CROATIE

Malgré les pressions de la communauté internationale, les poursuites contre les auteurs présumés des crimes commis pendant la guerre de 1991-1995 piétinaient. Les membres des forces de sécurité croates accusés d’actes criminels perpétrés à l’époque continuaient bien souvent de jouir d’une totale impunité. Le président de la République a toutefois démontré une certaine volonté de faire la lumière sur ce qui s’était passé pendant le conflit. Cependant, ni le gouvernement ni les autorités judiciaires n’ont pris les mesures concrètes devant permettre de résoudre la question des crimes de guerre. Les Roms et les Serbes de Croatie, ainsi que les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles et les transgenres, faisaient toujours l’objet de discriminations.

RÉPUBLIQUE DE CROATIE
CHEF DE L’ÉTAT : Stjepan Mesi ?, remplacé par Ivo Josipovi ? le 18 février
CHEF DU GOUVERNEMENT : Jadranka Kosor
PEINE DE MORT : abolie
POPULATION : 4,4 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 76,7 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 8 / 7 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 98,7 %

Contexte

Les négociations en vue de l’adhésion à l’Union européenne se sont poursuivies et, dans plusieurs domaines, elles ont même abouti. Les discussions concernant la justice et les droits fondamentaux ont débuté en juin, et l’Union européenne a fixé un certain nombre de jalons spécifiques.
Dans son rapport de décembre au Conseil de sécurité de l’ONU, le procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le Tribunal) regrettait que la Croatie n’ait toujours pas produit tous les documents militaires importants concernant l’opération Tempête (nom de la vaste offensive militaire lancée en 1995 par l’armée croate).

Justice nationale – crimes de droit international

Les poursuites contre les auteurs présumés des crimes commis pendant la guerre de 1991-1995 n’avançaient toujours qu’avec lenteur.
Le système judiciaire croate disposait de moyens limités pour traiter les affaires de crimes de guerre. En moyenne, moins de 18 affaires étaient jugées chaque année. Des centaines de dossiers n’avaient toujours pas été ouverts, notamment parmi ceux qui concernaient des crimes dont les victimes étaient des Serbes de Croatie et dont les auteurs présumés servaient à l’époque dans les forces de sécurité croates.
Les tribunaux saisis de ces affaires continuaient d’appliquer le Code pénal de 1993, qui n’était pas conforme aux normes internationales et qui ne définissait pas clairement un certain nombre de concepts pénaux fondamentaux, comme le principe de responsabilité de la chaîne de commandement, la notion de violence sexuelle constitutive de crime de guerre ou encore la notion de crime contre l’humanité. Il permettait à de nombreux auteurs de crimes d’échapper à toute sanction.
Comme les années précédentes, les actes d’intimidation contre les témoins restaient fréquents dans les salles d’audience et les mesures destinées à apporter un soutien et une protection aux victimes et aux témoins étaient insuffisantes. Seuls quatre tribunaux disposaient des installations et du personnel permettant d’assurer un réel soutien aux témoins.
Pour l’essentiel, les textes de loi adoptés en 2003 et destinés à aplanir les obstacles empêchant les poursuites en justice pour crimes de guerre n’étaient toujours pas appliqués. La volonté politique nécessaire à la mise en œuvre de réformes du système judiciaire et de mesures permettant d’en finir avec l’impunité faisait gravement défaut.
Les autorités ne faisaient rien pour que les victimes de crimes de guerre et leurs familles aient accès à des réparations.

