de Colombo a connu de nombreux atermoiements.
  • En mai, le ministre des Affaires étrangères a annoncé que le gouvernement gracierait J.S. Tissainayagam. Cet homme, le premier journaliste du pays à être condamné au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme, avait été libéré sous caution en janvier à la suite d’un recours. Il a quitté le Sri Lanka en juin.
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