Zimbabwe - Rapport annuel 2020

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République du Zimbabwe
Chef de l’État et du gouvernement : Emmerson Dambudzo Mnangagwa

Les autorités se sont appuyées sur la réglementation liée à la pandémie de COVID-19 pour justifier d’importantes restrictions du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique. Elles ont déployé les forces de sécurité pour enlever, agresser et torturer des détracteurs et détractrices supposés du gouvernement, ainsi que des membres et dirigeant·e·s de l’opposition. La police et les services de la Sûreté de l’État ont tué au moins 10 personnes. Des femmes ont été privées d’accès aux soins de santé maternelle essentiels, et les violences faites aux femmes et aux filles étaient endémiques.

Contexte de la situation des droits humains au Zimbabwe

En janvier, une modification de la Constitution est parue au journal officiel ; elle a conféré au président de la République le pouvoir de choisir les magistrats et magistrates des juridictions supérieures, et limité le droit de regard du Parlement sur les accords financiers passés par l’exécutif.

Le 30 mars, les pouvoirs publics ont pris des mesures visant à prévenir la propagation de la pandémie de COVID-19, qui comprenaient notamment des restrictions à caractère punitif concernant les déplacements. Ces mesures initialement instaurées pour une durée de trois semaines ont été reconduites à plusieurs reprises pendant l’année. Les règles de confinement n’étaient pas claires et leur application semblait arbitraire. Le 21 juillet, un couvre-feu national, en vigueur entre 18 heures et 6 heures du matin, a été instauré.

La pandémie a aggravé la crise économique et les autorités n’ont pas été en mesure de fournir une protection sociale aux personnes vulnérables. Selon les Nations unies, sept millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire et 4,3 millions souffraient d’insécurité alimentaire grave.

En juillet, des membres de l’opposition ont appelé la population à participer à des manifestations nationales le 31 juillet pour protester contre les difficultés économiques et la corruption au sein de l’État, et pour réclamer la démission du président. Le pays demeurait en proie à des troubles politiques : en août, l’Afrique du Sud a dépêché deux envoyé·e·s spéciaux au Zimbabwe pour examiner les possibilités de solutions pouvant être apportées aux violences récurrentes commises par les forces de sécurité contre la population.

Recours excessif à la force

Les forces de sécurité ont fréquemment utilisé une force excessive pour empêcher ou réprimer des manifestations pacifiques, et pour faire appliquer les restrictions relatives au confinement, tuant ainsi au moins 10 personnes. Par ailleurs, elles ont arrêté et détenu arbitrairement des manifestant·e·s et d’autres personnes dans le contexte de l’application des mesures prises pour faire face à la pandémie de COVID-19. Au cours des quatre premiers mois du confinement, 116 000 personnes ont été arrêtées pour ne pas avoir respecté la réglementation liée à la pandémie. Beaucoup d’entre elles, notamment un grand nombre de femmes, ont été victimes de violences. Deux sœurs, Nokuthula et Ntombizodwa Mpofu, ont ainsi été rouées de coups par la police le 16 avril à Bulawayo parce qu’elles étaient sorties de chez elles pendant le couvre-feu pour aller acheter de la nourriture pour leurs enfants.

L’équipe « Ferret », composée de militaires et de membres de la police, de l’Organisation centrale de renseignement et des services du président, a terrorisé des détracteurs et détractrices du gouvernement, des dirigeant·e·s et militant·e·s de l’opposition, et des membres de leur famille. Nombre de ces personnes, dont plusieurs membres du principal parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique-Alliance (MDC-A), ont été enlevées alors qu’elles se trouvaient en garde à vue, torturées et abandonnées loin de leur domicile.

En mai, Joana Mamombe, une femme politique, Cecilia Chimbiri et Netsai Marova ont été arrêtées à un barrage routier mis en place par la police à Harare, la capitale, alors qu’elles conduisaient une manifestation dénonçant la protection insuffisante accordée aux personnes vivant dans la pauvreté. Elles ont été enlevées le jour même au poste de police central de Harare par un groupe d’hommes soupçonnés d’appartenir à l’équipe Ferret, qui les ont agressées physiquement et sexuellement, avant de les abandonner trois jours plus tard à 87 kilomètres de Harare, où elles habitaient. En juin, ces femmes ont été inculpées d’avoir simulé leur enlèvement et « terni l’image du pays ». Le 31 juillet, elles ont été arrêtées de nouveau à un poste de contrôle. Pendant leur détention, un militaire a fouetté Cecilia Chimbiri parce qu’elle l’aurait insulté. En décembre, dans l’affaire portant sur les accusations liées à leur enlèvement en mai, une magistrate de Harare a ordonné que Joana Mamombe soit jugée séparément de Cecilia Chimbiri et Netsai Marova au motif qu’elle avait été déclarée inapte à comparaître au procès. La demande de réexamen de cette décision déposée par leurs avocats était toujours en instance à la fin de l’année.

