La quête de justice : pour le respect de tous les droits, pour le respect des droits de tous

Par Claudio Cordone

Entre janvier et mai 2009, quelque 300 000 Sri-Lankais ont été bloqués sur une étroite bande de terre, pris entre les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE), qui battaient en retraite, et l’armée régulière en pleine avancée. Tandis que se multipliaient les informations concernant les atteintes aux droits humains commises par les deux parties au conflit, le Conseil de sécurité des Nations unies n’est pas intervenu. Au moins 7 000 personnes ont été tuées (selon certaines estimations, ce nombre s’élèverait à 20 000). Le gouvernement sri-lankais a nié que des crimes de guerre aient été perpétrés par son armée, s’opposant à ceux qui demandaient qu’une enquête soit menée par une commission internationale, sans pour autant lancer de son côté d’investigations sérieuses et dignes de foi. Une session spéciale du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a bien été organisée mais, à l’issue d’épreuves de force et de tractations, elle a abouti à une résolution rédigée par le gouvernement sri-lankais, dans laquelle ce dernier se félicitait de la victoire remportée sur les LTTE. Personne n’avait été traduit en justice à la fin de l’année, alors que de nombreux éléments tendaient à prouver que des atteintes aux droits humains, et notamment des crimes de guerre, avaient été commis.
Ceux qui ont foulé aux pieds les droits humains n’ont pas eu à répondre de leurs actes : il est difficile d’imaginer un échec plus complet de l’obligation de rendre des comptes.
En songeant à cette situation, je me suis rappelé l’introduction du Rapport d’Amnesty International en 1992. Intitulée « Pour en finir avec l’impunité », elle montrait que, dans de nombreux pays, des dirigeants politiques et des chefs militaires avaient ordonné ou approuvé des meurtres, des disparitions forcées ou des actes de torture systématiques, y compris des viols, et n’avaient par la suite jamais eu affaire à la justice. Le cas du Sri Lanka était déjà mis en évidence. Son gouvernement de l’époque n’avait traduit en justice aucun des responsables présumés de dizaines de milliers d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, actes commis entre 1988 et 1990 lors de la répression violente d’un mouvement insurrectionnel.
Une question évidente se pose : quelque chose a-t-il vraiment changé au cours des 20 dernières années ? Si l’on regarde la situation du Sri Lanka en 2009, ou celle de la Colombie ou de la bande de Gaza, on serait tenté de conclure qu’il n’y a pas eu de réelle évolution et de se demander s’il est utile, dans ces conditions, de chercher à ce que les responsables rendent compte de leurs actes. Mais ce serait ignorer les progrès considérables accomplis en moins de deux décennies, malgré les difficultés, anciennes et nouvelles ; en raison de ces avancées, il est aujourd’hui plus difficile pour un auteur d’atteintes aux droits humains de garantir sa propre impunité.
C’est vrai, beaucoup parviennent encore à échapper à la justice. Certaines crises se déroulent loin des regards ; ailleurs, la procédure judiciaire semble ne jamais devoir aboutir. Pourtant, les choses bougent dans le bon sens. De surcroît, ce ne sont plus seulement les auteurs de meurtres ou d’actes de torture à qui l’on demande aujourd’hui des comptes ; sont également en cause ceux à qui l’on peut imputer le déni des droits humains les plus élémentaires, comme les droits à une alimentation suffisante, à l’éducation, au logement ou à la santé, dont nous avons tous besoin pour vivre dignement.

Obligation de rendre des comptes : les résultats

Être obligé de rendre des comptes, c’est être tenu responsable d’un acte que l’on a accompli, ou que l’on a omis d’accomplir, avec des conséquences directes pour autrui. Le champ d’application de ce concept est vaste. Dans le cas du personnel politique, par exemple, cette forme de responsabilité est mise à l’épreuve lors des élections. Quant à la responsabilité morale d’un individu, elle sera mesurée à l’aune des valeurs de la société dans laquelle il vit.
Les normes internationales en matière de droits humains mettent essentiellement l’accent sur l’instauration d’une responsabilité juridique. Les citoyens ont des droits, qui doivent être définis et protégés par les lois. Ceux qui exercent le pouvoir ont le devoir, également inscrit dans la législation, de respecter, de protéger et de réaliser les droits fondamentaux des personnes.
Si l’obligation de rendre des comptes est un principe important, c’est avant tout parce que ceux ou celles qui subissent ou ont subi un préjudice ont droit à la vérité et à la justice. Les victimes et leurs proches doivent obtenir que le mal qui leur a été fait soit reconnu et que les responsables soient tenus de rendre des comptes pour les actes qu’ils ont commis. Si l’on veut que les victimes obtiennent réparation, il est tout aussi important de déterminer ce qui s’est passé, pourquoi et par la faute de qui, que de traduire en justice les auteurs des atteintes.
Par ailleurs, ce principe nous permet d’aller de l’avant. Il joue un rôle dissuasif à l’égard de ceux qui seraient tentés de commettre des crimes et il pose les fondations de futures réformes des institutions nationales et internationales. Un État qui instaure des mécanismes efficaces en matière d’obligation de rendre des comptes est plus à même de se doter d’orientations politiques et de lois satisfaisantes, et d’en mesurer l’impact sur la vie des citoyens.
