République d’Irak
CAPITALE : Bagdad
SUPERFICIE : 438 317 km²
POPULATION : 28,8 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Sheikh Ghazi al Yawar, remplacé par Jalal Talabani le 6 avril
CHEF DU GOUVERNEMENT : Iyad Allaoui, remplacé par Ibrahim al Jafari le 7 avril
PEINE DE MORT : maintenue
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé
Aussi bien les troupes de la coalition multinationale dirigée par les Etats-Unis que les forces de sécurité irakiennes se sont rendues coupables de violations graves des droits humains, notamment de torture, de mauvais traitements et de placements en détention arbitraire sans inculpation ni jugement. Elles ont également tué des civils en faisant un usage excessif de la force. Les groupes armés combattant la coalition et le gouvernement irakien ont commis de graves exactions, notamment en tuant délibérément des milliers de civils dans divers attentats, entre autres à l’aide d’explosifs. Ils se sont aussi livrés à des actes de torture et à des prises d’otages. Plusieurs dizaines de personnes ont été condamnées à mort par des juridictions pénales et au moins trois exécutions ont eu lieu. L’ancien président Saddam Hussein et sept autres personnes ont comparu en justice. Femmes et jeunes filles continuaient d’être harcelées et vivaient dans la peur en raison de l’absence persistante de sécurité.
Contexte
Les élections à l’Assemblée nationale de transition ont eu lieu le 30 janvier. Le taux de participation a été élevé dans le sud du pays et au Kurdistan, mais la très grande majorité des Arabes sunnites ont boycotté le scrutin. Certains ont manifestement répondu aux appels lancés par des personnalités politiques et religieuses sunnites, qui affirmaient que les élections ne devaient pas être organisées tant que la force multinationale se trouvait dans le pays ; d’autres craignaient les représailles des groupes armés. L’alliance chiite a remporté la majorité des voix et 140 des 275 sièges. L’alliance kurde a obtenu 75 sièges et la liste conduite par le Premier ministre sortant, Iyad Allaoui, 40 sièges.
Après plusieurs semaines d’impasse, un nouveau gouvernement est entré en fonction en mai à la suite d’un accord entre les alliances chiite et kurde. Il comprenait plusieurs Arabes sunnites et était dirigé par Ibrahim al Jafari, membre de l’alliance chiite et dirigeant du parti Daawa (Appel). Jalal Talabani, chef de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), a été nommé président.
À l’issue de longues négociations, le Comité de rédaction de la constitution s’est mis d’accord sur un nouveau projet à la fin du mois d’août, quinze jours après la date butoir prévue par la Loi administrative de transition. Soumis à référendum le 15 octobre, le texte a recueilli les trois quarts des suffrages au niveau national ; il a toutefois été rejeté par les deux tiers des votants dans les provinces d’Al Anbar et de Salahuddin, à majorité sunnite. Il a été convenu que le nouveau Parlement désignerait un comité chargé d’examiner d’éventuels amendements.
Les élections à ce nouveau Conseil des représentants - un Parlement de 275 membres élus pour quatre ans - ont eu lieu le 15 décembre. Des partis sunnites, chiites et kurdes ont présenté des candidats. Le taux de participation a été estimé officiellement à 70 p. cent ; la plupart des votants se sont prononcés en fonction de leur appartenance ethnique et religieuse. Le nouveau gouvernement n’avait pas été formé à la fin de l’année et c’est dans ce climat politique que de graves violations des droits humains, et notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ont été commises par les groupes armés, les forces de la coalition multinationale et les forces de sécurité irakiennes.
Exactions imputables aux groupes armés
Les groupes armés qui s’affrontaient à la coalition multinationale et aux forces de sécurité irakiennes ont commis de graves exactions, et des centaines de civils irakiens auraient été tués ou blessés à la suite de leurs attaques. Certaines victimes, notamment des interprètes, des chauffeurs et d’autres employés de la force multinationale, ont été prises pour cible parce qu’elles étaient, semble-t-il, considérées comme des « collaborateurs ». Des fonctionnaires, des représentants des pouvoirs publics, des juges et des journalistes ont été visés en raison de leurs liens avec le gouvernement irakien. Beaucoup d’autres personnes étaient prises pour cible du fait de leur appartenance à un groupe ethnique ou religieux. Des civils ont également été tués ou blessés lors de l’explosion de voitures piégées ou d’attentats-suicides visant la police irakienne, les troupes gouvernementales, ou les convois militaires et les bases de la coalition.
