Contexte
Les organisations de défense des droits humains ont critiqué l’élection de la Tunisie au nouveau Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en mai, du fait des restrictions sévères imposées aux libertés fondamentales dans le pays.
En novembre, un groupe de parlementaires a appelé le président Ben Ali à se représenter à l’élection de 2009, date à laquelle il aura exercé le pouvoir pendant vingt-deux ans. Des modifications apportées à la Constitution, à la suite d’un référendum organisé en 2002, permettaient au président de se représenter sans limitation pour des mandats successifs de cinq ans.
Cent trente-cinq prisonniers ont été remis en liberté conditionnelle à la faveur d’amnisties ; 81 ont été élargis en février et les autres ont recouvré la liberté en novembre. Ils étaient tous incarcérés depuis plus de quatorze ans, après avoir été jugés de manière inique et reconnus coupables d’appartenance à l’organisation islamiste interdite Ennahda par les tribunaux militaires de Bouchoucha et Bab Saadoun en 1992. Une centaine d’autres membres d’Ennahda étaient maintenus en détention. Certains étaient, semble-t-il, en mauvaise santé, du fait des conditions carcérales extrêmement pénibles et des tortures subies lors de la détention qui avait précédé leur procès, des années auparavant. Plusieurs d’entre eux avaient besoin de soins médicaux de toute urgence.
En juin, le Parlement européen a adopté une résolution réclamant l’organisation d’une session du conseil d’association Union européenne – Tunisie, afin de discuter de la situation des droits humains dans le pays, après le maintien de l’interdiction visant le congrès de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH), une organisation non gouvernementale. En octobre, l’Union européenne a de nouveau critiqué le gouvernement tunisien à la suite de l’annulation d’une conférence internationale sur le droit au travail dans l’espace euro-méditerranéen, qui devait se tenir en septembre à Tunis.
En décembre, des fusillades ont eu lieu dans le sud de Tunis entre la police et des membres présumés du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui serait lié à Al Qaïda. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées et de nombreuses autres, dont des policiers, ont été blessées.
Atteintes aux droits humains dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme »
Les autorités n’ont pas répondu à la demande formulée par le rapporteur spécial des Nations unies sur la protection et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. Le rapporteur voulait se rendre en Tunisie pour y examiner la situation des droits humains. Comme les années précédentes, des suspects de terrorisme ont été arrêtés, emprisonnés et jugés en vertu de la loi antiterroriste controversée qui avait été adoptée en 2003. Certains ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. Les dispositions de cette loi et du Code de justice militaire étaient également utilisées contre des citoyens tunisiens renvoyés contre leur gré par les autorités d’autres pays, notamment de Bosnie-Herzégovine, de Bulgarie et d’Italie. Bon nombre d’entre eux, placés en détention à leur retour en Tunisie, ont été inculpés d’appartenance à des organisations terroristes opérant à l’étranger. Certains ont été traduits devant des juridictions militaires. Dans ce genre d’affaires, les contacts des avocats avec leurs clients étaient soumis à des restrictions de plus en plus nombreuses.
En juin et en juillet, de très nombreuses personnes soupçonnées d’activités terroristes, dont des membres présumés du GSPC, ont été arrêtées et maintenues au secret, dans certains cas pendant plusieurs semaines, avant d’être déférées à un tribunal pénal de Tunis qui devait les juger. Ces prisonniers ont, semble-t-il, été torturés pendant leur garde à vue. À la fin de l’année, ils étaient toujours en détention et le jugement n’avait pas eu lieu. Beaucoup ont été transférés dans des prisons éloignées, distantes de plusieurs centaines de kilomètres du lieu de résidence de leur famille.
• Hicham Saadi, qui avait été condamné en 2004 à une peine de douze ans d’emprisonnement pour activités terroristes, a été libéré en février à la faveur d’une amnistie présidentielle. Il a de nouveau été arrêté en juin et maintenu au secret pendant vingt-cinq jours, au cours desquels il aurait été torturé. Cet homme a été accusé d’appartenance au GSCP. En octobre, il a tenté de s’évader en sautant par une fenêtre lors de sa comparution devant un juge d’instruction de Tunis. À la fin de l’année, Il était toujours en détention dans l’attente de son procès.
