L’Afghanistan est entré dans sa vingtième année de conflit. Ce conflit a continué de faire de nombreuses victimes civiles. Les talibans et d’autres groupes armés prenaient délibérément pour cible des personnes civiles ou des biens de caractère civil, en violation du droit international humanitaire. Une maternité et plusieurs établissements d’enseignement, notamment, ont été attaqués. L’impunité persistant, les responsables de ces agissements n’ont pas été amenés à rendre des comptes. Les femmes et les filles étaient toujours en butte à la violence, au harcèlement et à des manœuvres d’intimidation. Les violences contre les enfants perduraient. Cette année encore, des demandeurs et demandeuses d’asile afghans ont été renvoyés de force en Afghanistan, notamment depuis l’Iran, où certains ont été attaqués par les forces de sécurité iraniennes. L’État afghan a mis sur pied une commission mixte pour la protection des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s de la société civile en Afghanistan. Cette commission était placée sous le contrôle du second vice-président, Mohammad Sarwar Danish, et comptait parmi ses membres des militant·e·s, ainsi que la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan (CIDHA).
Contexte de la situation des droits humains en Afghanistan
En février, les talibans afghans ont signé un accord de paix avec les États-Unis en vue du retrait des troupes américaines. L’accord comprenait la promesse de libérer « jusqu’à 5 000 » combattants talibans détenus dans les prisons du gouvernement afghan figurant sur une liste initialement remise aux États-Unis, en échange de 1 000 membres des forces de sécurité afghanes détenus par le groupe armé. Le gouvernement afghan a refusé de libérer 400 combattants inclus dans la liste, qui étaient présumés responsables de crimes graves. La proposition de libération de certains talibans préoccupait également la France et l’Australie, car la liste comprenait des combattants responsables de la mort de leurs soldats. Malgré cela, ces combattants ont eux aussi été libérés, sous la pression des États-Unis. Certains d’entre eux, qui étaient soupçonnés d’avoir tué des ressortissants étrangers, ont par la suite été transférés au Qatar. Plus de 5 000 talibans ont finalement été libérés, dont des prisonniers accusés de crimes graves.
L’accord de paix entre les États-Unis et les talibans prévoyait que la question du règlement politique ferait l’objet de pourparlers directs entre, d’une part, les représentants du gouvernement afghan et de plusieurs groupes principalement politiques et, d’autre part, les représentants des talibans. Ces pourparlers dits « intra-afghans » ont commencé en septembre à Doha (Qatar). Les femmes étaient peu représentées du côté du gouvernement afghan, et la délégation talibane n’en comptait aucune. Les victimes du conflit n’étaient pas non plus représentées, malgré les demandes de groupes de défense des droits humains. En décembre, les équipes chargées des négociations ne s’étaient accordées que sur un principe directeur interne régissant le processus de négociation.
Conflit armé
Malgré les pourparlers de paix, le conflit armé a continué de faire des victimes parmi la population civile tout au long de l’année et entraîné une hausse du nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Selon la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), 2 177 personnes civiles ont été tuées et 3 822 blessées, entre le 1er janvier et le 30 septembre. Ces chiffres représentaient une baisse de 30 % du nombre de victimes civiles par rapport à la même période en 2019, mais le nombre de décès est quasiment resté identique.
La MANUA a indiqué que les talibans étaient responsables de 45 % et le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique-Province du Khorassan de 7 % des victimes civiles enregistrées au cours des neuf premiers mois de 2020. Les groupes armés ont tous délibérément ciblé et tué des personnes civiles, notamment des enseignant·e·s, des personnes travaillant dans le domaine de la santé et de l’aide humanitaire, des juges, des notables tribaux et religieux et des fonctionnaires. Les attaques prenant délibérément pour cible des personnes civiles et des biens de caractère civil constituaient des violations du droit international humanitaire, y compris des crimes de guerre. En mai, une maternité du quartier de Dasht e Barchi, dans l’ouest de Kaboul, la capitale, a été attaquée par des hommes armés. Vingt-quatre personnes ont été tuées, dont des nouveau-nés, des femmes enceintes et des membres du personnel soignant. Cette attaque n’a pas été revendiquée.
Les forces progouvernementales ont été responsables de plus d’un quart de l’ensemble des cas de décès et de blessures enregistrés entre le 1er janvier et le 30 septembre, ayant tué 602 personnes et en ayant blessé 1 038. Ces chiffres intégraient les 83 et 30 cas de décès et de blessures respectivement imputés aux forces militaires internationales. D’après la MANUA, le nombre de victimes civiles blessées ou tuées par l’armée nationale afghane (principalement dans des frappes aériennes et lors d’affrontements au sol) a augmenté par rapport à 2019, et les violences se sont multipliées à l’approche des pourparlers de paix.