Les groupes armés ont par ailleurs enlevé et retenu en otages des dizaines d’Irakiens et d’étrangers. Beaucoup d’entre eux, des civils pour la plupart, ont été tués.
Le 25 janvier, Qais Hashem al Shamari, juge et secrétaire du Conseil des juges, et son fils ont été tués dans une embuscade tendue par des hommes armés à bord d’une voiture. Ils venaient de quitter leur domicile et circulaient à l’est de Bagdad. Cette attaque a été revendiquée par le groupe armé Ansar al Sunna (Les Protecteurs de la Tradition).
Le 28 février, au moins 118 personnes ont été tuées et 132 autres blessées à la suite d’un attentat-suicide à la voiture piégée perpétré à proximité d’un poste de police et d’un marché très fréquenté de Hilla, au sud de Bagdad. Certaines des victimes attendaient devant un centre de santé pour obtenir les certificats médicaux leur permettant de postuler à des emplois dans l’armée et la police. De nombreuses autres se trouvaient dans le marché de l’autre côté de la route. Cet attentat a été revendiqué sur un site Internet par l’Organisation du djihad d’Al Qaïda en Mésopotamie.
Dans un attentat-suicide commis le 14 septembre à Bagdad, dans le quartier à majorité chiite d’Al Kadhimiya, sur la place Al Uruba, un homme a déclenché sa bombe après avoir attiré de nombreuses personnes vers sa camionnette en leur promettant du travail. Au moins 114 personnes, dont des enfants, ont été tuées et de nombreuses autres blessées.
Le 26 novembre, Tom Fox, Norman Kember, James Loney et Harmeet Singh Sooden, quatre défenseurs des droits humains membres des Christian Peacemaker Teams ont été enlevés à Bagdad. Le groupe armé Glaives de la vérité a revendiqué ces enlèvements et réclamé la libération de tous les prisonniers irakiens. Les quatre hommes étaient toujours retenus en otages à la fin de l’année.
Détention sans inculpation ni jugement
Des milliers de personnes étaient détenues sans inculpation ni jugement par les forces de la coalition. La plupart étaient des sunnites arrêtés dans la région appelée le « triangle sunnite », où les groupes armés opposés à la coalition et au gouvernement irakien étaient particulièrement actifs. Le plus souvent, ces personnes n’étaient pas autorisées à rencontrer leur famille ni un avocat pendant les deux premiers mois de détention.
Les forces américaines continuaient de contrôler quatre grands centres de détention : la prison d’Abou Ghraïb à Bagdad, le camp Bucca à Oum Qasr, non loin de Bassora (sud du pays), le camp Cropper à proximité de l’aéroport international de Bagdad, et Fort Suse près de Sulaymaniyah, dans le nord. À la fin de novembre, plus de 14 000 personnes étaient incarcérées dans ces centres ; quelque 1 400 s’y trouvaient depuis plus d’un an. Neuf femmes étaient détenues au camp Cropper.
Ali Omar Ibrahim al Mashhadani, un caméraman de trente-six ans, a été arrêté, le 8 août, par des soldats américains qui avaient perquisitionné à son domicile à la suite d’une fusillade dans la ville. Son frère, interpellé en même temps que lui et relâché par la suite, a déclaré que les soldats les avaient arrêtés après avoir visionné un film réalisé par Ali al Mashhadani. À la fin de l’année, celui-ci était toujours détenu au camp Bucca, sans avoir été inculpé ni jugé.
Des milliers de prisonniers, dont 500 environ étaient détenus pour des raisons de sécurité, ont été libérés par les forces de la coalition en octobre, quelques jours avant le début du ramadan.
Jayab Mahmood Hassan Humeidat et Ahmad Badran Faris, deux étudiants palestiniens de vingt-deux ans, ont été libérés fin août et sont retournés en Cisjordanie. Durant vingt-huit mois les forces américaines les avaient maintenus en détention sans inculpation ni jugement dans le camp Bucca.
Torture et mauvais traitements
Les forces de sécurité irakiennes avaient régulièrement recours à la torture et aux mauvais traitements. Parmi les méthodes utilisées figuraient la suspension par les poignets, les brûlures à la cigarette, les coups, l’application de décharges électriques sur différentes parties du corps, la strangulation, les fractures de membres et les sévices sexuels. Des cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés dans des centres de détention secrets, des postes de police et des centres de détention officiels de différentes régions du pays, ainsi que dans des locaux dépendant du ministère de l’Intérieur, à Bagdad.
