OUZBEKISTAN

Les autorités refusaient toujours qu’une commission indépendante internationale enquête sur le massacre de plusieurs centaines de personnes non armées, perpétré en mai 2005 à Andijan. La liberté d’expression et l’accès à l’information faisaient l’objet de restrictions croissantes. Les défenseurs des droits humains, de même que certains journalistes indépendants locaux, étaient toujours en butte à des menaces et à des actes de harcèlement. Certains ont été emprisonnés après avoir été condamnés sur la base d’accusations forgées de toutes pièces et beaucoup auraient été torturés ou maltraités en détention. De très nombreuses personnes ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement pour leur participation présumée aux événements d’Andijan, la plupart du temps à l’issue de procès secrets ou à huis clos. Parmi elles figuraient des défenseurs des droits humains bien connus. Un certain nombre de personnes soupçonnées d’appartenir à des mouvements islamiques et renvoyées de force en Ouzbékistan ont été placées en détention au secret. Plusieurs ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement, à l’issue de procès non équitables.





Contexte
La Banque mondiale a annoncé en mars qu’elle suspendait ses prêts à l’Ouzbékistan. Le président de la République, Islam Karimov, a accusé la Banque de participer à « une guerre de l’information éhontée » contre l’Ouzbékistan.
Toujours au mois de mars, le gouvernement ouzbek a intimé au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de quitter le pays dans un délai de quatre semaines. Le HCR est donc parti au mois d’avril, non sans faire part de sa vive inquiétude quant au sort des quelque 2 000 réfugiés venus d’Afghanistan à qui il avait jusque là apporté son assistance.
Un an après le massacre perpétré en mai 2005 à Andijan, où les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur des manifestants en grande majorité non violents, et causé ainsi la mort de plusieurs centaines de personnes, les autorités ont cherché à faire en sorte que seule la version officielle des événements soit entendue. Le gouvernement refusait toujours qu’une commission indépendante internationale vienne enquêter sur ce drame. Il aurait toutefois répondu à certaines des questions soulevées par l’Union européenne, lors de discussions bilatérales qui ont eu lieu au cours du second semestre. L’Union a réexaminé en novembre les mesures d’interdiction de délivrance de visas et de livraisons d’armes en Ouzbékistan décidées en 2005, et les a prolongées, respectivement, de six et douze mois. Elle a repris ses entretiens bilatéraux avec l’Ouzbékistan, dans le cadre de l’accord de partenariat et de coopération qui les liait. Une réunion d’experts sur la question du massacre d’Andijan a notamment eu lieu en décembre. Le président Islam Karimov a reconnu publiquement, en octobre, que la responsabilité des autorités locales et régionales pourrait être engagée dans ces événements. Il a démis de ses fonctions le gouverneur de la région d’Andijan, à qui il a reproché de ne pas avoir su mettre un terme aux troubles qui avaient éclaté dans la ville.
La presse et les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères ont fait l’objet de pressions accrues tout au long de l’année. Plusieurs organisations (ayant généralement leur siège aux États-Unis ou financées par ce pays) ont été contraintes de cesser toute activité en Ouzbékistan, leurs accréditations ayant été annulées.
L’Ouzbékistan a protesté en novembre contre la décision du département d’État des États-Unis de le mettre sur la liste des « pays particulièrement préoccupants » pour non-respect de la liberté religieuse.
Lors de sa session de septembre, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU s’est penché sur le cas de l’Ouzbékistan dans le cadre d’une procédure confidentielle. Il a décidé de maintenir ce pays sous surveillance. L’Assemblée générale de l’ONU s’est en revanche prononcée contre l’adoption d’une résolution concernant l’Ouzbékistan. Répondant aux profondes préoccupations en matière de droits humains exprimées en août par les Nations unies, les autorités ouzbèkes ont refusé d’admettre l’existence d’atteintes graves et systématiques aux droits fondamentaux. Elles ont notamment contesté les déclarations du rapporteur spécial sur la torture, qui affirmait que la torture restait une pratique systématique, ainsi que les informations selon lesquelles le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’aurait pas pu se rendre dans les prisons et les autres centres de détention. Le CICR a déclaré en novembre qu’il ne pouvait plus, depuis deux ans, visiter les centres de détention, et que les négociations engagées avec les autorités pour obtenir l’autorisation de reprendre ses inspections s’avéraient difficiles.

