Le personnel de santé a manqué d’équipements de protection individuelle adéquats au début de la pandémie de COVID-19. Un nombre disproportionné de personnes âgées sont mortes de la maladie. La police a distribué plus d’un million d’amendes et soumis des personnes à des sanctions arbitraires pour non-respect des mesures de confinement liées au COVID-19. Cette année encore, des informations ont fait état d’un usage excessif de la force par des responsables de l’application des lois dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre lors de manifestations. Le nombre de femmes ayant appelé des lignes d’assistance téléphonique pour les victimes de violences liées au genre a fortement augmenté. Le manque de logements abordables et la privation de logement étaient toujours un grave motif de préoccupation. Des personnes migrantes ou réfugiées ont été enfermées dans des installations surpeuplées à Melilla pendant le confinement.
Contexte de la situation des droits humains en Espagne
En janvier, un nouveau gouvernement de coalition a été formé, réunissant le parti socialiste (PSOE) et la formation de gauche Unidas Podemos. Le 14 mars, trois jours après que l’OMS eut déclaré que la flambée de COVID-19 avait le caractère d’une pandémie mondiale, le gouvernement a approuvé un décret royal proclamant l’état d’urgence. Ce décret a accordé des pouvoirs d’exception pour l’application de la réglementation sur le confinement, et l’état d’urgence sanitaire a été prolongé à six reprises, jusqu’au 21 juin. L’état d’urgence a de nouveau été déclaré en octobre et confirmé pour six mois en novembre.
En juin, le Parlement a adopté le Revenu minimum vital, prestation destinée aux foyers les plus pauvres.
L’Espagne a accepté la plupart des recommandations formulées dans le cadre de l’EPU de l’ONU, y compris celles relatives aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et celles concernant des violations des droits humains commises par le passé1.
Les services d’aide aux victimes de violences liées au genre ont été considérés comme essentiels, et un plan de lutte contre ces violences a été approuvé en vue de garantir l’accès à ces services pendant le confinement.
En mars, le gouvernement a annoncé un projet de loi portant sur les violences sexuelles, qui devrait comprendre une nouvelle définition du viol conforme au droit international relatif aux droits humains.
Droit à la santé
À la fin de l’année, au moins 93 000 soignant·e·s avaient contracté le COVID-19, comptant pour 5,1 % de l’ensemble des cas recensés ; 89 de ces personnes sont mortes de la maladie. Les femmes représentaient plus de 78 % des professionnel·le·s de la santé infectés.
Pendant les premières semaines de la pandémie, le pays a connu une pénurie d’équipements de protection individuelle (EPI) de bonne qualité. En conséquence, les personnes travaillant dans le secteur de la santé ont souvent été contraintes d’utiliser des EPI inadaptés ou de réutiliser des produits à usage unique. Celles qui travaillaient dans des structures autres que les hôpitaux, comme les centres de soins de santé primaires et les maisons de retraite, ont reçu des EPI après le personnel des hôpitaux.
De plus, pendant les trois premiers mois de la pandémie, les professionnel·le·s de la santé n’ont eu qu’un accès limité aux tests de dépistage du COVID-19.
Les personnes âgées
En novembre, près de 20 000 personnes âgées étaient mortes des suites du COVID-19 dans des maisons de retraite depuis le début de la pandémie ; ce chiffre représentait environ 50 % de l’ensemble des décès dus au COVID-19 enregistrés au cours de cette période. D’après les estimations, environ la moitié des décès de personnes âgées survenus dans des maisons de retraite ont eu lieu à Madrid, la capitale du pays, et en Catalogne. On craignait que les protocoles d’orientation mis en place dans ces deux régions, recommandant de traiter les personnes âgées malades au sein des maisons de retraite au lieu de les hospitaliser, n’aient été discriminatoires et n’aient violé le droit à la santé.
