Rapport annuel 2018

Yémen

République du Yémen
Chef de l’État : Abd Rabbu Mansour Hadi
Chef du gouvernement : Ahmed Obeid bin Daghr

Toutes les parties au conflit qui se poursuivait ont commis des crimes de guerre et d’autres graves violations du droit international, et les mesures nécessaires n’avaient pas été mises en place pour que les victimes obtiennent justice et réparation. La coalition emmenée par l’Arabie saoudite, qui soutenait le gouvernement yéménite reconnu sur la scène internationale, a continué de bombarder des infrastructures civiles et mené des attaques aveugles qui ont fait des morts et des blessés parmi la population civile. Les forces Houthis-Saleh ont bombardé sans discernement des zones habitées par des civils dans la ville de Taizz, et procédé à des tirs d’artillerie aveugles en direction de l’Arabie saoudite, qui ont tué et blessé des civils de l’autre côté de la frontière. Le gouvernement yéménite, les forces Houthis-Saleh et les forces yéménites soutenues par les Émirats arabes unis ont eu recours à des pratiques illégales en matière de détention, notamment à des disparitions forcées, à la torture et à d’autres mauvais traitements. Les femmes et les filles continuaient de subir une discrimination profondément enracinée ainsi que d’autres atteintes à leurs droits fondamentaux, notamment le mariage forcé et précoce, et des violences au sein de la famille. La peine de mort a été maintenue. Aucune information n’a été rendue publique sur les condamnations à mort et les exécutions.

CONTEXTE

Le conflit armé opposant le gouvernement du président Abd Rabbu Mansour Hadi, reconnu par la communauté internationale et soutenu par une coalition emmenée par l’Arabie saoudite, aux Houthis et à leurs alliés, parmi lesquels figuraient des unités de l’armée restées fidèles à l’ancien président, Ali Abdullah Saleh, s’est poursuivi, pérennisant les prises de contrôle et les divisions territoriales. Les autorités Houthis- Saleh ont continué de contrôler de vastes portions du pays, notamment la capitale, Sanaa, et le gouvernement du président Abd Rabbu Mansour Hadi contrôlait officiellement certaines régions du sud du pays, dont les gouvernorats de Lahj et d’Aden. Le 4 décembre, Ali Abdullah Saleh a été tué par les Houthis qui affermissaient leur pouvoir sur Sanaa. Parallèlement à cela, les factions armées proliféraient et rivalisaient pour imposer leur mainmise, dans un climat d’effondrement de l’économie et d’anarchie généralisée s’expliquant par l’absence d’institutions étatiques opérationnelles.
Le gouvernement d’Abd Rabbu Mansour Hadi, dont l’autorité était limitée ou inexistante dans de vastes portions du pays, a continué de décliner et se heurtait à l’opposition de multiples acteurs et entités. Dans les régions placées sous son contrôle, l’alliance Houthis-Saleh a assumé, à travers son Conseil politique suprême, des responsabilités et fonctions dévolues à l’État. Elle a notamment formé un gouvernement, nommé des gouverneurs et pris des décrets. En mai, Aidarous al Zubaydi, l’ancien gouverneur d’Aden, et Hani bin Brik, ancien ministre d’État, ont formé le Conseil de transition du Sud, composé de 26 membres. Le Conseil, qui a dit avoir pour objectif la création d’un Yémen du Sud indépendant, et qui bénéficiait d’un soutien de la population, a tenu plusieurs réunions et établi son siège dans la ville d’Aden.
La poursuite du conflit a engendré une situation de vide politique et d’insécurité, et créé un havre pour les milices et les groupes armés, soutenus par des gouvernements étrangers. Certaines de ces forces étaient entraînées, financées et soutenues par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
Certaines forces de sécurité locales, comme les Forces d’élite hadramies et les Forces de la ceinture de sécurité, étaient armées et entraînées par les Émirats arabes unis, à qui elles rendaient directement compte. Ces forces se caractérisaient par des luttes intestines et des objectifs divergents.
Le groupe armé Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), qui contrôlait toujours des zones du sud du Yémen, a perpétré des attentats à l’explosif dans les gouvernorats d’Aden, d’Abyan, de Lahj et d’al Bayda. Les frappes aériennes classiques et celles menées au moyen d’engins télécommandés (drones) contre AQPA par les forces des États-Unis ont triplé au cours de l’année. Les forces américaines ont également mené au moins deux attaques terrestres. Le groupe armé État islamique (EI) a continué d’être actif dans certaines régions du pays, à une moindre échelle cependant.
Les négociations politiques n’ont pas avancé, et aucune cessation des hostilités n’a été notée au cours de l’année. Alors que les opérations militaires et les combats se poursuivaient dans les villes portuaires de Mokha et de Hodeida, toutes les parties au conflit ont à un moment ou un autre refusé de participer au processus conduit par l’ONU, en fonction des avancées militaires réalisées sur le terrain.

