NIGERIA

Les violences à caractère politique se sont intensifiées à l’approche des élections de 2007. Plusieurs candidats à des fonctions politiques ont été agressés durant les élections primaires, et au moins quatre auraient été tués. Les forces de sécurité présentes dans le delta du Niger ont commis des violations des droits humains en toute impunité. Les violences contre les femmes, notamment les viols imputables à des agents de l’État, demeuraient monnaie courante. Les défenseurs des droits humains et les journalistes étaient toujours en butte à des actes d’intimidation et risquaient d’être arrêtés arbitrairement. Cette année encore, des condamnations à mort ont été prononcées.






Contexte
Une proposition de modification de la Constitution qui aurait permis au président Obasanjo de briguer un troisième mandat a été rejetée en mai. Toutefois, les médias émettaient toujours l’hypothèse que le président était résolu à se faire réélire.
Les violences politiques se sont intensifiées autour des élections primaires organisées en préparation du scrutin de 2007. Les enquêtes menées par la Commission des crimes économiques et financiers sur 31 des 36 gouverneurs des États et l’ouverture d’une procédure de destitution pour quatre d’entre eux ont encore exacerbé les tensions politiques. Deux procédures de destitution ont été annulées par les tribunaux en décembre. Le vice-président Atiku Abubakar, opposé à la réforme qui aurait permis au président de briguer un troisième mandat, a été suspendu, en septembre, du parti au pouvoir à la suite d’allégations de corruption. Il a confirmé par la suite son intention de se se présenter à l’élection présidentielle en 2007 en tant que candidat du parti de l’opposition Action Congress. En décembre, le président Obasanjo a entamé une procédure en vue du remplacement d’Atiku Abubakar au poste de la vice-présidence, une mesure qui pourrait permettre l’arrestation de ce dernier. Atiku Abubakar a formé un recours devant les tribunaux.
En mars, la présidente du Libéria, Ellen Johnson-Sirleaf, a sollicité du gouvernement nigérian l’extradition de l’ancien président libérien Charles Taylor afin qu’il soit jugé par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Charles Taylor, qui s’était enfui, a été capturé par les forces de sécurité nigérianes et remis, le 29 mars, au Tribunal spécial.
En juin, l’inspecteur général de la police a inauguré des bureaux des droits humains dans les postes de police de Lagos. Toutefois, selon des défenseurs des droits fondamentaux, là où ils existaient, ces mécanismes manquaient de moyens et étaient inefficaces.

Peine de mort
Quelque 500 prisonniers étaient sous le coup d’une sentence capitale. Aucune exécution n’a été signalée. Au moins 18 condamnations à mort ont toutefois été prononcées au cours de l’année.
Dans un rapport rendu public en janvier, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, qui s’était rendu au Nigéria en 2005, a mis en évidence trois grands sujets de préoccupation relatifs à la peine de mort. Il a relevé de fréquentes irrégularités de procédure, notamment le recours de la police à la torture pour arracher des « aveux » et l’absence d’avocats dans des procès pouvant déboucher sur une condamnation à la peine capitale. Il a également dénoncé les conditions abominables et la durée inadmissible – vingt ans en moyenne – de la détention des condamnés à mort. Enfin, il a critiqué le fait que, dans 12 États du pays, des condamnations à mort par lapidation avaient été prononcées pour adultère ou sodomie, en violation des dispositions législatives nigérianes et du droit international.
Le 1er octobre, à l’occasion de la fête de l’indépendance, les sentences capitales de 107 prisonniers auraient été commuées en peines de réclusion à perpétuité.

Pétrole, injustices et violences
Dans le delta du Niger, les membres des forces de sécurité se sont couramment rendus coupables de violations des droits humains, qui ont notamment pris la forme d’exécutions extrajudiciaires, de torture et de destructions de logements.
L’année a été marquée par une augmentation des attaques menées par des militants contre les installations pétrolières dans le delta du Niger. Plusieurs dizaines d’employés de compagnies pétrolières ont été enlevés. Une nouvelle formation – le Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND, Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger) – a revendiqué plusieurs enlèvements ainsi que des attaques qui se sont soldées par la mort de plus de 10 agents des forces de sécurité. Les attaques menées dans cette région ont entraîné une baisse d’environ 25 p. cent de la production pétrolière.
Selon certaines sources, des groupes armés opérant dans le delta du Niger auraient noué des liens avec des responsables politiques, à l’approche des élections prévues pour avril 2007, ce qui faisait craindre une escalade de la violence. D’après des organisations non gouvernementales locales, plusieurs dizaines de personnes ont été tuées lors de violences à caractère politique, et plusieurs élections primaires ont dû être reportées.
À la connaissance d’Amnesty International, aucune mesure n’a été prise pour traduire en justice les membres des forces de sécurité qui se seraient rendus responsables de violations graves des droits humains en février 2005 à Odioma, au cours d’un raid de la force d’intervention interarmes. Dix-sept personnes au moins avaient été tuées et des actes de torture, notamment des viols, avaient été commis. Le rapport de la commission judiciaire désignée après l’attaque d’Odioma pour enquêter sur ces faits n’a pas été rendu public. Des membres des forces de sécurité seraient toujours en poste à Odioma et de nouvelles violations des droits fondamentaux ont été signalées en février. Aucune information n’a fait état de violations par la suite.
Le rapport de la commission judiciaire chargée d’enquêter sur les événements du 4 février 2005 n’avait pas été rendu public à la fin de l’année ; ce jour-là, des soldats avaient tiré pour disperser des manifestants au terminal pétrolier de Chevron Nigeria à Escravos, tuant une personne et en blessant au moins une trentaine.