Dans les jours qui ont précédé les manifestations du 31 juillet, les forces de sécurité ont fait irruption au domicile des personnes soupçonnées de soutenir cette initiative, et parfois vandalisé les lieux.

Le 30 juillet, Tawanda Muchehiwa a été arrêté par la police dans un magasin de Bulawayo. Sur le chemin du poste de police, il a été livré à l’équipe Ferret, qui l’a torturé afin qu’il révèle où se trouvait son oncle, Mduduzi Mathuthu, rédacteur du journal en ligne ZimLive.com. Il a été relâché loin de son domicile quatre jours plus tard.

Le même jour, les forces de sécurité ont effectué une descente au domicile de Mduduzi Mathuthu ; ne l’y trouvant pas, elles ont emmené sa sœur et deux de ses neveux, qui ont été relâchés à la suite de l’intervention de l’Institut des médias d’Afrique australe.

Les violences se sont poursuivies après le mois de juillet. Le 7 août, quatre hommes non identifiés ont enlevé Noxolo Maphosa en pleine rue. Ils l’ont agressée sexuellement afin qu’elle révèle où se trouvait son oncle, Josphat Ngulube, un membre du MDC-A accusé d’avoir distribué des masques portant le slogan « #ZANUPFMustGo » (« la ZANU-PF doit partir », en référence au parti au pouvoir : l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique).

Le 12 août, Tamuka Denhere, un autre membre du MDC-A, a été enlevé chez lui, dans la ville de Gweru, par des hommes non identifiés et torturé pendant plusieurs heures. Il a ensuite été livré au poste de police central de Harare. La police a également arrêté son épouse après qu’elle eut signalé l’enlèvement.

Homicides illégaux

La police et les services de la Sûreté de l’État ont tué illégalement au moins 10 personnes. Aucune enquête digne de ce nom n’a été menée sur ces crimes.

Le 15 mars, la police s’est rendue au domicile de Bhekani Moyo, dans le village de Silobela, à la suite d’allégations d’agression, et l’a tué par balle. Le 30 mars, Levison Moyo a été roué de coups par la police à Bulawayo parce qu’il n’aurait pas respecté les restrictions liées au confinement ; il a succombé à une hémorragie cérébrale quatre jours plus tard. En mai, la police, qui circulait dans un véhicule banalisé, a tué par balle Paul Munakopa dans le quartier de Hillside, à Bulawayo.

Au moins deux militants de l’opposition ont été tués illégalement. En juillet, Mazwi Ndlovu, de Bulilima, a été tué par des agents soupçonnés d’être affiliés à la ZANU-PF après qu’il eut remis en question les modalités de la distribution de nourriture aux personnes dans le besoin. Un homme soupçonné de l’avoir tué a été arrêté, mais il a été relâché sans même avoir comparu devant un tribunal ni déposé une demande de libération sous caution. Toujours en juillet, à Hurungwe, des agents des services de la sûreté de l’État ont enlevé et tué Lavender Chiwaya, conseiller municipal du MDC-A, puis abandonné son corps dénudé non loin de son domicile.

Liberté d’expression

Les autorités se sont servies des restrictions liées à la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour réduire l’espace civique et restreindre les droits humains. L’article 14 du Règlement 83 de 2020 relatif à la santé publique (prévention, endiguement et traitement du COVID-19) adopté en 2020 a érigé en infraction la « diffusion de fausses informations » au sujet du COVID-19 et prévoyait une peine de 20 ans d’emprisonnement et une lourde amende. Lovemore Zvokusekwa, de Chitungwiza, une ville située dans la banlieue de Harare, a été arrêté en avril et accusé d’avoir fait circuler un faux communiqué de presse présenté comme émanant du président et annonçant une prolongation du confinement. Plus tard dans le mois, le président a déclaré que cet homme serait condamné, pour l’« exemple », à une peine de 20 ans d’emprisonnement. Le 30 avril, il a été remis en liberté après une période de détention provisoire, mais il devait toujours être jugé après d’éventuelles investigations complémentaires par le parquet. Les autorités ont également utilisé d’autres dispositions leur permettant d’incriminer des personnes qui n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression, y compris pour « atteinte à l’autorité du président » ou « outrage » au président, afin de décourager les critiques sur les réseaux sociaux.