• En septembre, Badreddine Ferchichi (alias Abu Malek) a été renvoyé en Tunisie par la Bosnie-Herzégovine après le rejet de sa demande d’asile. Détenu pendant plusieurs jours, il aurait été maltraité. Il a comparu, le 6 septembre, devant un juge militaire qui l’a inculpé, aux termes du Code de justice militaire, de « service, en temps de paix, dans les rangs d’une armée étrangère ou d’une organisation terroriste opérant à l’étranger ». Cet homme avait combattu comme volontaire au sein des forces musulmanes bosniaques durant la guerre de 1992 à 1995 en ex-Yougoslavie. Maintenu en détention à la fin de l’année dans l’attente de son procès devant un tribunal militaire, il était passible d’une peine de dix ans d’emprisonnement.
• Six membres du « groupe de Zarzis » ont été libérés en février. Abdelghaffar Guiza, Omar Chlendi, Hamza Mahroug, Ridha Ben Hajj Ibrahim, Omar Rached et Aymen Mcharek, tous originaires de Zarzis, dans le sud du pays, avaient été arrêtés en 2003. Ils avaient été condamnés, en avril 2004, à des peines d’emprisonnement pour activités terroristes à l’issue d’un procès inéquitable qui s’était déroulé devant un tribunal pénal de Tunis. Ils ont été placés en garde à vue au secret et des « aveux » leur auraient été arrachés sous la torture pendant cette période. Ces éléments ont par la suite été utilisés comme preuve principale contre eux.
Liberté d’expression
La liberté d’expression restait soumise à d’importantes restrictions. Au moins deux journalistes qui critiquaient le gouvernement ont été licenciés par la direction de leur journal. D’autres ont pu continuer à exercer leur profession, mais ont subi des pressions de la part des autorités et fait l’objet de procédures judiciaires visant à les intimider.
• En avril, les autorités ont empêché la réunion du conseil d’administration du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT), dont les membres continuaient de se voir intimidés et harcelés par la police. Cette année, Lotfi Hajji, le président du SJT, a été détenu à au moins trois reprises pendant de courtes périodes.
• Les autorités ont intensifié le harcèlement contre les femmes portant le hijab (voile islamique).
Ces actions faisaient suite aux déclarations des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, et à celles du secrétaire général du parti politique au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique, qui critiquaient l’augmentation du port du hijab chez les femmes et les jeunes filles, et de la barbe et du qamis (tunique) chez les hommes. Les déclarations allaient également dans le sens d’une application plus stricte du décret 108 de 1985 du ministère de l’Éducation, qui interdit aux femmes de porter le hijab dans les établissements scolaires ou lorsqu’elles travaillent pour le gouvernement. Des femmes auraient reçu l’ordre d’ôter leur voile avant d’être autorisées à entrer dans une école, une université ou un lieu de travail, et d’autres ont dû l’enlever dans la rue. Certaines auraient été conduites dans des postes de police où on leur aurait demandé de s’engager par écrit à ne plus porter le hijab.
Militants et organisations pour la défense des droits humains
Les défenseurs des droits humains continuaient d’être la cible de mesures de harcèlement, et parfois de violences physiques. Bon nombre étaient surveillés par les autorités, de même que leur famille et leurs amis, et leurs activités étaient fortement restreintes. Plusieurs organisations non gouvernementales de défense des droits humains n’avaient toujours pas été reconnues légalement.
• La LTDH était toujours empêchée de tenir son sixième congrès et seuls les membres de son comité directeur pouvaient se rendre au siège de la Ligue, situé à Tunis. Les bureaux régionaux de cette organisation restaient inaccessibles au public ainsi qu’aux membres élus. L’examen de la plainte contre le comité directeur de la LTDH a été renvoyé à janvier 2007. Les autorités ont pris contact avec les ambassades de plusieurs pays et auraient menacé de rompre les relations diplomatiques si les représentants de ces pays continuaient de rencontrer des défenseurs tunisiens des droits humains. Elles auraient spécifiquement interdit les rencontres avec des membres de la LTDH, prétextant qu’une procédure pénale était en instance contre cette organisation. Des diplomates de plusieurs pays se sont toutefois rendus au siège de la LTDH pour y manifester leur solidarité.
• En octobre et en novembre, des responsables des services de sécurité ont placé sous étroite surveillance les locaux du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), une organisation non gouvernementale privée de reconnaissance légale. Cette mesure empêchait les anciens prisonniers politiques et les proches de prisonniers de s’y rendre. Certaines personnes auraient été arrêtées en sortant du CNLT et conduites dans des postes de police voisins, où elles auraient été contraintes de s’engager par écrit à ne plus réitérer leur visite.
