Nigeria

Après des élections largement critiquées par les observateurs et marquées par des violences généralisées, Umaru Musa Yar’Adua a été déclaré vainqueur du scrutin présidentiel d’avril. Dans le delta du Niger, les forces de sécurité continuaient de bafouer les droits humains en toute impunité et les richesses pétrolières de la région ne bénéficiaient qu’à une infime partie de la population locale. La police et les forces de sécurité ont procédé à l’exécution extrajudiciaire de centaines de personnes. Les tensions religieuses et ethniques n’ont pas disparu.

Contexte
La Commission nationale électorale indépendante (INEC) a considéré que le vice-président Atiku Abubakar n’avait pas qualité pour être candidat à la présidence, mais la Cour suprême a jugé peu avant le scrutin du 21 avril qu’il pouvait se présenter. Les élections du président et des gouverneurs, les élections au niveau des États et les élections au Parlement fédéral ont été abondamment critiquées. La mission d’observation de la CEDEAO a fait état d’irrégularités grossières. Quant à la mission d’observation de l’Union européenne, elle a déclaré que les normes internationales et régionales garantissant le caractère démocratique d’une élection étaient loin d’avoir été respectées. Des organisations nigérianes comme l’Association du barreau nigérian et le Groupe de surveillance de la transition ont indiqué que les élections étaient douteuses. Dans les mois qui ont suivi celles-ci, cinq gouverneurs ont été destitués par décision de la Cour suprême.
Les priorités affichées du nouveau président étaient le développement, l’électricité et l’énergie, l’alimentation, la sécurité (y compris dans le delta du Niger), la prospérité, les transports, les questions foncières et l’éducation. Le chef de l’État a aussi fait part de son intention de réformer le processus électoral. Mike Okiro, nommé inspecteur général de la police par intérim, a été confirmé à son poste en novembre.
En juin, le Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme [ONU] n’a pas autorisé le Nigéria à renouveler son adhésion, invoquant les conditions irrégulières dans lesquelles Bukhari Bello a été démis de son poste de secrétaire exécutif de la Commission nationale des droits humains, quatre ans avant l’expiration de son contrat.
Un projet de loi sur la liberté d’information a été adopté par le Sénat mais n’a pas été promulgué par le président Obasanjo, alors en fonction. En septembre, le nouveau président du Sénat a déclaré que ce projet de loi serait réexaminé.
Une femme a été élue à la présidence de la Chambre des représentants pour la première fois dans l’histoire du Nigéria, mais une affaire de corruption l’a contrainte à démissionner en octobre.
Sept anciens gouverneurs ont été accusés d’actes de corruption et poursuivis.

Violences à l’occasion des élections
À l’occasion des élections d’avril, des violences politiques généralisées ont entraîné la mort d’au moins 200 personnes. Des candidats qui briguaient des postes politiques, certains de leurs partisans, des responsables de l’INEC et de simples passants figuraient parmi les victimes. La période électorale a également été ponctuée par des agressions de journalistes, des manœuvres d’intimidation et de harcèlement visant des électeurs et de très nombreuses destructions de biens. Les scrutins locaux de novembre et décembre se sont aussi déroulés dans un climat de violence.
Des hommes politiques ont recouru aux services de bandes armées pour attaquer leurs opposants directs et ceux qui les soutenaient. Le gouvernement n’a pris aucune mesure sérieuse pour mettre un terme à cette violence et n’a pas cherché à élucider le rôle joué par certains hommes politiques qui auraient fomenté les troubles.
Le président Yar’Adua aurait ordonné à l’inspecteur général de la police par intérim de rouvrir l’enquête concernant plusieurs assassinats politiques non élucidés et commis quelques années auparavant. Il s’agit notamment des dossiers concernant Bola Ige, Marshall Harry, Funsho Williams, Barnabas Igwe et son épouse, ainsi que Godwin Agbroko.

