Contexte
Au sein du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), les critiques à l’égard des mesures économiques prises par le gouvernement et du style présidentiel de Thabo Mbeki se sont multipliées, en particulier lors de l’élection de Jacob Zuma à la tête du parti. Ses partisans ont obtenu tous les postes de direction de l’ANC. Les tensions politiques se sont accentuées quelques jours plus tard lorsque Jacob Zuma a été mis en accusation par la chambre de la Cour suprême à Pietermaritzburg pour fraude, entre autres infractions. Son procès devait s’ouvrir en 2008.
En septembre, le président Mbeki a suspendu de ses fonctions le directeur national du ministère public, Vusi Pikoli, qui enquêtait sur des actes de corruption attribués à Jackie Selebi, le directeur national de la police. Intervenue juste après l’obtention par le procureur d’un mandat d’arrêt contre Jackie Selebi, cette suspension a été très largement critiquée, notamment par l’association de juristes Law Society of South Africa.
L’enquête sur le directeur de la police était toujours en cours à la fin de l’année.
Plus de 43 p. cent des Sud-Africains vivaient en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 3 000 rands (environ 300 euros) par an ; le taux de chômage était d’au moins 25 p. cent. Plus de 11 millions de personnes bénéficiaient du dispositif public d’aide sociale. L’accès aux services essentiels s’améliorait, mais l’obtention d’un logement décent tenait toujours de la gageure. Cette situation était source de conflits sociaux et a été à l’origine d’actions en justice réclamant le respect de certains droits fondamentaux.
Comme le niveau élevé de criminalité restait un sujet d’inquiétude pour une majorité de l’opinion publique, le gouvernement et la police subissaient une pression accrue pour que des solutions efficaces soient mises en œuvre. L’élaboration par des organismes gouvernementaux et des membres de la société civile d’une charte de prise en charge des victimes de la criminalité a progressé. En juillet, une commission parlementaire a recommandé la création d’un organe fédérateur qui opérerait la fusion de la Commission sud-africaine des droits humains et d’autres organismes, notamment la Commission pour l’égalité des sexes, de manière à améliorer l’efficacité de ces organes, à réduire les coûts et à promouvoir l’indivisibilité des droits humains.
Réfugiés, demandeurs d’asile et migrants
Cette année encore, les étrangers détenus par la police ou dans des centres de rétention ont vu leurs droits bafoués. Les demandeurs d’asile continuaient de rencontrer des difficultés pour accéder aux procédures de détermination du statut de réfugié.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste s’est déclaré préoccupé par le fait que des migrants pouvaient être maintenus en détention trente jours et plus sans examen judiciaire obligatoire, et que les autorités ne respectaient pas le principe du non-refoulement.
En février, la chambre de la Cour suprême à Pretoria a rejeté la requête qui avait été déposée pour que le transfert, en novembre 2005, de Khalid Mehmood Rashid aux autorités de son pays (le Pakistan) soit déclaré illégal, en l’absence de mesures de protection appropriées. La juridiction a également refusé d’ordonner au gouvernement l’ouverture d’une enquête sur sa « disparition » pendant les dix-huit mois ayant suivi son transfert. En octobre 2007, le tribunal a rejeté une deuxième requête visant à ce que la décision de février soit susceptible d’appel. Une nouvelle demande en ce sens a été déposée devant la Cour suprême d’appel.
Dans le cadre d’une affaire concernant le demandeur d’asile libyen Ibrahim Ali Abubakar Tantoush, la chambre de la Cour suprême à Pretoria a déclaré, en septembre, que le refus opposé à l’intéressé par les organismes de détermination du statut de réfugié était illégal. Elle a reconnu à Ali Abubakar Tantoush le statut de réfugié lui permettant de bénéficier de l’asile.
Usage excessif de la force par la police
Un certain nombre de manifestations liées à des revendications socioéconomiques ont été réprimées par la police, qui a fait usage d’une force excessive et procédé à des arrestations arbitraires.
