Rapport annuel 2018

République démocratique du Congo

Chef de l’État : Joseph Kabila
Chef du gouvernement : Bruno Tshibala Nzenze (a remplacé Samy Badibanga Ntita en avril)

La situation des défenseurs des droits humains s’est encore dégradée. Les violences dans la région du Kasaï ont fait des milliers de morts, provoqué le déplacement à l’intérieur du pays d’au moins un million d’habitants et contraint plus de 35 000 personnes à fuir en Angola, pays frontalier. Dans l’est du pays, des groupes armés et les forces gouvernementales ont continué, en toute impunité, de s’en prendre aux civils et d’exploiter illégalement les ressources naturelles. La police, les services du renseignement et les tribunaux ont cette année encore réprimé les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Des défenseurs des droits humains et des journalistes ont été harcelés, intimidés, arrêtés arbitrairement, expulsés ou tués.

CONTEXTE

Le président Joseph Kabila est resté en poste malgré l’expiration, le 19 décembre 2016, de son deuxième mandat, le dernier autorisé par la Constitution. Un accord politique a été signé en décembre 2016 par la coalition au pouvoir, l’opposition et certaines organisations de la société civile. Il prévoyait le maintien au pouvoir du président Kabila, ainsi que la nomination d’un gouvernement d’unité nationale dirigé par un Premier ministre désigné par le Rassemblement, le principal mouvement d’opposition, et chargé d’organiser des élections avant décembre 2017. Il créait également un Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA) chargé de contrôler les avancées réalisées, dont la présidence a été confiée à Étienne Tshisekedi, dirigeant du Rassemblement. Cet accord comprenait l’engagement pris par le président Kabila de respecter la limite de deux mandats prévue par la Constitution, et de ne pas entreprendre une révision ou une modification de la Constitution. La mise en œuvre de l’accord a achoppé sur la question de la nomination des responsables politiques et de la distribution des postes pour les institutions de transition. Étienne Tshisekedi est décédé en février. En avril, le président Kabila a nommé unilatéralement Bruno Tshibala au poste de Premier ministre ; le Rassemblement a refusé de reconnaître cette nomination. En juillet, Joseph Olenghankoy a lui aussi été nommé unilatéralement à la présidence du CNSA. Les principaux dirigeants de l’opposition, l’Église catholique et la communauté internationale ont dénoncé ces nominations, estimant qu’elles violaient les termes de l’accord conclu.
Le processus d’inscription des électeurs, en amont des scrutins, a subi des retards considérables. En juillet, le président de la Commission électorale nationale indépendante a annoncé que les élections ne pourraient pas avoir lieu en décembre 2017, notamment en raison de la situation en termes de sécurité dans la région du Kasaï. Les violences qui ont éclaté en 2016 quand le chef coutumier Kamuena Nsapu a été tué se sont propagées dans cinq provinces, déclenchant une crise humanitaire sans précédent. Dans l’est du pays, plusieurs groupes armés ont intensifié leurs attaques dans le but de chasser du pouvoir le président Kabila. Les forces de sécurité de la République démocratique du Congo (RDC), de même que la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), n’ont pas réussi à régler le problème de l’insécurité ni à neutraliser les plus de 40 groupes armés locaux ou étrangers toujours actifs.
Le taux d’inflation annuel a augmenté de 50 % en 2017, ce qui a contribué à accroître la pauvreté. Les enseignants, les professeurs d’université, les médecins, les infirmiers et les fonctionnaires ont fait grève pour réclamer une hausse de leur rémunération. Une épidémie de choléra s’est déclarée dans le pays ; au moins 24 000 personnes ont été infectées et plus de 500 d’entre elles sont mortes entre janvier et septembre.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

La liberté de la presse et le droit à l’information ont subi des restrictions. Le nombre de visas et d’accréditations délivrés aux correspondants étrangers a considérablement diminué. Au moins un journaliste, belge, a été expulsé du pays, en septembre ; deux autres journalistes, une Française et un Américain, n’ont pas réussi à obtenir la reconduction de leur accréditation, en juin et en août respectivement. Dans au moins 15 cas, des journalistes congolais et étrangers ont été victimes d’intimidations, de harcèlement ainsi que d’arrestation et de détention arbitraires alors qu’ils faisaient leur travail. Très souvent, leur équipement a été confisqué ou ils ont été contraints d’effacer des données qu’ils avaient enregistrées. Le ministre de la Communication a pris en juillet un décret instaurant une nouvelle réglementation qui oblige les correspondants étrangers à obtenir du ministère l’autorisation de voyager hors de la capitale, Kinshasa.
En août, la veille d’une manifestation de deux jours organisée par l’opposition, qui appelait les gens dans tout le pays à rester chez eux pour réclamer la publication d’un calendrier électoral, l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications du Congo a ordonné aux entreprises de télécommunication de restreindre considérablement toutes les communications et activités sur les réseaux sociaux.