Peine de mort
En décembre, Amnesty International et des ONG nigérianes ont découvert des éléments indiquant qu’au moins sept exécutions par pendaison avaient eu lieu en 2006 dans les prisons de Kaduna, Jos et Enugu. Or, le 15 novembre 2007, un représentant du gouvernement nigérian auprès des Nations unies avait déclaré : « Nous n’avons procédé à aucune exécution au Nigéria ces dernières années. » Après qu’Amnesty International a fait connaître les éléments en sa possession, un responsable du gouvernement de l’État de Kano a confirmé à la BBC que des condamnés avaient été exécutés.
Les autorités nigérianes n’ont fait état officiellement d’aucune exécution depuis 2002.
À la fin de l’année 2007, les personnes sous le coup d’une sentence capitale étaient au nombre de 784, et plus de 200 étaient détenues depuis plus de dix ans dans le quartier des condamnés à mort. En 2007, au moins 20 condamnations à mort ont été prononcées.
En mai, la Commission présidentielle sur la réforme de l’administration de la justice a confirmé les conclusions rendues en 2004 par le Groupe national d’étude sur la peine de mort et réclamé un moratoire officiel sur les exécutions, en attendant que le système judiciaire nigérian puisse garantir l’équité des procès des personnes passibles de la peine de mort.
Le 17 mai, le ministre nigérian de l’Information a annoncé une mesure d’amnistie dont bénéficieraient tous les prisonniers de plus de soixante-dix ans, ainsi que ceux qui avaient passé dix ans ou plus dans le quartier des condamnés à mort et étaient âgés de plus de soixante ans. D’après le ministre, ils devaient être remis en liberté avant le 29 mai, date de l’entrée en fonction du nouveau président. Cependant, le gouvernement n’a pas annoncé de telles libérations et Amnesty International n’a obtenu aucune information allant dans ce sens.
Le 1er octobre, à l’occasion du 47e anniversaire de l’indépendance du pays, quatre gouverneurs d’État ont annoncé des grâces et la commutation des peines prononcées à l’encontre de 57 condamnés à mort.

Le delta du Niger
Cette année encore, les forces de sécurité se sont rendues coupables de nombreuses atteintes aux droits humains dans le delta du Niger. Des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des destructions de logements figuraient parmi les actes commis. Des activistes ont enlevé des dizaines d’employés de compagnies pétrolières et des membres de leurs familles, y compris des enfants, et s’en sont pris à de nombreuses installations pétrolières.
À l’approche des élections d’avril 2007, les violences se sont intensifiées dans la région du delta, certains hommes politiques recrutant des bandes armées pour agresser leurs opposants. Après les élections, la violence n’a pas décru, bien au contraire.
En août, des bandes rivales se sont affrontées dans les rues de Port-Harcourt, tuant au moins 30 personnes et en blessant de nombreuses autres, dont de simples passants. Le bilan s’est alourdi lorsque la Force d’intervention conjointe (JTF) est entrée en action avec des hélicoptères et des mitrailleuses : au moins 32 membres de groupes armés, membres des forces de sécurité et civils non impliqués ont été tués. À la suite de ces violences, un couvre-feu a été décrété. Bien que le commandant de la JTF l’ait démenti, il semble que de nombreuses personnes n’ayant aucun lien avec les bandes armées aient été arrêtées. Vers la fin de l’année, les violences n’avaient pas cessé et s’étaient intensifiées. La JTF ne s’était pas repliée et le couvre-feu était toujours en vigueur.
À la connaissance d’Amnesty International, aucune mesure n’a été prise pour traduire en justice les membres des forces de sécurité soupçonnés d’avoir perpétré de graves violations des droits humains au cours des années précédentes. Les rapports de deux commissions judiciaires chargées d’enquêter sur ces faits n’ont pas été rendus publics. Ces commissions avaient examiné les événements de février 2005 : une opération de commando menée à Odioma par des membres de la JTF, qui avait fait au moins 17 morts, et une manifestation au terminal pétrolier d’Escravos lors de laquelle des soldats avaient tiré sur la foule.
Les habitants du delta du Niger manquaient d’eau potable et d’électricité, et ne bénéficiaient que de très rares écoles ou centres de soins en état de fonctionner.