  • La Cour suprême a confirmé en juillet la culpabilité de Branimir Glavaš et de cinq autres accusés, reconnue en 2009 par le tribunal régional de Zagreb pour des crimes commis pendant la guerre à Osijek contre des Serbes de Croatie. La Cour a cependant réduit les peines en donnant une importance considérable à diverses circonstances atténuantes. Certaines de ces circonstances, comme le fait que les accusés étaient à l’époque au service de l’armée de Croatie, étaient en contradiction avec les normes internationales.
    Détenteur d’un passeport bosniaque, Branimir Glavaš avait pris la fuite en mai 2009 pour se réfugier en Bosnie-Herzégovine. Le jugement prononcé en juillet 2010 par la Cour suprême de Croatie a été confirmé en septembre par la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine, ce qui a entraîné l’arrestation de Branimir Glavaš le 28 du même mois. En octobre, l’Office de lutte contre la corruption et la criminalité organisée a ouvert une enquête sur cinq personnes, dont un membre du Parlement croate, qui étaient soupçonnées d’avoir tenté, en juin et juillet, de recruter des intermédiaires chargés d’acheter les magistrats ayant à juger l’affaire Branimir Glavaš, dans l’espoir d’obtenir d’eux une décision plus favorable aux accusés.
  • La Cour suprême de Croatie a confirmé en mars la condamnation de Mirko Norac et l’acquittement de Rahim Ademi, prononcés en 2008 par le tribunal régional de Zagreb. Les deux hommes étaient accusés de crimes de guerre, et notamment de meurtre, de traitements inhumains, de pillage et de destruction sans motif de biens, commis contre des civils et des prisonniers de guerre serbes de Croatie dans le cadre des opérations militaires de 1993. La Cour suprême a cependant réduit de sept à six ans d’emprisonnement la peine prononcée en première instance à l’encontre de Mirko Norac, citant un certain nombre de circonstances atténuantes dont beaucoup étaient en contradiction avec le droit international. La Cour a notamment retenu comme facteur atténuant le fait que les crimes avaient été commis au cours d’une action militaire menée en toute légalité par l’armée croate, ainsi que la participation de l’accusé à la guerre d’indépendance du pays.
    En juin, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a instamment prié les autorités croates de prendre les mesures qui s’imposaient pour que les affaires de crimes de guerre soient traitées et jugées en toute objectivité, indépendamment de l’origine, ethnique ou autre, des auteurs présumés, et dans le respect du principe de la prohibition de toute forme de discrimination. Il concluait que le fait d’avoir servi dans l’armée ou la police croates ne pouvait pas être invoqué comme une circonstance atténuante en cas d’atteintes graves aux droits humains.
    Dans son rapport sur les progrès réalisés par la Croatie, publié en novembre, la Commission européenne observait que la question de l’impunité pour les crimes de guerre restait un problème, en particulier lorsque les victimes étaient des personnes d’origine serbe et que les auteurs présumés appartenaient à l’armée croate.
  • Tomislav Mer ?ep a été arrêté le 10 décembre à Zagreb. Dans un rapport paru la veille, Amnesty International l’avait cité comme figurant parmi plusieurs individus notoires soupçonnés de crimes de guerre. Une information avait été ouverte contre Tomislav Mer ?ep en raison, notamment, de sa responsabilité présumée, ayant un rôle de commandement, dans le meurtre et la disparition forcée de 43 personnes, à Zagreb et à Pakra ?ka Poljana, pendant la guerre de 1991-1995.

Justice internationale

Plusieurs affaires concernant des atteintes au droit international perpétrées sur le territoire croate pendant la guerre de 1991-1995 étaient en instance devant le Tribunal, à La Haye.

  • Entre juillet et septembre, le Tribunal a entendu le réquisitoire du procureur et les plaidoyers des défenseurs de trois généraux croates à la retraite, Ante Gotovina, Ivan ?ermak et Mladen Marka ?. Ces trois hommes étaient accusés de neuf chefs de crimes contre l’humanité et d’atteintes aux lois ou coutumes de la guerre, qu’ils auraient commis à l’encontre de la population serbe de 14 municipalités du sud de la Croatie pendant l’opération Tempête, en 1995. Le jugement devait être prononcé courant 2011.
    On continuait de s’interroger sur la volonté réelle de la Croatie de collaborer avec le Bureau du procureur du Tribunal. En juillet, la Chambre de première instance du Tribunal a rappelé que les autorités croates étaient tenues de coopérer. Elle a toutefois rejeté une requête du procureur, qui la priait de mettre en demeure lesdites autorités de produire les éléments concernant cette affaire. La Chambre a estimé que, étant donné la nature de la procédure en cours, elle n’était pas à même de déterminer si le gouvernement croate avait la possibilité de satisfaire la demande qui lui avait été faite. La Chambre ne s’est pas non plus prononcée sur l’existence des documents recherchés.
  • Le procès de Vojislav Šešelj, accusé de crimes en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en Serbie (Voïvodine), s’est poursuivi. Vojislav Šešelj était inculpé de plusieurs chefs relatifs à des crimes contre l’humanité, et notamment de persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, d’expulsion et d’actes inhumains. Il était également inculpé de violations des lois ou coutumes de la guerre (meurtre, torture, traitement cruel, destruction sans motif de villages ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, destruction ou endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion ou à l’enseignement, pillage de bien publics ou privés).
  • Le procès de Mom ?ilo Periši ?, accusé entre autres de crimes liés au bombardement de Zagreb, en mai 1995, s’est poursuivi devant la Chambre de première instance du Tribunal. La Chambre a accepté en novembre la requête du procureur, qui demandait que de nouveaux éléments soient soumis dans cette affaire.
  • Le procès de Jovica Staniši ? et de Franko Simatovi ? s’est poursuivi. Les deux hommes étaient notamment inculpés de persécutions pour des raisons raciales ou religieuses, de meurtre, d’expulsion et d’actes inhumains perpétrés contre la population non serbe des zones de Croatie sous contrôle serbe pendant la guerre de 1991-1995. De nouveaux éléments ont été versés au dossier au mois d’octobre. La Chambre de première instance a procédé en cours d’année à des aménagements du calendrier du procès, en raison de l’état de santé de Jovica Staniši ?. Le décès du principal avocat de Franko Simatovi ?, en 2009, a également entraîné un certain retard.
  • La condamnation de Veselin Šljivan ?anin, reconnu coupable d’avoir aidé et encouragé le meurtre de 194 prisonniers de guerre, après la chute de Vukovar, en novembre 1991, a été revue par la Chambre d’appel du Tribunal. Celle-ci a finalement réduit sa peine de 17 à 10 ans d’emprisonnement.

