YEMEN

Plusieurs dizaines de personnes qui avaient été arrêtées les années précédentes dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » étaient maintenues en détention sans jugement pour une durée indéterminée. Deux prisonniers évadés ont été tués par les forces de sécurité dans des circonstances portant à croire qu’il pouvait s’agir d’une exécution extrajudiciaire. Des détenus politiques ont comparu devant des juridictions d’exception appliquant des procédures non conformes aux normes internationales d’équité. Plusieurs dizaines de prisonniers ont recouvré la liberté dans la province de Saada, mais des centaines d’autres étaient toujours incarcérés à la fin de l’année. Comme les années précédentes, des condamnations à mort ont été prononcées. Au moins 30 personnes auraient été exécutées.





Contexte
Les élections présidentielle et locales de septembre ont été marquées par des affrontements sporadiques entre sympathisants de partis rivaux, par quelques arrestations et par la mesure gouvernementale de blocage de l’accès d’au moins deux sites Internet indépendants. Selon la mission d’observation de l’Union européenne, toutefois, les scrutins ont été dans l’ensemble « une compétition politique véritable et ouverte ». Le président Ali Abdullah Saleh a été réélu avec une forte majorité des voix. Avant les scrutins, des groupes de femmes s’étaient rassemblés dans la capitale, Sanaa, pour appeler un plus grand nombre de femmes à briguer un siège aux élections locales, où elles ne représentaient que 2 p. cent des candidats.

Troubles dans la province de Saada
Plusieurs dizaines de membres de la communauté zaïdite, ainsi que des partisans de Hussain Badr al Din al Huthi, un dignitaire religieux zaïdite tué en 2004, ont été libérés à la suite de négociations entre le gouvernement et des représentants de cette communauté. Certains de ces prisonniers avaient été arrêtés les années précédentes à la suite d’affrontements violents entre des zaïdites et les forces de sécurité, dans la province de Saada. Malgré un cessez-le-feu et l’amnistie présidentielle de septembre 2005, plusieurs dizaines de personnes auraient trouvé la mort au cours d’une nouvelle flambée de violence au début de l’année 2006. On disposait toutefois de peu d’informations sur ces événements. Du fait de restrictions imposées par le gouvernement, l’accès de cette région était interdit aux médias et aux observateurs indépendants.
Le procès de la « cellule de Sanaa » – 37 zaïdites accusés d’appartenance au mouvement Al Shabab al Momin (Jeunesse croyante), d’organisation d’attentats à l’explosif et de complot en vue d’assassiner des militaires de haut rang et des dirigeants politiques – s’est terminé au mois de novembre. Ibrahim Sharaf al Din a été condamné à mort. Trente-quatre autres personnes se sont vu infliger des peines allant jusqu’à huit ans d’emprisonnement et deux ont été acquittées. Le ministère public et la défense auraient interjeté appel de la décision.


« Guerre contre le terrorisme »

Plusieurs dizaines de personnes arrêtées dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » ont été maintenues en détention, sans inculpation ni jugement. Elles n’étaient pas autorisées à consulter un avocat ni à contester devant une autorité judiciaire le bien-fondé de leur détention.
Les autorités n’ont fourni aucune information sur la situation juridique de Hadi Saleh Bawazir, ni sur son lieu de détention. Il aurait été arrêté par des agents de la Sécurité politique au début de 2005, alors qu’il tentait de se rendre en Irak.
Cinq étrangers qui, selon les sources disponibles, étudiaient au Yémen ont été arrêtés le 15 octobre en relation avec un complot présumé visant à introduire clandestinement des armes en Somalie. Incarcérés dans la prison des services de la Sécurité politique, à Sanaa, ils auraient été privés des visites de leur famille, mais autorisés à rencontrer des représentants consulaires de leur pays d’origine. Les cinq hommes, Abdullah Mustafa bin Abdul Raheem Ayub, son frère Mohammed Illias bin Abdul Raheem Ayub et Marek Samulski, tous trois de nationalité australienne, Rashid Shams Laskar, un Britannique, et Kenneth Sorenson, de nationalité danoise, ont été libérés le 16 décembre sans avoir été inculpés. Ils auraient reçu l’ordre de quitter le Yémen avec leur famille. Les frères Ayub avaient été libérés une première fois le 2 décembre, avant d’être de nouveau interpellés le 13 décembre.
Salah Addin al Salimi, un Yéménite capturé en 2002 par les forces américaines en Afghanistan, était l’un des trois prisonniers morts en détention à Guantánamo Bay (Cuba) au mois de juin. Les autorités américaines ont affirmé que les trois hommes s’étaient suicidés (voir États-Unis).