Une campagne menée au niveau mondial au cours des 20 dernières années a assigné un rôle à la justice internationale. Elle a notamment débouché sur la création, en 1998, de la Cour pénale internationale (CPI), inspirée du modèle des tribunaux internationaux chargés de juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda.
L’année 2009 a marqué un tournant, puisqu’elle a vu un chef d’État en exercice, le président soudanais Omar el Béchir, faire l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la CPI, pour cinq chefs de crimes contre l’humanité (meurtre, extermination, transfert forcé de population, torture et viol) et deux chefs de crimes de guerre (dont le fait d’avoir mené des attaques intentionnelles contre la population civile).
Fin 2009, le procureur de la CPI avait ouvert une enquête concernant quatre affaires : trois soumises par les États où s’étaient produits les faits signalés – l’Ouganda, la République démocratique du Congo (RDC) et la République centrafricaine – et une transmise par le Conseil de sécurité et concernant la situation au Darfour (Soudan). Il avait en outre demandé à la Chambre préliminaire de la CPI l’autorisation d’ouvrir une enquête sur le Kenya. La CPI a cité à comparaître le chef d’un groupe armé du Darfour et a émis des mandats d’arrêt à l’encontre d’un commandant de milice, d’un haut responsable du gouvernement et du chef de l’État soudanais. D’autres mandats d’arrêt de la CPI concernent des dirigeants de groupes armés actifs en Ouganda, en RDC et en République centrafricaine. Ces actes sont importants car ils concrétisent le principe selon lequel quiconque commet un crime de guerre ou un crime contre l’humanité doit rendre compte de ses actes, en toute égalité, quelles que soient les forces, régulières ou autres, auxquelles il appartient.
Le procureur de la CPI a élargi depuis quelques années le champ territorial de son action, en engageant un examen préliminaire de quatre situations hors d’Afrique – Afghanistan, Colombie, Géorgie et conflit de 2008-2009 dans la bande de Gaza et le sud d’Israël.
La ratification du Statut de Rome de la CPI par les États (fin 2009, ils étaient 110 à y avoir procédé) a entraîné dans de nombreux pays des réformes législatives qui permettent aux tribunaux nationaux de se saisir d’affaires portant sur des crimes sanctionnés par le droit international, une procédure de ce type ne pouvant être menée que lorsque les suspects jouissent chez eux de l’impunité. Malgré quelques déceptions enregistrées en 2009 dans le domaine de la compétence universelle, comme l’adoption en Espagne d’une loi restreignant sa portée, des poursuites ont été engagées devant les tribunaux nationaux de différents pays d’Amérique, d’Europe et d’Afrique, et plusieurs étaient en bonne voie. Ainsi, en Afrique du Sud, deux ONG ont contesté en décembre devant les tribunaux la décision des autorités de ne pas invoquer la loi sud-africaine sur la compétence universelle pour ouvrir une enquête sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Zimbabwe par des individus dont on savait qu’ils se rendaient régulièrement en Afrique du Sud. Fin 2009, ce sont plus de 40 États qui avaient adopté, depuis 1998, des lois confirmant ou renforçant le principe de la compétence universelle pour les crimes prévus par le droit international, ce qui permettait de réduire un peu l’écart nous séparant de l’objectif d’une justice mondiale.
Ces enquêtes et ces poursuites ont modifié la manière dont les gouvernements et les opinions publiques perçoivent les crimes punis par le droit international. Ces derniers sont de plus en plus considérés pour ce qu’ils sont : des actes graves qui doivent être élucidés et dont les auteurs doivent faire l’objet de poursuites, à distinguer des problèmes politiques, appelés à être réglés par les voies diplomatiques. Ayant personnellement mené, avec d’autres, une campagne vigoureuse pour que l’ancien président chilien Augusto Pinochet réponde de ses actes devant la justice après son arrestation à Londres, en 1998, je suis particulièrement sensible à cette évolution encourageante des mentalités.
Un peu partout en Amérique latine, des tribunaux nationaux, ainsi que les autorités, relancent actuellement des enquêtes sur des crimes dont les auteurs ont longtemps été protégés par des lois d’amnistie. Cela montre bien que, même plusieurs dizaines d’années après les événements et malgré toutes les mesures qui ont pu être prises pour empêcher les poursuites et assurer ainsi l’impunité des responsables, la société civile reste prête à se battre pour faire tomber les obstacles qui s’opposent à la vérité, à la justice et à de justes réparations.
