Jordanie - Rapport annuel 2020

carte Jordanie rapport annuel amnesty

Royaume hachémite de Jordanie
Chef de l’État : Abdallah II
Chef du gouvernement : Bisher al Khasawneh (a remplacé Omar al Razzaz en octobre)

Les autorités ont déclaré l’état d’urgence en mars afin de lutter contre la pandémie de COVID-19, ce qui a conféré des pouvoirs considérables au Premier ministre et ainsi permis l’arrestation d’au moins 13 journalistes ayant critiqué le gouvernement et le roi, ainsi que de personnes accusées de « répandre la panique au sujet du COVID-19 ». Le confinement mis en place pour endiguer l’épidémie a généré une forte augmentation de la violence domestique. Des travailleuses et travailleurs migrants dans l’attente de salaires non payés ont été abandonnés à leur sort. Le travail des enfants a augmenté car les répercussions économiques de la pandémie ont plongé de nombreuses familles dans la pauvreté. Les enfants nés de mère jordanienne et de père étranger ont été déclarés inéligibles aux fonds d’urgence ouverts par l’État. Des réfugié·e·s syriens ont été abandonnés sans aide humanitaire, et de nombreux autres ont perdu leur emploi et sont retournés en Syrie dans des zones contrôlées par le gouvernement.

Contexte de la situation des droits humains en Jordanie

En mars, le roi a déclenché l’application de la Loi no 13 de 1992 relative à la défense, déclarant l’état d’urgence et octroyant au Premier ministre des pouvoirs considérables pour prendre « toutes les mesures nécessaires » contre le COVID-19. Le Premier ministre s’est formellement engagé à les utiliser « de la manière la plus restreinte possible » et de façon à ne pas porter atteinte aux droits politiques, à la liberté d’expression ni à la propriété privée.

La Jordanie est restée membre de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite dans le cadre du conflit armé au Yémen.

Liberté d’expression et de réunion

Les autorités ont continué d’imposer des restrictions à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

La répression ciblant les journalistes et les militant·e·s s’est poursuivie, notamment sous la forme d’un harcèlement des journalistes en lien avec les mesures gouvernementales liées à la pandémie de COVID-19.

Le 15 avril, à la suite de la déclaration de l’état d’urgence, le Premier ministre a pris un décret indiquant que la diffusion d’informations susceptibles de « provoquer la panique » au sujet du COVID-19 serait passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement. À la fin de l’année, au moins 13 journalistes avaient été arrêtés en vertu de ce décret ; la plupart d’entre eux ont été rapidement remis en liberté. En novembre, le propriétaire de Roya TV, Fares Sayegh, et son directeur de l’information, Mohamad al Khalidi, ont été arrêtés pour la diffusion d’une séquence « critiquant le roi ». Celle-ci montrait des personnes vivant en Jordanie qui se plaignaient des répercussions économiques du confinement lié à la pandémie. Les deux hommes ont passé 14 jours en détention.

Le 1er et le 23 juillet, le ministère de l’Éducation a bloqué l’accès à des applications populaires de réseaux sociaux dans tout le pays et pendant plusieurs heures. Selon la Jordan Open Source Association, il a indiqué que cette mesure visait à réduire le risque de triche pendant les examens scolaires.

Le 28 juillet, Tujan al Bukhaiti, réfugiée yéménite de 17 ans, a été déclarée non coupable des accusations de « blasphème » et d’« insulte aux sentiments religieux » au terme d’un procès de huit mois. La police des mineur·e·s l’avait convoquée pour un interrogatoire à la suite d’un signalement de l’Unité de lutte contre la cybercriminalité au sujet de publications sur les réseaux sociaux, parmi lesquelles des partages de statuts Facebook de son père, Ali al Bukhaiti, portant sur des sujets culturels et religieux en décembre 2019.

En août, le journaliste et dessinateur de presse Emad Hajjaj a été arrêté en raison d’une caricature critiquant l’accord de normalisation des relations entre les Émirats arabes unis et Israël. Il a été renvoyé devant la Cour de sûreté de l’État pour « actes nuisant aux relations de la Jordanie avec un pays allié ». Selon Human Rights Watch, après l’activation de la Loi no 13 relative à la défense, le Département des renseignements généraux a pris contact à plusieurs reprises avec plusieurs journalistes pour leur poser des questions sur leur travail et les avertir de ne pas aborder certaines questions. Ces journalistes ont indiqué que les autorités leur avaient sciemment refusé l’autorisation d’assister à certains événements ou de les couvrir. Les autorités ont également interdit aux journalistes de s’exprimer sur différents sujets relatifs aux droits humains, tels que la violence domestique.

