BOSNIE-HERZÉGOVINE

Le discours nationaliste dominait la scène politique. Les poursuites engagées contre les auteurs présumés de crimes de guerre progressaient, mais au ralenti. Les civils victimes de guerre se heurtaient toujours à un déni de justice et à l’impossibilité d’obtenir des réparations.

BOSNIE-HERZEGOVINE
CHEFS DE L’ÉTAT : une présidence tripartite est exercée par Nebojša
Radmanovi ?, Željko Komši ? et Haris Silajdži ? (remplacé par Bakir Izetbegovi ? le 10 novembre)
CHEF DU GOUVERNEMENT : Nikola Špiri ?
PEINE DE MORT : abolie
POPULATION : 3,8 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 75,5 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 17 / 12 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 97,6 %

Contexte

À l’approche des élections générales d’octobre, les discours nationalistes ont une fois de plus marqué les relations entre les principaux groupes ethniques du pays (Musulmans, Croates et Serbes). Les positions séparatistes régulièrement revendiquées par plusieurs hauts responsables politiques de l’entité serbe – la Republika Srpska (RS) – menaçaient la stabilité de la Bosnie-Herzégovine. Certains représentants de la classe politique croate ont également suggéré la création d’une entité à dominante croate.
Au mois de juillet, juste avant le quinzième anniversaire du génocide de Srebrenica, en 1995, plusieurs personnalités politiques de premier plan de la RS ont fait l’éloge des auteurs de ce crime et d’autres personnes qui, comme Radovan Karadži ?, en étaient les responsables présumés. Certains ont même nié qu’un génocide ait été commis à Srebrenica.
Les deux principaux partis à base ethnique, représentant respectivement les Serbes et les Musulmans – l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) et le Parti de l’action démocratique (SDA) – ont remporté la plupart des sièges au sein des organes de décision du pays. Toutefois, ces élections ont aussi été marquées par la percée d’une formation politique transcendant les clivages identitaires, le Parti social-démocrate (SDP), qui a obtenu la majorité des sièges dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine (l’entité à dominante musulmane et croate).
La communauté internationale a maintenu sa présence en Bosnie-Herzégovine, Valentin Inzko conservant le poste de haut représentant chargé de l’administration civile destinée à veiller à l’application des accords de paix de Dayton (1995). Le haut représentant faisait également office de représentant spécial de l’Union européenne (UE).
L’UE avait toujours sur place une force de maintien de la paix d’environ 1 600 militaires, ainsi qu’un corps de police composé de près de 300 collaborateurs.
Les négociations en vue de l’adhésion à l’UE se sont poursuivies. Dans le cadre de ce processus, la Bosnie-Herzégovine a conclu en décembre un accord de libéralisation du régime des visas qui permettait à ses ressortissants de circuler librement dans les 25 pays européens formant l’espace Schengen.
La Bosnie-Herzégovine a entamé en janvier un mandat de deux ans de membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

Justice nationale – crimes de droit international

Les poursuites engagées devant les tribunaux de Bosnie-Herzégovine à l’encontre des auteurs présumés de crimes de droit international progressaient avec lenteur.
La Chambre des crimes de guerre créée au sein de la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine jouait toujours un rôle central en matière de procès pour crimes de guerre. Fin septembre, 50 procès pour crimes de guerre étaient en instance devant cette juridiction. Vingt autres affaires étaient en cours dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et 13 dans la RS. Enfin, quatre procès étaient en instance dans le district de Br ?ko. Les crimes de guerre relevant de la violence sexuelle, comme les viols, suscitaient toujours un faible intérêt. Depuis sa création, en 2005, la Chambre des crimes de guerre avait eu à traiter moins de 20 affaires de ce genre.
Or, on estimait à près de 10 000 le nombre de crimes de guerre qu’il restait encore à juger. En outre, la mise en œuvre de la Stratégie officielle d’action en matière de crimes de guerre, adoptée en 2008 pour régler ce problème, a été retardée.
Le soutien aux témoins et les mesures de protection en leur faveur restaient insuffisants. Ces carences constituaient toujours l’un des principaux obstacles empêchant les victimes de crimes de guerre et leurs familles de saisir les tribunaux pour obtenir justice.
En dépit de quelques signes encourageants, beaucoup de victimes de crimes de guerre (notamment celles qui ont subi des violences sexuelles ou d’autres actes de torture et les familles de victimes de disparitions forcées) n’ont pas pu bénéficier de réparations du fait de l’inaction des autorités.
Les attaques verbales contre le système judiciaire et la négation de certains crimes de guerre (dont le génocide perpétré en juillet 1995 à Srebrenica) par de hauts responsables politiques du pays ont encore affaibli les efforts déployés par la Bosnie-Herzégovine pour poursuivre les auteurs présumés de tels crimes.