En avril 2009, l’ancien président péruvien Alberto Fujimori a été condamné pour crimes contre l’humanité. Ce jugement historique, qui portait sur trois affaires remontant au début des années 1990 et lors desquelles des escadrons de la mort liés à l’armée ont commis des enlèvements, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires, a apporté un certain apaisement aux proches des victimes. Au mois d’octobre, la Cour suprême de l’Uruguay a estimé que la loi d’amnistie adoptée à la fin des années 1980 pour assurer l’impunité des auteurs d’atteintes graves aux droits humains était nulle et non avenue, dans la mesure où elle n’était pas conforme aux obligations imposées à l’Uruguay par le droit international. Enfin, dans les toutes dernières semaines de l’année 2009, le parquet argentin a commencé à présenter les éléments à charge dans l’un des plus importants procès organisés depuis la chute du régime militaire (1976-1983). Sur le banc des accusés se trouvaient 17 membres des forces armées et de la police, inculpés de torture, de disparition forcée et de meurtre, pour des actes commis au sein de la tristement célèbre École supérieure de mécanique de la Marine.
La quête de justice ne s’est pas limitée à la seule Amérique latine. Ainsi, la Sierra Leone a fait un pas de plus en 2009 vers la réconciliation nationale, tous les procès intentés devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone étant désormais terminés, à l’exclusion de celui de l’ancien président libérien Charles Taylor, qui était toujours en cours. De même, en Asie, l’un des plus sinistres chefs khmers rouges a enfin été traduit en justice, pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés il y a plus de 30 ans. Kaing Guek Eav, alias Duch, était à la tête du bureau de la sécurité S-21, où au moins 14 000 personnes auraient été torturées, avant d’être assassinées, entre avril 1975 et janvier 1979. Il s’agissait de la première affaire jugée par les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens : cette instance provisoire devra céder la place, dès que ce sera matériellement possible, à un véritable système judiciaire national opérationnel, mais du moins permet-elle aux survivants de savoir que les souffrances endurées sont enfin reconnues.
En 2009, les plus grandes puissances elles-mêmes se sont aperçues qu’elles ne pouvaient pas toujours échapper à la justice. Alors qu’un certain nombre de pays européens ne semblaient guère enclins à engager des poursuites contre les auteurs présumés des violations des droits humains commises dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis, un tribunal italien a condamné en novembre 22 agents de l’Agence centrale du renseignement (CIA), un officier de l’armée de l’air américaine et deux agents des services du renseignement militaire italiens pour leur implication dans l’enlèvement en 2003, dans une rue de Milan, d’Usama Mustafa Hassan Nasr (Abou Omar). Abou Omar avait été renvoyé en Égypte. À son arrivée, il avait été placé en détention secrète pendant 14 mois, au cours desquels il aurait été torturé. Si ce procès a eu lieu, c’est en grande partie grâce à la détermination du parquet de Milan, qui a tenu à faire prévaloir le droit, malgré les pressions exercées par le gouvernement italien pour lui faire classer cette affaire, et malgré l’absence aux audiences des prévenus américains, qui n’avaient pas été arrêtés.
L’existence de la CPI a donné davantage de relief à la notion d’obligation de rendre des comptes, y compris dans des pays qui n’ont pas reconnu officiellement sa compétence et où les responsables de crimes pourraient s’estimer à l’abri des poursuites. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a mis en place une mission d’établissement des faits présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, ancien procureur des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie ; elle était chargée d’enquêter sur les atteintes aux droits humains qui auraient été commises lors du conflit dans la bande de Gaza et le sud d’Israël ayant pris fin en janvier 2009, au bout de 22 jours. Selon les conclusions du rapport Goldstone, tant les forces israéliennes que le Hamas et d’autres groupes palestiniens se sont rendus responsables de crimes de guerre, et peut-être de crimes contre l’humanité. Ce constat confirme ce qu’avait pu observer Amnesty International sur le terrain, à Gaza et dans le sud d’Israël, pendant le conflit et immédiatement après.
Le rapport Goldstone note que « la situation d’impunité qui perdure a créé […] une crise de la justice ». Au cas où les deux parties en présence n’entreprendraient aucune enquête sur les atteintes commises et ne feraient rien pour que les responsables en rendent compte, il recommandait au Conseil de sécurité d’exercer son autorité et de saisir la CPI de la situation. En novembre 2009, l’Assemblée générale des Nations unies a donné trois mois à Israël et aux responsables palestiniens pour montrer qu’ils avaient la volonté et la capacité d’enquêter dans le respect des normes internationales.
Prouvant que la communauté internationale est capable de réagir rapidement, l’ONU a créé une commission internationale d’enquête sur les événements survenus le 28 septembre à Conakry, en Guinée. Ce jour-là, plus de 150 personnes ont été tuées et des femmes ont été violées en public lors de l’intervention des forces de sécurité, qui ont violemment réprimé une manifestation pacifique organisée dans un stade de la ville. Cette commission a conclu en décembre que des crimes contre l’humanité avaient été commis. Elle a recommandé que l’affaire soit déférée à la CPI, qui a entamé un examen préliminaire.
