Kenya - Rapport annuel 2020

carte Kenya rapport annuel amnesty

République du Kenya
Chef de l’État et du gouvernement : Uhuru Muigai Kenyatta

La police a fait usage d’une force excessive et, parfois, meurtrière pour faire respecter le couvre-feu et disperser des manifestations pacifiques, se livrant également à des exécutions extrajudiciaires et à des disparitions forcées. Des journalistes et des blogueurs ont été victimes de manœuvres de harcèlement, d’actes d’intimidation et d’arrestations arbitraires. Les mesures restrictives relatives aux déplacements prises dans le contexte du COVID-19 ont porté atteinte au droit à la santé des femmes et des membres des groupes marginalisés, et créé de nouvelles difficultés pour les personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Comme les années précédentes, les femmes étaient en butte aux inégalités. Les autorités ont expulsé de force des milliers de personnes, et le chef de l’État a fait fi de la Constitution en refusant d’entériner la nomination de juges à des instances supérieures.

Contexte de la situation des droits humains au Kenya

Face à la pandémie de COVID-19, le chef de l’État a invoqué la Loi relative à l’ordre public le 27 mars pour mettre en place des restrictions. Un couvre-feu a notamment été instauré sur tout le territoire, entre 19 heures et 5 heures, pour une durée de trois mois. Il a été prolongé en juin, puis à nouveau en novembre, mais avec une amplitude horaire réduite, entre 22 heures et 4 heures.

Recours excessif à la force

En janvier, des habitant·e·s du district de Kasarani, à Nairobi, la capitale, ont manifesté de façon pacifique pour dénoncer le délabrement de la voirie là où ils vivaient. En réponse, la police a tiré à balles réelles sur les manifestant·e·s, tuant un adolescent de 17 ans.

Les cas d’utilisation par la police d’une force excessive se sont multipliés après l’instauration du couvre-feu pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Des agents ont fait usage de leurs armes à feu et frappé des personnes pour non-respect du couvre-feu, parfois plusieurs heures avant qu’il ne commence, et six personnes au moins ont été tuées par la police durant les 10 jours qui ont suivi l’entrée en vigueur de cette mesure.

Le 27 mars, des policiers ont pressé des gens qui rentraient chez eux après le travail de monter à bord d’un ferry avant le couvre-feu, à grand renfort de coups de pied, de gifles et de gaz lacrymogène. Le journaliste Peter Wainaina, qui filmait la scène, a reçu des coups de matraque.

Des policiers ont tué un homme à Lessos (comté de Nandi) en juin, quand ils ont tiré à balles réelles sur des conducteurs de taxi-moto qui s’étaient rassemblés pour protester contre l’arrestation de l’un de leurs collègues, semble-t-il pour non-port du masque. Alors que les contestataires se dirigeaient vers le poste de police, les policiers ont abattu deux autres hommes. L’Autorité indépendante de surveillance de la police a déclaré avoir ouvert une enquête sur ces homicides. Aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année.

Exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées

On a dénombré 144 exécutions extrajudiciaires et 11 disparitions forcées durant l’année. Le Sénat a officiellement commencé à enquêter à ce sujet en février, mais les restrictions de déplacement imposées à la population dans le contexte du COVID-19 ont empêché la tenue des auditions destinées à recueillir des éléments.

Le nombre d’exécutions extrajudiciaires est monté en flèche alors que les forces de sécurité intervenaient pour faire respecter le couvre-feu. Le 28 mars, des agents de police ont battu à mort Hamisi Juma, près du village de Zibani, après qu’il eut conduit à l’hôpital une femme sur le point d’accoucher, pendant le couvre-feu nocturne.

Le 30 mars, Yassin Moyo, un garçon de 13 ans, a été abattu dans le secteur d’Eastlands, à Nairobi, pendant qu’il jouait sur son balcon après 19 heures, heure de début du couvre-feu. Un policier a été inculpé de cet homicide en juin.

En avril, le ministre de l’Intérieur a déclaré que 14 agents de police accusés de faute grave en période de couvre-feu avaient été suspendus de leurs fonctions en attendant qu’une enquête soit menée.

Plus tard en avril, Michael Njau, militant en faveur de la justice sociale, son cousin et un chauffeur de taxi ont disparu sur le trajet les conduisant de Thika à Nairobi. La police a découvert leur véhicule abandonné deux jours plus tard. Rien ne permettait de prouver l’implication de celle-ci, mais des collègues de Michael Njau ont indiqué qu’il avait reçu des menaces en raison de son travail sur les homicides commis par des policiers. À la fin de l’année, on ne savait toujours pas ce qu’il était advenu de ces hommes.

