OUZBEKISTAN

Les cas de torture ou d’autres mauvais traitements étaient manifestement toujours aussi nombreux. Des dizaines de personnes appartenant à des minorités religieuses et à des groupes islamiques ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement, après avoir été jugées dans des conditions contraires aux règles d’équité. Cette année encore, des défenseurs des droits humains ont été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès non équitables. Les autorités ont rejeté avec force tous les appels extérieurs en faveur de l’ouverture d’une enquête internationale et indépendante sur les massacres de manifestants perpétrés en 2005.

République d’Ouzbékistan
CHEF DE L’ÉTAT : Islam Karimov
CHEF DU GOUVERNEMENT : Chavkat Mirziyoyev
PEINE DE MORT : abolie
POPULATION : 27,8 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 68,2 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 63 / 53 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 99,3 %

Torture et autres mauvais traitements

Contrairement aux déclarations des pouvoirs publics, selon lesquelles la pratique de la torture aurait fortement régressé, les informations faisant état de torture ou d’autres mauvais traitements perpétrés sur des détenus, condamnés ou non, étaient toujours aussi nombreuses. Dans la plupart des cas, aucune enquête exhaustive et impartiale n’a été déclenchée rapidement sur ces allégations.

Des milliers de personnes reconnues coupables d’avoir soutenu, d’une manière ou d’une autre, des partis islamistes ou des mouvements musulmans interdits en Ouzbékistan purgeaient toujours de lourdes peines d’emprisonnement, dans des conditions qui s’apparentaient à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Un certain nombre d’opposants politiques ou de personnes critiques à l’égard du gouvernement connaissaient le même sort.

L’Ouzbékistan a de nouveau refusé de recevoir sur son sol le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, malgré les demandes réitérées de celui-ci.

  • Les autorités ont libéré en juin l’opposant Sanjar Oumarov, pour raisons humanitaires. Celui-ci a été autorisé à rejoindre sa famille aux États-Unis. Sanjar Oumarov avait été condamné à huit ans d’emprisonnement en 2006, pour fraude et détournement de fonds, à l’issue d’un procès inéquitable.
    Selon ses partisans, les charges qui pesaient sur lui étaient motivées par des considérations politiques. Il a expliqué en septembre au New York Times qu’il avait passé des mois à l’isolement cellulaire, enfermé dans un petit cachot en béton faiblement éclairé par la lumière du jour et sans chauffage. Il affirmait avoir été frappé par des surveillants et par d’autres prisonniers et ne pas avoir reçu de soins.
  • Dans son arrêt du 10 juin concernant l’affaire Garaïev c. Azerbaïdjan, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’extradition de Chaïg Garaïev depuis l’Azerbaïdjan vers l’Ouzbékistan constituerait une violation de la prohibition de la torture, inscrite dans la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a notamment considéré que tout suspect détenu en Ouzbékistan était exposé à un risque grave de torture ou de traitement inhumain ou dégradant.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Les procès à huis clos de près de 70 prévenus ont débuté en janvier. Ces personnes étaient inculpées pour leur rôle présumé dans une série d’attentats ayant eu lieu en mai et en août 2009 dans la vallée de la Ferghana et à Tachkent, la capitale, ainsi que dans le meurtre d’un imam favorable au régime et d’un haut gradé de la police, commis en juillet 2009 également à Tachkent. Les autorités accusaient le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), l’Union du djihad islamique (UDI) et le parti islamiste Hizb-ut-Tahrir (Parti de la libération) – trois organisations interdites en Ouzbékistan – d’être responsables de ces actions. Parmi les très nombreuses personnes arrêtées en 2009 parce qu’elles étaient soupçonnées d’appartenir au MIO, à l’UDI ou à Hizb-ut-Tahrir, ou d’en être des sympathisants, figuraient des hommes et des femmes qui fréquentaient des mosquées non officielles, étudiaient auprès d’imams indépendants, s’étaient rendus à l’étranger, ou étaient des membres présumés d’organisations islamiques interdites. Nombre de ces personnes auraient été maintenues en détention pendant de longues périodes, sans inculpation ni procès. Des cas de torture et de procès non équitables ont été signalés.