Enfin, ces 20 dernières années ont été marquées par le développement exponentiel des mécanismes de « justice de transition », alors que nombre de pays, au sortir de longues périodes de conflit armé ou de répression politique, cherchaient à regarder leur passé en face en appliquant sous des formes diverses le principe de l’obligation de rendre des comptes. Ainsi, en 2009, des processus de vérité et de réconciliation étaient en cours ou produisaient leurs effets au Liberia, aux îles Salomon et au Maroc et Sahara occidental ; ce dernier pays était le seul de toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à s’être penché ainsi sur les exactions passées, sans toutefois aller jusqu’à la comparution des responsables devant des tribunaux pénaux. Quand nous avons réuni toutes les archives d’Amnesty International qui pouvaient venir à l’appui de ces processus, soit des décennies de recherches sur des cas individuels, un point nous est apparu clairement : pour parvenir à une réconciliation fondée sur la justice, il ne suffit pas que la vérité soit dite, mais il faut mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes. Il est toujours tentant de tirer un trait sur le passé, mais l’expérience montre que, lorsqu’on permet aux auteurs d’atteintes aux droits humains de jouir d’une totale impunité, la paix que l’on instaure risque d’être de courte durée.

Lorsque les intérêts du pouvoir et les jeux politiques font obstacle à la justice


Si les responsables de violations graves du droit international sont plus souvent amenés, aujourd’hui, à rendre compte de leurs actes devant la justice, plusieurs événements ont montré en 2009 que la réalisation de cet objectif se heurtait toujours à deux obstacles majeurs. Il est nécessaire de les surmonter, si nous voulons que le principe de l’obligation de rendre des comptes s’applique à l’ensemble des droits fondamentaux de la personne humaine. Tout d’abord, on constate que certains États continuent de se placer au-dessus du droit et d’échapper ainsi à tout réel contrôle international. Ensuite, certaines grandes puissances manipulent les contraintes juridiques ; elles cherchent à protéger leurs alliés des regards extérieurs et n’insistent en général sur l’obligation de rendre des comptes que lorsque cela les arrange politiquement. Ce faisant, elles fournissent à d’autres États ou groupes d’États un argument pour instrumentaliser eux aussi la justice sur le plan politique.
Parmi les 110 pays qui avaient ratifié le Statut de Rome de la CPI, on ne trouvait ainsi à la fin de 2009 que 12 membres du G20. La Chine, les États-Unis, l’Inde, l’Indonésie, la Russie et la Turquie, pour ne citer qu’eux, ont choisi de se tenir à l’écart des initiatives de justice internationale, lorsqu’ils ne cherchent pas à les saper.
Les États-Unis ne se soumettent pas à la compétence de la CPI et échappent ainsi en partie aux pressions de ceux qui voudraient les voir agir sur les abus qu’ils ont commis au nom de leur stratégie de lutte contre le terrorisme. En entrant en fonction, le président Barack Obama avait envoyé un certain nombre de signaux encourageants. Il avait en effet annoncé la fermeture sous un an du centre de détention de Guantánamo, ainsi que la fin du programme de détention secrète et de l’utilisation des fameuses « techniques d’interrogatoire renforcées ». Cependant, fin 2009, Guantánamo n’était toujours pas fermé et ceux qui ont commis des violations des droits humains, sur cette base ou ailleurs, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis, ne semblent guère avoir été amenés à rendre des comptes.
La Chine cherche elle aussi à échapper à la surveillance internationale. En juillet 2009, à Ürümqi, capitale de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, de violentes émeutes ont éclaté à la suite de la répression par la police d’une manifestation initialement pacifique de membres de la communauté ouïghoure. Le gouvernement chinois a limité l’accès à l’information, arrêté des manifestants non violents et organisé une série de procès expéditifs et inéquitables à l’issue desquels ont été prononcées de nombreuses sentences capitales. Neuf de ces condamnations ont été mises en œuvre dans les mois qui ont suivi les émeutes. En décembre, 13 autres peines de mort ont été prononcées et la police a procédé à 94 nouvelles arrestations. La visite brève et très encadrée qui a été concédée à la presse après les violences n’équivaut pas à une acceptation par la Chine de la surveillance internationale. En effet, lorsque le rapporteur des Nations unies sur la torture a exprimé le vœu de se rendre dans la région, il n’a reçu aucune réponse. Le gouvernement chinois n’est pas crédible lorsqu’il assure veiller à ce que les responsables d’atteintes aux droits fondamentaux rendent des comptes, puisque son action supposée en la matière se déroule dans le plus grand secret et se concrétise par des exécutions précipitées.
Concernant le conflit qui a opposé la Géorgie à la Russie en 2008, une commission d’enquête indépendante mandatée par l’Union européenne a conclu que tous les belligérants s’étaient rendus responsables d’atteintes au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains. Pourtant, fin 2009, ni la Russie ni la Géorgie n’avait traduit en justice un seul auteur présumé de tels actes, et 26 000 personnes étaient toujours dans l’incapacité de regagner leur foyer. Il était de plus en plus manifeste que la Russie avait l’intention d’user de son pouvoir pour protéger des regards de la communauté internationale ses propres soldats, ainsi que les forces d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, deux régions qui font officiellement partie de la Géorgie, mais qui ont fait sécession. La Russie s’est notamment opposée à la prolongation du mandat en Géorgie de deux missions internationales de surveillance de première importance, dépendant respectivement de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’ONU. La mission de l’Union européenne devenait ainsi le seul organisme international d’observation présent en Géorgie, sans avoir la possibilité d’accéder aux secteurs contrôlés depuis le conflit par la Russie ou par les autorités de fait d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie.