CONFLIT ARMÉ

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, en août 2017, 5 144 civils, dont plus de 1 184 enfants, avaient été tués et plus de 8 749 autres blessés depuis le début du conflit, en mars 2015. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) a indiqué que plus des deux tiers de la population avaient besoin d’une aide humanitaire, et qu’au moins 2,9 millions de personnes avaient dû s’enfuir de chez elles. L’Organisation mondiale de la santé a signalé que plus de 500 000 personnes étaient présumées souffrir du choléra en conséquence du manque d’eau potable et d’accès à des services de santé. Près de 2 000 personnes étaient mortes de cette maladie depuis le début de l’épidémie,
en 2016. La poursuite du conflit constituait la principale cause de la prévalence du choléra au Yémen.

VIOLATIONS COMMISES PAR LES FORCES HOUTHIS- SALEH ET LES MILICES PROGOUVERNEMENTALES

Les Houthis et leurs alliés, y compris des unités de l’armée restées fidèles à l’ancien président Ali Abdullah Saleh, ont continué de recourir à des tactiques violant manifestement l’interdiction des attaques menées sans discrimination. Ils ont utilisé sans discernement des munitions explosives à large champ d’action, dont des obus de mortier et d’artillerie, en direction de zones habitées qui étaient contrôlées ou revendiquées par leurs opposants, tuant et blessant des civils. La ville de Taizz a tout particulièrement été touchée, avec une intensification de ces attaques à certains moments, notamment en janvier et en mai. L’ONU a signalé qu’au moins 26 civils ont été tués et au moins 61 blessés lors d’une série d’attaques opposant les forces houthis et anti-houthis entre le 21 mai et le 6 juin. Les Houthis et leurs alliés ont également continué de poser des mines terrestres antipersonnel interdites au niveau international, qui ont fait des victimes civiles. Le 15 septembre, l’ONU a signalé d’autres séries d’attaques apparemment menées sans discrimination par les forces Houthis-Saleh à Taizz, incluant notamment le bombardement d’une maison dans le district de Shab al Dhuba et celui du marché d’al Sameel, au cours desquels trois enfants ont été tués et sept autres blessés. Les Houthis et leurs alliés, de même que les forces progouvernementales, ont continué de recruter et d’utiliser des enfants soldats.