  • Au mois d’avril, à Djizak, un tribunal a condamné 25 hommes à des peines allant de deux à 10 ans d’emprisonnement pour leur rôle présumé dans les attaques de 2009. Tous ont été reconnus coupables d’extrémisme religieux et d’avoir cherché à renverser l’ordre constitutionnel. Parmi eux, au moins 12 ont affirmé lors de leur procès que leurs « aveux » leur avaient été arrachés sous la torture. Le président du tribunal a ordonné l’ouverture d’une enquête sur ces allégations, qu’il a finalement déclarées infondées. Selon plusieurs observateurs indépendants, ces hommes ont reconnu avoir participé à des rassemblements de prière et avoir fait du sport ensemble, mais ont nié avoir jamais fait partie d’un groupe cherchant à déstabiliser l’ordre constitutionnel.
  • Toujours en avril, le tribunal pénal régional de Kashkadarya a condamné les sœurs Zoulkhoumor et Mekhrinisso Khamdamova, ainsi qu’une de leurs parentes, Chakhlo Pakhmatova, à des peines allant de six ans et demi à sept ans d’emprisonnement, pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et menace à l’ordre public. Elles faisaient toutes trois partie d’un groupe d’une trentaine de femmes arrêtées par les forces de sécurité dans le cadre d’opérations antiterroristes menées en novembre 2009 dans la ville de Karchi. Ces femmes avaient, semble-t-il, assisté aux cours de religion donnés par Zoulkhoumor Khamdamova dans l’une des mosquées de la ville. Les autorités ont accusé cette dernière d’avoir organisé un groupe religieux illégal, ce qu’ont démenti les gens qui la soutenaient. Selon un certain nombre de défenseurs des droits humains, ces femmes auraient été maltraitées pendant leur détention. Des policiers leur auraient arraché tous leurs vêtements et auraient menacé de les violer.
  • Dilorom Abdoukadirova, une réfugiée ouzbèke qui avait fui à l’étranger après les violences d’Andijan, en 2005, a passé quatre jours en garde à vue à son retour, en janvier, alors qu’elle avait reçu des autorités l’assurance qu’elle ne ferait pas l’objet de poursuites. Elle a de nouveau été arrêtée au mois de mars et a passé deux semaines aux mains de la police, sans pouvoir contacter ni un avocat ni sa famille. Elle a été reconnue coupable le 30 avril d’activités anticonstitutionnelles, pour sa participation aux manifestations d’Andijan, ainsi que de sortie illégale du territoire et d’entrée également illégale sur ce même territoire. Elle a été condamnée à 10 ans et deux mois d’emprisonnement, à l’issue d’un procès inéquitable. Plusieurs de ses proches ont affirmé qu’elle était apparue amaigrie lors du procès et qu’elle avait des ecchymoses sur le visage.

Liberté d’expression – défenseurs des droits humains et journalistes

Des journalistes indépendants et des défenseurs des droits humains ont été soumis à des actes de harcèlement et à des violences. Certains ont été arrêtés et jugés au mépris des règles d’équité. D’autres ont fait l’objet d’une surveillance régulière de la part d’agents de l’État en uniforme ou en civil, ou ont été convoqués par la police pour être interrogés, voire placés en résidence surveillée. D’autres, enfin, se sont plaints d’avoir été frappés par des agents de la force publique ou par des individus soupçonnés de travailler pour les services de sécurité.

  • En janvier 2010, Oumida Ahmedova, photographe et documentariste ouzbèke de premier plan, a été condamnée à trois années d’emprisonnement pour avoir porté atteinte à l’image du pays et à la dignité de ses citoyens dans le cadre de travaux photo et vidéo sur la pauvreté et sur les inégalités liées au genre en Ouzbékistan. Le président du tribunal lui a cependant accordé une mesure de clémence et elle a pu sortir libre de la salle d’audience. L’appel qu’elle avait formé contre sa condamnation a été rejeté en mai.
  • En octobre, des tribunaux de Tachkent ont déclaré deux journalistes indépendants coupables de diffamation, une infraction pénale, et les ont condamnés à de lourdes peines d’amende. Ces journalistes travaillaient pour des organes de presse étrangers. Vladimir Berezovski, correspondant du journal russe Parlamentskaïa Gazeta, a été accusé d’avoir publié, sur le site Internet indépendant Vesti.uz, 16 articles contenant des informations diffamatoires destinées à tromper la population de l’Ouzbékistan et susceptibles de semer la panique. Consacrés plus particulièrement au MIO et aux travailleurs migrants, les articles en question n’avaient pas été écrits par Vladimir Berezovski, mais provenaient d’agences de presse russes.

Abdoumalik Boboïev, correspondant de la station de radio Voice of America, financée par le Congrès américain, a été condamné à une forte amende. Le tribunal qui l’a jugé a estimé qu’il avait insulté l’appareil judiciaire et les forces de sécurité dans ses écrits et ses reportages radiophoniques. Il avait en réalité dénoncé, dans ses articles et ses commentaires à la radio, les restrictions pesant sur la liberté d’expression, les détentions arbitraires et les procès inéquitables de journalistes et de défenseurs des droits humains. Les appels interjetés par les deux journalistes ont été rejetés.