Droits des travailleuses et travailleurs

Le 25 juillet, au terme d’un long différend entre le gouvernement et le syndicat des enseignant·e·s au sujet d’une augmentation des salaires, les forces de l’ordre ont fait irruption dans les locaux de 13 sections de ce syndicat et ont arrêté 13 membres de son exécutif. Au cours des jours suivants, des dizaines de membres du syndicat ont également été arrêtés. Le procureur général a ensuite prononcé une interdiction d’évoquer publiquement cette affaire et a ordonné la fermeture du syndicat pour deux ans. Des tensions étaient réapparues à la suite de la décision du gouvernement de geler les salaires des fonctionnaires jusqu’à la fin de l’année 2020 à cause de la pandémie de COVID-19, alors qu’il s’était auparavant engagé à les augmenter de 50 %. La fermeture du syndicat a déclenché de nouvelles manifestations au début du mois d’août ; deux journalistes qui couvraient ces manifestations ont été arrêtés et placés en détention pendant quelques heures, tandis que deux autres journalistes ont été frappées.

À l’issue d’une enquête ouverte en août sur des accusations de « corruption » et d’« incitation sur les réseaux sociaux », un tribunal d’Amman a ordonné le 31 décembre la dissolution du syndicat des enseignant·e·s et l’arrestation des membres de son exécutif. Peu de temps après, quatre de ses responsables ont été arrêtés, puis libérés sous caution après l’introduction d’un recours par l’avocat du syndicat.

Droits des femmes

Des gouverneurs de province ont continué d’utiliser la Loi relative à la prévention de la criminalité pour placer des femmes en détention administrative, souvent pendant plusieurs mois et pour des raisons discriminatoires, par exemple pour s’être « absentées de leur domicile » sans l’autorisation d’un tuteur masculin, pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage (zina), pour avoir mendié ou parce qu’elles étaient sans-abri. Dar Amneh, un foyer à destination des femmes risquant d’être tuées par des membres de leur famille, a continué d’offrir une alternative à la détention administrative pour les femmes en danger « placées en détention pour assurer leur sécurité ». Néanmoins, les femmes avaient l’interdiction de quitter ce foyer sans l’accord d’un gouverneur de province.

Les groupes de défense des droits des femmes ont constaté une augmentation des cas de violence domestique pendant le confinement lié au COVID-19, notamment au sein des populations de réfugié·e·s syriens et parmi les travailleuses domestiques migrantes. Le Service de protection de la famille, rattaché à la Direction de la sécurité publique et créé afin de lutter contre la violence domestique et les agressions sexuelles, a été débordé. En outre, le nombre de personnes demandant la protection des autorités ou se tournant vers les foyers pour femmes a chuté. D’autres mesures ont été mises en place, telles que le soutien psychologique à distance et la création d’une ligne d’assistance téléphonique mais, selon les groupes de défense des femmes, ces dispositifs ne pouvaient apporter qu’une aide limitée.

Malgré des modifications législatives en 2017 et quelques avancées positives signalées par des militant·e·s des droits des femmes allant dans le sens d’une meilleure prise en compte de ce type d’infractions, aucune mesure concrète n’a été adoptée pour lutter contre la violence domestique ni contre les crimes dits « d’honneur », qui étaient tous deux particulièrement fréquents en Jordanie. Le 17 juillet, une vidéo largement rediffusée de la mort d’une femme prénommée Ahlam, tuée en public par son père, a engendré des manifestations. Les autorités n’ont pris aucune mesure pour amener le père à rendre des comptes et n’ont réagi d’aucune autre manière à cet événement.

