Sri Lanka - Rapport annuel 2021

carte Sri Lanka rapport annuel amnesty

République socialiste démocratique du Sri Lanka
Chef de l’État et du gouvernement : Gotabaya Rajapaksa

Le gouvernement a poursuivi sa politique de répression de la dissidence, s’en prenant à de nombreuses catégories de personnes. L’impunité restait la norme dans un certain nombre d’affaires emblématiques. Le recours abusif à la force et les violences de la part de responsables de l’application des lois ont été largement dénoncés. Plusieurs décès en détention ont été enregistrés. Les autorités sri-lankaises ayant retiré leur soutien à la justice transitionnelle, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a mis en place un mécanisme destiné à rassembler et étayer les éléments tendant à prouver que de graves atteintes aux droits humains avaient été commises, en vue de poursuites judiciaires à venir. Les mécanismes existants de justice transitionnelle n’ont enregistré aucun progrès. La Loi relative à la prévention du terrorisme continuait d’être invoquée pour faire taire les critiques émanant de minorités et justifier les arrestations arbitraires et les détentions prolongées en dehors de tout contrôle judiciaire. Aux termes d’une nouvelle réglementation introduite dans le cadre de cette loi, les personnes suspectes étaient de fait privées du droit de comparaître devant un juge et contraintes de participer à un programme de « réadaptation » obligatoire. Prise pour cible par les autorités, la communauté musulmane faisait l’objet d’une discrimination et d’une marginalisation accrues. Dans sa politique de lutte contre la pandémie de COVID-19, le gouvernement n’a pas donné la priorité aux professionnel·le·s de santé, aux personnes âgées ou présentant des comorbidités ni aux catégories marginalisées.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

La répression de la dissidence s’est poursuivie. Les autorités s’en sont prises à des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des avocat·e·s, des membres de l’opposition et des enquêteurs judiciaires, élargissant même le champ de la répression aux étudiant·e·s, universitaires, syndicalistes et auteur·e·s de commentaires sur les réseaux sociaux. Le secrétaire auprès du ministère de la Santé a émis en mai une directive menaçant de procédure disciplinaire toute personne travaillant dans le secteur de la santé qui s’exprimerait auprès de la presse sur les difficultés rencontrées dans la lutte contre la pandémie de COVID-19.

Les enseignant·e·s et les directeurs et directrices d’établissements scolaires ont manifesté au sujet de revendications salariales de longue date. Les manifestant·e·s ont en outre appelé au retrait d’un projet de loi controversé sur l’éducation. Un certain nombre de militant·e·s ont été arrêtés. Certains ont passé plus de 75 jours en détention.

Lors d’une réunion en ligne organisée en août par l’Institut de la magistrature du Sri Lanka, des magistrat·e·s ont reçu de la part de fonctionnaires n’exerçant pas dans le secteur judiciaire des instructions sur la manière de gérer les rassemblements publics en temps de pandémie de COVID-19. Ces instructions faisaient suite à d’importantes manifestations organisées par les syndicats. Les magistrat·e·s auraient ressenti des pressions visant à les inciter à prendre des décisions de justice pour éviter de tels mouvements de protestation.

Le gouvernement a annoncé une série d’initiatives destinées à réformer la législation encadrant l’action des ONG, avec un risque potentiel d’entrave à la liberté d’association.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Dans plusieurs affaires emblématiques impliquant des membres des forces armées ou des sympathisant·e·s du pouvoir en place, on a assisté soit à la relaxe des personnes inculpées, soit à l’abandon des poursuites par le parquet général. D’autres affaires n’ont enregistré aucun progrès. Le procès concernant la disparition forcée, en 2010, du journaliste Prageeth Eknaligoda a été repoussé à de multiples reprises, en partie en raison des restrictions liées à la pandémie de COVID-19. Les suspects dans l’affaire de l’assassinat, en 2005, du parlementaire tamoul Joseph Pararajasingham, dont plusieurs appartenaient à un parti politique soutenant le gouvernement, ont été acquittés. Le parquet général ne semblait pas vouloir rouvrir l’enquête. Le ministère public a décidé, sans motiver publiquement son choix, de ne pas inculper Wasantha Karannagoda, ancien officier de la marine nationale, pour son rôle présumé dans la disparition forcée de 11 Tamouls, en 2008 et 2009. La marine sri-lankaise serait responsable de la disparition forcée de ces 11 personnes.

Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté la résolution 46/1 en vue d’améliorer l’obligation de rendre des comptes au Sri Lanka. Cette résolution mettait en place un mécanisme international permettant au HCDH de recueillir, de compiler, d’analyser et de sauvegarder des informations et des éléments de preuve, ainsi que d’élaborer des stratégies pour de futures procédures d’application de l’obligation de rendre des comptes en cas d’atteintes flagrantes aux droits humains ou de graves violations du droit international humanitaire.
Sous la houlette d’une personnalité controversée, l’ancien juge de la Cour suprême Upali Abeyratne, le Bureau des personnes disparues (OMP) a ouvert une nouvelle antenne dans le nord du pays et a annoncé son intention de « vérifier » les 21 374 cas recensés par ses anciens membres. Le nombre de cas officiellement répertoriés par l’OMP s’établissait à 14 988 à la fin de l’année, sans qu’aucune explication claire n’ait été fournie sur les raisons pour lesquelles plus de 6 000 dossiers de personnes disparues avaient été écartés. De nouveaux membres ont été nommés au sein de l’OMP, mais on ignorait si sa direction avait changé.

Le Conseil des ministres a approuvé un certain nombre de politiques publiques et de lignes directrices préparées par le Bureau des réparations, portant sur l’indemnisation des victimes du conflit armé et des troubles civils et politiques. Le texte des mesures adoptées n’avait pas été rendu public à la fin de l’année. Des responsables de l’application des lois ont produit des décisions de justice s’opposant à des initiatives de commémoration d’événements liés à la guerre, sous prétexte de restrictions liées au COVID-19, et des personnes ayant pris part à ces manifestations ont été arrêtées.

Arrestations et détentions arbitraires

Les autorités maintenaient toujours en détention des centaines de musulman·e·s arrêtés à la suite d’attentats en avril 2019, au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA).

Le militant et avocat Hejaaz Hizbullah, également arrêté de façon arbitraire en vertu de cette loi en avril 2020, était toujours en détention, sans possibilité de libération sous caution. Il a été inculpé en mars et son procès était prévu en 2022. Le poète Ahnaf Jazeem, qui se trouvait en détention prolongée depuis son arrestation, en mai 2020, en raison de ses écrits, a été libéré sous caution en décembre. Il avait été inculpé au titre de la PTA en novembre. Cette loi a également été invoquée pour harceler, arrêter et placer arbitrairement en détention de nombreux journalistes, en particulier originaires du nord du pays. Pour Ahnaf Jazeem, comme pour Hejaaz Hizbullah, les garanties d’une procédure régulière ont été bafouées à maintes reprises. Ils n’ont pas été informés de la raison de leur arrestation et tous deux ont été maintenus en détention administrative prolongée, sans contrôle judiciaire permettant de s’assurer de leur bien-être, ni possibilité de consulter un·e avocat·e ou de contacter leur famille. Le chef de l’État, Gotabaya Rajapaksa, a introduit en mars une nouvelle réglementation s’appliquant dans le cadre de la PTA et permettant de soumettre à un programme de « réadaptation » les personnes soupçonnées d’infractions à cette loi ou à la législation d’urgence. Cette nouvelle réglementation suscitait de nombreuses préoccupations en matière de droits humains, du fait, notamment, de l’emploi de formulations excessivement vagues et subjectives pour décrire les infractions. Beaucoup craignaient par ailleurs que la « réadaptation » et la détention aux termes de la nouvelle réglementation ne privent les suspect·e·s du droit à une procédure régulière et du droit d’entrer en contact avec leur famille et de contester la légitimité de leur détention devant un tribunal. De telles violations exposeraient en outre les personnes arrêtées au risque de subir des actes de torture et d’autres mauvais traitements.

Recours excessif à la force et exécutions extrajudiciaires

La presse s’est largement fait l’écho d’un certain nombre de décès en garde à vue et de violences policières. Les responsables de l’application des lois et les représentants du gouvernement impliqués dans ces affaires n’ont manifestement pas eu à rendre de comptes ni à faire face à des actions en justice. La société civile a relevé de très nombreux cas de violences présumées au cours de l’année, dont trois homicides par balle par la police, 40 cas de violences policières, 10 décès en garde à vue (dont plusieurs présentés comme des suicides) et au moins 30 décès en prison (parfois présentés officiellement comme un suicide ou un décès dû au COVID-19), au moins 16 cas de violences par les forces de sécurité, 24 cas de violences de la part de représentant·e·s de l’État, dont des actes de harcèlement sexuel, et au moins trois cas de torture en prison.

Le ministre de la Sécurité publique a fait part de son intention d’introduire une loi visant à annuler les procédures engagées contre des policiers pour violation des droits humains si ces affaires n’étaient pas jugées « dans les temps ».

