Les autorités se sont appuyées sur des lois répressives pour réduire au silence des personnes qui critiquaient le gouvernement, restreignant la liberté d’expression, à la fois en ligne et hors ligne. Les défenseur·e·s des droits humains, parmi lesquels des militant·e·s, des journalistes, des étudiant·e·s, des avocat·e·s et des acteurs et actrices, étaient toujours en butte à des actes d’intimidation et de harcèlement. Des investigations indépendantes ont révélé l’existence d’un dispositif de surveillance illégale à grande échelle que les autorités utilisaient contre des défenseur·e·s des droits humains, bafouant les droits de ces personnes au respect de la vie privée, à la non-discrimination et à la protection des données. La Loi relative à la réglementation des contributions étrangères a servi abusivement à réprimer des ONG œuvrant en faveur des droits humains. La police et les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive face à des membres de minorités et à des agriculteurs et agricultrices qui manifestaient pacifiquement contre des lois agraires. Les tribunaux ont porté atteinte au droit à un procès équitable et retardé l’examen d’affaires cruciales concernant des violations des droits humains. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, l’affectation des fonds s’est encore opacifiée et le droit à la santé s’est trouvé compromis. Une grande partie de la population a souffert de la pénurie de lits d’hôpital et d’oxygène lors de la deuxième vague de contaminations. La discrimination et les violences fondées sur la caste dont étaient victimes les dalits (opprimés) et les adivasis (aborigènes) se sont poursuivies avec la même intensité qu’auparavant. Des groupes autoproclamés de protection des vaches ont attaqué des minorités, mettant à mal leurs moyens de subsistance.
Liberté d’expression et d’association
Des restrictions illégales et motivées par des considérations politiques ont été instaurées en matière de liberté d’expression et de réunion. Des journalistes, des médias, des acteurs et actrices et des défenseur·e·s des droits humains exprimant ouvertement leurs opinions ont fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation, qui se sont manifestés par une utilisation abusive de lois financières excessivement générales.
Le 28 juillet, plusieurs locaux du groupe Dainik Bhaskar, propriétaire du quotidien en langue hindi du même nom, ont reçu la visite de l’administration fiscale. Le journal Dainik Bhaskar avait publié un article sur l’abandon en masse de corps de victimes du COVID-19 sur les rives du Gange, en raison du tarif élevé des crémations. Entre le 10 et le 16 septembre, les locaux des médias NewsClick et Newslaundry, ainsi que le domicile de l’acteur et philanthrope Sonu Sood et le bureau du défenseur des droits humains Harsh Mander, ont été inspectés sur des présomptions d’évasion fiscale et de détournement de fonds à des fins de « conversion religieuse ».
Des organes étatiques se sont appuyés sur la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères pour réduire des ONG au silence. En juin, le ministère de l’Intérieur a ainsi suspendu la licence de l’Initiative du Commonwealth pour la défense des droits de la personne, une organisation de défense des droits humains travaillant en faveur de l’accès à l’information et à la justice. Il a également radié 10 ONG internationales s’occupant de questions d’environnement, de changement climatique et de travail des enfants, et a inscrit plus de 80 organisations philanthropiques ou de défense des droits humains sur une liste spéciale, sans motiver cette décision. Les organisations figurant sur cette liste ne pouvaient décaisser ou recevoir des fonds qu’après avoir obtenu l’aval du ministère de l’Intérieur, ce qui restreignait fortement leurs activités.
En juillet, le projet Pegasus, une initiative internationale d’enquête journalistique, a mis en lumière la surveillance illégale et arbitraire à laquelle le gouvernement soumettait, semble-t-il, la population au moyen du logiciel espion Pegasus. Au moins 300 numéros de téléphone de défenseur·e·s des droits humains, de journalistes, d’avocat·e·s, de représentant·e·s de l’État et de personnalités politiques de l’opposition ont été potentiellement surveillés. Le logiciel espion, qu’Amnesty International a pu examiner, a permis à des organes étatiques d’avoir connaissance de l’intégralité de l’activité téléphonique de ces personnes, y compris leurs courriels, leurs fichiers, leurs listes de contacts, leurs informations de localisation et leurs messages instantanés. Il a également permis aux autorités d’enregistrer en secret des séquences audio et vidéo au moyen du microphone et de la caméra intégrés dans le téléphone. Le Parti du peuple indien Bharatiya Janata (BJP), alors au pouvoir, a retardé toutes les tentatives faites par des responsables de l’opposition siégeant au Parlement pour diligenter une enquête sur ces allégations. Le 27 octobre, la Cour suprême a ordonné la création d’une commission composée de trois membres pour mener une enquête indépendante sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus à des fins de surveillance illégale.