Exécutions extrajudiciaires
Cette année encore, des membres de la police et des forces de sécurité ont procédé à de nombreuses exécutions extrajudiciaires. Des civils ont notamment été tués par des policiers lors de contrôles routiers de routine ou parce qu’ils refusaient de verser un pot-de-vin ; des personnes soupçonnées de vol à main armée ont été abattues au moment de leur arrestation et des détenus ont été sommairement exécutés. Le gouvernement n’a mis en œuvre aucune véritable mesure pour mettre un terme à ces homicides, dont le nombre était alarmant.
En août, 12 bandits armés présumés, dont un adolescent de moins de dix-huit ans, auraient été exécutés illégalement par des policiers dans l’État d’Abia. Ils avaient été interpellés lors d’une descente de police au cours de laquelle quatre autres suspects ont été tués. Le 10 août, la police d’Abia avait présenté les suspects à des journalistes et à d’autres personnes. Selon un témoin, certains d’entre eux semblaient avoir été blessés par balle. Les corps des 12 suspects ont été retrouvés le lendemain devant la morgue d’un hôpital public, où ils auraient été déposés par des policiers. Aucune enquête n’a été ordonnée sur les circonstances de la mort de ces hommes et personne n’a été traduit en justice.

Violences à caractère politique
Des violences de grande ampleur ont été commises dans le contexte des élections prévues pour avril 2007 aux niveaux de la fédération et des États. Il y a eu entre autres durant les élections primaires des assassinats politiques et des affrontements entre des partisans des différents candidats. Le gouvernement n’a pris aucune véritable mesure pour mettre un terme à cette violence et n’a pas cherché à élucider le rôle joué par certains hommes politiques qui auraient fomenté les troubles. Les enquêtes menées par la police et les arrestations opérées à la suite de certains assassinats et actes de violence à caractère politique ont été dénoncées comme politiquement biaisées.
En août, des médias indépendants ont rapporté les propos de l’inspecteur général de la police, selon lequel des responsables politiques recrutaient des étudiants afin qu’ils s’engagent dans la violence politique. Au cours du même mois, le directeur de la police de l’État d’Ebonyi a déclaré qu’un certain nombre de candidats auraient commencé à entraîner des « voyous » en vue des élections. Il a enjoint à tous les candidats à des fonctions politiques de mettre un terme à ce type d’activités, mais aucune autre mesure n’a, semble-t-il, été prise. Dans plusieurs autres États, des allégations selon lesquelles des responsables politiques approuvaient et encourageaient les violences ont été formulées au cours de l’année.
Le 27 juillet, Chief Funsho Williams, un membre du PDP qui briguait le poste de gouverneur dans l’État de Lagos, a été tué à son domicile. L’inspecteur général de la police a affirmé que 244 suspects, parmi lesquels figuraient des membres du PDP ainsi que les assistants de Chief Funsho Williams et quatre policiers, avaient été arrêtés à la suite de ce meurtre. À la fin de l’année, 209 suspects avaient été libérés faute de preuves, tandis que les 35 autres étaient maintenus en détention. On ignorait les faits qui leur étaient reprochés.
Ayo Daramola, candidat aux fonctions de gouverneur de l’État d’Ekiti, est mort poignardé à son domicile le 14 août. La police a arrêté huit personnes, dont un adjoint d’Ayo Fayose, ancien gouverneur de cet État qui a fait l’objet en octobre d’une procédure de destitution dans une autre affaire. Un autre suspect aurait été abattu alors qu’il tentait d’échapper à l’arrestation.

Violences contre les femmes
Les violences contre les femmes, notamment au sein de la famille, ainsi que les violences sexuelles commises par des agents de l’État et d’autres individus, restaient très répandues.
La culture bien établie de l’impunité pour les membres de la police et des forces de sécurité qui ont commis des violations des droits humains figurait parmi les facteurs sous-jacents de ce phénomène ; par ailleurs, les autorités n’ont pas fait preuve d’une diligence suffisante pour s’attaquer au problème des violences sexuelles et les empêcher, que leurs auteurs soient des agents gouvernementaux ou non. En août, un projet de loi visant à incorporer la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes [ONU] dans le droit nigérian a été soumis au Sénat, mais le texte n’avait pas été adopté à la fin de l’année. Le projet de loi sur la violence domestique et les questions s’y rapportant, qui a été examiné par le Parlement de l’État de Lagos, n’a pas été adopté en 2006.
En décembre, le gouvernement fédéral a annoncé deux projets de loi portant sur la réforme des lois discriminatoires contre les femmes et sur l’éradication de la violence dans la société ; toutes les formes de violence, notamment la violence domestique, devaient ainsi être couvertes.