En mars, le commandant de l’armée nationale du Zimbabwe a déclaré que les réseaux sociaux constituaient une menace pour la sécurité nationale et que l’armée allait placer les communications électroniques privées sous surveillance afin de « prévenir la subversion ». En avril, Christian Rambu a été arrêté dans la ville de Chipinge pour avoir diffusé sur WhatsApp un message accusant le président d’incompétence. Rujeko Hither Mpambwa, de Kariba, a été arrêtée en août pour avoir critiqué, sur les réseaux sociaux, le discours du président à la nation.

Journalistes

La police et l’armée se sont appuyées sur les restrictions liées à la pandémie de COVID-19 pour justifier le harcèlement et les manœuvres d’intimidation visant des journalistes et des professionnel·le·s des médias. Au moins 25 d’entre eux ont été agressés et arrêtés et détenus arbitrairement alors qu’ils exerçaient leurs activités professionnelles, ou sur le trajet entre leur domicile et leur lieu de travail. Ces personnes ont été accusées de ne pas avoir respecté les restrictions liées au confinement, d’avoir troublé l’ordre public ou d’avoir utilisé des accréditations périmées, alors que, en vertu de la réglementation liée à la pandémie, ces documents auraient dû être considérés comme valables pendant le confinement. Des journalistes se sont fréquemment vu intimer l’ordre d’effacer des vidéos ou des photos sans raison valable.

Liberté de réunion

Les autorités se sont appuyées sur l’article 14 du Règlement 83 de 2020 relatif à la santé publique pour interdire les manifestations pendant le confinement.

Entre mars et août, les forces de sécurité ont bloqué l’accès au quartier des affaires, dans le centre de Harare, pour empêcher les manifestations de soutien à des militant·e·s de premier plan en instance de jugement.

Dans les ghettos de Harare, des agents ont commis des vols en menaçant les victimes avec leur arme et exigé des pots-de-vin ou roué de coups plusieurs personnes qui n’avaient pas respecté la réglementation relative au confinement.

Plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées pour avoir organisé des manifestations pacifiques ou y avoir participé, y compris les militantes Namatai Kwekweza et Vongai Zimudzi, arrêtées en juin pour avoir protesté contre des modifications de la Constitution.

En juillet, au moins 17 infirmières et infirmiers ont été poursuivis pour des infractions à la réglementation relative au confinement. Ils avaient manifesté contre leurs bas salaires et leurs mauvaises conditions de travail à l’hôpital central Sally Mugabe de Harare. Ils ont été relaxés de toutes les charges qui pesaient sur eux.

Le même mois, les autorités ont lancé une violente répression contre des responsables de l’opposition qui avaient participé à l’organisation des manifestations du 31 juillet (voir Recours excessif à la force) et des syndicalistes qui avaient appelé à faire grève. Au cours du mois de juillet, les forces de sécurité ont arrêté au moins 60 personnes.

Le 12 juillet, des hommes non identifiés ont tenté d’enlever le frère et le neveu de Peter Mutasa, dirigeant de la Confédération syndicale du Zimbabwe (ZCTU), au domicile de ce dernier. Le 16 juillet au petit matin, des hommes ont fait irruption chez Obert Masaraure, président du Syndicat des enseignants ruraux du Zimbabwe (ARTUZ), et emmené sa femme, qu’ils ont détenue pendant plusieurs heures pour qu’elle révèle où se trouvait son mari. Trois jours plus tôt, l’ARTUZ avait organisé une manifestation contre les bas salaires.

Un couvre-feu nocturne a été instauré le 21 juillet, dans le but affiché de prévenir la propagation du COVID-19, mais des voix critiques l’ont interprété comme étant un moyen de réprimer les manifestations. Le 27 juillet, un porte-parole de la ZANU-PF a appelé les sympathisant·e·s du parti à utiliser tous les moyens nécessaires pour se défendre à l’approche des manifestations nationales du 31 juillet. Les manifestations ont eu lieu et la police a arrêté au moins 20 personnes, qui ont été inculpées de diverses infractions, notamment de « trouble à l’ordre public », d’« intention d’inciter à des violences publiques » et de non-respect de la réglementation liée à la pandémie de COVID-19. Ces personnes ont été remises en liberté sous caution. Le 4 août, le président a qualifié les personnes favorables aux manifestations de « pommes pourries » dont il fallait « se débarrasser ».