LIBERTÉ DE RÉUNION

Les autorités ont continué d’interdire et de réprimer l’expression d’opinions dissidentes en public, ainsi que les rassemblements pacifiques organisés par les organisations de la société civile et l’opposition, en particulier les mouvements de protestation relatifs à la crise politique et aux élections. Des manifestants pacifiques de l’opposition ont été intimidés, harcelés et arrêtés par les forces de sécurité ; parallèlement à cela, des sympathisants du gouvernement ont pu manifester sans que les autorités interviennent.
Le 31 juillet, plus de 100 personnes, parmi lesquelles figuraient 11 journalistes congolais et étrangers, ont été arrêtées lors de manifestations d’ampleur nationale organisées par le mouvement Lutte pour le changement (LUCHA) pour réclamer la publication d’un calendrier électoral. Un journaliste a été inculpé pour des motifs liés à ces manifestations, et il était maintenu en détention à Lubumbashi ; quatre manifestants ont écopé d’une peine d’emprisonnement. Les autres personnes ont été remises en liberté le jour même ou le lendemain, sans avoir été inculpées.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

Quand les manifestations n’étaient pas organisées par des sympathisants du gouvernement, les autorités ont souvent réagi en recourant à une force excessive, voire meurtrière dans certains cas.
Le 15 septembre, à Kamanyola, l’armée et la police ont tiré sur une foule de réfugiés burundais qui protestaient contre l’arrestation et le renvoi du pays de quatre réfugiés par les services du renseignement de la RDC ;
39 manifestants ont été tués, parmi lesquels au moins huit femmes et cinq enfants, et au moins 100 ont été blessés. À la connaissance d’Amnesty International, les responsables présumés n’avaient pas été inquiétés par la justice à la fin de l’année.

DÉFENSEURES ET DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Des défenseurs des droits humains et des jeunes militants ont été pris pour cible par les forces de sécurité et les groupes armés en raison de leur travail ; parmi eux figuraient notamment Alex Tsongo Sikuliwako et Alphonse Kaliyamba, qui ont été tués dans le Nord-Kivu.
En mai, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à améliorer la protection des défenseurs des droits humains. Ce texte contenait toutefois une définition restrictive du statut de défenseur. Il renforçait le contrôle de l’État sur les organisations de défense des droits humains, et menaçait d’entraver leurs activités. Il risquait d’aboutir à la non-reconnaissance de certaines de ces organisations.

CONFLIT DANS LA RÉGION DU KASAÏ

Les violences qui ont éclaté dans la région en 2016 se sont propagées dans cinq provinces et ont fait des milliers de morts. Au 25 septembre, un million de personnes avaient été déplacées à l’intérieur du pays et un grand nombre d’infrastructures sociales et de villages avaient été détruits. Des milices sont apparues, qui ont de plus en plus souvent attaqué des personnes en raison de leur appartenance ethnique, en particulier celles qui étaient considérées comme étant favorables à l’insurrection de Kamuina Nsapu.
Des partisans de Kamuina Nsapu étaient soupçonnés d’avoir perpétré des atteintes aux droits humains dans la région, notamment d’avoir enrôlé des enfants soldats, commis des viols et des meurtres et détruit plus de 300 écoles ainsi que des marchés, des églises, des postes de police et des bâtiments officiels.
La milice Bana Mura a été créée vers le mois de mars par des individus appartenant aux groupes ethniques tshokwe, pende et tetela, avec le soutien de chefs coutumiers et de responsables locaux des forces de sécurité. Elle a lancé des attaques contre les Lubas et les Luluas, communautés qu’elle accusait de soutenir l’insurrection de Kamuina Nsapu. Entre mars et juin, d’après certaines informations, dans le territoire de Kamonia, la milice Bana Mura et l’armée ont tué 251 personnes, parmi lesquelles 62 enfants, dont 30 avaient moins de huit ans.

VIOLATIONS COMMISES PAR LES FORCES DE SÉCURITÉ

La police et l’armée congolaises se sont rendues responsables de centaines d’exécutions extrajudiciaires, de viols, d’arrestations arbitraires et d’actes d’extorsion. Entre février et avril, des vidéos ont circulé sur Internet montrant des soldats en train d’exécuter des partisans présumés de Kamuena Nsapu, y compris de jeunes enfants. Les victimes étaient armées de bâtons ou de fusils hors d’usage, ou portaient simplement un bandeau rouge autour de la tête. Le gouvernement a dans un premier temps rejeté ces accusations, expliquant qu’elles avaient été forgées de toutes pièces pour discréditer l’armée. Toutefois, en février, il a reconnu que certains " excès " avaient été commis et s’est engagé à poursuivre en justice les responsables présumés, notamment au sein des forces de sécurité, des graves atteintes aux droits humains perpétrées dans la région.

OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES

Le 6 juillet, sept soldats ont été condamnés à des peines allant d’un an d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité dans l’affaire concernant les exécutions extrajudiciaires commises dans le village de Mwanza-Lomba, dans le Kasaï-Oriental. Ces peines ont été prononcées à l’issue d’un procès lors duquel les victimes n’ont pas été identifiées et leurs proches n’ont pas eu la possibilité de témoigner à la barre ou de demander réparation.
Le 12 mars, Zaida Catalan, de nationalité suédoise, et Michael Sharp, de nationalité américaine, tous deux membres du groupe d’experts du comité chargé par le Conseil de sécurité de l’ONU de surveiller l’application des sanctions imposées, ont été exécutés lors d’une mission d’enquête dans le Kasaï-Central. Leurs corps ont été retrouvés 16 jours plus tard, non loin du village de Bunkonde. Zaida Catalan a été décapitée. Trois de leurs chauffeurs et l’interprète qui les accompagnait ont disparu ; ils n’avaient toujours pas été retrouvés à la fin de l’année. En avril, les autorités ont montré à des diplomates et des journalistes à Kinshasa un enregistrement vidéo de l’exécution des deux experts. On ignorait d’où provenait cette vidéo qui affirmait que les auteurs de ces exécutions étaient des " terroristes " de Kamuena Nsapu, et qui a été partagée sur Internet et admise à titre de preuve lors du procès des responsables présumés, toujours en cours devant un tribunal militaire. Ce procès a commencé le 5 juin dans la ville de Kananga.
En juin, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a chargé un groupe d’experts internationaux et indépendants d’enquêter sur les graves violations des droits humains commises au Kasaï. Le gouvernement s’est opposé à cette initiative. En juillet, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a annoncé la nomination d’une équipe d’experts internationaux, qui ont commencé en septembre à enquêter sur ces violences et qui doivent rendre leurs conclusions en juin 2018.

CONFLIT DANS L’EST DU PAYS

L’instabilité persistante et la poursuite du conflit ont cette année encore contribué à la commission de graves atteintes aux droits humains. Dans la région de Beni, des civils ont été pris pour cible et tués. Le 7 octobre, 22 personnes ont été tuées par des hommes armés non identifiés, sur l’axe routier Mbau-Kamango.
Les enlèvements se sont multipliés dans le Nord-Kivu ; 100 cas au moins ont été recensés dans la ville de Goma. Dans les deux provinces du Kivu et en Ituri, les forces de sécurité et de nombreux groupes armés ont continué de commettre des meurtres, des viols et des actes d’extorsion, et d’exploiter illégalement les ressources naturelles. Le conflit entre les Hutus et les Nandes, dans le Nord-Kivu, a fait des morts et provoqué des déplacements et des destructions, en particulier dans les territoires de Rutshuru et de Lubero.
Dans les provinces du Tanganyika et du Haut-Katanga, les violents affrontements entre les Twas et les Lubas se sont poursuivis. Au Tanganyika, on dénombrait 500 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. Entre janvier et septembre, plus de 5 700 Congolais ont fui en Zambie pour échapper au conflit.
Malgré l’insécurité persistante, les autorités ont continué de fermer des camps de personnes déplacées dans les environs de la ville de Kalemie, ce qui a forcé ces gens à retourner dans leurs villages ou à vivre dans des conditions encore plus difficiles.

DÉTENTION

Un nombre sans précédent d’évasions ont été enregistrées à travers le pays ; des milliers de détenus se sont échappés, et plusieurs dizaines sont morts. Le 17 mai, une attaque a été menée contre la prison centrale de Makala (Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa). Cette attaque, que les autorités ont imputée au mouvement politique Bundu dia Congore, a provoqué l’évasion de 4 000 détenus. Le 11 juin, 930 prisonniers se sont évadés de la prison centrale de Kangbayi, à Beni ; parmi eux figuraient plusieurs dizaines de détenus condamnés quelques mois plus tôt pour avoir tué des civils dans le secteur de Beni. Des centaines d’autres détenus se sont évadés de prisons et de centres de détention de la police à Bandundu-ville, Kasangulu, Kalemie, Matete (Kinshasa), Walikale, Dungu, Bukavu, Kabinda, Uvira, Bunia, Mwenga et Pweto.
Les prisons étaient surpeuplées et les conditions de détention très mauvaises, la nourriture, l’eau potable et les soins de santé étant largement insuffisants. Plusieurs dizaines de prisonniers sont morts de faim et des suites de maladies.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

En août, le ministère des Mines a validé une stratégie nationale visant à lutter contre le travail des enfants dans les mines. Des associations nationales et internationales issues de la société civile ont eu la possibilité de faire des commentaires. Le gouvernement a annoncé qu’il allait appliquer " progressivement " bon nombre de leurs recommandations et éradiquer le travail des enfants d’ici à 2025.

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