Liberté de réunion

Au moins 140 personnes ont été placées en détention lors d’une manifestation non violente qui a eu lieu à Zagreb le 15 juillet (elles ont été relâchées peu de temps après). Ces arrestations ont suscité des inquiétudes quant au respect du droit à la liberté de rassemblement.
La manifestation avait été organisée par l’association Pravo na Grad (Droit à une ville), issue de la société civile, qui entendait s’opposer à la démolition d’une partie de la rue Varšavska, située dans le centre historique de la capitale, pour faire place à une rampe d’accès permettant d’entrer et de sortir d’un centre commercial. Le projet prévoyait notamment de couper plusieurs arbres et de transformer une voie piétonne publique en voie d’accès à une propriété privée.

Discriminations

Minorités ethniques

Les Roms faisaient toujours l’objet de discriminations en matière de droits économiques et sociaux, notamment dans le domaine de l’éducation, de l’emploi et du logement. Les mesures prises par les autorités restaient insuffisantes.
En mars, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a prononcé son arrêt dans l’affaire Oršuš et autres c. Croatie. La Grande Chambre a estimé que le placement, en 2002, de 14 écoliers roms dans des classes séparées, selon des critères de maîtrise de la langue croate, constituait un acte de discrimination basée sur des considérations ethniques.
La Grande Chambre a en particulier conclu que les tests subis par les enfants, loin d’évaluer leur niveau de langue comme le prétendait le gouvernement, étaient destinés à les placer dans des classes exclusivement réservées aux Roms, en fonction uniquement de leur niveau de développement psycho-physique. Une fois scolarisés dans des classes réservées aux Roms, les enfants n’avaient bénéficié d’aucune mesure susceptible de leur permettre de combler les lacunes qu’ils étaient censés présenter en croate. Aucun dispositif n’avait par conséquent été mis en place pour suivre les progrès de ces élèves dans l’apprentissage de cette langue. Le programme scolaire appliqué dans les classes réservées aux enfants roms était sensiblement réduit, le contenu étant allégé de près d’un tiers par rapport au cursus des classes ordinaires.
Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré en juin 2010 que les enfants roms étaient toujours victimes d’une « ségrégation de fait » dans certains établissements du pays.
La rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à un logement convenable s’est rendue en juillet en Croatie. Elle a estimé que la situation en matière de logement dans ce pays était fortement influencée par les effets du conflit armé et par la transition d’un concept de logements propriétés de la collectivité à un modèle orienté vers le marché privé. Les groupes les plus vulnérables, comme les Roms ou les Serbes de Croatie, souffraient tout particulièrement de cette situation. La rapporteuse s’est également émue des conditions de vie dans les campements roms. Elle a en outre noté que plus de 70 000 Serbes de Croatie étaient toujours réfugiés dans les pays voisins, dont au moins 60 000 en Serbie.

Droits des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et des transgenres

La Gay Pride de Zagreb s’est déroulée le 19 juin. Les quelque 500 participants ont bénéficié d’une protection de la part de la police et aucun incident majeur n’a été signalé. Deux participants ont toutefois été agressés par un groupe de jeunes gens après la dissolution du cortège. Une enquête destinée à identifier les agresseurs a été ouverte, mais elle n’avait donné aucun résultat à la fin de l’année.

Visites et documents d’Amnesty International

  • Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Croatie en janvier, en mars/avril, puis en décembre.
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