Au mois de février, Majbal Adnan Latif, son frère Ali Adnan Latif et Aidi Mahassin Lifteh, membres présumés de l’Organisation Badr, sont morts en garde à vue après avoir été interpellés par des policiers irakiens à un barrage routier. Leurs corps, retrouvés trois jours plus tard, présentaient des traces de coups et de décharges électriques.
En février, Khalida Zakiya, une femme au foyer de quarante-six ans originaire de Mossoul a été présentée à la télévision dans l’émission Le terrorisme confronté à la justice comme reconnaissant avoir soutenu un groupe armé. Elle a toutefois déclaré par la suite qu’elle avait été contrainte à faire de faux « aveux » ; alors qu’elle était détenue par des agents du ministère de l’Intérieur, elle avait été fouettée avec un câble et menacée de sévices sexuels, a-t-elle expliqué.
En juillet, 12 hommes ont été interpellés par la police irakienne dans le quartier d’Al Amiriya, à Bagdad. Neuf d’entre eux, qui avaient été confinés dans un fourgon de police, sont morts asphyxiés. Les autorités irakiennes ont laissé entendre que ces 12 hommes étaient membres d’un groupe armé et qu’ils avaient échangé des tirs avec des soldats irakiens ou américains. Selon d’autres sources, il s’agissait de maçons arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés d’insurrection et torturés par les commandos de la police puis enfermés - pendant quatorze heures d’affilée pour certains - dans un fourgon de police où la température était extrêmement élevée. Des employés de l’hôpital Yarmouk de Bagdad, où les corps ont été amenés le 11 juillet, auraient confirmé que certains d’entre eux présentaient des signes de torture, notamment de décharges électriques.
En novembre, les forces américaines ont annoncé avoir découvert 173 prisonniers détenus en secret dans un bâtiment du ministère de l’Intérieur. Beaucoup avaient été torturés ou maltraités et souffraient de malnutrition. Les autorités irakiennes ont ordonné, peu après, l’ouverture d’une enquête sur plusieurs allégations de torture, dont celle-ci. Les forces de la coalition auraient torturé et maltraité des détenus.
Poursuivis dans une affaire de torture et de mauvais traitements infligés à des Irakiens, plusieurs membres du 184e régiment d’infanterie de la Garde nationale américaine ont été condamnés, en septembre, à des peines d’emprisonnement. Les prisonniers victimes de ces sévices avaient, semble-t-il, été arrêtés en mars à la suite d’une attaque contre une centrale électrique à proximité de Bagdad. Selon des informations parues dans la presse, les soldats auraient utilisé un pistolet paralysant envoyant des décharges électriques contre ces hommes, qui étaient menottés et avaient les yeux bandés.
Peine de mort
Au cours de l’année, les tribunaux irakiens ont prononcé plusieurs condamnations à la peine capitale. Les premières exécutions depuis le rétablissement de cette peine, en août 2004, ont eu lieu en septembre. Plusieurs dizaines de prisonniers étaient sous le coup d’une condamnation à mort fin 2005.
Ahmad al Jaf, Jasim Abbas et Uday Dawud al Dulaimi, membres du groupe armé Ansar al Sunna, ont été condamnés à mort en mai par un tribunal pénal d’Al Kut, une ville située à environ 170 kilomètres au sud-est de Bagdad. Reconnus coupables d’enlèvement, d’homicide et de viol, ils ont été pendus au mois de septembre.
Attaques illicites
Les forces de la coalition ont fait un usage excessif de la force, ce qui a fait des victimes parmi les civils. Selon certaines sources, les soldats n’ont pas pris les précautions nécessaires pour réduire au minimum les risques encourus par la population civile.
En août, des soldats américains ont tiré sur Walid Khaled, un ingénieur du son irakien qui travaillait pour l’agence de presse Reuters, et sur son collègue Haidar Kadhem. Walid Khaled a été tué et Haidar Kadhem blessé. Les soldats avaient visé la voiture à bord de laquelle se trouvaient les deux hommes, qui se dirigeaient vers le quartier d’Al Adel, à Bagdad, où des insurgés venaient d’attaquer un convoi de la police irakienne. Un responsable américain a affirmé par la suite que les soldats avaient pris les « mesures appropriées », conformes aux consignes d’ouverture du feu.