Au plus fort de la pandémie, des personnes âgées vivant en maison de retraite ont été confinées dans leur chambre, avec des contacts restreints voire sans aucun contact avec leur famille, pour une durée indéterminée et sans que soit exercée par les autorités nationales ou régionales une véritable supervision ; ces conditions ont entraîné des violations de leurs droits fondamentaux. Durant toute cette période, les associations de professionnel·le·s de la santé ont exprimé leur inquiétude quant au manque persistant d’effectifs, à la pénurie d’EPI de bonne qualité pour le personnel, et à l’insuffisance des soins prodigués aux personnes vivant dans les maisons de retraite au cours des premiers mois de la pandémie2.
Droits des femmes
Pendant le confinement, le nombre de femmes ayant appelé les services d’assistance téléphonique contre la violence liée au genre mis en place par le ministère de l’Égalité a augmenté de 60 % par rapport au chiffre enregistré l’année précédente pour la même période. Le nombre de consultations en ligne effectuées par des femmes recherchant la sécurité pendant le confinement a augmenté de 586 %. Quarante-cinq femmes ont été tuées par leur partenaire ou leur ancien partenaire.
Droits en matière de logement
De nombreuses personnes, en particulier dans les zones à faibles revenus, ont continué d’avoir des difficultés à trouver un logement convenable. Le Décret-loi royal no 8/2020 et le Décret-loi royal no 11/2020, tous deux adoptés en mars, ont instauré un moratoire de trois mois concernant les prêts hypothécaires pour les personnes particulièrement vulnérables, et un moratoire de six mois pour le paiement des loyers. Les procédures d’expulsion pour les ménages en difficulté ne disposant pas de solution de relogement ont également été suspendues à la faveur de ces décrets. Cette mesure a été prolongée jusqu’en janvier 2021 par le Décret-loi royal no 30/2020 adopté en septembre.
En avril, le rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté a recommandé à l’Espagne de se doter d’une nouvelle loi garantissant le droit au logement. Il a également invité le gouvernement à accroître fortement l’investissement dans les logements sociaux, à adopter des mesures fiscales dissuasives s’agissant des logements laissés vacants, et à renforcer dans les principales agglomérations les mesures d’encadrement des loyers.
Recours excessif à la force
La Loi de 2015 relative à la sécurité publique, qui restreignait les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’information, a continué d’être appliquée, ses dispositions confortant les pouvoirs coercitifs dévolus aux forces de sécurité.
Pendant la période d’état d’urgence et jusqu’au 23 mai, les forces de l’ordre ont infligé plus d’un million d’amendes et arrêté 8 547 personnes pour non-respect du confinement. Des informations ont fait état d’un recours excessif et disproportionné à la force par certains de leurs membres pour faire respecter les mesures de confinement. Les responsables de l’application des lois n’ont pas disposé de critères précis d’utilisation de leurs pouvoirs, qu’ils ont exercés de façon arbitraire, par exemple en infligeant des amendes à des journalistes qui faisaient leur travail, à des sans-abri et à d’autres personnes marginalisées3.
En juin, le gouvernement a révélé que quatre enquêtes internes étaient en cours au sein de la police nationale, et que 41 gardes civils avaient été sanctionnés en raison de leurs agissements pendant l’état d’urgence.
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé en octobre que l’Espagne avait violé les droits à la liberté de réunion et d’association ; elle avait été saisie d’une affaire concernant une femme qui avait subi des blessures lui ayant causé une invalidité permanente, quand la police avait dispersé par la force une manifestation pacifique spontanée contre les mesures d’austérité et le chômage, en 2014.
Les enquêtes portant sur l’usage excessif de la force dont se seraient rendus coupables des agents des forces de l’ordre lors des manifestations d’octobre 2017 en Catalogne étaient toujours ouvertes à la fin de l’année.
Liberté d’expression et de réunion
Jordi Sánchez et Jordi Cuixart, les présidents de deux organisations indépendantistes de Catalogne condamnés pour sédition en raison de manifestations et du référendum sur l’indépendance en 2017, étaient toujours en détention.