?En septembre, des manifestants non armés ont défilé dans la région de Durban pour dénoncer le manque de logements décents. L’association ayant appelé à manifester, l’Abahlali baseMjondolo, un mouvement qui réunit des habitants de bidonvilles, avait respecté les dispositions de la Loi relative aux rassemblements. Les participants attendaient paisiblement de pouvoir présenter leur pétition quand la police les a dispersés sans préavis, en utilisant des canons à eau et des grenades assourdissantes, en les frappant à coup de matraques et en tirant des balles en caoutchouc. Ceux qui fuyaient ont été poursuivis et frappés au hasard. Quatorze militants ont été arrêtés, dont un des organisateurs, Mnikelo Ndabankulu, qui s’était rendu au poste de police pour s’enquérir du sort d’autres personnes interpellées. Ils ont été accusés d’atteintes à l’ordre public. En novembre, leurs procès ont été repoussés à 2008. Certaines des personnes arrêtées présentaient des blessures, dues à des coups ou à des balles en caoutchouc ; Mariet Nkikine, par exemple, a été touchée à cinq reprises dans le dos par des projectiles tirés à faible distance.
Dans la province du Limpopo, des villageois qui ne pouvaient plus accéder à leurs terres, étaient soumis aux effets des explosions liées à l’exploitation minière et s’attendaient à des transferts de population à grande échelle ont manifesté contre Anglo-Platinum et d’autres sociétés minières.
?En janvier, 15 personnes – pour l’essentiel des villageoises de Ga-Puka – qui manifestaient pour empêcher la société minière de clôturer leurs champs ont été frappées à coups de pied et de poing et bousculées par des policiers. Une femme souffrant d’un handicap physique a déclaré avoir été frappée par la police, qui lui aurait également pulvérisé du gaz poivre dans les yeux alors qu’elle était déjà aux mains d’agents. Les manifestants ont été remis en liberté sans avoir été inculpés.
?En mai, la police a arrêté 18 manifestants à Maandagshoek, dont une femme enceinte et une femme qui allaitait, et les a maintenus illégalement en détention durant douze jours. Ils ont été remis en liberté sous caution après avoir été inculpés de troubles à l’ordre public. En mars, le tribunal de première instance régional avait relaxé d’autres habitants de Maandagshoek qui, lors d’une manifestation organisée en juin 2006, avaient été dispersés par la police au moyen d’une force excessive.
Torture et autres mauvais traitements
De nouveaux cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés par des policiers dans le cadre d’enquêtes criminelles ont été signalés. Les cas avérés concernaient notamment l’utilisation de chiens policiers pour attaquer des suspects entravés, l’asphyxie, l’administration de coups de crosse et de coups de pied et le passage à tabac. Ces pratiques ont été relevées en divers endroits, y compris au domicile des suspects ou à proximité. Les détenus blessés se sont parfois vu refuser l’accès à des soins d’urgence.
?En septembre, Z. S. a été attaqué par des chiens policiers alors qu’il était menotté et contraint de rester agenouillé. Durant sa détention dans un poste de police des environs de Durban, ses blessures se sont infectées avant qu’il ait pu bénéficier de soins médicaux.
La Direction indépendante des plaintes, qui est l’organe de surveillance de la police, a indiqué avoir été saisie de 23 plaintes pour torture et 530 plaintes pour coups et blessures en vue d’infliger des lésions corporelles graves entre avril 2006 et mars 2007. Au cours de la même période, elle a reçu 279 signalements de mort en garde à vue et a été informée de 419 décès consécutifs à des opérations de police ; 141 suspects ont notamment été abattus pendant leur interpellation. Environ la moitié de ces 698 morts sont survenues dans les provinces de Gauteng ou du KwaZulu-Natal.
Conditions carcérales
En septembre, des gardiens et des agents de sécurité de la prison Medium B de Durban auraient utilisé des chiens de garde, des boucliers à décharge électrique et des matraques contre des détenus non armés qui refusaient de sortir de leurs cellules. D’après des observateurs chargés de veiller au respect des droits humains, certains prisonniers portaient toujours des traces visibles de leur agression au bout de quatre semaines. Les prisonniers n’ont pas été autorisés à se faire examiner par un médecin indépendant.