Défenseurs des droits humains
La situation des défenseurs des droits humains a continué de se dégrader. En septembre, onze militants devaient assister à une rencontre à l’ambassade d’Allemagne à Tachkent ; six n’ont pas pu s’y rendre car ils ont été menacés, assignés à domicile ou placés en détention par la police. Au mois de novembre, des défenseurs des droits humains, qui manifestaient devant le ministère des Affaires étrangères pour demander l’ouverture d’un dialogue avec les autorités, ont été arrêtés et assignés à domicile.
Tolib Iakoubov et Abdoujalil Boïmatov, respectivement président et vice-président de l’Association des droits humains d’Ouzbékistan (OPCHU), ont quitté le pays au mois d’août après avoir fait l’objet de menaces répétées. Le même mois, le responsable de l’antenne de Djizak de l’OPCHU, Bakhtior Khamroïev, a été agressé par une vingtaine de femmes qui ont fait irruption dans son appartement et l’ont roué de coups en l’accusant d’être un traître. Deux diplomates britanniques se trouvaient en visite chez la victime au moment des faits. La police n’est intervenue qu’une fois que Bakhtior Khamroïev avait été frappé à la tête. Le personnel de l’hôpital voisin aurait refusé de le soigner. Le fils de Bakhtior Khamroïev, âgé de vingt et un ans, a été arrêté au mois d’août pour houliganisme, une accusation qui serait forgée de toutes pièces. Il a été condamné en septembre à trois ans d’emprisonnement, à l’issue d’un procès non équitable.
Saïdjakhon Zaïnabitdinov, président de l’organisation de défense des droits humains indépendante Appeliatsia (Appel), basée à Andijan, a été condamné en janvier à sept ans d’emprisonnement par un tribunal de Tachkent, à l’issue d’un procès qui s’est déroulé à huis clos. Selon des informations recueillies en décembre, cet homme était détenu au secret à la prison de Tachkent.
Toujours au mois de janvier, un défenseur des droits humains d’Andijan, Dilmourod Mouhiddinov, a été condamné à cinq ans d’emprisonnement parce qu’il avait été trouvé en possession d’une déclaration relative aux événements d’Andijan publiée par le parti laïc d’opposition Birlik (L’Unité).
En mars, Moutabar Tadjibaïeva, présidente du Club des cœurs ardents, une organisation de défense des droits humains, et cofondatrice du mouvement national Société civile, a été condamnée à huit ans d’emprisonnement par un tribunal de Tachkent. Son appel a été rejeté en mai. Elle a été incarcérée à la prison pour femmes de Tachkent. En juillet, elle a été internée pendant dix jours dans les services psychiatriques de l’établissement, apparemment à titre de punition parce qu’elle continuait de s’exprimer depuis la prison. Une avocate la représentant a déclaré au mois d’août qu’elle ne pouvait plus assurer sa défense, des menaces ayant été proférées à plusieurs reprises contre elle-même et sa famille. Les proches et les avocats de Moutabar Tadjibaïeva ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas lui rendre visite librement, qu’elle était régulièrement mise au cachot pour des périodes pouvant atteindre dix jours et que sa santé était en train de se dégrader.
En avril, Azam Farmonov et Alicher Karamatov, deux membres de l’OPCHU de la région du Syrdaria, ont été arrêtés arbitrairement à Goulistan. Ils avaient tous les deux pris la défense d’agriculteurs des environs, qui accusaient certains représentants de l’administration du district d’extorsion et de corruption. Azam Farmonov et Alicher Karamatov ont été écroués au centre de détention provisoire de Khavast. Ils y sont restés au secret pendant au moins une semaine, au cours de laquelle ils auraient été torturés. Leurs tortionnaires les auraient notamment étouffés et les auraient frappés sur les jambes et les talons à coups de matraque. Au mois de juin, les deux hommes ont été condamnés à neuf ans d’emprisonnement pour extorsion, à l’issue d’un procès où ils n’ont pas bénéficié de l’assistance d’un avocat.

