Les enquêtes ouvertes sur les activités de militant·e·s des droits humains et de personnes critiques à l’égard du gouvernement, les opérations de grande envergure menées contre des migrant·e·s sans papiers et le renvoi forcé illégal de bateaux transportant des réfugié·e·s ont contribué à la dégradation de la situation en matière de droits humains dans le pays. Les personnes LGBTI ont cette année encore fait face à la discrimination. Les populations indigènes restaient menacées par les activités minières et l’exploitation forestière. Les réformes entreprises en matière de droits humains, notamment la mise en place d’une commission indépendante de surveillance de la police et l’abolition du recours obligatoire à la peine de mort, n’ont pas progressé depuis l’arrivée du nouveau gouvernement.
Contexte de la situation des droits humains en Malaisie
Le gouvernement de coalition du Pakatan Harapan est tombé en février après que des parlementaires ont fait défection et ont créé le Perikatan Nasional, qui a apporté son soutien à Muhyiddin Yassin, désigné comme nouveau Premier ministre. Face à la pandémie de COVID-19, le gouvernement a adopté en mars une ordonnance sur le contrôle des déplacements. La population carcérale n’a pas été réduite de façon significative, bien que plus de 5 000 cas de COVID-19 aient été dénombrés.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Des défenseur·e·s des droits humains ont fait l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires, le plus souvent au titre de l’article 233 de la Loi sur les communications et le multimédia. En mars, la militante Fadiah Nadwa Fikri a fait l’objet d’une enquête pour avoir publié sur les réseaux sociaux un appel à manifester contre le changement de gouvernement. Elle a de nouveau été au centre d’une enquête un peu plus tard, en compagnie de 18 autres militant·e·s, pour ne pas avoir déposé de préavis avant une manifestation1. Entre le début de l’année et le mois de mai, 262 enquêtes avaient été ouvertes pour sédition, et 143 autres au titre de la Loi sur les communications et le multimédia. Une information a été ouverte en juin contre un parlementaire de l’opposition, Xavier Jayakumar, au titre de la législation contre la sédition, parce qu’il avait reproché au gouvernement de ne pas avoir convoqué le Parlement en séance plénière. Également au mois de juin, l’animateur de radio Patrick Teoh a été inculpé au titre de cette même législation pour avoir mis en ligne sur les réseaux sociaux un message qui, selon l’accusation, insultait l’institution royale.
Un homme a été condamné en juillet à 26 mois d’emprisonnement pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages considérés comme insultants à l’égard de la religion musulmane. Steven Gan, rédacteur en chef du site d’informations Malaysiakini, a été inculpé d’outrage au tribunal pour des commentaires envoyés par des lecteurs. Les autorités ont également ouvert des enquêtes sur des journalistes de la chaîne Al Jazeera et du journal South China Morning Post pour des articles et reportages consacrés à la manière dont étaient traités les migrant·e·s dans le cadre du confinement décrété pour lutter contre la pandémie de COVID-19.
Les autorités ont inculpé cinq militantes et militants syndicalistes de violation de l’ordonnance sur le contrôle des déplacements parce qu’ils avaient organisé une manifestation pacifique pour protester contre des pratiques injustes en matière d’emploi, des actes visant à empêcher les syndicats d’agir et le manque d’équipements de protection individuelle pour le personnel hospitalier2. Un tribunal a par la suite abandonné toutes les charges retenues contre ces personnes.
Personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes
L’action du gouvernement face à la pandémie de COVID-19 a durement frappé les personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes. Des opérations des services de l’immigration, qui se sont soldées par des arrestations et des placements en détention, ont été menées dans des zones où les migrant·e·s étaient particulièrement nombreux, sur fond de montée de la xénophobie. Une vague de cas de COVID-19 a été signalée dans les centres de détention de ces mêmes services3, où plus de 600 personnes auraient été contaminées.
Des réfugié·e·s rohingyas arrivant par bateau ont été repoussés ou placés dans des centres de détention surpeuplés4. La marine nationale a fait faire demi-tour en avril à un navire transportant des centaines de personnes, dont des femmes et des enfants. Le même mois, le Bangladesh a accueilli un autre bateau, avec à son bord des centaines de réfugié·e·s rohingyas, qui aurait lui aussi été contraint par les autorités malaisiennes à faire demi-tour. Deux autres embarcations transportant des réfugié·e·s ont bien été autorisées à accoster, en avril et en juin, mais ces personnes ont été placées en détention. Certaines ont été poursuivies au titre de la législation sur l’immigration et condamnées à des peines d’emprisonnement et de fustigation (ce dernier châtiment a cependant été annulé par la suite).