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Des membres de l’opposition et de la société civile, des militant·e·s et des avocat·e·s ont accusé les autorités d’utiliser le système judiciaire pour harceler et sanctionner des opposant·e·s et des personnes considérées comme des détracteurs du gouvernement.

Des instruments réglementaires ont été utilisés pour suspendre des droits constitutionnels. Par exemple, du fait des restrictions liées à la pandémie de COVID-19, les tribunaux ont fermé plus tôt, officiellement afin que les membres de leur personnel puissent rentrer chez eux avant le début de couvre-feu. En conséquence, des audiences ont été ajournées à maintes reprises, et des militant·e·s et des personnes ayant critiqué le gouvernement n’ont pas pu obtenir de libération sous caution et ont été maintenus en détention provisoire pendant une période prolongée. Jacob Ngarivhume, un homme politique arrêté dans le contexte des manifestations du 31 juillet, et Hopewell Chin’ono, journaliste arrêté pour avoir dévoilé des allégations de corruption au sein de l’État, ont passé environ six semaines en détention provisoire, leur demande de libération sous caution ayant été rejetée à trois reprises. Godfrey Kurauone, conseiller municipal du MDC-A à Masvingo, est resté incarcéré pendant plus de cinq semaines pour « outrage » au président.

Au moins 10 avocates et avocats ont été harcelés en raison des affaires sur lesquelles ils travaillaient, et certaines de ces personnes ont fait l’objet de poursuites engagées sur la base d’accusations mensongères. En juin, Thabani Mpofu a été arrêté pour obstruction à la justice au motif qu’il aurait produit une déclaration sous serment émanant d’une personne fictive dans une affaire remettant en cause la nomination du procureur général. Il a été libéré sous caution. Bien que l’auteur de la déclaration se soit ensuite présenté à la police, les poursuites engagées contre de Thabani Mpofu étaient toujours en cours à la fin de l’année.

En juillet, le président de la Cour suprême a ordonné que toutes les décisions de justice soient « approuvées » par le président ou la présidente de la juridiction concernée avant d’être rendues. Cette directive a été annulée à la suite des vives objections formulées par des avocat·e·s et des militant·e·s de la société civile.

En août, un magistrat a interdit à Beatrice Mtetwa, une avocate spécialiste des droits humains, de représenter un client, et a recommandé que son autorisation d’exercer lui soit retirée, après qu’elle eut été accusée à tort de tenir une page Facebook qui critiquait le système judiciaire.

Droit à la santé

Entre mars et juin, 106 décès maternels ont été enregistrés, dus pour beaucoup aux restrictions des déplacements qui ont empêché de nombreuses femmes enceintes d’avoir accès aux services dont elles avaient besoin. En juillet, une femme de Chitungwiza a été contrainte de payer un pot-de-vin pour pouvoir passer un barrage routier mis en place par la police et se rendre à l’hôpital, alors qu’elle était en plein travail.

Les pouvoirs publics n’ont pas révélé le nombre de membres du personnel soignant testés positifs au COVID-19 jusqu’en août ; ils ont alors annoncé avoir enregistré plus de 480 cas. En septembre, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU] a fait état d’une dégradation de l’accès aux structures dispensant les soins essentiels en raison de l’infection du personnel soignant et du manque d’équipements de protection individuelle, entre autres. Les soignant·e·s travaillant en première ligne ont lancé des appels, qui n’ont pas été entendus, afin d’obtenir des équipements de protection individuelle adaptés et des médicaments essentiels, et en avril, l’Association des médecins du Zimbabwe pour les droits humains a saisi la Haute Cour, qui a notamment ordonné au gouvernement de mettre des équipements de protection individuelle à la disposition du personnel soignant engagé en première ligne.

Violences faites aux femmes et aux filles

Au cours des 11 premiers jours de confinement, 764 cas de violences faites aux femmes et aux filles ont été enregistrés, et ces agressions ont atteint le nombre de 2 768 à la mi-juin. Les autorités n’ont pas accordé la priorité aux services destinés à protéger les femmes et les filles. De plus, les victimes n’ont pas pu avoir rapidement accès à la justice.

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