Libérations de prisonniers

En mars, les autorités ont remis en liberté Muhammad Faraj Ahmed Bashmilah, Salah Nasser Salim Ali Qaru et Muhammad Abdullah Salah al Assad. Ces trois hommes avaient été renvoyés au Yémen en mai 2005, après avoir passé dix-huit mois au moins en détention dans des centres secrets gérés par les États-Unis ou des alliés de ce pays. Emprisonnés depuis leur retour au Yémen, jugés en février 2006 et reconnus coupables de falsification de documents, ils ont été élargis compte tenu de la période qu’ils avaient passée en détention provisoire.
Deux anciens prisonniers de Guantánamo, eux aussi incarcérés depuis leur retour au Yémen, ont également été libérés. L’un deux, Walid Muhammad Shahir Muhammad al Qadasi, renvoyé en avril 2004, a été libéré sans inculpation en mars. Le deuxième, Karama Khamis Khamisan, qui avait été renvoyé en août 2005, a été jugé pour trafic de stupéfiants et acquitté en mars. Il a recouvré la liberté au mois de mai.
Yahia al Dailami et Mohamed Miftah, deux dignitaires zaïdites qui dénonçaient l’invasion de l’Irak par les forces de la coalition dirigée par les États-Unis, ont été libérés en mai, apparemment à la faveur d’une amnistie présidentielle. Yahia al Dailami, qui avait été condamné à mort en 2005 à l’issue d’un procès inéquitable, a bénéficié par la suite d’une décision du chef de l’État de commuer sa sentence en une peine d’emprisonnement. Mohamed Miftah purgeait une peine de huit ans d’emprisonnement. Amnesty International les considérait comme des prisonniers d’opinion. Muhammad Ali Luqman, un juge zaïdite qui purgeait une peine de dix ans d’emprisonnement, a lui aussi été gracié et remis en liberté en mai.

Recours à la force meurtrière
Évadés en février de la prison de la Sécurité politique de Sanaa en même temps que 21 autres membres présumés d’Al Qaïda, Fawaz Yahya al Rabihi et Mohamed Dailami ont été tués le 1er octobre lorsque, d’après les informations disponibles, des membres des forces de sécurité yéménites ont ouvert le feu sur deux endroits où ils se cachaient, à partir d’un hélicoptère de combat. Il semblerait que les forces de sécurité n’aient rien fait, ou pratiquement rien, pour les appréhender ou leur donner la possibilité de se rendre.

Tribunal pénal spécial chargé de juger les affaires de terrorisme
Le Tribunal pénal spécial chargé de juger les affaires de terrorisme a continué à être saisi des affaires liées à des activités terroristes, malgré les préoccupations relatives au non-respect par cette instance des normes internationales d’équité. Les accusés étaient souvent maintenus au secret pendant de longues périodes avant d’être inculpés et jugés. Le Tribunal n’ordonnait pas d’enquête sérieuse sur les allégations de torture formulées par les accusés et prononçait des condamnations sur la base d’aveux contestés. Le droit à l’assistance juridique était fortement limité : les accusés n’étaient pas autorisés à consulter un conseil pendant leur détention au secret à des fins d’interrogatoire, et les avocats n’avaient pas, semble-t-il, la possibilité d’accéder au dossier de leurs clients. Les autorités affirmaient que les audiences étaient publiques, mais les proches des accusés se plaignaient d’être empêchés d’y assister.


Prisonniers d’opinion

Un défenseur des droits humains de premier plan et des proches de personnes recherchées par les autorités ont été emprisonnés.
Ali al Dailami, le directeur de l’Organisation yéménite pour la défense des droits humains et des libertés fondamentales, a été arrêté le 9 octobre à l’aéroport de Sanaa alors qu’il était en partance pour l’étranger. Il a été maintenu à l’isolement dans la prison des services de la Sécurité politique jusqu’au 5 novembre. Son arrestation était, semble-t-il, liée à ses activités dans le domaine des droits humains, notamment à son action en faveur de son frère Yahia al Dailami (voir plus haut).
Un adolescent de quinze ans, Mohammed al Kazami, aurait été arrêté en février et détenu sans inculpation ni jugement dans la prison des services de la Sécurité politique à Abyan. Son incarcération avait apparemment pour but de contraindre l’un de ses proches à se livrer aux autorités.
Saddam Hussein Abu Sabaah, Naif Abdulah Abu Sabaah et Naji Abu Sabaah auraient été arrêtés le 15 juillet à proximité de l’ambassade des États-Unis à Sanaa, où ils avaient apparemment eu l’intention de demander l’asile. Ils ont été accusés, en septembre, d’avoir « porté atteinte à la réputation du Yémen » et d’avoir « insulté le président ».
Ibrahim al Saiani a été libéré sans inculpation au mois de mars. Cet adolescent âgé de quinze ans était détenu depuis mai 2005, lorsque les forces de sécurité avaient effectué une descente dans la maison de sa famille à Sanaa, manifestement à la recherche de l’un de ses proches. Son état de santé durant sa détention avait été source de profonde préoccupation.