Les poursuites pénales engagées contre des membres du personnel de la prison de Ncome, dans le KwaZulu-Natal, ont été ajournées pour permettre un complément d’enquête sur les violences infligées à une cinquantaine de prisonniers, en 2003. En 2006, la Commission Jali avait recommandé que des poursuites soient engagées et avait critiqué les autorités pénitentiaires pour leur immobilisme.
L’Inspection judiciaire des prisons, qui est l’organe de surveillance compétent, a inspecté 235 établissements dans tout le pays et conclu que la surpopulation, l’insuffisance des programmes de réinsertion et les pénuries de personnel étaient des problèmes « généralisés », et que le dispositif de soins en milieu carcéral était dans un état « critique ».
Impunité
En juillet, des familles de victimes d’atteintes aux droits humains commises durant l’apartheid, le groupe de soutien Khulumani et deux autres ONG ont intenté une action devant la chambre de la Cour suprême à Pretoria pour que soient invalidées les modifications apportées en 2005 à la Politique nationale en matière de poursuites judiciaires ; ils craignaient en effet que ces modifications garantissent l’impunité aux criminels qui n’avaient pas coopéré avec la Commission vérité et réconciliation ou que cette dernière avait refusé d’amnistier. La procédure était toujours en cours à la fin de l’année 2007.
En août, la chambre de la Cour suprême à Pretoria a accepté de négocier et a prononcé des peines avec sursis à l’encontre d’Adriaan Vlok, ministre de la Loi et de l’Ordre sous l’apartheid, et de quatre autres prévenus. Plaidant coupable, ils avaient exprimé leurs « remords » pour la tentative d’assassinat, en 1989, du dirigeant anti-apartheid Franck Chikane et avaient accepté de coopérer dans le cadre d’autres enquêtes.
En octobre, le ministère de la Justice et du Développement constitutionnel a publié une déclaration rappelant l’opposition du gouvernement à la procédure engagée aux États-Unis par des victimes d’atteintes aux droits humains perpétrées en Afrique du Sud. Ces personnes veulent obtenir des réparations de 50 sociétés américaines, canadiennes et européennes, qu’elles accusent de s’être rendues complices de violations commises pendant l’apartheid. La déclaration de la ministre a fait suite à la décision de la Cour d’appel de New York d’infirmer un jugement de première instance par lequel l’affaire avait été classée. La ministre a précisé que la responsabilité de la réadaptation et de la réparation revenait à l’État sud-africain et non à des juridictions étrangères.
Violences contre les femmes
Des violences sexuelles, mais aussi d’autres formes de violences contre les femmes, continuaient d’être signalées en très grand nombre.
Les viols déclarés aux autorités avaient diminué de 4,2 p. cent au cours des six années précédentes, selon les statistiques de la police. Néanmoins, 52 617 viols ont été signalés entre avril 2006 et mars 2007. On a également dénombré 9 327 plaintes pour « attentat à la pudeur », une qualification comprenant le viol anal et d’autres formes d’agressions sexuelles que le droit pénal sud-africain n’incluait alors pas dans la définition du viol. Les statistiques publiées en décembre pour la période allant d’avril à septembre 2007 faisaient état de 22 887 plaintes pour viol.
Des responsables de la police ont indiqué au Parlement que, de juillet 2006 à juin 2007, la police avait enregistré 88 784 incidents liés à des « violences domestiques » telles que définies dans la Loi relative aux violences domestiques de 1998. Le ministère de la Justice a fait savoir que plus de 63 000 mesures de sûreté avaient été décidées par les tribunaux entre avril 2006 et mars 2007. Toutefois, la Direction indépendante des plaintes a indiqué, en novembre, que seulement 23 p. cent des 245 postes de police inspectés en 2006 se conformaient aux obligations que leur imposait la Loi sur les violences domestiques ; si dans les provinces de Mpumalanga et du Limpopo aucun poste ne respectait ces obligations, dans la province du Cap-Ouest, en revanche, tous étaient en règle.