Justice internationale

Fin 2010, six affaires de crimes de guerre concernant la Bosnie-Herzégovine étaient pendantes devant la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le Tribunal). Deux autres affaires étaient en appel.

  • En juin, la Chambre de première instance a condamné sept anciens hauts responsables militaires et de police serbes de Bosnie pour une série de crimes sanctionnés par le droit international, commis en 1995 à Srebrenica et à Žepa. Reconnus coupables, entre autres, de génocide, Vujadin Popovi ? et Ljubiša Beara ont été condamnés à l’emprisonnement à vie. Drago Nikoli ? a été reconnu coupable notamment de participation à des crimes de génocide, d’extermination et de meurtre, et condamné à 35 ans d’emprisonnement. Déclaré coupable d’avoir participé à des crimes d’extermination, de meurtre, de persécution et de transfert forcé, Ljubomir Borov ?anin a été condamné à 17 ans d’emprisonnement. Reconnu coupable d’assassinat, de persécution et de transfert forcé, Radivoje Mileti ? a été condamné à 19 ans d’emprisonnement. Reconnu coupable de persécution et d’actes inhumains, Milan Gvero a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Reconnu coupable de participation à des crimes de meurtre, de persécution et d’actes inhumains, Vinko Pandurevi ? a été condamné à 13 ans d’emprisonnement.
    La Chambre de première instance a indiqué qu’au moins 5 336 personnes avaient été tuées, lors de plusieurs exécutions, après la chute de Srebrenica, notant toutefois que le bilan réel final pourrait atteindre le nombre de 7 826 victimes.
  • Le procès de Radovan Karadži ? s’est poursuivi devant la Chambre de première instance pour toute une série de crimes, dont deux chefs concernant des actes de génocide. Le premier portait sur les crimes perpétrés entre le 31 mars et le 31 décembre 1992 dans un certain nombre de municipalités de Bosnie-Herzégovine (dont des homicides, des actes de torture et des transferts forcés ou déportations de populations) et qui visaient à faire disparaître les Croates et les Musulmans de Bosnie en tant que groupes ethniques ou religieux. Le second portait sur le massacre de plus de 7 000 hommes et garçons, en juillet 1995, à Srebrenica. L’acte d’accusation de Radovan Karadži ? comportait également cinq chefs de crimes contre l’humanité, portant notamment sur des faits de persécution, d’extermination, de meurtre et de déportation de personnes n’appartenant pas à la communauté serbe. Il faut ajouter à cela quatre chefs d’atteintes aux lois et coutumes de la guerre (prises d’otages, actes visant à terroriser la population civile, etc.).
    Au cours du procès, Radovan Karadži ? a rejeté toutes les charges, affirmant que Sarajevo comme Srebrenica constituaient des objectifs militaires légitimes.
  • Dans l’affaire mettant en cause Rasim Deli ?, la procédure d’appel a commencé au mois de janvier. Cet ancien officier avait été reconnu coupable de ne pas avoir pris les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir certains crimes (traitements cruels) commis par des membres du détachement El Moudjahid de l’Armée de la République de Bosnie-Herzégovine, et pour en punir les auteurs. Il avait été condamné en septembre 2008 à trois ans d’emprisonnement par la Chambre de première instance. Il est décédé le 16 avril 2010, alors qu’il se trouvait en liberté provisoire. La Chambre d’appel a mis fin en juin à la procédure d’appel, déclarant que le jugement de la Chambre de première instance devait être considéré comme définitif.
    Un certain nombre de victimes et leurs familles ont introduit des recours devant d’autres instances judiciaires internationales.
  • La cour d’appel de La Haye a ainsi commencé le 28 janvier 2010 à examiner une plainte portée au civil contre les Pays-Bas et les Nations unies par 6 000 proches de victimes du génocide de Srebrenica (les « Mères de Srebrenica »).
    Les requérantes exigeaient des autorités néerlandaises et de l’ONU des réparations pour ne pas les avoir protégées, elles et leurs familles, du génocide perpétré à Srebrenica en juillet 1995 par des membres de l’Armée serbe de Bosnie commandée par le général Ratko Mladi ?. Dans le jugement en première instance, en juillet 2008, le tribunal de district de La Haye avait déclaré ne pas avoir compétence pour les actes commis par le personnel de l’ONU. Il avait également déchargé de toute responsabilité le gouvernement néerlandais.
    La cour d’appel de La Haye a finalement rejeté le 30 mars le recours introduit dans cette affaire. Elle a déclaré que l’ONU bénéficiait d’une immunité de poursuites absolue et qu’elle-même n’avait pas compétence pour examiner la demande de réparations.