Liberté d’expression

La police a intimidé, harcelé et attaqué des journalistes et des blogueurs dans le but de les réduire au silence. Le 29 mars, trois journalistes ont été arrêtés pour avoir semble-t-il enfreint le couvre-feu, alors qu’ils bénéficiaient d’une dérogation légale.

Plusieurs blogueurs et journalistes ont été arrêtés et inculpés au titre de la Loi de lutte contre la cybercriminalité et l’utilisation abusive de l’informatique. Il leur était reproché d’avoir publié des informations au sujet du COVID-19 jugées trompeuses par le gouvernement (qui estimait que cela constituait une incitation à l’hostilité envers le gouvernement), ou encore d’avoir formulé des allégations de corruption. En août, Milton Were et Jack Okinyi ont été arrêtés par des membres de la Direction des enquêtes criminelles (DCI) après avoir rendu public un article faisant état d’une mauvaise gestion présumée des fonds publics ; ils ont été maintenus toute une nuit en garde à vue au poste de police de Muthaiga, à Nairobi. En août, Nyukuri Barasa et Charles Gichuki ont eux aussi été interpellés par des membres de la DCI parce qu’ils avaient, entre autres, publié des informations dénonçant la corruption des autorités. Détenus tous les deux dans des postes de police de Nairobi, Nyukuri Barasa à Kilimani et Charles Gichuki à Capitol Hill, ils ont été relâchés le lendemain sans avoir été inculpés.

Droit de circuler librement

En mars, le ministère de la Santé a publié des directives obligeant toutes les personnes qui entraient sur le territoire kényan à se présenter dans un centre d’isolement. Toute personne qui enfreignait les directives de santé publique, en ne portant pas de masque ou en ne respectant pas le couvre-feu par exemple, risquait elle aussi d’être placée en quarantaine. D’après le ministère, environ 2 000 personnes ont été visées par cette mesure. Nombre d’entre elles ont déclaré avoir été maltraitées et exposées à des risques sanitaires accrus car les mesures de distanciation physique n’étaient pas respectées, les conditions d’hygiène étaient déplorables, et la nourriture servie était insuffisante. Les personnes placées à l’isolement n’ont pas été informées de la durée de leur quarantaine et se sont vu infliger des frais excessifs.

Les hôpitaux ont retenu des patient·e·s, ou refusé de remettre aux familles les corps de celles et ceux qui étaient décédés, en raison de factures médicales en souffrance, une pratique jugée illégale par la Haute Cour en 2018. Alors que sa date de sortie avait été fixée, Dennis Bwire a passé trois mois de plus dans une clinique privée avant d’être autorisé à la quitter en juillet à la suite d’une campagne de la société civile.

Droit à la santé et droits des travailleuses et travailleurs

En août, plusieurs centaines de médecins hospitaliers ont fait grève pendant une semaine pour dénoncer le non-versement de leurs salaires, le manque d’équipements de protection individuelle et l’absence de couverture médicale.

Dans le même temps, l’auditrice générale a fait état de pertes à hauteur de 2,2 milliards de shillings kényans (20 millions de dollars des États-Unis) au sein de l’Agence kényane d’approvisionnement médical (KEMSA), révélant un scandale de corruption et le vol présumé d’équipements de protection individuelle qui avaient été offerts au pays. Les soignant·e·s en première ligne ont été contraints pour la plupart d’acheter leurs propres équipements pour se protéger et, en cas de contamination par le COVID-19, ils ont dû s’acquitter des frais afférents aux soins qu’ils ont reçus.

Le couvre-feu instauré face à la pandémie et la peur de la police ont dissuadé les gens de se déplacer la nuit et ont limité l’accès aux soins de santé maternelle pour de nombreuses femmes. Certaines n’ont pas pu se rendre à l’hôpital pour accoucher, et des femmes enceintes ont indiqué avoir été insultées et agressées par la police alors qu’elles cherchaient à se faire soigner pendant le couvre-feu.