VIOLATIONS PERPÉTRÉES PAR LA COALITION DIRIGÉE PAR L’ARABIE SAOUDITE

L’ONU a fait savoir que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui soutenait le gouvernement d’Abd Rabbu Mansour Hadi, continuait d’être le principal responsable des pertes civiles enregistrées lors de ce conflit. Cette année encore, la coalition a commis des violations graves du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, en toute impunité.
Les frappes aériennes de la coalition visant des régions contrôlées ou revendiquées par les Houthis et leurs alliés, particulièrement dans les gouvernorats de Sanaa, de Taizz, de Hajjah, de Hodeida et de Saada, ont fait des milliers de morts et de blessés parmi les civils. De nombreuses attaques de la coalition ont visé des cibles militaires, mais d’autres ont été disproportionnées ou aveugles, ou ont directement visé des civils et des biens civils, notamment des rassemblements pour des funérailles, des écoles, des marchés, des zones résidentielles et des bateaux civils.
En mars, un hélicoptère a attaqué un bateau transportant 146 migrants et réfugiés somaliens, au large de la ville portuaire de Hodeida ; 42 civils ont été tués et 34 autres blessés. Une autre attaque menée en août contre un quartier résidentiel du sud de Sanaa a fait au moins 16 morts et 17 blessés, tous civils ; la majorité d’entre eux étaient des enfants.
Les forces de la coalition ont utilisé des munitions imprécises pour certaines attaques, dont de grosses bombes ayant un large rayon d’action et provoquant des pertes humaines et des destructions au-delà de leur point d’impact. Cette année encore, dans le gouvernorat de Saada, la coalition a utilisé des bombes à sous-munitions ; l’utilisation de ces armes imprécises par nature est pourtant largement interdite au niveau international. Les bombes à sous-munitions, qui projettent de petites bombes sur une vaste zone, représentent un risque permanent pour les civils car, le plus souvent, elles n’explosent pas au premier impact. En février, la coalition a procédé à des tirs de roquettes de fabrication brésilienne contenant des sous- munitions interdites contre des zones résidentielles et des exploitations agricoles de la ville de Saada, blessant deux civils et causant des dégâts matériels.

BLOCUS AÉRIEN ET NAVAL

La coalition a continué d’imposer un blocus aérien et naval partiel, durci en novembre, affirmant que l’objectif était d’appliquer l’embargo sur les armes destinées aux Houthis et aux forces fidèles à l’ancien président, décidé par l’ONU. Ce blocus a pendant toute l’année entravé la circulation des personnes et des biens, aggravant ainsi la crise humanitaire causée par le conflit et contribuant à des violations des droits à la santé et à un niveau de vie suffisant, y compris à une nourriture suffisante. Il a participé à une insécurité alimentaire généralisée et à ce qui est devenu la plus grave épidémie de choléra au monde. En mars, l’ONG Save the Children a signalé que la coalition a empêché trois de ses cargaisons d’aide d’atteindre le port de Hodeida, contraignant les bateaux à se dérouter vers Aden et retardant de trois mois la distribution de cette aide. En août, l’OCHA a indiqué que la coalition a empêché quatre bateaux transportant plus de 71 000 tonnes de carburant d’atteindre Hodeidah. En novembre, toujours selon l’OCHA, elle a bloqué 29 bateaux avec à leur bord des produits de première nécessité, qui tentaient de rejoindre le port de Hodeidah.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Les forces Houthis-Saleh, le gouvernement yéménite et les forces yéménites soutenues par les Émirats arabes unis ont recouru à des pratiques de détention arbitraire et illégale. Amnesty International a rassemblé des informations sur quelques cas de civils, à Sanaa et à Marib, qui ont été arrêtés uniquement en vue d’échanges de prisonniers à venir, ce qui revient à une prise d’otages et constitue une violation du droit international humanitaire.
À Sanaa et dans d’autres régions qu’ils contrôlaient, les Houthis et leurs alliés ont continué d’arrêter et de placer en détention de manière arbitraire des personnes qui les critiquaient ou qu’ils considéraient comme leurs opposants, ainsi que des journalistes, des particuliers, des défenseurs des droits humains et des membres de la communauté baha’i ; beaucoup ont été soumis à une disparition forcée. À la fin de l’année, cinq hommes baha’is se trouvaient toujours en détention. L’un d’entre eux était détenu depuis près de quatre ans ; il était accusé d’apostasie, et donc passible de la peine de mort aux termes de la législation yéménite.
À Aden, les forces yéménites soutenues par les Émirats arabes unis ont mené une campagne de détentions arbitraires et de disparitions forcées. Amnesty International a rassemblé des informations sur 13 cas de détention arbitraire au cours de l’année passée ; certaines de ces personnes étaient détenues au secret et d’autres avaient été soumises à une disparition forcée. Des baha’is ont également été arrêtés de façon arbitraire à l’aéroport international d’Aden par des forces locales soutenues par les Émirats arabes unis, et détenus sans inculpation pendant neuf mois.
Mustafa al Mutawakel, professeur d’université et responsable politique, a été arrêté de façon arbitraire à Marib, le 27 avril, par les forces du gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale. Il était maintenu en détention sans inculpation.