L’Indonésie, un autre poids lourd financier membre du G20, n’a toujours rien fait pour rendre justice aux victimes des violations des droits humains commises au Timor-Leste pendant les 24 années d’occupation indonésienne puis lors du référendum sur l’indépendance organisé sous l’égide de l’ONU en 1999, il y a plus de 10 ans. En dépit de diverses initiatives nationales ou internationales mises en œuvre au fil des ans pour que justice soit faite, la plupart des personnes soupçonnées d’avoir perpétré en 1999 des crimes contre l’humanité n’ont pas été inquiétées. Et celles qui ont été jugées par les tribunaux indonésiens ont toutes été acquittées.
Le second obstacle – l’instrumentalisation de la justice internationale à des fins politiques – pervertit le principe de l’obligation de rendre des comptes en le mettant au service de considérations politiques, qui veulent que l’on soutienne ses alliés tout en cherchant à affaiblir ses adversaires. Ainsi, les États-Unis et un certain nombre de pays membres de l’Union européenne ont fait usage de leur influence au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour continuer à protéger Israël en évitant qu’il ne fasse l’objet de mesures énergiques le contraignant à répondre des actes commis dans la bande de Gaza. À l’inverse, mais de façon tout aussi partiale, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies avait dans un premier temps décidé de n’enquêter que sur les violations commises par les Israéliens. Nommé à la tête de la commission chargée de l’enquête, Richard Goldstone avait insisté, ce qui est tout à son honneur, pour que celle-ci se penche sur les atteintes présumées attribuées aussi bien à Israël qu’au Hamas. On notera par ailleurs, concernant ce même Conseil des droits de l’homme, qu’aucun pays asiatique ou africain n’a voté contre la résolution félicitant le gouvernement sri-lankais pour la manière dont il avait mené la guerre contre les LTTE.
Lorsque les puissants refusent de s’appliquer à eux-mêmes, et d’appliquer à leurs alliés politiques, les mêmes normes qu’aux autres, d’autres États peuvent se croire habilités à justifier une politique du « deux poids, deux mesures », et se fourvoyer parfois jusqu’à placer une prétendue « solidarité régionale » au-dessus de celle que l’on doit aux victimes. Les réactions initiales des pays africains au mandat d’arrêt émis par la CPI à l’encontre du président el Béchir illustrent parfaitement cette attitude. Malgré la gravité des crimes reprochés à ce dernier, l’Assemblée de l’Union africaine, présidée par la Libye, a demandé une nouvelle fois au Conseil de sécurité des Nations unies de suspendre la procédure entamée contre le président soudanais. Elle a en outre décidé que les États membres de l’Union africaine ne coopéreraient pas avec la CPI pour arrêter et livrer l’accusé. Elle a enfin demandé à la Commission africaine d’organiser une réunion préparatoire, destinée à discuter de divers amendements à soumettre lors de la Conférence de révision du Statut de Rome, en 2010.
Après avoir librement circulé dans plusieurs pays non parties au Statut de Rome, le président el Béchir a été invité par la Turquie, le Nigeria, l’Ouganda et le Venezuela. Devant les vives réactions de la société civile, le courant a toutefois fini par s’inverser. L’Afrique du Sud s’est déclarée prête à s’acquitter de ses obligations en tant que partie au Statut de Rome, tandis que le Brésil, le Sénégal et le Botswana se disaient résolus à arrêter le chef de l’État soudanais s’il se présentait sur leur territoire. Le président el Béchir était cependant toujours en liberté à la fin de l’année 2009, affirmant que les poursuites dont il faisait l’objet avaient un caractère politique et relevaient d’un « parti pris contre l’Afrique ». Pendant ce temps, le cauchemar continuait pour des centaines de milliers de personnes déplacées au Darfour, toujours soumises aux violences et aux abus, et la situation se dégradait dans le Sud-Soudan, où la guerre menaçait de reprendre.

Un défi à relever : faire valoir l’obligation de rendre des comptes pour le respect de tous les droits

Certes, des obstacles empêchent encore que les responsables d’atrocités commises en masse lors de conflits ou dans le cours d’une répression politique soient obligés de rendre des comptes, mais la légitimité de ce principe n’est plus contestée. Nul ne nie aujourd’hui la nécessité de punir les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou les disparitions forcées. Cependant, lorsque ce sont des droits économiques, sociaux ou culturels qui sont bafoués massivement, la mobilisation est loin d’être aussi forte pour faire respecter la loi et pour demander des comptes aux responsables. « Ce n’est pas la même chose », entend-on souvent dire. Et il est vrai qu’il y a une différence entre massacrer des civils et refuser à une population l’exercice de son droit à l’éducation. Un tel refus n’en constitue pas moins une atteinte au droit international, qui a des conséquences néfastes sur l’existence de ceux qui en sont victimes. C’est donc bien le principe international de l’obligation de rendre des comptes qui s’applique lorsque ces droits sont violés.