Expulsions forcées

Le 4 mai, la Société des eaux de Nairobi, escortée par la police, a expulsé de force 7 000 habitant·e·s du quartier de Kariobangi, à Nairobi. La veille, la justice avait ordonné l’arrêt temporaire des expulsions. Les habitations de ces personnes et d’autres bâtiments ont été démolis pour permettre l’aménagement d’un système de traitement des eaux usées, avec un préavis de deux jours seulement, en violation des normes internationales relatives aux droits humains et du droit kényan. Le 11 mai, face au tollé provoqué par cette affaire dans l’opinion publique, le ministère de l’Intérieur a annoncé un moratoire sur les expulsions pendant la pandémie de COVID-19.

Si ce moratoire a mis un coup d’arrêt à 13 opérations d’expulsion planifiées en vue de la construction d’installations d’assainissement, d’autres se sont poursuivies. Le 15 mai, les autorités ont expulsé de force plus de 1 000 personnes vivant dans la localité de Ruai (comté de Nairobi), qui se sont retrouvées à la rue. En octobre, le fournisseur d’électricité Kenya Power and Lighting Company a détruit 3 000 habitations à Dagoretti Corner, un quartier informel de Nairobi1.

En septembre, l’UE a retiré les fonds qu’elle s’était engagée à verser au profit d’un projet de conservation de 31 millions d’euros (35 millions de dollars des États-Unis), en réaction aux expulsions forcées et à d’autres violations des droits humains commises contre le peuple autochtone sengwer dans la forêt d’Embobut. Elle avait déjà suspendu ses financements en 2018, après qu’un garde forestier du Service kenyan des forêts eut tué un Sengwer.

Droits des femmes

En dépit d’une hausse des investissements publics alloués à la lutte contre les violences faites aux femmes, au renforcement de la participation économique des femmes et à un meilleur accès à la santé et à l’éducation, celles-ci demeuraient désavantagées et sous-représentées dans la plupart des domaines, qu’ils relèvent de la sphère privée ou publique.

Le Parlement n’a pas promulgué de lois qui garantiraient l’égalité des genres, conformément à la « règle des deux tiers en matière de genre » inscrite dans la Constitution. En conséquence, le président de la Cour suprême a demandé en septembre au chef de l’État de dissoudre le Parlement.

La règle des deux tiers prévoyait que ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat ne pouvaient compter plus de deux tiers de membres du même sexe.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Les relations entre les pouvoirs exécutif et judiciaire demeuraient tendues après l’invalidation en 2017 des résultats du scrutin présidentiel par la Cour suprême. Le chef de l’État a refusé d’entériner la nomination de 11 juges à la Cour d’appel et de 30 juges à la Haute Cour, en dépit de ses obligations constitutionnelles et d’un arrêt rendu par la Haute Cour. En janvier, les sites d’audience de la Cour d’appel situés en dehors de Nairobi ont été contraints de fermer faute de magistrat·e·s, et de nombreuses audiences ont été reportées à 2022.

De hauts fonctionnaires ont continué de désobéir à des décisions judiciaires. En janvier, les autorités n’ont pas laissé Miguna Miguna, un détracteur du gouvernement expulsé au Canada en 2018, revenir au Kenya, au mépris d’un arrêt rendu en ce sens.

Des organisations de la société civile ont poursuivi leur combat en faveur de la justice. Les habitant·e·s du campement d’Owino Uhuru, à Mombasa, soutenus par l’ONG Centre pour la justice, la gouvernance et l’action environnementale, ont obtenu de l’État des dommages-intérêts s’élevant à 1,3 milliard de shillings kényans (11,6 millions de dollars des États-Unis) à titre d’indemnisation. Le terrain où ils vivaient avait été contaminé par les activités d’une usine, et certain·e·s souffraient de saturnisme. Les autorités ont fait appel de cette décision.

Personnes réfugiées ou demandeuses d’asile

En avril, les entrées et sorties des camps de Kakuma et de Dadaab, accueillant des personnes réfugiées, ont été restreintes dans le cadre du confinement.

Invoquant des inquiétudes en lien avec la pandémie de COVID-19, le Kenya a fermé en mai ses frontières avec la Somalie et la Tanzanie. Les centres d’enregistrement et d’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile installés dans les zones urbaines et dans les camps de réfugié·e·s étaient toujours en partie fermés à la fin de l’année. Plus de 13 000 personnes arrivées au camp de Dadaab, en provenance de Somalie pour nombre d’entre elles, ne pouvaient pas déposer leur demande d’asile.

1Des expulsions forcées jettent à la rue 3 000 personnes (AFR 32/3151/2020)

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