Philippines - Rapport annuel 2020

carte Philippines rapport annuel amnesty

République des Philippines
Chef d’État et du gouvernement : Rodrigo Roa Duterte

Des exécutions extrajudiciaires et d’autres violations des droits humains ont continué d’être commises dans le cadre de la campagne antidrogue du gouvernement. Des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques ont été tués, harcelés, arrêtés et injustement inculpés. La liberté de la presse a fait l’objet de restrictions injustifiées et une loi antiterroriste dangereuse a été adoptée. Plusieurs organisations ont condamné la politique brutale adoptée par le gouvernement face à la pandémie de COVID-19. Le président Rodrigo Duterte a une nouvelle fois demandé au Congrès de rétablir la peine de mort.

Contexte de la situation des droits humains aux Philippines

Les mesures prises par le gouvernement pour endiguer la propagation du COVID-19 ont donné lieu à de nombreuses atteintes aux droits humains. Le président Rodrigo Duterte a ordonné aux forces de sécurité et aux autorités locales d’« abattre » les personnes créant des « problèmes » pendant la période de confinement1. Des représentants des pouvoirs publics locaux ont été poursuivis en justice pour avoir enfermé dans des cages à chien des personnes qui avaient selon eux violé les mesures de confinement.

Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté une résolution demandant que le gouvernement bénéficie d’une assistance technique et d’un renforcement de ses capacités. Cette résolution ne contenait pas d’appels en faveur de mesures plus fermes pour remédier au problème des violations persistantes commises dans le pays.

Exécutions extrajudiciaires et impunité

Des exécutions extrajudiciaires et d’autres violations des droits humains ont continué d’être commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue » menée par le gouvernement. À plusieurs reprises, le président Rodrigo Duterte a incité à recourir à la violence contre les personnes soupçonnées de consommer ou de vendre des stupéfiants, tout en promettant une protection aux individus qui les tueraient2. Un nombre accru d’homicides ont été signalés dans des villes où avaient été nommés des responsables des forces de police ayant par le passé supervisé des opérations marquées par des abus. D’après les statistiques du gouvernement, la police a tué au moins 155 personnes entre avril et juillet 2020, contre 103 entre décembre 2019 et mars 2020. Cette année encore, des homicides ont été perpétrés par des individus non identifiés, dont un grand nombre étaient soupçonnés d’être en lien avec la police. Les victimes étaient dans leur grande majorité des personnes vivant dans la pauvreté.

La vice-présidente Leni Robredo a rendu public en janvier un rapport qui battait en brèche les informations fournies par les autorités à propos de la « guerre contre la drogue ». Elle a déclaré que les initiatives gouvernementales visaient des personnes consommant ou vendant de petites quantités de drogues illicites, et a appelé le gouvernement à mettre fin à sa politique meurtrière baptisée Oplan Tokhang (« opération Frapper et plaider »), à poursuivre en justice les individus impliqués dans le trafic de stupéfiants, et à améliorer la collecte et l’interprétation des données relatives aux stupéfiants3.

En juin, le HCDH a publié un rapport présentant des informations détaillées sur des exécutions extrajudiciaires et des attaques ayant visé des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques et les médias, entre autres violations.

En juillet, le gouvernement a annoncé la création d’un groupe interinstitutionnel chargé d’« examiner » les cas d’homicides liés aux stupéfiants commis par la police. Des organisations de défense des droits humains ont déclaré que ce groupe avait été mis en place pour protéger le gouvernement face à la surveillance internationale.

Malgré ses appels répétés à l’ouverture d’une enquête internationale, le Conseil des droits de l’homme a adopté en octobre une résolution accordant au gouvernement une assistance technique et un renforcement des capacités. Dans sa résolution, il demandait au HCDH de continuer de lui fournir des informations sur l’évolution de la situation au cours des deux prochaines années4.

En décembre, la CPI a déclaré que des crimes avaient été commis dans le cadre de la « guerre contre la drogue » et qu’elle déciderait en 2021 d’ouvrir ou non une enquête.