De nombreux défenseur·e·s des droits humains, notamment des avocat·e·s et des universitaires, ont vu leur nom s’ajouter à la liste des « ennemis de l’État » nécessitant une « surveillance permanente » dans le code de guerre de l’Union indienne. Ce document, qui remontait à l’époque coloniale, rassemblait des informations relatives aux menaces pour la sécurité.
En mai, l’État a mis en application les Règles afférentes aux technologies de l’information (Directives intermédiaires et Code de déontologie des médias numériques) sans avoir mené la consultation publique nécessaire et en dépit des procédures en instance devant plusieurs tribunaux. Ce texte réglementait les plateformes dites « par contournement » comme les services de télévision en continu, ainsi que les plateformes d’actualités. Il permettait, sans aucun appui législatif, de bloquer et de censurer du contenu. Son introduction a également rendu obligatoire l’identification de l’auteur·e de certaines informations diffusées sur les réseaux sociaux, brisant les règles du chiffrement de bout en bout et bafouant le droit au respect de la vie privée.
Au cours de l’année, l’État a bloqué 38 fois l’accès à Internet. Les habitant·e·s de Jammu-et-Cachemire ont connu le plus long blocage jamais enregistré, lequel a duré du 4 août 2019 au 5 février 2021. La région a continué à subir des blocages répétés sur fond de préoccupations pour la sécurité nationale et l’ordre public. Ces blocages ont provoqué des pertes économiques et nui à l’éducation et à la prestation d’autres services. Ils ont également accru le risque, pour les défenseur·e·s des droits humains, de faire l’objet d’une surveillance par les autorités.
Arrestations et détentions arbitraires
Quatorze défenseur·e·s des droits humains étaient toujours détenus en vertu des dispositions antiterroristes de la Loi relative à la prévention des activités illégales. Il s’agissait des universitaires Anand Teltumbde, Shoma Sen et Hany Babu, du défenseur des droits tribaux Mahesh Raut, du poète Sudhir Dhawale, des avocat·e·s Surendra Gadling et Sudha Bharadwaj, de l’écrivain Gautam Navlakha, des militants Rona Wilson, Arun Ferreira, Vernon Gonsalves et Sagar Gorkhe, et de deux membres du groupe culturel Kabir Kala Manch : Ramesh Gaichor et Jyoti Jagtap. Ces personnes ont été arrêtées entre 2018 et 2020 par l’Agence nationale d’enquêtes (NIA), principal organe indien de lutte contre le terrorisme, en raison de leur participation présumée aux violences qui avaient eu lieu lors de célébrations à Bhima Koregaon, près de Pune, en 2018.
Les autorités ont réprimé l’utilisation des réseaux sociaux et d’Internet en ayant recours à des arrestations arbitraires. En février, la militante pour le climat Disha Ravi a été arrêtée pour « sédition » et « incitation à la discorde entre les communautés » parce qu’elle avait partagé sur les réseaux sociaux des conseils visant à aider les agriculteurs et agricultrices à protester contre trois lois agraires controversées. Plus de 183 personnes ont été arrêtées pour avoir manifesté contre ces lois, que le Parlement avait adoptées en 2020 à l’issue d’une consultation réduite au minimum. Ces textes ont été abrogés en décembre.
Le 9 mars, Hidme Markam, défenseure des droits humains appartenant à la communauté autochtone adivasi, a été arrêtée en vertu de la Loi relative à la prévention des activités illégales pour avoir dénoncé les violences sexuelles infligées à des femmes par les forces de sécurité. Le 8 avril, un rapporteur spécial et plusieurs rapporteuses spéciales des Nations unies ont écrit aux pouvoirs publics indiens pour contester les charges pesant sur cette femme. Les autorités ont cependant refusé d’indiquer le fondement juridique de son arrestation.