Droits des femmes
Victimes de violences sexuelles constituant des crimes de guerre

Malgré une certaine volonté manifestée par le ministère des Droits humains et des Réfugiés, qui s’est efforcé de mettre en place des lois et des politiques officielles adéquates, les personnes qui avaient subi des violences sexuelles constitutives de crimes de guerre ne pouvaient toujours pas jouir de leurs droits économiques et sociaux.
Nombre de femmes violées pendant la guerre vivaient toujours dans la misère, incapables de trouver du travail car elles souffraient toujours des séquelles physiques et psychologiques des actes subis pendant les hostilités.
Le ministère a commencé en juillet à travailler sur une stratégie de réparation en faveur de ces personnes, en collaboration avec le Fonds des Nations unies pour la population et plusieurs ONG, mais il n’avait pas le soutien politique essentiel à la réussite de cette initiative.
Le gouvernement n’apportant quasiment aucune aide psychologique aux victimes, celles-ci ne pouvaient guère compter que sur les ONG, dont les services étaient souvent d’une portée limitée. De nombreuses victimes de violences sexuelles constituant des crimes de guerre n’avaient pas accès au système de santé. Elles faisaient également l’objet de discriminations en matière de prestations sociales par rapport à d’autres catégories de victimes de la guerre, comme les anciens combattants.
Lors de la session de novembre du Comité contre la torture [ONU], le gouvernement a reconnu que seules 2 000 femmes victimes de ces sévices percevaient une allocation de l’État, en vertu de leur statut de victime civile de guerre.

Liberté d’expression

Au mois d’août, le parti serbe SNSD a soumis au Parlement de la République de Bosnie-Herzégovine un projet de loi visant à interdire dans l’espace public le port de vêtements empêchant d’identifier la personne. Certains se sont inquiétés de ce projet qui, s’il était adopté, violerait le droit des femmes à porter le voile intégral si elles le souhaitent en tant qu’expression de leur identité ou de leurs convictions religieuses, culturelles, politiques ou personnelles, et constituerait donc une atteinte à leur droit à la liberté d’expression et de religion.

Disparitions forcées

Les enquêtes destinées à faire la lumière sur le sort des personnes victimes de disparitions forcées pendant la guerre de 1992-1995 progressaient avec lenteur. La relative passivité du système judiciaire était telle que les responsables de ces disparitions jouissaient souvent d’une totale impunité.
L’Institut national des personnes disparues a poursuivi son travail d’exhumation sur différents sites, mais on ignorait toujours ce qu’étaient devenues 10 000 à 11 500 personnes.
Les pouvoirs publics n’ont pas mis en place de base de données des personnes disparues. Ils n’ont pas non plus ouvert le Fonds de soutien aux familles des personnes disparues. Ces deux mesures étaient pourtant évoquées par la Loi sur les personnes disparues, adoptée en 2004.
Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires s’est rendu en juin en Bosnie-Herzégovine. Il a instamment prié les autorités d’appliquer intégralement la Loi de 2004. Il a également noté avec préoccupation que de nombreux arrêts de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine concernant des disparitions forcées étaient restés lettre morte. Il a recommandé aux pouvoirs publics de mettre en place un programme national de réparations en faveur des proches des victimes de disparitions forcées, ce programme devant comprendre notamment des mesures d’indemnisation, de restitution, de réadaptation et de réhabilitation, ainsi que des garanties de non-répétition.

