GUINÉE

De nouveaux cas de torture et autres mauvais traitements imputables aux forces de sécurité ont été signalés. Des dizaines de Guinéens ont fait l’objet d’arrestations et de placements en détention arbitraires. Amnesty International considérait certains de ces détenus comme des prisonniers d’opinion. Les crimes contre l’humanité perpétrés en septembre 2009 n’ont donné lieu à aucune poursuite. Des affrontements violents ont éclaté en fin d’année, sur fond de contestation des résultats électoraux.

RÉPUBLIQUE DE GUINÉE
CHEF DE L’ÉTAT : Sékouba Konaté, remplacé par Alpha Condé le 21 décembre
CHEF DU GOUVERNEMENT : Kabiné Komara, remplacé par Jean-Marie Doré le 26 janvier, remplacé à son tour par Mohamed Saïd Fofana le 24 décembre
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 10,3 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 58,9 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 157 / 138 ‰

Contexte

Sékouba Konaté, nommé président par intérim en décembre 2009, a obtenu le soutien de la communauté internationale, qui a instamment prié les autorités guinéennes d’organiser une élection présidentielle. Jean-Marie Doré, un civil, a été choisi pour le poste de Premier ministre en janvier et un nouveau gouvernement a été constitué en février. En mai, la Guinée s’est dotée d’une nouvelle Constitution par décret présidentiel.
En juin, à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, des accusations de fraude au sein de la Commission électorale nationale indépendante ont déclenché des tensions politiques et ethniques. Différé à trois reprises, le deuxième tour a eu lieu en novembre. Le chef d’opposition Alpha Condé a remporté le scrutin mais le candidat malheureux, Cellou Dalein Diallo, a déclaré que l’élection avait été truquée ; des affrontements violents ont alors éclaté entre ses partisans et les forces de sécurité. Le couvre-feu a été décrété et les forces de sécurité ont été investies de pouvoirs supplémentaires dans le cadre de l’état d’urgence instauré le 17 novembre.
En octobre, l’Union européenne a prorogé les sanctions prises à l’encontre de la Guinée. En plus d’un embargo sur les armes, l’Union a interdit l’entrée sur le territoire de ses États membres de personnes liées à la répression de septembre 2009.

Crimes de droit international – septembre 2009

La commission d’enquête nationale créée pour faire la lumière sur les événements du 28 septembre 2009 a remis ses conclusions en février 2010. Elle a reconnu le caractère violent de la répression policière tout en incriminant les « manifestants surexcités » ainsi que le sous-équipement et le manque de coordination des forces de sécurité. Elle a également accusé les organisations de la société civile d’avoir « diffusé tous azimuts de[s] chiffres fantaisistes portant sur le nombre de morts, de viols et de disparus ». S’agissant des violences sexuelles, la commission a indiqué dans son rapport qu’aucune femme victime de viol n’était venue témoigner devant elle et que ses conclusions s’appuyaient donc exclusivement sur des dossiers médicaux. Ayant désigné le lieutenant Aboubacar « Toumba » Diakité – l’auteur présumé de la tentative d’assassinat contre le président Camara – et son unité de « bérets rouges » comme les responsables des violences de septembre 2009, la commission a demandé qu’ils soient traduits devant la justice guinéenne. Elle a en outre préconisé une amnistie générale pour les fautes commises par les dirigeants de l’ancienne opposition, qui venaient d’entrer au gouvernement.
La commission a considéré que les dirigeants politiques de l’époque avaient une part de responsabilité dans les événements qui se sont produits par la suite, dans la mesure où ils avaient refusé d’annuler la manifestation interdite par les autorités. Elle a ajouté que les manifestants s’étaient rendus coupables de vols, de pillages et de destruction de biens publics et privés.
En février, la procureure-adjointe de la Cour pénale internationale (CPI) a déclaré qu’il ne fallait pas laisser impunis les crimes commis en Guinée et que leurs auteurs devaient être jugés par les autorités guinéennes compétentes ou par la CPI elle-même. Elle a rappelé que des crimes contre l’humanité avaient été perpétrés le 28 septembre 2009 et dans la période qui avait suivi, ajoutant que la CPI devait poursuivre ses investigations préliminaires.
Les autorités guinéennes n’ont pris aucune mesure pour suspendre de leurs fonctions ou poursuivre en justice les auteurs de violations des droits humains. Le gouvernement nommé en février comptait dans ses rangs des membres de la junte militaire qui avaient servi l’équipe précédente. Deux anciens ministres que la Commission d’enquête internationale des Nations unies avait nommément cités en relation avec les événements de septembre 2009 ont obtenu une fonction au sein du cabinet du président. Alors que la Commission d’enquête avait remis son rapport au secrétaire général des Nations unies en décembre 2009, le document n’avait toujours pas été rendu officiellement public à la fin de l’année 2010.