Répression de la dissidence

En février, cela a fait trois ans que la prisonnière d’opinion Leila de Lima, sénatrice, était incarcérée pour des accusations motivées par des considérations politiques, pour avoir cherché à enquêter sur des meurtres liés aux stupéfiants5. En février également, un tribunal a décerné des mandats d’arrêt à l’encontre de l’ancien sénateur et détracteur de la « guerre contre la drogue » Antonio Trillanes IV, du prêtre militant Flaviano « Flavie » Villanueva et de neuf autres personnes, les accusant de conspiration en vue de commettre des actes de sédition. Cinq militant·e·s ont été arrêtés lors d’opérations menées par les forces de sécurité dans la ville de Tacloban.

En mars, un tribunal a décerné des mandats d’arrêt pour parjure contre des militant·e·s qui demandaient la protection de la justice après avoir été qualifiés de « terroristes » par l’armée philippine.

En juillet, le président Rodrigo Duterte a promulgué la Loi de la République no 11479 (Loi antiterroriste de 2020)6. Des groupes de défense des droits humains ont critiqué cette nouvelle loi, lui reprochant de contrevenir aux normes internationales et d’accorder au gouvernement des pouvoirs échappant à tout contrôle en matière d’arrestation des personnes considérées comme des ennemis de l’État. Plus de 30 recours contestant la constitutionnalité de ce texte étaient en instance devant la Cour suprême à la fin de l’année.

Le militant et partisan de la paix Randall Echanis et un de ses voisins ont été tués le 10 août dans le Grand Manille7. Une semaine après, la défenseure des droits humains Zara Alvarez a été abattue à Bacolod8. Randall Echanis et Zara Alvarez avaient été qualifiés de « terroristes » sur une liste établie en 2018 par le gouvernement. D’autres défenseur·e·s des droits humains et militant·e·s ont été arrêtés de façon arbitraire et ont fait l’objet de menaces et d’un harcèlement croissants après que le gouvernement les eut qualifiés de « rouges » ou associés à des groupes armés communistes.

En octobre, le traitement réservé par la police à la militante Reina Mae Nasino lors des funérailles de son bébé de trois mois a déclenché une vague d’indignation.

Le 10 décembre, la journaliste Lady Ann Salem et six syndicalistes ont été arrêtés lors de descentes de police dans le Grand Manille et inculpés de détention illégale d’armes et d’explosifs. Selon des groupes de défense des droits humains, ces accusations ne reposaient sur aucun fondement.

Le 30 décembre, neuf personnes ont été tuées par la police et 17 autres arrêtées dans les provinces de Capiz et d’Iloilo. Des organisations locales ont affirmé qu’il s’agissait de membres d’une communauté autochtone qui défendaient leurs terres, tandis que la police a soutenu que ces personnes appartenaient à la Nouvelle Armée du peuple et que les neuf hommes qui avaient été tués avaient résisté à leur arrestation.

Liberté d’expression

Au mois de mai, Cornelio Pepino, animateur radio qui dénonçait la corruption, a été abattu par des individus non identifiés à Dumaguete. Son assassinat a été le premier d’une série de sept meurtres commis dans la province du Negros oriental en l’espace de neuf jours.

En juin, Maria Ressa, directrice du site d’information Rappler, et Reynaldo Santos Jr., ancien journaliste de Rappler, ont été déclarés coupables de « diffamation en ligne9 ». Un mois plus tard, le Congrès a refusé le renouvellement de la licence d’exploitation du groupe audiovisuel ABS-CBN10. Le site Rappler et le groupe ABS-CBN avaient dénoncé les meurtres et d’autres violations commises au titre de la « guerre contre la drogue ». En décembre, Maria Ressa a été inculpée pour la deuxième fois de diffamation en ligne après avoir partagé un tweet.

Liberté de réunion et d’association

Des violations du droit à la liberté de réunion ont été commises dans le contexte de la pandémie de COVID-19. En avril, la police a dispersé de façon violente les habitant·e·s d’un quartier pauvre de Quezon City qui demandaient pacifiquement de l’aide aux pouvoirs publics.

