Les autorités ont restreint de manière disproportionnée le droit à la liberté de réunion pacifique. Plusieurs milliers de manifestants et manifestantes ont été blessés par la police ou arrêtés et poursuivis en justice pour de piètres motifs ou pour des faits pourtant protégés par le droit et les normes en matière de droits humains.
Des observateurs et observatrices des droits humains, des journalistes indépendants, des militant·e·s écologistes et des défenseur·e·s des droits des personnes réfugiées et migrantes ont régulièrement été soumis par la police à des mesures d’intimidation et de harcèlement.
La France a continué de vendre des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis malgré le risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations des droits humains contre la population civile dans le cadre du conflit au Yémen.
LIBERTÉ DE RÉUNION
Le mouvement social des « gilets jaunes », qui a débuté en novembre 2018, a poursuivi sa mobilisation pendant toute l’année dans l’objectif déclaré d’obtenir une plus grande justice sociale et économique.
D’après les chiffres officiels, 1 944 membres des forces de l’ordre et 2 945 manifestants et manifestantes ont été blessés lors de manifestations de « gilets jaunes ».
Les forces de l’ordre ont très souvent fait un usage arbitraire ou disproportionné de la force, en particulier, mais pas seulement, dans le cadre de manifestations. Elles ont fréquemment utilisé des armes dangereuses et imprécises, telles que des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes de type GLI-F4, qui ne devraient pas être utilisées pour le maintien de l’ordre. En conséquence, au moins 25 personnes qui manifestaient ont perdu un œil, et cinq ont eu une main arrachée. Steve Maia Caniço, un jeune homme de 24 ans, et Zineb Redouane, une femme âgée de 80 ans, ont tous deux perdu la vie lors d’opérations de maintien de l’ordre.
En mars, la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a recommandé l’ouverture d’une enquête approfondie sur les cas signalés d’usage excessif de la force par la police. À la fin de l’année, les autorités n’avaient toujours pas mis en place de mécanisme indépendant pour enquêter sur ces allégations. En octobre, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), unité de la police chargée d’enquêter sur les allégations de recours excessif à la force par des policiers, avait ouvert 313 enquêtes judiciaires depuis le début du mouvement social. À la fin de l’année, un policier seulement avait été déclaré coupable d’usage illégal de la force lors de ces manifestations.
En août, le président de la République a reconnu que la stratégie en matière de maintien de l’ordre lors de rassemblements publics devait être repensée pour réduire le nombre de blessés. À la fin de l’année, un groupe de travail mis en place par le ministère de l’Intérieur était en train d’élaborer une nouvelle stratégie.
Durant le premier semestre de l’année, près de 11 000 manifestants et manifestantes ont été placés en garde à vue, et plus de 3 000 personnes ont été condamnées, la plupart du temps à l’issue de procédures expéditives. Plusieurs centaines de manifestant·e·s ont été arrêtés et poursuivis en justice pour des faits pourtant protégés par le droit relatif aux droits humains, notamment pour outrage à agent, pour dissimulation du visage ou pour ne pas avoir respecté des obligations de déclaration préalable. Au cours des neuf premiers mois de l’année, 954 personnes ont été condamnées pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences », une infraction définie en termes vagues qui a permis d’arrêter des manifestant·e·s n’ayant pris part à aucun acte de violence.
La Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations est entrée en vigueur en avril. Ce nouveau texte instaurait une interdiction générale de la dissimulation du visage lors des manifestations.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Plusieurs centaines de journalistes ont signalé avoir été blessés alors qu’ils couvraient des manifestations. Durant la seule journée du 5 décembre, 34 journalistes l’ont été lors de manifestations contre la réforme des retraites. Dans la plupart des cas, les blessures résultaient de l’utilisation arbitraire ou excessive de la force par la police. Les journalistes indépendants Gaspard Glanz et Taha Bouhafs ont été arrêtés et poursuivis en justice, notamment pour outrage et rébellion. En novembre, Gaspard Glanz a été condamné à une amende de 300 euros pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique.