IMPUNITÉ

Depuis le début des hostilités, toutes les parties au conflit ont, en toute impunité, commis de graves violations du droit international humanitaire et enfreint le droit relatif aux droits humains.
La commission nationale chargée d’enquêter sur les allégations de violations des droits humains, mise en place par le gouvernement yéménite en septembre 2015, s’abstient depuis sa création de mener dans les meilleurs délais des enquêtes impartiales et efficaces conformes aux normes internationales sur les allégations de violations des droits humains commises par toutes les parties au conflit. De même, le mécanisme d’enquête de la coalition conduite par l’Arabie saoudite a continué de faire preuve d’un manque d’impartialité et d’indépendance qui nuisait à la crédibilité de ses activités.
L’impunité a encore gagné du terrain avec la prolifération de groupes armés et de forces de sécurité qui n’étaient soumis à aucune autorité ni à aucun contrôle, et du fait que le gouvernement central ne contrôlait pas de manière efficace ses forces de sécurité et ses territoires. Dans son rapport à mi-parcours, le Groupe d’experts des Nations unies sur le Yémen s’est dit préoccupé par le fait que des États membres de la coalition cherchaient expressément à échapper à l’obligation de rendre des comptes et à leur responsabilité individuelle en se réfugiant derrière l’écran de la coalition.
Point positif, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté en septembre une résolution chargeant un groupe d’experts d’enquêter sur les abus commis par toutes les parties au conflit au Yémen. Il s’agissait d’un premier pas vers la justice pour les victimes d’atteintes aux droits humains et de graves violations du droit international.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET D’ASSOCIATION

Les Houthis et leurs alliés, ainsi que des factions armées à Taizz, à Aden et à Sanaa, ont mené contre les journalistes et les défenseurs des droits humains une campagne visant à entraver la liberté d’expression dans des secteurs qu’ils contrôlaient de facto.
Les Houthis et leurs alliés ont continué de maintenir en détention sans inculpation au moins neuf journalistes, détenus de façon arbitraire depuis plus de deux ans.
Parallèlement, à Aden et à Taizz, des groupes armés et des forces de sécurité ont assassiné, harcelé, intimidé, détenu et dans certains cas torturé des défenseurs des droits humains et des journalistes, forçant certains à s’autocensurer et d’autres à fuir le pays.
Le gouvernement yéménite et la coalition menée par l’Arabie saoudite ont interdit à des journalistes d’entrer au Yémen, y compris en empêchant l’ONU d’autoriser des journalistes à embarquer sur ses vols à destination du Yémen, restreignant ainsi la couverture médiatique des événements. Ils ont de fait contraint les médias au silence. Cette interdiction a été étendue en mai aux organisations de défense des droits humains.

DROITS DES FEMMES

La poursuite du conflit a exacerbé les discriminations et les inégalités auxquelles les femmes et les filles étaient déjà en butte, et a engendré des pratiques néfastes découlant de mécanismes d’adaptation, telles que le mariage précoce, en particulier dans les gouvernorats de Taizz, de Hajjah, de Hodeida, d’Ibb et de Sanaa. Les mécanismes de protection sociaux et juridiques, qui étaient déjà insuffisants, se sont effondrés. Les moyens de protection des femmes et des filles contre les violences sexuelles et autres, notamment contre les mutilations génitales féminines et le mariage forcé, se sont en conséquence amenuisés, de même que leurs voies de recours contre ces abus.

PEINE DE MORT

La peine de mort a été maintenue pour toute une série de crimes. Aucune information n’a été rendue publique sur les condamnations à mort ni sur les exécutions. Le 12 avril, les autorités Houthis-Saleh à Sanaa ont déclaré coupable d’espionnage et condamné à mort le journaliste Yahya al Jubaihi. Il s’agissait de la première condamnation à mort prononcée par les autorités Houthis-Saleh. Yahya al Jubaihi a toutefois été remis en liberté en septembre.

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