Les enfants continuaient d’être recrutés pour le combat, notamment par des groupes armés et par les forces de sécurité afghanes (les milices progouvernementales et la police locale), et étaient soumis à de multiples violences, y compris sexuelles. Selon la MANUA, l’Afghanistan restait « l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les enfants ». Les forces progouvernementales et antigouvernementales étaient responsables les unes comme les autres de plus de 700 cas d’enfants tués ou blessés. En octobre, le premier vice-président, Amrullah Saleh, a annoncé avoir ordonné l’arrestation d’une personne qui avait fait état de victimes civiles dans le bombardement aérien d’une école par le gouvernement afghan, bombardement qui avait tué 12 enfants. Quelque temps plus tard, le porte-parole du gouverneur de la province de Takhar a dit avoir été démis de ses fonctions pour avoir fait état de cas d’enfants civils tués ou blessés par les forces de sécurité afghanes.
Impunité
L’accord de paix entre les États-Unis et les talibans ne mentionnait ni les droits humains ni les femmes. Il préservait l’impunité pour les violations graves du droit international commises par toutes les parties au conflit. En septembre, les États-Unis ont renforcé cette position en imposant des sanctions à la procureure de la CPI, notamment un gel de ses avoirs, alors qu’elle s’apprêtait à conduire une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés par toutes les parties au conflit depuis 2003.
Droit à la santé
Le système de santé afghan, affaibli, a été débordé par la pandémie de COVID-19. Au total, 52 011 cas de contamination et 2 237 décès liés à cette maladie ont été enregistrés, ce qui était certainement bien en deçà des chiffres réels pour le pays. Dans la plupart des provinces, il était impossible de se faire dépister, et les prélèvements étaient envoyés à la capitale. Les mesures adoptées par le gouvernement, mises en œuvre grâce à des dons internationaux, ont été vivement critiquées ; des actes de corruption ont été dénoncés et les personnes qui avaient le plus besoin d’aide ont été abandonnées à leur sort. Pendant le confinement, de nombreux foyers pauvres n’auraient pas été inclus dans les listes de distribution de pain parce qu’ils n’étaient pas membres de la mosquée locale, alors que des ménages relativement plus aisés en auraient reçu.
Les personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui vivaient déjà dans des conditions précaires avant la pandémie, ont tout particulièrement eu des difficultés à accéder aux services de santé et aux autres services essentiels. Avec un taux de pauvreté de 55 %, le nombre de personnes démunies demeurait élevé dans tout le pays, et ce chiffre risquait encore d’augmenter en raison du ralentissement économique dû à la pandémie.
Personnes réfugiées ou déplacées
L’Iran, le Pakistan, la Turquie et des pays de l’Union européenne ont continué de renvoyer de force des personnes migrantes ou demandeuses d’asile en Afghanistan, en violation du principe de « non-refoulement ». Ces renvois, qui ont ralenti quelque temps pendant la pandémie, étaient particulièrement préoccupants au vu de la situation sanitaire dans le pays, du conflit qui perdurait et du taux élevé de pauvreté.
Les autorités iraniennes ont renvoyé de force près de 700 000 personnes entre le 1er janvier et le 31 octobre. Des gardes-frontières iraniens ont par ailleurs agressé des migrant·e·s afghans : ils ont notamment été responsables d’actes de torture et de noyades en mai, et incendié un véhicule qui transportait des personnes migrantes en juin. Ces attaques n’ont fait l’objet d’aucune enquête et aucune mesure n’a été prise contre les responsables présumés.
D’après l’Organisation internationale pour les migrations, l’Afghanistan comptait quatre millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays en 2020, contre 1,2 million en 2016 et 500 000 en 2013. Ces personnes, qui vivaient dans des conditions proches de la survie, souvent dans des camps densément peuplés, se heurtaient à des difficultés constantes pour accéder à l’eau potable, à des soins de santé et à un emploi. Leur situation s’est encore détériorée avec la pandémie de COVID-19.
Droits des femmes et des filles
Violences faites aux femmes et aux filles
Les femmes et les filles étaient toujours en butte à des discriminations et des violences liées au genre partout en Afghanistan et en particulier dans les zones contrôlées par les talibans, où leurs droits étaient bafoués en toute impunité et où des « châtiments » violents leur étaient infligés pour tout acte considéré comme une transgression de l’interprétation du droit musulman par le groupe armé.