En novembre, la Cour constitutionnelle a estimé que plusieurs infractions prévues par la Loi relative à la sécurité publique, qui rendaient illégales certaines formes légitimes de contestation, étaient conformes à la Constitution ; elle a néanmoins considéré que la nécessité d’obtenir une autorisation préalable pour utiliser des vidéos montrant la police limitait le droit à la liberté d’information.
Personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes
À la suite de la proclamation de l’état d’urgence, huit centres de détention pour personnes migrantes ont été fermés, et des migrant·e·s en situation irrégulière ont été remis en liberté afin d’empêcher la propagation du COVID-19. Des solutions de relogement leur ont été proposées. Les pouvoirs publics ont toutefois annoncé en juin la réouverture progressive des centres de détention, en raison de l’accroissement des arrivées par la mer.
Si le nombre total de personnes arrivant de façon irrégulière en Espagne continentale a crû de 29 % par rapport à 2019, les arrivées irrégulières aux Canaries ont augmenté de 756,8 %. Entre juin et novembre, les hébergements étant en nombre insuffisant ou inadaptés, de nombreuses personnes réfugiées ou migrantes ont passé plusieurs jours dehors sur les quais, dans des conditions peu sûres.
Le nombre de demandes d’asile a considérablement diminué en raison des restrictions de déplacement et de la fermeture des frontières. Entre janvier et novembre, 84 705 personnes ont déposé une demande (39 839 d’entre elles étaient des femmes, et 15 206 des mineur·e·s) contre 117 000 en 2019. L’accumulation des dossiers non traités demeurait préoccupante, avec un total de 99 105 dossiers en attente en novembre. Les restrictions liées au confinement se sont ajoutées à la désorganisation de la procédure d’asile en ce qui concerne les entretiens et le renouvellement des documents. Les personnes en quête d’asile rencontraient des difficultés pour obtenir un rendez-vous afin de déposer leur demande en bonne et due forme.
Les personnes demandeuses d’asile ou migrantes n’étaient toujours pas accueillies dans de bonnes conditions : elles vivaient les unes sur les autres et ne pouvaient pas suffisamment se protéger contre le risque d’infection par le COVID-19. Le Centre de séjour temporaire pour immigrant·e·s de Melilla a continué de fonctionner au-delà de sa capacité pendant la pandémie, accueillant jusqu’à 1 600 personnes, y compris mineures et LGBTI. Malgré les risques sanitaires, les transferts de personnes depuis Melilla vers l’Espagne continentale ont été limités.
En juillet, la Cour suprême a rappelé que les personnes demandeuses d’asile avaient le droit de circuler librement sur le territoire espagnol et de rejoindre la partie continentale depuis Ceuta et Melilla, confirmant ainsi 22 décisions rendues par des juridictions inférieures. À la fin de l’année, les autorités n’avaient toutefois pas infléchi leur politique consistant à empêcher les demandeurs et demandeuses d’asile de quitter ces deux villes.
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé en février que l’Espagne n’avait pas enfreint la Convention européenne des droits de l’homme en expulsant de façon sommaire deux hommes depuis Melilla vers le Maroc, en 2014.
En novembre, la Cour constitutionnelle a confirmé que les dispositions autorisant le rejet à la frontière de personnes tentant d’entrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla étaient conformes à la Constitution, à condition que ces rejets concernent des entrées individuelles, soient soumis à un contrôle judiciaire et soient effectués dans le respect du droit international.
1The authorities must fulfil their commitments and take measures to guarantee the right to freedom of expression and peaceful assembly - Human Rights Council adopts Universal Periodic Review outcome on Spain (EUR 41/2732/2020)
2“Spain : Older people in care homes abandoned during COVID19 pandemic” (communiqué de presse, 3 décembre)
3Violaciones de derechos humanos durante el estado de alarma (rapport, juin)