Selon certaines informations, des migrant·e·s auraient été employés dans des conditions de travail forcé et contraints de vivre dans des logements surpeuplés par des fabricants malaisiens de gants en latex, un secteur où la demande était en forte augmentation en raison de la pandémie de COVID-19. Des foyers de contamination se sont déclarés dans des usines de gants, et un employé a été licencié après avoir soulevé des préoccupations quant au fait que les logements étaient surpeuplés. Des sites de construction ont également vu apparaître des foyers de contamination.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Un certain nombre de défenseur·e·s des droits humains ont fait l’objet d’investigations à la suite du changement de gouvernement. C’était notamment le cas du président de la coalition pour une réforme électorale Bersih, Thomas Fann, de la militante anticorruption Cynthia Gabriel, membre du mouvement C4, et de Sevan Doraisamy, membre de l’organisation de défense des droits humains Suaram5. En juillet, la police a ouvert une enquête sur Heidy Quah, fondatrice de l’ONG Refuge for the Refugees, après qu’elle a publié sur internet une description des conditions de vie déplorables qui régnaient dans les centres de détention des services de l’immigration. Heidy Quah a également reçu des menaces en ligne, qui reflétaient une tendance inquiétante à la multiplication des actes de harcèlement à l’égard des défenseur·e·s des droits humains, et particulièrement des femmes, dont les informations personnelles étaient parfois rendues publiques. Les autorités enquêtaient rarement sur les violences en ligne.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le gouvernement a continué de persécuter les personnes LGBTI. En juillet, le ministre des Affaires islamiques, Zulkifli Mohamad, a publié sur Internet une déclaration dans laquelle il « autorisait pleinement » les autorités religieuses à arrêter et à « rééduquer » les personnes LGBTI6. En septembre, l’un des 11 hommes inculpés en 2019 de « tentative de relations sexuelles contre-nature » a introduit une demande de révision judiciaire de la loi pénalisant les rapports sexuels entre personnes de même sexe. L’affaire était en cours à la fin de l’année.
Droits des peuples autochtones
Dans toute la Malaisie, des opérations d’aménagement du territoire ou d’exploitation forestière exposaient les peuples autochtones au risque de perdre leurs terres. Une proposition visant à lever la protection dont bénéficiait officiellement une réserve forestière de l’État de Selangor a suscité en février un mouvement de protestation de la part de la population autochtone, qui craignait les conséquences d’une telle mesure sur ses conditions de vie et ses moyens de subsistance. En septembre, des membres des peuples autochtones de l’État de Pahang ont manifesté contre la mise en exploitation de trois mines de terres rares.
Impunité
Le gouvernement a retiré en août un projet de loi présenté par le gouvernement précédent, qui prévoyait la création d’une commission de surveillance de la police, et l’a remplacé par un nouveau texte largement dénoncé comme étant inefficace7. Toujours au mois d’août, l’exécutif a révélé que 23 personnes, dont deux enfants, étaient mortes au premier semestre dans des centres de détention gérés par les services de l’immigration. Aucune enquête sérieuse n’a été menée sur les causes de ces décès. D’autres morts en détention ont eu lieu les mois suivants, dont celle de Zeawdeen Kadar Masdan, un ressortissant indien qui a perdu la vie alors qu’il se trouvait aux mains des services de l’immigration8.
Peine de mort
La Cour fédérale a estimé au mois d’août que le recours obligatoire à la peine de mort était une mesure constitutionnelle. Les modifications législatives proposées par le précédent gouvernement et destinées à abroger les dispositions prévoyant obligatoirement la peine capitale n’avaient pas été soumises au Parlement à la fin de l’année. Un moratoire sur les exécutions restait toutefois en vigueur.
1“Malaysia : Raft of investigations a blatant attempt to intimidate peaceful protesters” (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 4 mars)
2“Malaysia : Drop charges against hospital workers’ union activists” (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 15 septembre)
3“Malaysia : Act urgently to stop COVID-19 surge in detention centres” (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 5 juin)
4« Malaisie. Risque élevé de contracter le coronavirus pour des centaines de Rohingyas fuyant par bateau » (nouvelle, 8 avril)
5“Malaysia must not return to climate of fear for activists and critics” (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 12 juin)
6“Malaysia : Government must end persecution of transgender people“ (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 11 juillet)
7“Malaysia : Proposed IPCC bill a shameful step backwards in ensuring police accountability” (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 28 août)
8“Malaysia : Government must be accountable for deaths in detention centres” (déclaration publique d’Amnesty International Malaisie, 7 août)