Restrictions à la liberté d’expression

En février, trois journaux – le Yemen Observer, Al Hurriya et Al Ray al Aam – ont été suspendus pour avoir publié des dessins jugés offensants envers l’islam. Cette décision a été annulée en mai par le Premier ministre. Muhammad al Asadi, Akram Sabra et Kamal al Olofi, rédacteurs en chef de ces publications, ont toutefois été arrêtés. Ils auraient été inculpés d’insulte envers le prophète Mahomet pour avoir publié des caricatures parues dans un journal danois. Les trois hommes ont comparu devant le Tribunal de la presse et des publications. Ils ont nié les faits qui leur étaient reprochés, affirmant qu’ils n’avaient publié que des versions des caricatures approuvées par la censure et en petit format, pour illustrer des articles à la gloire du prophète Mahomet. En décembre, Kamal al Olofi a été condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et Muhammad al Asadi à une peine d’amende. Ce même mois, Akram Sabra a été condamné à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis assortie de l’interdiction d’exercer sa profession pendant un mois. Le ministère public et les condamnés ont interjeté appel.

Peine de mort
Les autorités n’ont pas révélé le nombre d’exécutions qui ont eu lieu. Selon des sources non confirmées, au moins 30 personnes auraient été exécutées et plusieurs centaines de prisonniers restaient sous le coup d’une sentence capitale. Bien que l’article 31 du Code pénal (loi 12 de 1994) prohibe la condamnation à mort de personnes âgées de moins de dix-huit ans, la Cour suprême a confirmé en février la sentence d’Adil Muhammad Saif al Maamari, reconnu coupable en 2002 d’un meurtre commis alors qu’il avait seize ans. Il aurait « avoué » sous la torture.
Ismaïl Lutef Huraish, un sourd qui n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète en langue des signes depuis son arrestation en octobre 1998 à Taizz, et son cousin Ali Mussaraa Muhammad Huraish, tous deux déclarés coupables de meurtre, risquaient à la fin de l’année une exécution imminente.
Amina Ali Abdulatif avait seize ans lorsqu’elle a été condamnée à mort pour le meurtre de son mari. Son exécution, prévue en mai 2005, avait été reportée pour permettre le réexamen de son cas par une commission désignée par le procureur général et dont les conclusions n’avaient pas été rendues publiques à la fin de l’année. Son coaccusé, Muhammad Ali Said Qabil, était lui aussi sous le coup d’une condamnation à mort.
Fatima Hussein al Badi a été condamnée à la peine capitale en février 2001 en même temps que son frère, Abdullah Hussein al Badi, pour le meurtre de son mari. Leurs peines avaient été confirmées par la Cour d’appel, mais la Cour suprême avait ensuite commué la sentence de Fatima Hussein al Badi en une peine de quatre ans d’emprisonnement, avant de la condamner à mort une seconde fois. Abdullah Hussein al Badi a été exécuté en mai 2005. Fatima Hussein al Badi a sollicité une commutation de peine auprès du chef de l’État, en arguant que son procès avait été inéquitable.
Dans un cas au moins, un prisonnier condamné à mort a été libéré après que la famille d’une victime de meurtre eut accepté une compensation financière, la diya (prix du sang). Ancien officier de l’armée détenu depuis 1994, Hammoud Murshid Hassan Ahmada a été libéré en février.

Mise à jour : morts de réfugiés en 2005
Aucune enquête ne semblait avoir été effectuée sur l’action des membres des forces de sécurité qui avaient violemment dispersé des réfugiés et des demandeurs d’asile participant à un sit-in devant les bureaux du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Sanaa, en décembre 2005. Sept personnes avaient été tuées et plusieurs autres grièvement blessées.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Yémen en mars et en juin.

Autres documents d’Amnesty International

 Terrorisme et contre-terrorisme. Défendons nos droits humains (ACT 40/009/2006).

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