La crise sociale, économique, politique et des droits humains qui a commencé en Bolivie au lendemain des élections du 20 octobre 2019 s’est poursuivie en 2020. Cette crise a été exacerbée par la pandémie de COVID-19, qui a atteint une ampleur extrêmement préoccupante dans ce pays, touchant de manière disproportionnée les personnes en situation de vulnérabilité. Les défenseur·e·s des droits humains et des droits des peuples autochtones, les journalistes et les opposant·e·s politiques ou les personnes soupçonnées de l’être ont cette année encore été en butte à des menaces et des actes de harcèlement.
Contexte de la situation des droits humains en Bolivie
Le 13 août, après deux reports dus à des considérations de santé publique liées à la pandémie de COVID-19, l’Assemblée législative plurinationale, le gouvernement provisoire et le Tribunal suprême électoral ont convenu de la tenue d’élections générales le 18 octobre. Le 23 juillet, après l’annonce du deuxième report, les manifestations s’étaient intensifiées et des routes avaient été bloquées. Les autorités et la population en général ont critiqué ces barrages, qui auraient empêché l’acheminement de produits essentiels dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 vers différentes localités qui en avaient besoin. Des violences ont aussi été signalées de la part de manifestant·e·s et entre différents groupes au sein des manifestations, suscitant l’intervention des forces de sécurité. Des informations ont fait état d’un attentat à l’explosif perpétré le 14 août au matin contre le siège de la Centrale ouvrière bolivienne (COB), à La Paz. La COB avait joué un rôle central dans les manifestations.
La Bolivie a signalé ses premiers cas de COVID-19 en mars et la présidente par intérim a décrété l’état d’urgence le 12 mars. Pour faire face à la pandémie, des mesures de quarantaine et de confinement obligatoire, entre autres mesures économiques et sociales, ont été instaurées par décret suprême, puis par des lois. Au 31 décembre, le ministère de la Santé faisait état de 160 124 cas confirmés de COVID-19 et de 9 165 décès liés au virus.
Les élections générales se sont tenues comme prévu le 18 octobre. Il s’agissait d’élire le président, le vice-président et les membres de l’Assemblée législative. Luis Arce, candidat du Mouvement pour le socialisme (MAS), a pris ses fonctions à la présidence du pays le 8 novembre.
Recours excessif et injustifié à la force
Des violations des droits humains ont été commises dans le contexte de la crise postélectorale. La police nationale et les forces armées ont notamment fait un usage excessif et injustifié de la force pour réprimer les manifestations. Au moins 35 personnes sont mortes et 833 ont été blessées. Ces violations des droits humains n’ont pas fait l’objet d’enquêtes, de procès ni de condamnations en bonne et due forme et sont donc restées impunies1.
Impunité
Le 23 janvier, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a annoncé avoir convenu avec le gouvernement provisoire bolivien de la création d’un Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI) chargé d’enquêter sur les violences et les violations des droits humains commises entre le 1er septembre et le 31 décembre 2019. Le gouvernement a cependant mis publiquement en doute l’indépendance de deux des quatre membres de ce groupe désignés par la CIDH. Le 28 avril, la CIDH a annoncé qu’une cinquième personne serait intégrée au GIEI pour le « renforcer » et que le groupe allait bientôt être mis en place. Le GIEI a pris officiellement ses fonctions le 23 novembre. Il a annoncé le 22 décembre avoir terminé la « phase préliminaire » de son travail, qui consistait notamment à rencontrer des groupes de victimes et de témoins, ainsi que des organisations de la société civile.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Des défenseur·e·s des droits humains, comme Waldo Albarracín, ont continué à faire l’objet de menaces et de harcèlement tandis que les enquêtes judiciaires sur les attaques les visant étaient au point mort. Les autorités n’ont pas fourni aux défenseures et défenseurs des droits humains une protection suffisante pour leur permettre d’exercer leurs activités légitimes.
Liberté d’expression
Des journalistes et des personnes communiquant sur les réseaux sociaux ont signalé que les médias nationaux et internationaux étaient soumis à des menaces, des attaques et des tentatives de musellement constituant une restriction abusive du droit à la liberté d’expression. Les déclarations publiques du gouvernement provisoire et les réglementations mises en place ont créé un climat de peur et de censure. Le gouvernement a par ailleurs harcelé et menacé des opposant·e·s politiques et des personnes soupçonnées de l’être. Il a prononcé publiquement des menaces, reprochant à des personnalités politiques de faire de la « désinformation » et accusant des journalistes de « sédition ». Le gouvernement a également accusé des personnes d’avoir participé à des « mouvements de déstabilisation et de désinformation » et de mener une « guerre virtuelle » contre lui.
Dans le contexte de la pandémie, le gouvernement a également édicté des réglementations qui ont soulevé un certain nombre d’inquiétudes, comme les décrets suprêmes 4199 et 4200, ainsi que le décret suprême 4231, qui modifie les deux premiers. Certains articles de ces textes violaient le droit à la liberté d’expression, par exemple en érigeant en infraction contre la santé publique le fait de « diffuser de fausses informations » sur le COVID-19 ou de « générer l’incertitude au sein de la population ». Ces décrets ont ensuite été abrogés, mais, comme les poursuites pénales et les incarcérations, ils ont néanmoins servi à intensifier le harcèlement contre les opposant·e·s politiques et les personnes soupçonnées de l’être.
Droits des peuples autochtones
Les peuples autochtones ont été touchés de façon disproportionnée par la pandémie. Leur droit de participer aux prises de décisions concernant des questions ayant trait à leurs droits a continué d’être mis à mal par l’octroi, sans leur consentement préalable, libre et éclairé, d’autorisations pour la réalisation de projets économiques sur des terres leur appartenant. Dans le contexte de la pandémie, d’après les services de la défenseure des droits, les politiques de santé publique n’ont pas suffisamment protégé les peuples autochtones, et les discours racistes les dénigrant se sont multipliés sur les réseaux sociaux.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le 3 juillet, la deuxième chambre constitutionnelle du tribunal départemental de La Paz a annulé la décision des services de l’état civil de refuser l’enregistrement des unions civiles entre personnes de même sexe. La chambre a ordonné aux services de l’état civil d’adopter une nouvelle résolution conforme aux normes internationales relatives aux droits humains. Les services de l’état civil n’ont pas respecté cette décision et ont déposé une demande de mesure conservatoire auprès du Tribunal constitutionnel plurinational pour en suspendre les effets. Cette affaire était encore en instance à la fin de l’année. Le 9 décembre, les services de l’État civil se sont néanmoins conformés à la décision de la chambre et ont adopté une nouvelle résolution, permettant à deux hommes de devenir le premier couple de personnes de même sexe à enregistrer une union civile.