Au moins neuf journalistes ont été entendus par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans le cadre d’une enquête portant sur la publication des « Yemen Papers », des documents confidentiels démontrant que les armes vendues par la France à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis étaient susceptibles d’être utilisées contre des populations civiles au Yémen.
COMMERCE DES ARMES
Les autorités ne respectaient toujours pas les engagements qu’a souscrits la France en ratifiant en 2014 le Traité sur le commerce des armes, aux termes duquel elle ne doit pas vendre d’armes dès lors qu’il existe un risque majeur qu’elles puissent être utilisées pour commettre des atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains. En 2018, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont respectivement été le premier et le cinquième plus importants clients de la France en matière de livraisons de matériel de guerre, malgré leur participation au conflit au Yémen.
D’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), la France a été en 2019 le troisième plus gros exportateur d’armes au monde. Or, le gouvernement français a manqué à son obligation de fournir des informations détaillées, exhaustives et à jour sur les transferts d’armes autorisés par le Premier ministre.
DÉFENSEURES ET DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
Des militant·e·s écologistes et des défenseur·e·s des droits de personnes réfugiées et migrantes ont régulièrement fait l’objet de mesures de harcèlement et d’intimidation ou de poursuites judiciaires.
Loan Torondel, défenseur des droits des migrants à Calais, a été déclaré coupable de diffamation et condamné à une peine d’amende avec sursis pour avoir dénoncé des mauvais traitements policiers contre des personnes migrantes. En juin, Tom Ciotkowski, un jeune militant britannique bénévole à Calais, a été acquitté des accusations d’outrage et de violence qui pesaient sur lui. En mai, il a porté plainte auprès de l’IGPN contre le policier qui l’avait poussé et contre d’autres agents qui avaient fait des rapports mensongers pour justifier son arrestation et les poursuites engagées contre lui. L’enquête était toujours en instance à la fin de l’année. Ces poursuites judiciaires étaient symptomatiques de la criminalisation des actes de solidarité constatée au niveau européen, et risquaient d’avoir un effet paralysant sur les autres militant·e·s.
En décembre 2018, la France avait annoncé que la protection des défenseurs et défenseures des droits humains serait une priorité de sa diplomatie à travers le monde. Cependant, les autorités n’ont pas mis en œuvre de stratégie cohérente et durable en ce sens. Le ministre des Affaires étrangères a certes condamné le harcèlement des défenseur·e·s des droits humains en Turquie et en Russie, mais les autorités sont restées muettes au sujet de la situation des défenseur·e·s en Arabie saoudite.
PERSONNES RÉFUGIÉES OU DEMANDEUSES D’ASILE
Durant le premier semestre de l’année, 33 628 personnes migrantes ou réfugiées, dont des mineur·e·s non accompagnés, ont été interceptées aux frontières nationales et renvoyées de force en Italie ou en Espagne sans possibilité de demander l’asile en France.
En 2018, 690 Irakiens, 320 Iraniens, 278 Afghans, 247 Soudanais, 165 Érythréens et 133 Syriens déboutés du droit d’asile ont été placés en détention dans l’optique d’un renvoi vers leur pays d’origine, alors que ces personnes risquaient de subir des atteintes à leurs droits fondamentaux à leur retour. Parmi ces personnes se trouvaient plusieurs familles avec des enfants. En juin 2019, des ONG ont indiqué que 12 personnes avaient été renvoyées au Soudan, sept en Iran et 10 en Irak en 2018.
Le Parlement a ratifié en septembre l’accord de coopération entre l’Union européenne et l’Afghanistan, qui facilitait les renvois forcés de ressortissants afghans dans leur pays. À cette période, les autorités avaient déjà renvoyé en Afghanistan deux personnes déboutées de leur demande d’asile, qui risquaient pourtant de subir de graves violations des droits humains à leur retour dans ce pays.