Droits des travailleuses et travailleurs migrants

Les travailleuses et travailleurs migrants étaient toujours insuffisamment protégés contre les atteintes à leurs droits perpétrées par leurs employeurs ou employeuses ou par des agences d’emploi, et restaient menacés de détention arbitraire. Leur situation de vulnérabilité a été aggravée par la pandémie de COVID-19, qui a entraîné une multitude d’atteintes aux droits, dont des licenciements arbitraires et le non-versement de salaires. Des groupes de défense des droits ont indiqué qu’un grand nombre de travailleuses et travailleurs migrants avaient perdu leur emploi. La plupart ne bénéficiaient d’aucune protection sociale et il leur était difficile de retrouver un emploi. Seuls les travailleuses et travailleurs journaliers de nationalité jordanienne, ainsi que les personnes disposant d’un compte de sécurité sociale actif, ont pu recevoir une aide d’urgence matérielle et financière. En conséquence du système de parrainage (kafala) régissant l’emploi des travailleuses et travailleurs migrants dans cette région, certains ont perdu leur statut de résident et risquaient l’arrestation, la détention et l’expulsion. Celles et ceux qui souhaitaient quitter le pays n’ont souvent pas pu le faire en raison des restrictions de déplacements imposées pour endiguer la propagation du virus.

Des travailleuses et travailleurs migrants qui manifestaient pacifiquement pour leurs droits ont reçu des jets de gaz lacrymogène. Cela a été le cas par exemple des travailleuses domestiques sri-lankaises qui ont manifesté en juillet car les autorités persistaient à ignorer leurs demandes.

Droits des enfants

Les lois relatives à la citoyenneté étaient toujours discriminatoires à l’égard des enfants nés d’une mère jordanienne et d’un père étranger : contrairement aux enfants dont le père était jordanien et la mère étrangère, ils ne pouvaient pas acquérir la nationalité jordanienne. En pratique, cela a privé ces enfants du fonds d’urgence mis en place par le ministère du Développement social pour lutter contre les répercussions économiques du COVID-19, notamment si la mère n’était pas présente pour déposer sa propre demande d’aide. Selon des groupes de défense des droits, les conséquences économiques de la pandémie ont entraîné une augmentation du travail des enfants.

Droits des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile

La Jordanie accueillait toujours quelque 655 000 personnes originaires de Syrie, 67 000 d’Irak, 15 000 du Yémen, 6 000 du Soudan et 2 500 réfugié·e·s de 52 autres nationalités enregistrés auprès du HCR, outre les plus de deux millions de réfugié·e·s palestiniens enregistrées auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.

Au moins 10 000 réfugié·e·s syriens vivaient toujours dans la « berme », un no man’s land situé en plein désert, près de la frontière jordano-syrienne. En mars, la Jordanie a annoncé qu’elle interdirait aux convois d’aide humanitaire de passer sur son territoire pour acheminer de l’aide et des équipements médicaux aux personnes réfugiées, invoquant des inquiétudes liées au COVID-191. Cette décision des autorités a aggravé une situation humanitaire déjà dramatique, mettant notamment en danger la vie des femmes enceintes car il était impossible de bénéficier de soins de santé maternelle dans cette zone.

En août, les autorités jordaniennes ont transféré de force au moins 16 réfugié·e·s syrien, dont huit enfants, vers un camp informel situé dans la « berme2 ». Nombre de ces personnes ont choisi de retourner en Syrie, dans des régions contrôlées par le gouvernement, tant les conditions de vie étaient épouvantables dans ce camp.

Les réfugié·e·s syriens ont été parmi les plus touchés par les mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie de COVID-19 car ils travaillaient majoritairement dans le secteur informel et n’avaient généralement pas de contrat écrit, de sécurité sociale, de couverture d’assurance maladie ni de permis de travail valide. Selon le HCR, un tiers d’entre eux ont perdu leur travail tandis que d’autres ont vu leurs revenus diminuer de 40 %. Les personnes réfugiées d’origine syrienne n’avaient pas le droit de travailler dans certains secteurs, tels que la santé, l’enseignement, l’ingénierie et les professions techniques.

Les réfugié·e·s palestiniens originaires de la bande de Gaza étaient toujours privés de droits et de services fondamentaux du fait qu’ils n’avaient pas la nationalité jordanienne.

Peine de mort

Cette année encore, les autorités judiciaires ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a cependant eu lieu.

1« Jordanie. Il faut permettre aux Syrien·ne·s déplacés à Rukban de bénéficier de soins médicaux d’urgence en cette pandémie de COVID-19 » (communiqué de presse, 7 mai)
2« Jordanie. Il faut mettre un terme au transfert forcé de réfugié·e·s syriens vers un no-man’s land situé dans le désert » (communiqué de presse, 15 septembre)

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