Libérations de prisonniers et détention provisoire
En janvier, le gouvernement fédéral a annoncé une initiative visant à accélérer le jugement ou la remise en liberté sans condition de quelque 25 000 détenus, sur une population carcérale évaluée à 45 000. Aucune concrétisation de cette mesure n’était toutefois visible à la fin de l’année. En novembre, il a annoncé un réexamen cas par cas de la situation des détenus. Là encore, aucune mesure ne semblait avoir été prise dans ce sens à la fin de l’année.
Les deux tiers des personnes incarcérées étaient en attente de leur procès et la durée moyenne de la détention provisoire était estimée à cinq ans au moins ; de nombreux prisonniers étaient incarcérés depuis dix ans, voire plus, sans avoir été jugés.

Impunité
La commission judiciaire chargée d’enquêter sur le meurtre d’une femme et de cinq marchands ibos, commis par des policiers en juin 2005, a remis son rapport au gouvernement en août 2005. Il a été rendu public par la CLEEN Foundation, une organisation de la société civile. Huit policiers ont été accusés de meurtre, mais leur procès n’était pas terminé à la fin de l’année. Le 14 août, la haute cour d’Abuja a remis en liberté sous caution deux des policiers accusés, un directeur adjoint et un agent.

Journalistes et défenseurs des droits humains
Cette année encore, des défenseurs des droits humains et des journalistes qui critiquaient le gouvernement, et notamment le président Obasanjo, ont été la cible de manœuvres d’intimidation et de harcèlement.
En juin, Bukhari Bello a été relevé de ses fonctions de secrétaire exécutif de la Commission nationale des droits humains, quatre ans avant l’expiration de son contrat. Son renvoi était, semble-t-il, lié à ses observations sur la répression exercée par les services de sécurité contre les médias et à ses critiques du gouvernement.
Babafemi Ojudu, rédacteur en chef du magazine The News, a été arrêté à Abuja et retenu jusqu’au lendemain, sur ordre, semble-t-il, de l’inspecteur général de la police. Il n’a pas été inculpé, mais il a été interrogé sur les propos tenus par un homme soupçonné de meurtre, selon lequel le journaliste avait tenté de susciter des allégations mensongères au sujet du gouverneur destitué d’un État.
Le 22 décembre, Godwin Agbroko, directeur du conseil de rédaction du journal indépendant Thisday, a été retrouvé mort à Lagos. Il a été abattu dans des circonstances suspectes.

Expulsions
Plusieurs cas d’expulsion ont été signalés ; les menaces d’éviction forcée étaient également fréquentes. Le Nigéria a été désigné par le Centre sur les droits au logement et les expulsions comme étant l’un des trois pays où les autorités bafouent le plus les droits au logement.
L’urbanisation dans le cadre du schéma directeur d’Abuja a entraîné plusieurs opérations d’expulsions. Le ministre du Territoire de la capitale fédérale aurait déclaré, en novembre, qu’aucune indemnisation n’était justifiée pour environ 80 p. cent des maisons démolies dans le centre d’Abuja et aux alentours, car elles avaient été construites illégalement.

Projet de loi interdisant les relations homosexuelles
En janvier, le ministre de la Justice a soumis au Conseil exécutif fédéral un projet de loi interdisant les mariages homosexuels et la participation à ces mariages, ainsi que les relations homosexuelles en public et en privé. Ce texte prévoyait une peine de cinq ans d’emprisonnement pour quiconque contracte un mariage homosexuel ou prête assistance à une telle union. Il prohibait en outre l’enregistrement des associations homosexuelles. Le projet de loi a été soumis au Sénat en avril ; il n’avait pas été adopté ni amendé à la fin de l’année.

Visites d’Amnesty International

Une délégation d’Amnesty International s’est rendue au Nigéria en janvier-février, et une autre en novembre-décembre.

Autres documents d’Amnesty International

 Nigéria. Makoko (État de Lagos) : les expulsions forcées laissent les pauvres sans abri (AFR 44/001/2006).

 Nigeria : Open Letter to President Obasanjo (AFR 44/008/2006).

 Nigeria : AI statement for the public hearing on the hearing on the domestic violence and related matters bill (AFR 44/010/2006).

 Nigeria : Government interference with the independence of the National Human Rights Commission (AFR 44/012/2006).

 Nigeria : Same Sex Bill negates Nigeria’s obligations to fundamental human rights (AFR 44/013/2006).

 Nigéria. Pétrole, pauvreté et violence (AFR 44/017/2006).

 Nigeria : Rape - the silent weapon (AFR 44/020/2006).

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