Des femmes victimes de violences et des organisations leur venant en aide ont indiqué à Amnesty International que certains policiers facilitaient l’instauration de mesures de sûreté mais que d’autres renvoyaient les plaignantes dans leur foyer, omettaient de saisir des armes dangereuses ou refusaient de prendre quelque mesure que ce soit tant que la victime n’avait pas engagé de poursuites au pénal.
L’action de la police pour remédier aux violences liées au genre a semble-t-il perdu de son efficacité après le démantèlement des unités spécialisées dans les violences familiales, la protection de l’enfance et les crimes sexuels, qui a été suivi d’une redistribution des effectifs concernés entre les différents postes de police locaux. Le ministère de la Justice a interrompu le programme de développement des tribunaux spécialisés dans les infractions à caractère sexuel, bien que ces juridictions prononcent davantage de condamnations que les tribunaux ordinaires dans les affaires de viol.
En décembre, au terme d’une réforme législative commencée près de dix ans plus tôt, le président Mbeki a promulgué la Loi sur les infractions à caractère sexuel et aspects connexes portant modification du Code pénal. Le viol y est défini sans référence au sexe des personnes et s’applique à toutes les formes de « pénétration sexuelle » sans consentement. La loi oblige les pouvoirs publics à instaurer un cadre d’action général et à diffuser des instructions à l’échelle nationale pour assurer l’organisation de formations et une mise en œuvre coordonnée de ses dispositions. Toutefois, les mesures de protection et les services d’aide aux victimes et aux témoins prévus par le texte sont plus limités que ceux initialement préconisés par les organisations militantes. Les dispositions autorisant la pratique de tests de dépistage obligatoires pour les suspects placés en état d’arrestation ont été critiquées parce qu’elles ne servaient pas les intérêts des plaignants et bafouaient les droits des suspects.
Santé – personnes vivant avec le VIH/sida
On estimait que 5,5 millions de personnes vivaient avec le VIH/sida en 2007. En mai, le gouvernement a adopté un nouveau plan stratégique national de lutte contre le VIH/sida pour la période 2007-2011, après six mois de consultations ayant réuni divers ministères, des organisations de la société civile et des professionnels de santé. Le plan avait pour objectif de porter à 80 p. cent la proportion de personnes concernées pouvant accéder aux thérapies, aux soins et aux services d’aide, et de résoudre les obstacles structurels limitant la prévention ainsi que l’accès aux traitements et aux soins. En août, le limogeage par le président Mbeki de la ministre déléguée à la Santé, qui avait joué un rôle essentiel dans l’élaboration du plan stratégique national, a fait craindre que le gouvernement ne soit pas pleinement engagé en faveur de celui-ci.
Selon les chiffres officiels publiés en mai, 303 788 patients bénéficiaient d’une thérapie antirétrovirale dans le secteur de la santé publique. Les organisations chargées de veiller au respect du droit à la santé déploraient toutefois le fait que ce chiffre représentait moins de la moitié du nombre total de patients ayant besoin d’un tel traitement. En milieu rural, l’accès aux services de santé et la capacité d’observance des femmes étaient limités par l’impossibilité physique de se rapprocher des services de soins, le coût des transports, la pénurie de personnel médical, les retards dans l’attribution des agréments permettant aux établissements de proposer les traitements antirétroviraux, l’insuffisance des prises alimentaires journalières et les inégalités socioéconomiques.
En mai, après avoir reçu plusieurs plaintes et constaté l’insuffisance des services de santé dans de nombreuses provinces, la Commission sud-africaine des droits humains a organisé des audiences publiques sur le droit à l’accès aux services de santé. Elle n’avait pas publié ses conclusions à la fin de l’année.
Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Afrique du Sud en mars et en mai.
Autres documents d’Amnesty International
- akistan / Afrique du Sud. Khalid Mehmood Rashid réapparaît après dix-huit mois de détention au secret (AFR 53/003/2007).
- South Africa : Submission to the UN Universal Periodic Review First Session of the UPR Working Group 7-11 April 2008 (AFR 53/005/2007).