En septembre, le ministre de l’Administration pénitentiaire et de la Réadaptation des personnes emprisonnées, Lohan Ratwatte, est entré de force dans une prison d’État de la ville d’Anuradhapura. Il a mis en joue et menacé de tuer des détenus tamouls incarcérés dans cet établissement en vertu de la PTA. Cet événement a mis en évidence l’impunité dont jouissaient certains auteurs d’actes criminels au plus haut niveau de l’État. Lohan Ratwatte n’a pas eu de comptes à rendre dans cette affaire et il occupait toujours son poste de ministre au sein du gouvernement à la fin de l’année.

Discrimination

Visée par de nouvelles lois et politiques mises en place par le gouvernement, la minorité musulmane du Sri Lanka faisait l’objet d’une marginalisation et d’une discrimination croissantes.

Le ministre de la Sécurité publique, Sarath Weerasekera, a déclaré en mars que le gouvernement envisageait d’interdire plus d’un millier de madrasas (écoles coraniques) fonctionnant en dehors du cadre de l’Éducation nationale. Si elle était actée, cette décision constituerait probablement un acte de discrimination pour motifs religieux et pourrait également porter atteinte au droit de manifester par le culte son attachement à une religion ou à des convictions. Le Conseil des ministres a approuvé en avril une proposition de ce même ministre visant à interdire le port d’un voile couvrant le visage.

Le ministère de la Défense a annoncé en mars que les ouvrages islamiques importés au Sri Lanka ne seraient désormais distribués qu’après analyse et examen par ses services, à titre de « mesure antiterroriste ». La directive du gouvernement introduisait une discrimination uniquement fondée sur la religion et portait atteinte aux droits à la liberté de religion et de conviction et à la liberté de chercher, recevoir et partager des informations et des idées.
À l’approche des sessions du Conseil des droits de l’homme de [ONU], les autorités sri-lankaises ont finalement décidé de modifier leur politique qui consistait, depuis mars 2020, à imposer que les corps des musulman·e·s victimes du COVID-19 soient incinérés. Cette ligne de conduite avait été appliquée en dépit de l’avis de l’OMS, qui préconisait indifféremment l’inhumation ou la crémation. Elle allait à l’encontre des rites funéraires musulmans, portant atteinte au droit à la liberté de religion et de conviction. Bien qu’ayant abandonné sa politique de crémation forcée, le gouvernement a continué d’insister pour que les victimes musulmanes du COVID-19 soient enterrées loin de leur lieu de résidence, limitant la possibilité pour les familles de se rendre sur les tombes et pratiquant ainsi une discrimination uniquement fondée sur les convictions religieuses.

Discrimination et violences fondées sur le genre

Malgré les promesses qui avaient été faites de modifier la Loi de 1951 sur le mariage et le divorce des musulman·e·s, qui autorisait le mariage des filles dès l’âge de 12 ans, cette loi restait inchangée.
Les associations de défense des droits des femmes demandaient, entre autres réformes, la possibilité pour une femme d’être nommée quazi (juge au sein d’une instance religieuse de médiation non officielle), l’abolition de la polygamie et l’obligation de recueillir le consentement des deux époux lors d’un mariage, pour éviter les mariages forcés.

Les personnes LGBTIQ, ainsi que les femmes issues de minorités ethniques ou de populations autochtones, ont été victimes d’abus et de violences domestiques accrus alors qu’elles étaient enfermées chez elles en raison des mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19.

Les relations sexuelles entre partenaires de même sexe constituaient toujours une infraction pénale au Sri Lanka. Dans une vidéo prise lors d’une séance de formation destinée aux forces de police et partagée sur les réseaux sociaux, on a pu entendre un intervenant faire des commentaires désobligeants et discriminatoires à l’égard des personnes LGBTIQ. Une ONG a instamment prié la Cour d’appel de mettre en garde la police contre toute formation destinée à son personnel marginalisant les personnes LGBTIQ et portant atteinte à leurs droits fondamentaux.

Droit à la santé

Le Sri Lanka, qui n’a annoncé aucun programme national de vaccination, a eu des difficultés à faire face à la forte montée des cas de COVID-19. Il lui a en outre été difficile de se procurer des vaccins auprès des fabricants, les pays les plus riches et les plus puissants accaparant les doses. Le gouvernement n’a pas donné la priorité aux professionnel·le·s de santé, aux personnes âgées ou présentant des comorbidités, aux minorités ni aux catégories marginalisées.

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