Atteintes à la liberté d’expression
Une nouvelle réglementation adoptée fin février interdisait désormais aux ressortissants ouzbeks de travailler ou de collaborer avec les organes de presse fonctionnant grâce à des capitaux étrangers, sauf s’ils étaient des journalistes accrédités. De plus, les journalistes étrangers pouvaient perdre leur accréditation si leurs articles étaient considérés comme des « ingérences dans les affaires intérieures » du pays. Au mois de mars, le ministère des Affaires étrangères a révoqué l’accréditation d’un correspondant local de la station de radio allemande Deutsche Welle parce qu’il avait prétendument rapporté des informations mensongères concernant un accident de car mortel survenu dans la région de Boukhara.
Au mois de septembre, le journaliste indépendant Oulougbek Khaïdarov a été arrêté arbitrairement à un arrêt d’autobus, dans la ville de Djizak. Il a été inculpé d’extorsion. Selon les informations recueillies, quelques instants avant son arrestation, il a été légèrement bousculé par une femme qui lui a mis 400 dollars (environ 300 euros) dans la poche. Il a immédiatement jeté cet argent au sol, mais des agents de la force publique sont alors arrivés et l’ont arrêté. En octobre, cet homme a été condamné à six ans d’emprisonnement, à l’issue d’un procès inéquitable. Il a cependant été remis en liberté en appel le mois suivant. Deux jours avant l’arrestation d’Oulougbek Khaïdarov, un autre journaliste, Djamched Karimov, avait disparu à Djizak, après avoir rendu visite à sa mère hospitalisée. Sa famille pensait que sa disparition était directement liée à ses activités professionnelles. Selon certaines informations parvenues en octobre, il aurait été interné de force dans un hôpital psychiatrique. Les autorités locales affirmaient toutefois ne pas avoir connaissance de sa situation. Ses proches ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation de la part de responsables locaux des pouvoirs publics, et leur ligne téléphonique a été coupée après qu’ils eurent alerté plusieurs organisations internationales. Djamched Karimov et Oulougbek Khaïdarov avaient tous deux indiqué qu’ils s’estimaient en danger ; ils se préparaient à quitter le pays.
Le 8 septembre, Dadakhon Khassanov, auteur-compositeur et interprète reconnu, a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir écrit et interprété une chanson sur les événements d’Andijan. Son procès, qui devait être public, a en réalité eu lieu à huis clos. Quelques mois auparavant, deux hommes qui avaient été surpris alors qu’ils écoutaient des enregistrements de Dadakhon Khassanov avaient été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour possession de documents subversifs.

Renvoi forcé de personnes soupçonnées d’activités terroristes
Cette année encore, les autorités ont cherché à obtenir l’extradition de personnes soupçonnées d’appartenir à des partis ou à des mouvements islamiques interdits, comme Hizb-ut-Tahrir (Parti de la libération) ou Akramia, et qui s’étaient réfugiées dans les pays voisins, mais aussi en Russie et en Ukraine. La plupart des hommes renvoyés de force en Ouzbékistan ont été placés en détention au secret. Les gouvernements de la Russie, de l’Ukraine, du Kazakhstan et du Kirghizistan collaboraient manifestement avec l’Ouzbékistan au nom de la sécurité régionale et de la « guerre contre le terrorisme », au mépris des obligations leur incombant en vertu du droit international relatif aux droits humains et du droit international relatif aux réfugiés, qui interdisent le renvoi d’une personne dans un pays où elle risque de subir de graves atteintes à ses droits fondamentaux.
L’imam Roukhiddin Fakhrouddinov a été condamné en septembre à dix-sept ans d’emprisonnement, à l’issue d’un procès qui s’est déroulé à huis clos à Tachkent. Expulsé du Kazakhstan en novembre 2005, il avait été maintenu en détention au secret jusqu’au mois de mars 2006.
Au mois d’août, les services du procureur général de la Russie ont suspendu la procédure d’extradition engagée à l’encontre de 13 ressortissants ouzbeks détenus à Ivanovo, dans l’attente des résultats du recours introduit par ces derniers devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Douze personnes qui avaient fui le pays au lendemain des événements d’Andijan sont rentrées des États-Unis à la mi-juillet. En août, ce sont 41 réfugiés originaires d’Andijan qui avaient été évacués par le HCR en Roumanie, puis aux États-Unis, qui sont rentrés chez eux. Un troisième groupe de réfugiés installés en Idaho (États-Unis) devait également rentrer mais n’avait pas regagné l’Ouzbékistan à la fin de l’année. Deux personnes qui s’étaient installées dans cet État américain sont mortes, respectivement en août et en septembre, dans des circonstances mystérieuses. Certains de ces réfugiés auraient fait l’objet de pressions visant à les faire rentrer en Ouzbékistan. De retour dans leur pays, ils étaient étroitement surveillés et obligés de se présenter régulièrement à la police locale. À la fin de l’année, ni le HCR ni aucun autre organisme ou représentant diplomatique n’avait pu les rencontrer. Selon certaines informations parvenues au mois de novembre, deux de ces anciens réfugiés auraient été placés en détention.