Les violences contre les femmes et les filles étaient encore rarement signalées et, souvent, les femmes se méfiaient des autorités et avaient peur de faire l’objet de représailles si elles se manifestaient. Selon la CIDHA, plus de 100 femmes ont été assassinées au cours de l’année. Même lorsque ces cas étaient signalés, aucune enquête n’était menée. Dans certains cas, les victimes de violences étaient soumises à des pressions de la part de leur entourage ou d’agents de l’État pour qu’elles retirent leur plainte. Parfois, ces affaires étaient réglées par « médiation », les victimes se trouvant alors soustraites à la protection de la loi. En conséquence, les responsables de ces actes (coups, homicides, châtiments corporels, actes de torture et autres mauvais traitements) restaient généralement impunis.
Participation des femmes à la gestion des affaires publiques
La participation des femmes à la gestion des affaires publiques restait limitée, malgré quelques améliorations importantes enregistrées quant à la situation des femmes depuis l’an 2000. La participation des femmes était toujours très restreinte dans l’administration provinciale et locale, en particulier dans les domaines de la protection sociale et de l’éducation. Les quelques femmes travaillant au sein des instances gouvernementales se heurtaient à des manœuvres d’intimidation, au harcèlement et à la discrimination. Elles avaient accès à moins de ressources que leurs collègues masculins et on les privait souvent de la possibilité de faire des heures supplémentaires, et de percevoir ainsi une rémunération additionnelle. Les femmes n’avaient pas suffisamment de possibilités de participer aux prises de décision, et les agressions qu’elles subissaient dans le cadre de leurs fonctions au sein de l’administration publique faisaient rarement l’objet d’enquêtes et restaient impunies.
Droits des enfants
Les enfants ont continué d’être victimes de harcèlement et de violences. Les atteintes sexuelles contre les enfants ont été très médiatisées et le bacha bazi (sévices sexuels commis sur de jeunes garçons par des hommes plus âgés) a été érigé en infraction en 2018, mais les autorités ne se sont guère attachées à mettre fin à l’impunité et à traduire en justice les responsables présumés de ces agissements.
Les possibilités pour les enfants d’exercer leur droit à une éducation de qualité étaient insuffisantes. D’après l’UNICEF, plus de deux millions de filles n’étaient pas scolarisées et, selon les chiffres du gouvernement, environ 7 000 écoles du pays n’avaient pas de bâtiment pour faire cours. De nombreux enfants continuaient d’être contraints au travail forcé ou à mendier dans la rue.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Les conditions dans lesquelles les journalistes, les autres personnes travaillant pour les médias et les militant·e·s exerçaient leurs activités se sont encore dégradées en raison de l’insécurité croissante et des homicides ciblés de militant·e·s, de journalistes et de dignitaires religieux modérés. Des journalistes ont exprimé leur inquiétude quant au manque d’accès à l’information. Les membres de cette profession n’étaient pas suffisamment protégés contre les attaques menées par les groupes armés. Le gouvernement a déposé un projet de loi relatif aux médias de masse qui aurait davantage encore restreint le droit à la liberté d’expression. Il a été obligé de le retirer face aux protestations massives.
Des débats étaient en cours au Parlement concernant un avant-projet de loi sur les rassemblements publics, les grèves et les manifestations, qui, s’il était adopté, limiterait fortement le droit à la liberté de réunion pacifique.
Le gouvernement a rejeté un troisième avant-projet de loi sur les ONG ; Amnesty International avait indiqué qu’elle craignait que ce projet n’impose des restrictions inutiles à l’enregistrement des organisations et ne limite leur indépendance.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Les attaques et les homicides ciblés contre les militant·e·s, les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes se sont multipliés. Les défenseur·e·s des droits humains ont cette année encore été en butte à des actes d’intimidation, à des violences et à des assassinats. En mars, dans la province du Helmand, des agents gouvernementaux ont agressé physiquement des défenseurs des droits humains qui avaient dénoncé des actes de corruption. Ces personnes ont dû recevoir des soins à l’hôpital pour leurs blessures. En mai, dans la province de Zaboul, Mohammad Ibrahim Ebrat, coordinateur du Groupe de travail conjoint de la société civile afghane, a été attaqué et blessé par des individus armés non identifiés. Il est mort des suites de ses blessures. En juin, deux membres de la CIDHA, Fatima Khalil et Jawad Folad, ont été tués dans un attentat à la voiture piégée à Kaboul.
En décembre, le gouvernement afghan a mis en place une commission mixte pour la protection des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s de la société civile en Afghanistan. Cette commission était placée sous le contrôle du second vice-président, Mohammad Sarwar Danish, et comptait parmi ses membres des militant·e·s et la CIDHA. Il était encore trop tôt pour évaluer l’efficacité de la commission pour protéger les militant·e·s et garantir que les attaques et les menaces fassent l’objet d’enquêtes et que les responsables présumés soient poursuivis en justice.