Kazakhstan

À l’issue d’une enquête judiciaire sur l’emploi, par des agents des forces de sécurité, de méthodes ayant entraîné la mort lors des troubles de Janaozen en décembre 2011, des poursuites ont été engagées contre cinq fonctionnaires. Un certain nombre de personnes accusées d’avoir organisé ces événements ou d’y avoir participé ont été traduites en justice en mars. La plupart d’entre elles affirmaient avoir été contraintes sous la torture de faire des « aveux ». Le dirigeant d’un parti d’opposition non reconnu par les autorités, accusé d’avoir participé aux violences de Janaozen, a été condamné à une lourde peine d’emprisonnement à l’issue un procès non équitable. Des organes de presse indépendants ont été qualifiés d’extrémistes et ont été fermés. Cette année encore, des personnes ont été extradées alors qu’elles risquaient d’être torturées et, plus généralement, maltraitées à leur arrivée dans le pays demandeur.

RÉPUBLIQUE DU KAZAKHSTAN
Chef de l’État : Noursoultan Nazarbaïev
Chef du gouvernement : Karim Massimov, remplacé par Serik Akhmetov le 24 septembre

Utilisation excessive de la force

L’enquête menée sur le recours à des méthodes meurtrières par les forces de sécurité lors des événements survenus à Janaozen a débouché en janvier 2012 sur l’inculpation de cinq gradés pour abus de pouvoir. Le nombre de morts et de blessés graves par balle indiquait toutefois qu’ils étaient loin d’être les seuls membres des forces de sécurité à avoir fait usage d’armes à feu. Le 16 décembre 2011, à Janaozen, une ville du sud-ouest du pays, de violents affrontements avaient éclaté entre manifestants et policiers à l’occasion de la célébration du 20e anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan. Au moins 15 personnes avaient été tuées et plus de 100 grièvement blessées. Selon certaines informations, les forces de sécurité n’avaient pas été formées pour contenir manifestants et grévistes par des méthodes non violentes et proportionnées, alors que les autorités étaient confrontées depuis des mois à un mouvement de grève et de contestation mené par les travailleurs du secteur pétrolier, leurs familles et leurs sympathisants.
En réponse aux appels lancés en faveur de l’ouverture d’autres enquêtes prenant en compte toutes les personnes tuées ou blessées, y compris celles qui n’avaient pas été comptabilisées officiellement, afin d’établir le bilan réel des violences et de traduire en justice tous les responsables, les services du procureur général ont fait savoir en octobre que tous les éléments disponibles avaient été attentivement examinés par l’antenne régionale du ministère de l’Intérieur, et que rien ne justifiait l’inculpation d’autres membres des forces de sécurité.
 Cinq gradés des forces de sécurité de la région de Manguistaou et de la ville de Janaozen ont été inculpés fin janvier d’abus de pouvoir, pour usage injustifié d’armes à feu. Selon les services du procureur général, certains d’entre eux auraient été identifiés grâce à des images vidéos. Ils ont été condamnés en mai à des peines allant de cinq à sept ans d’emprisonnement. Plusieurs policiers appelés à témoigner lors du procès ont confirmé qu’ils avaient eux-mêmes tiré directement sur des manifestants. Ils n’ont pourtant pas été inculpés.