Le 16 octobre, quelque 70 personnes ont été tuées lors d’un raid aérien à proximité d’Al Ramadi. Selon la police irakienne, une vingtaine d’entre elles étaient des civils, et notamment des enfants qui s’étaient rassemblés autour de l’épave d’un véhicule militaire. Des responsables de l’armée américaine avaient affirmé dans un premier temps qu’il s’agissait de « terroristes ». Ils auraient toutefois annoncé deux jours plus tard l’ouverture d’une enquête sur les allégations selon lesquelles des civils avaient été tués.
Procès de Saddam Hussein et d’autres anciens responsables
L’ancien président Saddam Hussein et sept autres personnes, dont l’ancien vice-président Taha Yassin Ramadhan et l’ancien chef des services de renseignement, Barzan Ibrahim al Tikriti, ont comparu, le 19 octobre, devant le Tribunal pénal suprême irakien, anciennement Tribunal spécial irakien. Ils étaient accusés du massacre de 148 personnes qui avait eu lieu à Al Dujail à la suite de la tentative d’assassinat dont l’ancien président avait fait l’objet dans ce village à majorité chiite, lors d’une visite en 1982.
Amnesty International craignait pour la sécurité des participants au procès, qui se tenait dans la Zone verte fortifiée de Bagdad et qui a été marqué par des irrégularités. Ainsi, la défense n’a pas été autorisée à connaître le nom des témoins de l’accusation ; par ailleurs, le nom du tribunal et les procédures appliquées ont été modifiés juste avant l’ouverture des audiences. Tous passibles de la peine capitale, les accusés ont nié les charges retenues contre eux et contesté la légitimité du tribunal.
Le 20 octobre, Sadoun al Janabi, avocat de la défense, a été enlevé à son cabinet de Bagdad par des hommes armés, puis tué. Un autre avocat de la défense, Adil al Zubeidi, a été tué en novembre par des hommes armés qui ont ouvert le feu en direction de sa voiture.
Le procès n’était pas terminé fin 2005.
Violences contre les femmes
Cette année encore, des femmes et des jeunes filles ont été harcelées, agressées et menacées. Leurs libertés étaient fortement restreintes en raison du manque de sécurité dans la rue. Des pressions ont été exercées sur de nombreuses femmes et jeunes filles pour qu’elles adoptent le hijab (voile islamique) et changent leur comportement. Des femmes ont été enlevées et tuées par des groupes armés.
Le 20 février, Raida Mohammad al Wazzan, une journaliste de trente-cinq ans, présentatrice du journal télévisé d’Al Iraqiya, la chaîne de télévision nationale, a été enlevée par des hommes armés avec son fils de dix ans. L’enfant a été libéré trois jours plus tard, mais le corps de Raida al Wazzan a été retrouvé, le 25 février, dans une rue de Mossoul. Elle avait été abattue d’une balle dans la tête. Cette femme avait déjà auparavant été menacée par des hommes armés qui avaient exigé qu’elle quitte son emploi.
Nord de l’Irak
Des informations ont fait état d’atteintes aux droits humains commises dans les régions du nord de l’Irak contrôlées depuis 1991 par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK).
Le 7 septembre, une personne a été tuée et une trentaine d’autres blessées à Kalar, une ville de la zone contrôlée par l’UPK, lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une foule qui s’était rassemblée devant le bureau du gouverneur et qui protestait contre la pénurie de carburant et l’insuffisance des services publics.
Kamal Sayid Qadir, un écrivain kurde de nationalité autrichienne, a été arrêté au mois d’octobre à Arbil par des agents du service de renseignement du PDK. À l’issue d’un procès inique, il a été condamné au mois de décembre à trente ans d’emprisonnement pour diffamation. On lui reprochait d’avoir publié sur Internet des articles critiques à l’égard des dirigeants du PDK.
Visites d’Amnesty International
Une délégation d’Amnesty International a assisté, en octobre, à l’ouverture du procès de l’ancien président Saddam Hussein et des sept autres accusés.
Autres documents d’Amnesty International
– Irak. Halte à la violence contre les femmes ! Il est temps que les droits des femmes soient enfin respectés (MDE 14/001/2005).
– Iraq : Iraqi Special Tribunal - fair trials not guaranteed (MDE 14/007/2005).
– Irak. Des atteintes aux droits humains perpétrées de sang-froid par des groupes armés (MDE 14/009/2005).
– Irak. La nouvelle Constitution doit protéger les droits humains (MDE 14/023/2005).