Surveillance internationale

Le bilan de la Guinée en matière de droits humains a été évalué en mai au titre de l’examen périodique universel des Nations unies. La Guinée a accueilli favorablement plus de 100 recommandations formulées dans ce cadre. Elle a accepté de traduire en justice tous les auteurs présumés d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture, de sévices, de viol et d’autres violations graves des droits humains ; de faire en sorte que les victimes de ces violations bénéficient d’une réparation intégrale et que les familles des morts reçoivent une indemnisation appropriée ; et de renforcer la protection des groupes vulnérables, en particulier des femmes. En revanche, la Guinée a fait part de ses réserves au sujet de neuf recommandations, dont une concernant l’abolition de la peine de mort.

Torture et autres mauvais traitements

De nouveaux cas de torture et autres mauvais traitements imputables aux forces de sécurité ont été signalés. La plupart des personnes arrêtées de manière arbitraire ont été frappées au moment de leur interpellation, soit dans la rue soit chez elles. Certaines ont également reçu des coups alors qu’elles se trouvaient au quartier général de la gendarmerie ou dans un poste de police.

  • En octobre, les forces de sécurité ont mis à sac plusieurs quartiers de Conakry, la capitale, notamment ceux de Bambeto, Koza et Hamdallaye. Cinq personnes, parmi lesquelles Mamadou Adama Diallo, ont été frappées et emmenées au poste de police. Elles ont été libérées un peu plus tard sans avoir été inculpées.
  • En octobre, Aliou Barry, le président de l’Observatoire national de la démocratie et des droits de l’homme, a été frappé alors qu’il tentait de protéger un groupe d’habitants d’Hamdallaye qui se faisaient brutaliser par des membres des forces de sécurité. Il a eu le bras gauche fracturé ; emmené au quartier général de la gendarmerie, il a été retenu durant quelques heures avant d’être libéré sans inculpation.

Arrestations et détentions arbitraires

En juin et en novembre, respectivement après le premier et le deuxième tour de l’élection présidentielle, des dizaines de Guinéens ont été arrêtés et placés en détention dans des casernes militaires ou des postes de police. Certains pouvaient être considérés comme des prisonniers d’opinion. La plupart n’ont pas pu bénéficier des services d’un avocat et beaucoup se sont aussi vu refuser le droit de voir leurs proches ou de recevoir des soins médicaux. Quelques-uns ont été remis en liberté au bout de quelques jours ou quelques semaines.

Utilisation excessive de la force

Au cours de diverses manifestations et réunions politiques, les forces de sécurité ont fait une utilisation injustifiée ou excessive de la force contre des manifestants pacifiques. En novembre, au moins 10 Guinéens ont été tués en pleine rue. Les forces de sécurité ont tiré sur eux, les touchant à la tête, à l’abdomen ou au thorax.

  • Mamadou Macka Diallo, un jeune homme de 18 ans étudiant à Conakry, a été tué par un policier en novembre. Abdoulaye Ba, un lycéen de 16 ans, a été abattu par un membre des forces de sécurité au moment où il rentrait chez lui, à Koza, un quartier de Conakry. Abdoulaye Boubacar Diallo, un docker qui s’est mis à courir en voyant les forces de sécurité tirer sur les gens, a été tué par un membre des forces de sécurité.
    En septembre et en octobre, après le report de l’élection, les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser les partisans de formations politiques rivales qui manifestaient. Elles ont fait feu sans discernement sur des civils non armés, ont frappé des manifestants et saccagé des habitations. En octobre, plus de 60 personnes ont été blessées dont au moins 15 par balle. L’une des victimes, Ibrahim Khalil Bangourah, a succombé à ses blessures.
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