Le 21 septembre, Aakar Patel, défenseur des droits humains et président d’Amnesty International Inde, a été arrêté et inculpé d’« incitation à la discorde entre les communautés » après s’être exprimé sur Twitter au sujet de l’hostilité à l’égard de la communauté musulmane ghanchi, notamment de la part du BJP. La plainte contre lui a été déposée par un député affilié au BJP.
Des centaines de membres du mouvement musulman Tablighi Jamaat, arrêtés arbitrairement dans 11 États parce qu’ils n’auraient pas respecté les conditions de leur visa et auraient délibérément ignoré les consignes relatives au COVID-19, ont été relaxés. La justice a estimé que le ministère public s’était montré « malveillant » et que les autorités avaient abusé de leur pouvoir et tenté de faire des prévenus des boucs émissaires.
En octobre, plusieurs personnalités de l’opposition ont été détenues arbitrairement ou assignées à résidence par la police de l’Uttar Pradesh pour avoir exprimé leur soutien envers quatre agriculteurs tués alors qu’ils manifestaient ; le conducteur d’une voiture appartenant au sous-secrétaire d’État à l’Intérieur avait commis un excès de vitesse et les avait renversés.
Discrimination et crimes de haine fondés sur la caste
Les dalits et les adivasis étaient toujours confrontés à des atteintes généralisées à leurs droits fondamentaux. Selon des statistiques officielles publiées en septembre, plus de 50 000 infractions contre des membres des castes répertoriées et 8 272 infractions contre des membres des tribus répertoriées ont été signalés en 2020. Les femmes dalits ou adivasis étaient exposées à des violences sexuelles commises par des hommes des classes dominantes. Beaucoup faisaient l’objet de discrimination dans l’accès aux services publics.
En juin, un adolescent dalit de 17 ans a été abattu par des hommes d’une caste dominante à Bijnor (Uttar Pradesh). La victime avait porté plainte auprès de la police locale après que ces hommes lui avaient refusé l’entrée d’un temple, mais la police n’avait rien fait.
En août, une fillette dalit de neuf ans aurait été violée et tuée par quatre hommes, dont un prêtre hindou, dans un crématorium de Delhi, avant d’être incinérée sans le consentement de sa famille.
En septembre, Arbaaz Aftab a été tué, semble-t-il à la demande des parents de sa petite amie hindoue, qui étaient opposés à la relation interconfessionnelle de leur fille.
Bien que la législation de plusieurs États érige en infraction le lynchage, des hommes dalits et des hommes musulmans ont été agressés ou battus à mort par des groupes autoproclamés de protection des vaches en Assam, au Bihar, dans le territoire de Jammu-et-Cachemire, au Meghalaya, au Rajasthan, au Tripura et en Uttar Pradesh.
Impunité
Des disparitions forcées, ainsi que des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ont été perpétrés de façon généralisée et systématique, en toute impunité.
En juillet, Stan Swamy, prêtre jésuite de 84 ans, est mort après s’être vu refuser à plusieurs reprises une libération sous caution, alors qu’il souffrait de la maladie de Parkinson et avait contracté le COVID-19 en prison. Il avait été arrêté en octobre 2020 par la NIA pour sa participation présumée aux violences commises lors de célébrations à Bhima Koregaon, près de Pune, en 2018. Il soutenait ouvertement les populations tribales.
Au moins 28 personnes ont été tuées dans des attaques ciblées perpétrées par des membres de groupes armés dans le territoire de Jammu-et-Cachemire. Les autorités indiennes n’ont pas répondu aux préoccupations du peuple de Jammu-et-Cachemire en matière de droits humains et de sécurité.
Recours excessif à la force
La police et les forces de sécurité ont eu recours à la force de manière excessive à de nombreuses reprises. En août, la police de l’Haryana a lancé une charge contre des agriculteurs et agricultrices qui manifestaient pacifiquement à Karnal, en Haryana, et les a frappés au moyen de lathis (longues matraques en bambou), blessant grièvement au moins 10 agriculteurs. Avant cette charge, le magistrat sous-divisionnaire de Karnal avait été filmé en train d’ordonner à des policiers et policières de « briser le crâne des manifestants » et la vidéo avait circulé sur les réseaux sociaux.