Nous devons faire comprendre aux dirigeants de la planète que ces situations représentent une crise des droits humains, au même titre que le conflit au Darfour.
Prenons par exemple la question du droit à la santé, et en particulier du fléau que constitue la mortalité maternelle. Chaque année, plus de 500 000 femmes meurent des suites de complications liées à la grossesse. L’importance des taux de mortalité féminine en Sierra Leone, au Pérou, au Burkina Faso ou au Nicaragua, pour ne citer que quelques-uns des pays auxquels Amnesty International s’est plus particulièrement intéressée en 2009, est directement liée à certaines atteintes aux droits fondamentaux de la personne. Comme j’ai pu personnellement le constater en Sierra Leone et au Burkina Faso, les gouvernements de ces pays reconnaissent le problème et prennent des mesures pour tenter d’en venir à bout. Mais cela ne suffit pas. Ils doivent redoubler d’efforts – et avec eux les acteurs de la société civile – pour faire face aux graves problèmes en matière de droits humains qui sont une des causes du nombre élevé de morts évitables, notamment la discrimination liée au genre, le mariage précoce, la négation des droits sexuels et reproductifs des femmes, ou les difficultés qui empêchent les femmes d’accéder aux soins élémentaires. Et ils doivent pouvoir compter dans cette entreprise sur le soutien de la communauté internationale.
Le droit relatif aux droits humains reconnaît que la capacité à disposer de moyens suffisants constitue une condition essentielle pour la réalisation de certains aspects des droits économiques, sociaux et culturels, et préconise donc leur « réalisation progressive », « au maximum [des] ressources disponibles ». Le manque de moyens ne peut cependant pas servir de prétexte aux gouvernements pour ne rien faire. L’existence de cas de mortalité maternelle évitables dans un pays n’est pas directement liée à son niveau de ressources. Par exemple, le taux de mortalité maternelle est bien plus élevé en Angola qu’au Mozambique, un pays pourtant beaucoup plus pauvre. On constate la même chose avec le Guatemala, dont le PIB est près du double de celui du Nicaragua, mais qui connaît un taux de mortalité maternelle plus important.
Autre droit souvent bafoué : le droit au logement. En 2009, Amnesty International s’est préoccupée du sort de dizaines de milliers de sans-abri de N’Djamena, la capitale du Tchad, victimes d’expulsions forcées, ainsi que de celui des habitants des quartiers misérables du Caire, en Égypte, exposés en permanence à toutes sortes de dangers, dont celui de glissements de terrains meurtriers, parce que les pouvoirs publics ne leur proposent aucune solution de logement décent. À Nairobi, au Kenya, des représentants d’Amnesty International ont défilé avec les habitants du quartier de Kibera, le plus grand bidonville d’Afrique, et d’autres secteurs pauvres de la ville, pour exiger que leur droit à bénéficier d’un logement et de services appropriés soit respecté. Dans la bande de Gaza, le conflit de 2008-2009 a notamment entraîné la destruction de nombreuses maisons, une situation aggravée par le blocus imposé au territoire, qui empêchait l’approvisionnement en matériaux de construction. Ce blocus, qui frappe plus particulièrement les personnes les plus vulnérables, constitue une punition collective. À ce titre, il constitue une atteinte au droit international.
Toutes les situations que nous venons d’évoquer concernent des personnes qui ont au moins un point commun : elles sont pauvres. Ce sont les pauvres qui souffrent le plus de la discrimination. Et c’est dans leur cas que la nécessité de faire respecter tous les droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme est la plus évidente. La discrimination est l’un des grands facteurs de pauvreté. Elle détermine souvent la politique des gouvernements et la manière dont les fonds publics sont alloués. En outre, la majorité des pauvres de la planète sont des femmes, et ce sont aussi elles qui souffrent le plus de discriminations, dans les textes comme dans la pratique. Vivre en sûreté ne devrait pas être réservé aux hommes ou aux riches. Les femmes et les filles, quels que soient leurs moyens, devraient être en sûreté au cours de leurs grossesses, dans leur foyer, lorsqu’elles se rendent à l’école ou au travail.
Un certain nombre de mesures positives ont toutefois été prises pour que les responsables du non-respect de droits économiques, sociaux ou culturels soient tenus de rendre des comptes. Les juridictions nationales interviennent de plus en plus fréquemment pour protéger ces droits et pour exiger que les gouvernements modifient leur politique, afin que les droits à la santé, au logement, à l’éducation et à l’alimentation soient assurés au minimum. Et ces prises de position sont encouragées par les mécanismes internationaux.
Ainsi, en novembre 2009, dans une décision qui fera date, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a estimé à Abuja que l’éducation était un droit fondamental auquel tous les Nigérians pouvaient prétendre. La Cour a indiqué que le droit à l’éducation était juridiquement opposable, rejetant toutes les objections invoquées par les autorités, qui prétendaient que l’éducation relevait « simplement des orientations politiques du gouvernement » et n’était pas « une prérogative des citoyens garantie par la loi ».