• En mai, des policiers sont venus chercher Yves Steiner, membre du comité exécutif de la section suisse d’Amnesty International, dans l’hôtel de Sidi Bou Saïd où avait lieu l’assemblée générale de la section tunisienne de l’organisation. Ils l’ont emmené de force à l’aéroport et l’ont expulsé du pays. Lors de son interpellation et de son transfert à l’aéroport, il a été malmené par les forces de l’ordre, qui ont confisqué son téléphone mobile. Dans un discours prononcé la veille devant les membres de la section tunisienne d’Amnesty International, il avait dénoncé les violations des droits humains signalées en Tunisie, et notamment les entraves à la liberté d’expression et d’association.
• Hichem Osman, alors président de la section tunisienne d’Amnesty International, a été arrêté en mai à l’université, où il travaillait, puis retenu pendant six heures au cours desquelles il a été interrogé à propos de l’assemblée générale de la section. Les policiers lui ont dit que la réunion n’avait pas respecté les statuts car elle avait servi de tribune pour critiquer le gouvernement tunisien et le président de la République. Il a été informé officiellement que la section serait dissoute si de tels faits se reproduisaient.
Indépendance de la justice
En octobre, à la fin de son mandat, le chef de la délégation de la Commission européenne à Tunis a déploré publiquement la lenteur des réformes politiques et réclamé une amélioration de la formation des juges et des avocats en vue de renforcer l’indépendance de la justice.
En mai, des avocats ont organisé plusieurs sit-in afin de protester contre une nouvelle loi instaurant un Institut supérieur des avocats. Ils dénonçaient le fait que le Parlement examinait cette loi sans prendre en compte les conclusions de la consultation menée avec l’Ordre des avocats, ainsi que le prévoyait la convention entre l’Union européenne et la Tunisie sur le financement de la réforme du système judiciaire. Cet institut, placé sous le contrôle des ministères de la Justice et de l’Enseignement supérieur, serait chargé de la formation des futurs avocats, une mission qui incombait auparavant à l’Ordre des avocats et à l’Association des magistrats tunisiens (AMT). Les avocats se sont opposés à cette loi en faisant valoir qu’elle portait atteinte à l’indépendance de la justice. Bon nombre d’entre eux ont été agressés par des policiers au cours des sit-in.
• En septembre, Wassila Kaabi, juge et membre du conseil exécutif de l’AMT, a été empêchée de se rendre en Hongrie, où elle devait participer à une réunion de l’Union internationale des magistrats. Aux termes de la loi tunisienne, les juges doivent obtenir l’autorisation du secrétaire d’État à la Justice pour se rendre à l’étranger.
Prisonniers d’opinion
Comme les années précédentes, les opposants et les détracteurs du gouvernement risquaient d’être emprisonnés, harcelés et menacés pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions.
• Mohammed Abbou, un prisonnier d’opinion, a effectué plusieurs grèves de la faim pour protester contre son maintien en détention et les mauvais traitements qui lui étaient infligés par les responsables de la prison d’El Kef. Son épouse et ses enfants ont été harcelés et intimidés à plusieurs reprises par des policiers postés en permanence devant leur domicile de Tunis. En novembre, Mohammed Abbou a été transféré à l’hôpital d’El Kef pour subir des examens néphrologiques. En décembre, son épouse Samia, ainsi que Samir Ben Amor, un avocat, Moncef Marzouki, une personnalité de l’opposition, et Slim Boukhdir, un journaliste, ont tenté de lui rendre visite en prison. Ils ont été interceptés neuf fois par la police sur la route reliant Tunis à El Kef, officiellement pour une vérification de leur identité et des papiers du véhicule. Un peu plus tard, alors qu’ils sortaient d’un restaurant d’El Kef, ils ont été agressés par une cinquantaine d’hommes, de femmes et de jeunes gens qui les ont insultés, malmenés et frappés à coups de poing tout en crachant sur eux. Ils ont réussi à échapper à leurs agresseurs et à rejoindre leur véhicule. D’autres personnes les auraient encore agressés à leur arrivée à la prison, les empêchant ainsi d’atteindre l’entrée du bâtiment. Ces attaques ont eu lieu en présence de policiers qui n’ont rien fait pour protéger les victimes ni pour appréhender les agresseurs.
Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Tunisie en juillet. Ils ont rencontré des défenseurs des droits humains et des responsables gouvernementaux, ainsi que des représentants d’États de l’Union européenne.