En juin, à Cebu, la police a arrêté huit personnes qui protestaient contre le projet de loi antiterroriste ; elles ont été maintenues en détention pendant trois jours. La police a également arrêté au moins 20 personnes, dont trois étaient mineures, pendant une marche des fiertés à Manille, la capitale du pays. Les forces de l’ordre ont accusé les manifestant·e·s d’avoir enfreint les restrictions concernant les rassemblements de masse pendant la pandémie, entre autres infractions. Ces personnes ont été relâchées quatre jours plus tard, dans l’attente d’une enquête.

Droit à la santé

Des appels ont été lancés à plusieurs reprises en faveur de la libération de certaines catégories de détenu·e·s, notamment les personnes incarcérées pour des motifs politiques, afin de limiter la propagation du COVID-19 dans les prisons, après que plusieurs centaines de détenu·e·s et de membres du personnel pénitentiaire eurent été testés positifs au virus. En octobre, la Cour suprême a déclaré que plus de 80 000 personnes avaient été libérées de prison.

Les soignant·e·s n’étaient pas suffisamment protégés face à la pandémie. L’interdiction qui leur était faite d’aller travailler à l’étranger a été partiellement levée en novembre.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Les affrontements se sont poursuivis entre les forces gouvernementales et la Nouvelle Armée du peuple, branche armée du Parti communiste des Philippines. En août, deux jeunes autochtones manobos ont perdu la vie sur fond d’escalade de la violence dans la province du Surigao del Sur.

Peine de mort

Dans son discours sur l’état de la nation en juillet, le président Rodrigo Duterte a une nouvelle fois appelé le Congrès à rétablir la peine de mort, notamment pour les infractions liées aux stupéfiants. Au moins 24 propositions de loi visant au rétablissement de la peine capitale étaient en instance d’examen à la fin de l’année.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

En février, dans la ville de Makati, la police s’est livrée au « profilage » de 67 personnes dans le cadre de son plan « Oplan X-Men » visant les femmes transgenres, ce qui a suscité un tollé.

En avril, un représentant des autorités locales a soumis trois personnes LGBTI à un traitement dégradant, les forçant à accomplir des actes sexuellement suggestifs à titre de sanction, parce qu’elles n’auraient pas respecté le couvre-feu lié au COVID-19. En décembre, une commission sénatoriale a approuvé une proposition de loi visant à interdire la discrimination et la violence fondées sur l’orientation sexuelle ainsi que l’identité et l’expression de genre.

1« Philippines. Dans le cadre de la réponse à la pandémie de COVID-19, le président donne l’ordre de “tirer pour tuer” » (communiqué de presse, 2 avril)
2“My Job is to kill” : Ongoing human rights violations and impunity in the Philippines (ASA 35/3085/2020)
3« Philippines. Le témoignage de l’intérieur de la vice-présidente révèle l’échec de la “guerre contre la drogue” » (communiqué de presse, 6 janvier)
4« Philippines. La résolution de l’ONU est une occasion manquée de rendre justice, mais la situation reste sous surveillance » (communiqué de presse, 7 octobre)
5“Philippines : Free senator ; end attacks on human rights defenders (ASA 35/1854/2020)
6« Philippines. Une dangereuse loi antiterroriste constitue un nouveau revers pour les droits humains » (communiqué de presse, 3 juillet)
7“Philippines : Cold-blooded murder of another activist and peace advocate must be investigated” (réaction, 10 août)
8“Philippines : Another human rights defender murdered ; cycle of bloodshed must end” (communiqué de presse, 18 août)
9« Philippines. La déclaration de culpabilité de Maria Ressa et Reynaldo Santos Jr., journalistes de Rappler, doit être annulée » (communiqué de presse, 15 juin)
10 “Philippines : Denial of ABS-CBN franchise another nail in the coffin of press freedom” (réaction, 10 juillet)

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