Autre exemple, en Roumanie cette fois, à Miercurea Ciuc, où un groupe de Roms expulsés de force d’un immeuble vétuste du centre-ville et contraints de vivre depuis 2004 dans des cabanes de chantier en tôle et dans des abris de fortune, à proximité d’une station d’épuration, a introduit un recours en décembre 2008 devant la Cour européenne des droits de l’homme. Soutenues par plusieurs ONG locales, ces personnes avaient épuisé, au niveau national, toutes les voies de recours susceptibles de leur permettre d’obtenir des réparations ; elles avaient aussi constaté que les jugements prononcés en leur faveur par les tribunaux roumains n’avaient aucun effet dans la pratique.
L’ouverture à la signature du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en septembre 2009, a marqué une étape importante dans l’instauration d’un véritable mécanisme permettant de demander des comptes aux auteurs de violations dans ce domaine. Ce texte met en place, pour la première fois, un dispositif international permettant de recevoir les recours des individus, qui soutiendra en outre les initiatives prises dans le cadre national pour que les victimes puissent disposer de réels recours.
L’obligation de rendre des comptes en matière de droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels est encore plus importante aujourd’hui, alors que les multiples crises – alimentaire, énergétique, financière – ont eu pour effet de faire basculer dans la misère des millions d’êtres humains supplémentaires. Le respect de tous les droits humains, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, doit faire partie intégrante de toute action, nationale ou internationale, de réponse à ces crises.
Les gouvernements ne sont cependant pas les seuls à jouer un rôle dans la situation que nous connaissons. On assiste actuellement à une montée en puissance et en influence des acteurs économiques mondiaux. Les décisions prises par les entreprises et l’influence qu’elles exercent peuvent avoir un impact majeur sur les droits fondamentaux des personnes. Trop souvent, des sociétés privées profitent de l’absence de réglementation effective, voire n’hésitent pas à travailler en étroites relations avec des gouvernements répressifs et souvent corrompus, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses.
Ces 15 dernières années ont été marquées par le développement de dispositions juridiques visant à protéger des intérêts économiques planétaires, par le biais de toute une série d’accords sur le commerce et les investissements internationaux, appuyés par des mécanismes garantissant leur application. Alors que ces intérêts économiques ont su mettre la loi à leur service, les hommes et les femmes lésés par leurs activités voient souvent le droit plier face à la puissance des grandes entreprises.
En décembre 2009, cela a fait 25 ans que s’est produite la catastrophe de Bhopal, en Inde, provoquée par une fuite massive de produits chimiques mortels dans une usine de pesticides appartenant au groupe Union Carbide. Les morts se sont comptés par milliers ; on estime à environ 100 000 le nombre de personnes dont la santé reste aujourd’hui affectée par les émanations résultant de cette fuite. Un quart de siècle plus tard, malgré tous leurs efforts pour obtenir justice, que ce soit devant les tribunaux indiens ou devant ceux des États-Unis, les survivants de la catastrophe de Bhopal n’ont pas pu bénéficier de véritables réparations, et personne n’a jamais eu à répondre de cette catastrophe ni de ses suites.
Les entreprises ne sont que rarement obligées d’assumer la responsabilité de leurs actes. Les tentatives visant à obtenir justice se heurtent à l’inefficacité des systèmes judiciaires, à la difficulté d’obtenir des informations, à l’influence que peuvent avoir certains groupes privés au sein même des organismes chargés de légiférer et de réglementer, à la corruption et aux liens forts qui existent souvent entre États et grandes entreprises. Bien que, par définition, les multinationales ignorent les frontières, on continue de se heurter, lorsque l’on cherche à intenter une action en justice contre elles à l’étranger, à des obstacles juridiques et juridictionnels considérables. Les grandes entreprises internationales opèrent dans une économie mondialisée, mais dans un cadre législatif qui, lui, ne l’est pas.
Pourtant, en dépit des énormes difficultés que cela pose, il est de plus en plus fréquent que des personnes touchées par les activités de ces groupes transnationaux engagent des poursuites judiciaires contre ces derniers, individuellement ou collectivement, dans l’espoir de les mettre devant leurs responsabilités et d’obtenir des réparations. Au Nigeria, les compagnies pétrolières travaillent depuis 50 ans sans aucun contrôle réglementaire réel, au plus grand détriment de l’environnement et des droits fondamentaux des populations. Or, la plupart des communautés dont l’existence même et les moyens de subsistance se trouvent dégradés n’ont guère pu se faire entendre de la justice nigériane. Mais en décembre 2009, un tribunal néerlandais a accepté de donner suite à une plainte portée contre la société Shell par quatre ressortissants nigérians, qui demandaient à être indemnisés pour le préjudice qu’avait entraîné pour eux une pollution par le pétrole.
De même, la société de négoce international de matières premières Trafigura, poursuivie devant les tribunaux britanniques dans une affaire qui a fait beaucoup de bruit, a accepté en 2009 de verser, dans le cadre d’un arrangement à l’amiable, 45 millions de dollars à environ 30 000 personnes victimes du déversement de déchets toxiques à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Ces déchets avaient été apportés à Abidjan en 2006 à bord du Probo Koala, un navire affrété par Trafigura, puis ils avaient été dispersés sur plusieurs sites, autour de la ville. À la suite de cette opération, plus de 100 000 personnes avaient dû consulter les services médicaux pour toute une série de problèmes de santé. Une quinzaine de décès avaient été signalés.