En septembre, la police de l’Assam a tiré sans discernement sur des membres de la communauté musulmane bengali lors d’une expulsion forcée dans le village de Sipajhar, en Assam, tuant un homme et un garçon de 12 ans. Un photojournaliste a été filmé en train de piétiner le corps de cet homme en présence de policiers, qui n’ont pas réagi, et la vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux. Cet acte a soulevé un tollé au sein de l’opinion publique et le photojournaliste a été arrêté.
En octobre, le gouvernement central a élargi la compétence des Forces de sécurité des frontières (BSF) dans les États frontaliers et leur a donné des pouvoirs accrus en matière de perquisition, de saisie et d’arrestation. Par le passé, les BSF ont été accusées de graves violations des droits humains, notamment de recours illégal à la force, d’exécutions extrajudiciaires, ainsi que de torture et d’autres formes de mauvais traitements.
Droit à un procès équitable
En juin, la Cour suprême a accordé une libération sous caution aux étudiant·e·s et défenseur·e·s des droits humains Natasha Narwal, Devangana Kalita et Asif Iqbal Tanha, qui avaient été arrêtés en vertu de la Loi relative à la prévention des activités illégales parce qu’ils auraient orchestré les émeutes de Delhi en 2020. Cependant, elle a interdit que cette décision fasse jurisprudence, empêchant ainsi les tribunaux d’accorder des libérations sous caution à d’autres étudiant·e·s et défenseur·e·s des droits humains qui languissaient en prison pour avoir manifesté pacifiquement contre la Loi portant modification de la loi sur la citoyenneté. Par ailleurs, la Cour suprême a retardé l’examen d’affaires cruciales concernant la constitutionnalité de cette loi, la sédition et l’abrogation de l’article 370 de la Constitution. Elle a également retardé l’examen des recours relatifs aux trois lois agraires qui avaient été adoptées à l’issue d’une consultation réduite au minimum en 2020 et contre lesquelles des agriculteurs et agricultrices ont longtemps manifesté.
Droit à la santé
En 2020, les autorités ont créé le fonds PM CARES pour financer les interventions dans les situations d’urgence, dont la pandémie de COVID-19. Cependant, la répartition des importantes subventions collectées par l’intermédiaire de ce fonds était opaque. Le gouvernement central a exempté le fonds des vérifications du contrôleur et commissaire aux comptes général, le qualifiant de « fondation publique ».
En dépit du grand nombre de cas de COVID-19 signalés, le gouvernement central a autorisé des rassemblements religieux comme la Kumbh Mela, ainsi que des meetings électoraux. Le Premier ministre Narendra Modi a personnellement appelé la population à y participer. Il s’est avéré ensuite que ces événements avaient contribué à la deuxième vague de contaminations, qui s’est caractérisée par une pénurie aiguë de lits d’hôpital et d’oxygène.
Les auxiliaires de santé locaux, notamment les travailleuses sociales agréées en santé publique œuvrant en milieu rural, percevaient des salaires trop faibles et ne disposaient pas d’équipements de protection individuelle en quantité suffisante.
Liberté de religion et de conviction
En avril, des modifications ont durci une loi visant à lutter contre les conversions dans l’État du Gujarat. Ces nouvelles dispositions prévoyaient une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement en cas de conversion à une autre religion et annulaient le mariage des personnes converties. Pour ce type de mariage, la charge de la preuve était inversée et les déclarations de la femme concernée indiquant qu’elle s’était convertie de son plein gré étaient considérées comme insuffisantes. Son mari et sa famille devaient prouver qu’elle n’avait pas été forcée à changer de religion. Par le passé, des lois similaires avaient été promulguées en Himachal Pradesh, au Madhya Pradesh, en Uttarakhand et en Uttar Pradesh. En août, la haute cour du Gujarat a suspendu certaines dispositions de cette loi, qu’elle estimait inconstitutionnelles.
Discrimination
En juin, le gouvernement de l’Assam, dirigé par le BJP, a adopté une politique limitant le nombre d’enfants à deux par couple. Celle-ci interdisait aux parents de trois enfants ou plus de se présenter aux élections locales, de postuler dans la fonction publique et d’obtenir des allocations dans le cadre de programmes publics de protection sociale. Le gouvernement de l’Uttar Pradesh, également sous la houlette du BJP, a présenté un projet de loi similaire.