Torture et autres mauvais traitements

Trente-sept personnes accusées d’avoir organisé les violences de Janaozen ou d’y avoir participé ont été traduites en justice au mois de mars à Aktaou, le chef-lieu de région. La plupart d’entre elles ont déclaré avoir été torturées ou, plus généralement, maltraitées en détention par des agents des forces de sécurité qui cherchaient ainsi à les faire passer aux « aveux ». Elles se sont rétractées pendant le procès. Les méthodes de torture décrites par les prévenus correspondaient à celles qu’avaient dénoncées en décembre 2011 nombre de personnes interpellées puis libérées. Ces témoignages faisaient état de détention dans des centres non officiels ou dans les sous-sols de postes de police, et de détenus déshabillés, contraints à s’allonger ou à s’accroupir sur le sol de béton froid, aspergés d’eau glacée, et frappés, y compris à coups de pied, par des agents des forces de sécurité, souvent jusqu’à en perdre connaissance. Ceux qui s’évanouissaient étaient ranimés à l’eau froide, puis de nouveau battus, à intervalles réguliers. Ces traitements répétitifs pouvaient durer des heures. Dix des témoins de l’accusation se sont rétractés lors des audiences, affirmant avoir eux-mêmes été contraints sous la torture ou divers mauvais traitements de témoigner contre les prévenus.
Certains des prévenus ont identifié les policiers et autres agents des services de sécurité qui les avaient torturés ou maltraités. Les membres des forces de sécurité accusés par les prévenus et leurs avocats d’avoir ouvert le feu sur les manifestants et de les avoir maltraités en détention ont témoigné en tant que victimes ou témoins, certains anonymement. Tous ont plaidé la légitime défense. Lorsqu’on leur a demandé qui leur avait ordonné d’ouvrir le feu, certains ont répondu qu’ils n’avaient pas reçu cet ordre mais qu’on ne les avait pas non plus enjoints de ne pas tirer. Les services du procureur général se sont penchés sur les allégations de torture à la demande du président le tribunal, pour finalement les rejeter. Sept des accusés ont été condamnés à des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement.
 La militante du droit du travail Roza Touletaïeva, qui avait été l’un des principaux contacts de la presse et des organisations internationales pendant la grève des travailleurs du secteur pétrolier, en 2011, a déclaré lors du procès que les agents des services de sécurité qui avaient mené son interrogatoire l’avaient suspendue par les cheveux, avaient menacé de s’en prendre à sa fille, âgée de 14 ans, lui avaient mis un sac en plastique sur la tête pour l’empêcher de respirer, et l’avaient soumise à des humiliations et à des sévices sexuels. Elle a déclaré qu’elle avait trop honte pour pouvoir décrire devant la cour les actes de torture sexuelle qu’elle avait subis, en raison de la présence de sa famille et d’amis dans le public. Elle a été condamnée à sept ans d’emprisonnement pour « incitation à la discorde sociale ».

Procès inéquitables

Outre les 37 personnes arrêtées à Janaozen en décembre 2011 et jugées en mars 2012, trois militants d’opposition résidant à Almaty ont également été interpellés en janvier 2012 pour leur rôle présumé dans les troubles ainsi que, en juin, le directeur d’un théâtre de renom et un militant d’un mouvement de jeunesse. Ces cinq personnes ont été inculpées d’« incitation à la discorde sociale » et de « déstabilisation de la situation dans la région ».
Trois d‘entre elles ont été remises en liberté conditionnelle, après avoir passé plusieurs semaines de détention dans les locaux du Service de sécurité nationale et accepté de signer des « aveux », dans lesquels elles reconnaissaient s’être rendues à Janaozen pour soutenir les ouvriers en grève.
Défavorables aux personnes inculpées dans le cadre de l’affaire de Janaozen, certaines déclarations faites par de hauts responsables dans les médias d’État compromettaient toute chance pour ces personnes d’être jugées équitablement. De nombreuses atteintes à la procédure ont en outre été constatées (accès limité aux avocats et aux familles, par exemple). Les avocats représentant les militants détenus par le Service de sécurité nationale ont dû signer des engagements de confidentialité qui leur interdisaient de divulguer la moindre information sur la procédure en cours contre leurs clients.
 Vladimir Kozlov, dirigeant du parti d’opposition Alga, non reconnu officiellement, a été arrêté le 23 janvier à son domicile d’Almaty par des agents du Service de sécurité nationale. Il était accusé d’« incitation à la discorde sociale ». Son domicile a été perquisitionné, ainsi que les bureaux d’Alga à Almaty et les maisons ou appartements de plusieurs autres membres de cette formation. Vladimir Kozlov s’était rendu à Janaozen en janvier, en tant que membre d’un groupe d’observation public indépendant qui avait pour mission d’enquêter sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements en garde à vue, et qui avait ensuite fait part de ses conclusions au Parlement européen. Il a été placé en détention dans les locaux du Service de sécurité nationale d’Aktaou, et n’avait qu’un accès limité à ses avocats et à sa famille. Le 8 octobre, il a été déclaré coupable par le tribunal municipal d’Aktaou d’« incitation à la discorde sociale » et de tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. Il a été condamné à sept ans et demi d’emprisonnement et à la confiscation de ses biens. Amnesty International le considérait comme un prisonnier d’opinion. Les observateurs indépendants qui ont pu assister à son procès ont déclaré que la présomption d’innocence n’avait pas été respectée et que les preuves à charge ne permettaient pas de conclure à sa culpabilité. Dans son jugement, le tribunal qualifiait en outre d’« extrémistes politiques » incitant à la « haine sociale » plusieurs organes de presse de l’opposition qui avaient couvert les grèves de 2011 et les enquêtes menées sur les violences de Janaozen. Le jugement de première instance a été confirmé le 19 novembre par la cour d’appel, à Aktaou.
 Contre toute attente, la prisonnière d’opinion Natalia Sokolova, qui avait assuré le rôle de représentante juridique des travailleurs de la compagnie Kazmunaigas en grève à Janaozen, a été remise en liberté en mars, à la suite d’un recours introduit en sa faveur auprès de la Cour suprême par les services du procureur général. Elle avait été condamnée en août 2011 par le tribunal municipal d’Aktaou à six années d’emprisonnement, pour « incitation à la discorde sociale ».