Discriminations
Droits des minorités

Les autorités n’ont pas appliqué l’arrêt rendu en décembre 2009 par la Cour européenne des droits de l’homme à la suite du recours introduit par Dervo Sejdi ? et Jakob Finci, deux hommes appartenant respectivement aux communautés rom et juive. Les requérants avaient fait valoir que, dans la mesure où ils n’appartenaient ni l’un ni l’autre à aucun des principaux groupes ethniques du pays, ils se voyaient privés de leur droit d’être élus à des fonctions au sein des institutions de l’État (aux termes du cadre juridique en place, ce droit était exclusivement reconnu aux Musulmans, aux Croates et aux Serbes). La Cour avait estimé que le cadre constitutionnel et le système électoral étaient discriminatoires à l’égard des requérants et que les autorités devaient les modifier en conséquence. Les tentatives politiques visant à effectuer ces changements et à réformer les institutions de l’État ont cependant échoué.

Les Roms

Au mois d’août, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale [ONU] s’est dit préoccupé par les discriminations dont faisaient l’objet les Roms en matière d’accès à un logement convenable, aux soins, à l’emploi, à la sécurité sociale et à l’éducation. Le Comité a en outre recommandé aux autorités de prendre des mesures afin que tous les Roms puissent disposer de papiers d’identité.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Les autorités de Bosnie-Herzégovine ont continué de ne pas respecter les droits d’un certain nombre de personnes qui étaient venues s’installer dans le pays pendant ou après la guerre et qui en avaient par la suite obtenu la nationalité. Sur décision de la Commission gouvernementale de révision des décisions de naturalisation des citoyens étrangers, certaines d’entre elles ont perdu leur statut de citoyen et une procédure d’expulsion a été lancée à leur encontre.
Plusieurs personnes ont été placées en détention prolongée dans le centre pour étrangers en instance d’expulsion de Lukavica, où elles attendaient d’être renvoyées vers leurs pays d’origine. Parmi elles figuraient Imad Al Husein (détenu depuis octobre 2008), Ammar Al Hanchi (détenu depuis avril 2009), Fadil El Hamdani (détenu depuis juin 2009) et Zijad al Gertani (détenu depuis mai 2009). Les pouvoirs publics maintenaient ces personnes en détention, après les avoir déchues de la nationalité, au nom de la sécurité nationale, mais sans préciser les motifs de ces mesures. En cas d’expulsion, elles risquaient d’être torturées ou condamnées à mort dans leur pays d’origine.
Aucune disposition juridique ne permettait à ces quatre hommes de prendre connaissance des éléments retenus contre eux. Ils ne pouvaient donc pas contester efficacement devant les tribunaux de Bosnie-Herzégovine les décisions prises à leur encontre.
Deux d’entre eux ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, dénonçant la déchéance de leur nationalité et l’expulsion dont ils étaient menacés. La Cour a décidé dans les deux cas la suspension provisoire de toute mesure d’expulsion.
En novembre, le Comité contre la torture [ONU] a entre autres recommandé aux autorités de veiller à ce que les considérations relatives à la sécurité nationale ne remettent pas en question le principe du non-refoulement. Il a en outre instamment prié la Bosnie-Herzégovine de s’acquitter de l’obligation qui était la sienne de respecter en toutes circonstances le principe de prohibition absolue de la torture.

Visites et documents d’Amnesty International

  • Une délégation d’Amnesty International s’est rendue en Bosnie-Herzégovine en mars et en décembre.
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