Les arrangements de ce genre, en marge des tribunaux, peuvent constituer un semblant de justice pour les victimes, mais ils comportent souvent des conditions limitatives et ne débouchent pas sur de véritables réparations ni sur une reconnaissance réelle des responsabilités. Dans l’affaire ivoirienne, certains aspects cruciaux de l’impact en matière de droits humains de ce déversement de déchets toxiques n’ont pas été abordés. Il reste beaucoup à faire pour combler les vides juridiques et juridictionnels qui favorisent actuellement l’impunité concernant l’activité des entreprises. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses à proclamer leur attachement aux droits humains, mais elles doivent soutenir activement les initiatives prises dans ce domaine.

Respect de tous les droits et responsabilisation : un objectif à l’échelle mondiale

Les dirigeants du monde entier se réuniront au siège de l’ONU en septembre 2010 pour examiner la réalisation des promesses définies par les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en matière d’amélioration du sort de tous ceux qui vivent dans la pauvreté. Or, nous sommes manifestement encore très loin des buts qui avaient été fixés pour 2015. Cet échec annoncé a un prix : des centaines de millions d’êtres humains se voient nier le droit de vivre dans la dignité – non seulement de jouir des libertés politiques les plus essentielles, mais également de bénéficier d’une alimentation, d’un logement, de soins de santé, d’une éducation et d’une sécurité suffisantes, comme le leur garantit pourtant la Déclaration universelle des droits de l’homme. Car l’objectif, inchangé, reste que les êtres humains soient libérés de la terreur et de la misère.
De grandes ressources d’énergie ont été consacrées à la création de la CPI et des autres mécanismes internationaux destinés à faire régner la justice ; il faut aujourd’hui déployer les mêmes efforts pour que la notion d’obligation de rendre des comptes soit davantage reconnue par un ordre politico-économique mondial qui est loin de respecter la totalité des droits humains. Pour cela, il faut apprendre à penser autrement. Les OMD ne peuvent pas être de simples promesses. Ils doivent être fondés sur les engagements juridiquement contraignants, pris par les gouvernements, de garantir les droits fondamentaux de la personne. Il est par conséquent nécessaire de mettre en place des mécanismes chargés de veiller à ce que ces gouvernements tiennent parole. Lorsqu’un État est pris en défaut, des recours efficaces doivent exister.
Si la démarche de réalisation des OMD s’appuyait vraiment sur les points de vue de celles et ceux qui vivent dans la pauvreté, le principe de l’obligation de rendre des comptes en sortirait renforcé. Toute personne a le droit de participer aux décisions qui affectent sa vie et d’avoir libre accès aux informations la concernant. Or, les détenteurs de droits n’ont guère eu leur mot à dire dans l’élaboration des OMD. De plus, le processus visant à la réalisation des OMD doit permettre de soumettre à un contrôle adéquat les gouvernements qui appliquent des politiques nationales – avec parfois des conséquences internationales – préjudiciables à la concrétisation de droits fondamentaux inscrits dans ces Objectifs. Tous les gouvernements, mais plus particulièrement ceux des pays du G20, qui prétendent à un rôle plus déterminant au niveau mondial, doivent être tenus de répondre des résultats de leurs politiques, qui doivent se traduire par des améliorations effectives dans la vie des habitants les plus pauvres de notre planète.
Dans cette optique, les États et les agents non étatiques doivent être en permanence rappelés à leurs obligations et à leurs responsabilités légales. Comme jamais auparavant, de multiples acteurs, dont de nombreux militants des droits humains, des organisations de la société civile ou encore des juristes, se mobilisent pour y veiller, travaillant en collaboration avec les dirigeants lorsqu’ils partagent leurs objectifs, mais n’hésitant pas à les affronter lorsque ce n’est pas le cas, en cherchant à imposer aux institutions et aux individus l’obligation de rendre des comptes. Le mouvement de défense des droits humains a aujourd’hui tendance à se mondialiser et à se diversifier, transcendant de mieux en mieux les frontières et les disciplines, au service d’un projet global pour le respect des droits et des libertés.
Au seuil de la deuxième décennie du millénaire, Amnesty International œuvre au sein de ce mouvement mondial, aux côtés de nombreux partenaires, avec la volonté de réaffirmer la valeur universelle des droits humains ; elle dénonce les tentatives visant à les découper ou à les morceler et montre en quoi ils influent directement sur la manière dont vivent les gens. Ce faisant, nous réaffirmons notre attachement à une philosophie des droits humains selon laquelle, au-delà des États, des groupes armés ou des entreprises, chaque individu est un acteur du changement, doté de droits, mais aussi de devoirs. Nous avons tous des droits dont nous devons exiger le respect, la protection et la réalisation par l’État et la société, mais nous avons tous également le devoir de respecter les droits des autres et d’agir solidairement, tous ensemble, pour que soit tenue la promesse de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

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