Liberté d’expression

De nouvelles dispositions de la Loi sur la sécurité entrées en vigueur en janvier rendaient passible de poursuites toute personne ou organisation cherchant à « influencer l’opinion du public et des individus » par la diffusion d’informations « déformées » et « non fiables », « au détriment de la sécurité nationale ». On pouvait craindre que les autorités ne veuillent se servir de la législation sur la sécurité nationale pour limiter la liberté d’expression et la liberté de la presse.
 Le 21 novembre, le procureur de la ville d’Almaty a porté plainte dans le but de faire fermer presque tous les médias indépendants ou de l’opposition encore en activité (dont certains avaient été cités dans le jugement rendu contre Vladimir Kozlov). Il les accusait d’être « extrémistes », d’inciter à la discorde sociale et de menacer la sécurité nationale. Cette plainte visait une quarantaine d’organes de la presse écrite, en ligne et audiovisuelle. Le procureur d’Almaty demandait également que le parti d’opposition non enregistré Alga et le mouvement social non reconnu Khalyk Maydany soient classés comme « extrémistes ». Le même jour, un tribunal d’Almaty a ordonné la suspension immédiate de toutes les activités d’Alga. D’autres tribunaux ont ordonné l’arrêt de la publication et de la diffusion de la majorité des organes de presse visés par la plainte du procureur.
Réfugiés et demandeurs d’asile
Au mépris d’une décision du Comité contre la torture [ONU] et des obligations contractées par le Kazakhstan au titre du droit international relatif aux droits humains et aux réfugiés, les autorités kazakhes ont continué de placer en détention des personnes avec l’intention de les extrader vers des pays comme l’Ouzbékistan, où elles risquaient d’être maltraitées, et notamment torturées.
En juin, le Comité contre la torture a estimé que l’extradition par le Kazakhstan de 28 Ouzbeks, tous de sexe masculin, vers l’Ouzbékistan constituait une violation de la Convention contre la torture [ONU].
*De nationalité ouzbèke, Sobir Nosirov a été détenu pendant 12 mois en vue de son extradition, avant d’être finalement relâché en juillet 2012, sans inculpation. Il avait quitté l’Ouzbékistan avec sa famille en 2005 pour aller travailler en Russie, où il avait obtenu des permis temporaires de séjour et de travail. Il avait été interpellé inopinément en juillet 2011 à la frontière avec le Kazakhstan, en vertu d’un mandat d’arrêt émis contre lui par l’Ouzbékistan pour sa participation présumée aux violences d’Andijan, en mai 2005. Il avait dans un premier temps été détenu au secret pendant plusieurs jours à Ouralsk. La justice du Kazakhstan n’a pas ordonné sa remise en liberté, alors que les charges figurant sur la demande d’extradition le concernant ne résistaient manifestement pas à un examen sérieux. Il a finalement été libéré le 24 juillet 2012, sans aucune explication officielle, et reconduit à la frontière russe par des agents des forces de sécurité.

Visites et documents d’Amnesty International

 Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Kazakhstan en juin.
 Kazakhstan : Progress and nature of official investigations called into question 100 days after violent clashes between police and protesters in Zhanaozen (EUR 57/001/2012).

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