Exécutions extrajudiciaires

Des membres de la police et des forces de sécurité ont procédé à l’exécution extrajudiciaire de centaines de personnes. Des civils ont notamment été tués par des policiers lors de contrôles routiers banals ou parce qu’ils refusaient de verser un pot-de-vin, des personnes soupçonnées de vol à main armée ont été abattues au moment de leur arrestation et des exécutions sommaires ont eu lieu dans des postes de police. L’armée a également été impliquée dans de nombreuses affaires d’exécutions extrajudiciaires, en particulier dans le delta du Niger. Le 27 mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré au Conseil des droits de l’homme (ONU) que le Nigéria devait mettre fin aux exécutions extrajudiciaires imputables à la police.
L’inspecteur général de la police par intérim a indiqué que, dans les cent premiers jours de sa prise de fonction, 1 628 malfaiteurs armés avaient été arrêtés et 785 tués par la police. D’après certaines ONG, le nombre réel d’homicides était plus élevé. Malgré ces chiffres alarmants, le gouvernement n’a pris aucune mesure sérieuse pour mettre un terme à ces homicides. Au contraire, la police a été encouragée à tirer sur les bandits armés. Le 23 octobre, le responsable de la police du Territoire de la capitale fédérale a même donné l’ordre à ses hommes de tirer à vue sur les malfaiteurs armés pris en flagrant délit.

Torture et autres mauvais traitements
La culture de l’impunité a continué de prévaloir pour les actes de torture et autres mauvais traitements commis par des policiers. En mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a conclu que les personnes détenues par la police subissaient fréquemment des actes de torture ou autres mauvais traitements, et que ces pratiques étaient particulièrement systématiques au sein de la police judiciaire.

Violences contre les femmes
En janvier, la ministre fédérale de la Condition féminine a proclamé l’intention du gouvernement de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que le bien-être et les droits des femmes et des enfants nigérians.
Néanmoins, cette année encore, la violence contre les femmes est restée un phénomène courant, prenant notamment la forme de violences domestiques ou de viols et autres sévices sexuels commis par des agents de l’État ou des particuliers. Parmi les facteurs à l’origine de cette situation, il faut mentionner une culture solidement ancrée de l’impunité pour les violations des droits humains commises par des policiers et membres des forces de sécurité, et aussi la carence persistante des autorités, qui n’ont jamais fait preuve de la diligence requise pour agir contre les violences sexuelles et les prévenir, que leurs auteurs soient ou non des agents gouvernementaux.
En mai, un projet de loi visant à incorporer dans le droit nigérian la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes [ONU] n’a pas été adopté par le Parlement fédéral. Le Nigéria a ratifié cette Convention en 1985.
Le projet de loi sur la violence domestique et les questions s’y rapportant a été adopté par le Parlement de l’État de Lagos. Au niveau fédéral, un projet de loi couvrant les violences domestiques n’a pas été promulgué.
En août, la Commission nigériane de réforme des lois a proposé que le viol soit passible de quinze ans d’emprisonnement.

Système judiciaire
Malgré différentes déclarations gouvernementales annonçant une réforme pénitentiaire, aucune mesure ne semble avoir été prise.
Sur une population carcérale estimée par le gouvernement à 45 000 détenus, environ 25 000 étaient en attente de leur procès, souvent depuis plus de cinq ans.
Le 10 janvier, le président du Comité présidentiel sur la réforme et la rénovation des prisons a annoncé publiquement que 7,8 milliards de naïras (environ 48 millions d’euros) avaient été budgétés pour réaliser la première phase du programme de réforme des prisons.
Pourtant, rien n’a été entrepris au cours de l’année pour mettre en œuvre ce programme.
En mai, le Comité présidentiel a publié une liste de 552 détenus dont il préconisait la remise en liberté. Il s’agissait de détenus qui attendaient leur procès depuis plus de dix ans ou dont les dossiers avaient été égarés, qui étaient atteints de maladies mettant leur vie en danger, qui étaient âgés de plus de soixante ans ou qui avaient passé plus de dix ans dans le quartier des condamnés à mort. Le gouvernement fédéral n’a pas suivi la recommandation du Comité, mais a annoncé la libération de tous les détenus de plus de soixante-dix ans. Néanmoins, aucune levée d’écrou n’a été signalée par la suite.
L’extrême lenteur du système judiciaire, les conditions de détention épouvantables et une forte surpopulation carcérale contribuaient à la montée du désespoir et de l’exaspération chez les prisonniers. Des émeutes ont éclaté dans au moins trois prisons (Kuje, centre de Kano et Agodi), faisant 20 morts, peut-être plus, et plusieurs blessés parmi les détenus.