Arrestations arbitraires et procès inéquitables

Les arrestations arbitraires et les procès non équitables de personnes soupçonnées d’appartenir à des organisations islamiques interdites ont continué. Dans de nombreux cas, les suspects auraient, selon toute vraisemblance, été torturés ou maltraités.
Des dizaines de procès collectifs ont eu lieu en 2006 dans la seule région de Tachkent. Au moins 257 personnes ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement pour leur participation présumée aux événements d’Andijan. La plupart de ces procès se sont déroulés à huis clos ou en secret. Des milliers de personnes reconnues coupables d’avoir soutenu, d’une manière ou d’une autre, des organisations islamiques interdites purgeaient toujours de lourdes peines d’emprisonnement, dans des conditions qui s’apparentaient à un traitement cruel, inhumain et dégradant.
Au mois de mars, un tribunal de Tachkent a condamné Sanjar Oumarov à dix ans et demi d’emprisonnement. Dirigeant de la coalition Ouzbékistan ensoleillé, une organisation politique laïque, cet opposant avait été déclaré coupable d’escroquerie, de détournement de fonds, de blanchiment d’argent et de fraude fiscale. Il avait été arrêté en octobre 2005, au retour d’un voyage aux États-Unis. Sanjar Oumarov a affirmé que les charges pesant sur lui avaient été forgées de toutes pièces par des rivaux dans le milieu des affaires. Les partisans de sa coalition estimaient quant à eux que les poursuites engagées contre lui avaient été motivées par des considérations politiques. Des observateurs des droits humains présents lors du procès ont déclaré que l’accusation n’avait pas prouvé la réalité des faits reprochés. Au mois d’avril, une cour d’appel de Tachkent a réduit la peine de trois années. Lors de l’audience de la cour d’appel, il est apparu que l’état de santé de Sanjar Oumarov s’était fortement dégradé. Il a été transféré en mai à la colonie pénitentiaire de Boukhara et, au mois de juin, il a passé seize jours au cachot. Selon sa famille et ses avocats, il ne pouvait pas recevoir de visites et continuait d’être régulièrement placé au cachot à titre punitif. Un recours était en instance devant la Cour suprême.
Au mois de mai, la coordinatrice de la coalition Ouzbékistan ensoleillé, Nodira Khidoïatova, condamnée en première instance à dix ans d’emprisonnement, a été remise en liberté à l’issue de son jugement en appel, sa peine ayant été commuée en sept ans d’emprisonnement avec sursis. Ses amis et sa famille auraient versé 120 millions de soms (environ 77 000 euros) à l’État ouzbek en échange de sa libération. Nodira Khidoïatova avait été condamnée le 1er mars pour fraude fiscale, détournement de fonds et appartenance à une organisation criminelle.

Peine de mort
Malgré le décret présidentiel d’août 2005 qui abolissait la peine de mort à compter de janvier 2008, rien n’a été fait pour introduire un moratoire sur les exécutions ou les condamnations. Les autorités prétendaient qu’aucune condamnation à mort n’avait été prononcée en Ouzbékistan depuis environ deux ans. Plusieurs ONG estimaient cependant qu’au moins huit personnes avaient été condamnées à la peine capitale.
En mars, Alexeï Bouriatchek, un détenu qui se trouvait dans le quartier des condamnés à mort de la prison de Tachkent, est mort de la tuberculose. Cette information a suscité une profonde inquiétude pour la santé de ses codétenus et du personnel de l’établissement. Iskandar Khoudaïberganov, que les médecins ont reconnu comme atteint de la tuberculose en 2004, ne recevait apparemment pas les soins que son état exigeait.

Autres documents d’Amnesty International

 Commonwealth of Independent States : Positive trend on the abolition of the death penalty but more needs to be done (EUR 04/003/2006).

 Uzbekistan : Health Professional Action – Tuberculosis in Prison : Case of Iskandar Khudaiberganov (EUR 62/009/2006).

 Uzbekistan : Impunity must not prevail (EUR 62/010/2006).

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