  • En décembre, les autorités ont libéré sous conditions le défenseur des droits humains Fakhad Moukhtarov, après qu’il eut purgé 11 mois d’emprisonnement sur la peine de cinq ans à laquelle il avait été condamné pour corruption et fraude. Au moins 11 autres défenseurs des droits humains étaient toujours emprisonnés à la fin de l’année. Certains d’entre eux ont fait l’objet d’inculpations nouvelles pour violation présumée du règlement carcéral, et ont vu leurs peines aggravées de plusieurs années à la suite de procès non équitables qui se sont déroulés dans le secret. Au moins trois ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement, sur la foi d’accusations dénoncées comme fallacieuses et qui auraient été inventées pour les punir de leur action.
  • Le défenseur des droits humains Gaïboullo Djalilov a été condamné en janvier à neuf années d’emprisonnement pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et appartenance à une organisation religieuse interdite. Membre de l’Association des droits humains d’Ouzbékistan (OPCHU), une organisation indépendante non reconnue officiellement, Gaïboullo Djalilov avait suivi la détention et les procès d’adhérents de mouvements islamiques interdits et avait notamment dénoncé des mauvais traitements et des actes de torture. Il affirme avoir été forcé sous la contrainte « d’avouer » son appartenance à l’organisation Hizb-ut-Tahrir. Sa condamnation a été confirmée en appel au mois de mars. De nouvelles poursuites, engagées contre lui en août, étaient fondées, selon l’accusation, sur des témoignages selon lesquels il aurait été vu à des rassemblements religieux impliquant le visionnage de DVD au contenu « extrémiste ». Il a été condamné à quatre années d’emprisonnement supplémentaires, à l’issue d’un procès qui s’est tenu à huis clos devant le tribunal pénal régional de Kashkadarya, bien qu’aucun témoin n’ait été cité par l’accusation.

Liberté de religion

Les différentes congrégations restaient soumises à l’étroite surveillance du gouvernement, qui limitait leur liberté de pratiquer leur religion. Ces restrictions touchaient particulièrement les membres de groupes non officiellement reconnus comme les chrétiens évangéliques, par exemple, ou les musulmans qui fréquentaient des mosquées échappant au contrôle de l’État.

  • Des disciples présumés du théologien musulman turc Said Nursi ont été condamnés dans le cadre d’une série de procès qui ont commencé en 2009 et se sont poursuivis en 2010. Les charges retenues contre ces personnes allaient de l’appartenance à une organisation religieuse extrémiste clandestine à la création d’une telle organisation, en passant par la publication ou la distribution de documents menaçant l’ordre social. À la date de décembre 2010, au moins 114 hommes avaient été condamnés à des peines allant de six à 12 ans d’emprisonnement, à l’issue de procès non équitables. D’après les informations disponibles, certains des jugements prononcés l’auraient été sur la base d’« aveux » obtenus sous la torture pendant la détention provisoire. La cour n’aurait entendu ni témoins à décharge ni experts. Dans certains cas, les autorités auraient empêché l’accès aux audiences ; dans d’autres, le procès s’est déroulé à huis clos.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Pendant une brève période, les autorités ont accueilli à titre provisoire des dizaines de milliers de personnes d’ethnie ouzbèke qui avaient fui en juin les violences dans le sud du Kirghizistan voisin. Pour la première fois depuis qu’elles avaient ordonné au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de quitter le pays, en 2006, elles ont autorisé les équipes de secours d’urgence du HCR à venir en Ouzbékistan et à se rendre dans les camps de réfugiés. Les forces de sécurité ont étroitement contrôlé les déplacements des réfugiés, y compris les blessés et les personnes hospitalisées, ainsi que les contacts qu’ils pouvaient avoir avec l’extérieur. Fin juin, les réfugiés étaient retournés au Kirghizistan, à part quelques milliers qui se trouvaient toujours en Ouzbékistan. Beaucoup craignaient toutefois que ces retours n’aient pas été vraiment volontaires, mais plutôt décidés sous la pression des pouvoirs publics du Kirghizistan et de l’Ouzbékistan.

Surveillance internationale

Cinq ans après le massacre, le 13 mai 2005, de centaines de personnes à Andijan, où les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur les participants à une manifestation essentiellement pacifique, le gouvernement refusait toujours d’autoriser une commission internationale indépendante à enquêter sur ces événements. Il considérait que la question était désormais close, invoquant à titre de preuve la levée des sanctions de l’Union européenne.
En mars, lors de l’examen par le Comité des droits de l’homme [ONU] de l’application du PIDCP par l’Ouzbékistan, la délégation ouzbèke a déclaré qu’aucun défenseur des droits humains n’était détenu ou persécuté dans le pays. Selon elle, les « ennemis » de l’Ouzbékistan lui livraient une véritable « guerre de l’information » et diverses ONG internationales étaient payées pour diffuser des propos diffamants et faire de la désinformation.

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