Liberté d’expression
Cette année encore, des défenseurs des droits humains et des journalistes qui critiquaient le gouvernement ont été la cible de manœuvres d’intimidation et de harcèlement. Beaucoup ont été arrêtés par le Service de sécurité de l’État et remis en liberté après avoir été entendus.
 ?En septembre, un citoyen américain directeur d’une ONG installée au Nigéria, un employé de cette ONG et deux journalistes allemands ont été interpellés par le Service de sécurité, qui les soupçonnait d’espionnage. Ils ont été libérés un peu plus tard sans avoir été inculpés.
 ?En septembre, un journaliste qui couvrait une émeute à la prison d’Ibadan a perdu connaissance après avoir été roué de coups.
 ?En octobre, le Service de sécurité de l’État a arrêté plusieurs journalistes qui avaient critiqué les gouverneurs des États de Borno et d’Akwa-Ibom.

Expulsions forcées
Plusieurs cas d’expulsions ont été signalés. De nombreuses menaces d’expulsion ont été proférées. En juillet, le président Yar’Adua a ordonné l’arrêt des destructions arbitraires de logements et exigé que les procédures légales soient respectées. Les autorités du Territoire de la capitale fédérale ont néanmoins poursuivi les démolitions à Abuja. À la fin de l’année 2007, les tribunaux du Territoire avaient à traiter plus de 450 plaintes récusant la légalité des démolitions.
En août, après les affrontements entre bandes armées qui ont eu lieu à Port-Harcourt, le gouverneur a décidé de démolir des maisons situées en front de mer pour les remplacer par 6 000 nouveaux logements. Ce projet a été suspendu en octobre, lorsque le gouverneur a été démis de ses fonctions.

Discrimination envers les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles et les transgenres
Un projet de loi rendant passible de cinq ans d’emprisonnement quiconque contracte un mariage homosexuel ou prête assistance à une telle union a été examiné par le Parlement fédéral en février. Présenté initialement en 2006, il n’avait pas été approuvé par le Parlement avant le changement de gouvernement. Un projet de loi similaire a été débattu au Parlement de l’État de Lagos et a été rejeté.
 ?En avril, cinq femmes de Kano se sont réfugiées dans la clandestinité après avoir été accusées par la hisbah (la police islamique) d’avoir célébré des noces lesbiennes dans un théâtre. Elles ont démenti s’être épousées et ont souligné que la cérémonie avait été organisée pour collecter des fonds. Après cet épisode, la hisbah a démoli plusieurs théâtres de la ville.
 ?Au mois d’août, 18 hommes ont été arrêtés dans l’État de Bauchi et accusés d’appartenance à une société illicite, d’actes indécents et d’association de malfaiteurs.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Nigéria en janvier, en mars et en juillet.

Autres documents d’Amnesty International

  • Nigéria. Déclaration commune sur la nécessité de mettre fin à la violence politique et aux atteintes aux droits humains à l’approche de l’élection d’avril (AFR 44/002/2007).
  • Nigeria : Impunity for political violence in the run-up to the April 2007 elections (AFR 44/004/2007).
  • Élections au Nigéria. C’est à l’impunité qu’il faut s’attaquer, pas aux droits humains ! (AFR 44/010/2007).
  • Nigéria. Inscrire les droits humains à l’ordre du jour (AFR 44/013/2007).
  • Nigéria. Les délégués d’Amnesty International qualifient les conditions carcérales d’« épouvantables » (AFR 44/019/2007).
  • Nigéria. Escalade de la violence à Port-Harcourt (AFR 44/020/2007).
  • Nigéria. Quarante-septième anniversaire de l’indépendance : une nouvelle occasion d’abolir la peine de mort (AFR 44/021/2007).
  • Nigéria. Élections locales – les leçons du passé n’ont pas servi (AFR 44/027/2007).
  • Nigéria. Halte aux exécutions – adoption d’un moratoire (AFR 44/030/2007).
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