En novembre, le gouvernement français est revenu sur sa décision de faire don de six bateaux à la marine et aux gardes-côtes libyens. Une coalition de huit ONG avait contesté devant la justice cette livraison, qui avait été annoncée en février par la ministre française des Armées, au motif que ces bateaux allaient être utilisés pour intercepter des réfugié·e·s et des migrant·e·s et les ramener en Libye, où ils seraient alors soumis à de graves violations des droits humains.
Des personnes apportant une aide humanitaire à des personnes réfugiées et migrantes ont cette année encore été poursuivies en justice et condamnées, en particulier à la frontière franco-italienne, près de Briançon. En janvier, Pierre Mumber a été condamné à trois mois de prison avec sursis pour « aide à l’entrée irrégulière » d’un étranger parce qu’il avait distribué du thé et des vêtements chauds à des migrants près de la frontière avec l’Italie. En novembre, il a été acquitté en appel.
Discrimination
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
Le 24 juillet, le gouvernement a présenté au Parlement un projet de loi visant à ouvrir la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, sans considération de leur orientation sexuelle ou de leur situation maritale. Si cette loi était adoptée, cela mettrait fin à la discrimination subie par les femmes célibataires et par les couples de femmes en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs. L’Assemblée nationale a adopté ce projet de loi le 15 octobre ; le texte était en cours d’examen devant le Sénat à la fin de l’année.
LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION
Le 29 octobre, le Sénat a adopté une loi interdisant aux parents de porter des symboles religieux lorsqu’ils accompagnent des sorties scolaires. Le texte était en instance devant l’Assemblée nationale à la fin de l’année. S’il était adopté, il violerait les droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion et de conviction, et instaurerait à l’égard des personnes musulmanes une discrimination fondée sur la religion ou la conviction.
EXPULSIONS FORCÉES
Des ONG ont signalé que les autorités avaient durant l’année procédé à l’expulsion forcée de plusieurs milliers de personnes, dont de nombreux Roms, migrants et réfugiés, qui vivaient dans des campements informels, des bâtiments occupés ou d’autres types d’habitations sans sécurité d’occupation.
CRIMES DE HAINE
En mars, des ONG ont signalé 38 cas de crimes de haine commis contre des Roms dans des campements informels de la région parisienne à la suite de rumeurs circulant sur les réseaux sociaux concernant l’enlèvement d’un enfant par des Roms. Les autorités judiciaires ont condamné certains des auteurs de ces crimes de haine. Le 28 octobre, à Bayonne, un homme a tenté d’incendier une mosquée et a tiré sur deux hommes, qui ont été grièvement blessés.
LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ
Entre le 1er novembre 2018 et le 31 octobre 2019, le ministre de l’Intérieur a imposé 134 nouvelles mesures individuelles de contrôle, ce qui représentait une hausse de 84 % par rapport à l’année précédente. Ces mesures, qui consistent notamment à interdire à des personnes de quitter une ville donnée ou de contacter certaines personnes, ou à les obliger à se présenter tous les jours au commissariat, sont souvent infligées en l’absence d’éléments permettant raisonnablement de soupçonner la personne concernée d’être impliquée dans la préparation d’une infraction.
En février, le ministère de l’Intérieur a modifié les conditions de l’assignation à résidence qui avaient été décidées dans le cas de Kamel Daoudi, soumis à des mesures de contrôle depuis 2008. Il a été autorisé à déménager pour se rapprocher de sa famille et à ne se présenter au commissariat que deux fois par jour, au lieu de trois.
JUSTICE INTERNATIONALE
Une loi de réforme de la justice est entrée en vigueur le 23 mars. En novembre 2018, le gouvernement s’était opposé à un amendement qui aurait facilité l’exercice de la compétence universelle en France pour les crimes de droit international. Le Parlement a finalement rejeté cet amendement.
RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DROITS HUMAINS
Les entreprises ne respectaient toujours pas la Loi de 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. En 2019, la plupart des entreprises concernées n’ont publié que des plans vagues ou incomplets sur la façon dont elles entendaient respecter la loi. Les pouvoirs publics n’ont pas proposé de mesures visant à renforcer le système de surveillance instauré par ce texte.