Pologne - Rapport annuel 2021

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République de Pologne
Chef de l’État : Andrzej Duda
Chef du gouvernement : Mateusz Morawiecki

Les autorités ont continué de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que deux des plus hautes instances judiciaires polonaises ne se conformaient pas aux normes d’équité des procès. Les droits sexuels et reproductifs ont encore reculé. Certaines poursuites judiciaires entamées afin de restreindre la liberté d’expression ont finalement été abandonnées ou se sont soldées par l’acquittement des militant·e·s impliqués. Plusieurs conseils régionaux sont revenus sur les déclarations anti-LGBTI qu’ils avaient faites, mais les atteintes aux droits de ces personnes n’ont pas cessé. Des gardes-frontières ont repoussé des demandeurs et demandeuses d’asile vers le Bélarus. La Pologne n’a pas appliqué l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme concernant Abu Zubaydah, qui était toujours détenu sur la base américaine de Guantánamo, à Cuba.

Droit à un procès équitable

Le gouvernement a continué de s’en prendre aux juges et aux procureur·e·s qui s’inquiétaient publiquement du manque d’indépendance de l’appareil judiciaire. En janvier, le procureur général a muté en 48 heures sept procureur·e·s, les affectant à des postes situés à plusieurs centaines de kilomètres de leur lieu de résidence. Six d’entre eux étaient membres d’une association de défense de l’état de droit. Plusieurs ONG ont dénoncé le caractère punitif de ces mutations.

La communauté internationale restait préoccupée par l’érosion de l’indépendance de la justice1. La Commission européenne a saisi en mars la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à propos de la loi sur le pouvoir judiciaire adoptée par la Pologne en 2020, qui interdisait aux tribunaux polonais de soumettre à ladite Cour de justice des demandes de décision préjudicielle concernant les procédures disciplinaires engagées contre des juges. La CJUE a estimé en juillet que la chambre disciplinaire de la Cour suprême de Pologne ne disposait pas de l’indépendance ni de l’impartialité requises par le droit de l’UE.

En réponse, la Cour constitutionnelle polonaise a déclaré que de tels jugements étaient incompatibles avec la Constitution du pays et a affirmé la primauté du droit national sur le droit communautaire. En novembre, elle a déclaré l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (sur le droit à procès équitable) incompatible avec la Constitution. La Commission européenne a engagé en décembre une nouvelle procédure d’infraction contre la Pologne à propos de cet arrêt de la Cour constitutionnelle.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a elle aussi estimé que la Cour constitutionnelle et la chambre disciplinaire de la Cour suprême ne respectaient pas les critères indispensables au regard du droit à un procès équitable. Au mois de mai, dans son arrêt rendu dans l’affaire Xero Flor c. Pologne, elle a conclu que l’attitude des pouvoirs législatif et exécutif lors de l’élection de trois juges à la Cour constitutionnelle en 2015 avait constitué de fait une ingérence extérieure illégale. Cette même Cour a estimé en juillet, dans un arrêt rendu dans l’affaire Reczkowicz c. Pologne, que la chambre disciplinaire de la Cour suprême n’était pas un tribunal indépendant, dans la mesure où les irrégularités relevées concernant la nomination de ses membres en compromettaient gravement la légitimité.

En avril, la CEDH a demandé à la Pologne des explications sur les violations dont aurait été victime Paweł Juszczyszyn, un magistrat suspendu en 2020 par la chambre disciplinaire après qu’il eut mis en doute l’indépendance du Conseil judiciaire national.

Igor Tuleya, un autre juge ayant ouvertement dénoncé l’ingérence de l’exécutif dans la justice, risquait toujours des poursuites pénales, son immunité ayant été levée en 2020 par la chambre disciplinaire2.

Droits des femmes

En octobre, le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), a instamment prié la Pologne d’intégrer pleinement dans son Code pénal la notion de libre consentement, comme l’exigeait la Convention d’Istanbul, et de garantir des sanctions appropriées pour tous les actes à caractère sexuel commis sans le consentement de la victime. Le GREVIO a également reproché à la Pologne de ne pas agir suffisamment contre la violence domestique.

Droits sexuels et reproductifs

Les droits sexuels et reproductifs ont encore reculé3. En janvier, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt selon lequel la loi qui autorisait l’interruption de grossesse en cas d’anomalies graves du fœtus était inconstitutionnelle. Les hôpitaux polonais ont alors cessé de proposer des services d’avortement dans ce type de cas, pour éviter que le personnel médical ne fasse l’objet de poursuites pénales. En juillet, la CEDH a officiellement demandé à la Pologne des explications dans le cadre de la plainte de 12 personnes qui estimaient que la législation polonaise en matière d’avortement portait atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu’à l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements.

Liberté de réunion

La publication de l’arrêt de la Cour constitutionnelle interdisant l’interruption de grossesse en cas d’anomalie grave du fœtus a déclenché une série de manifestations en janvier et en février. La police a arrêté 20 manifestant·e·s lors des rassemblements qui se sont tenus à Varsovie le 27 janvier et a porté devant la justice 250 affaires concernant des infractions administratives présumées. Les manifestant·e·s interpellés ont été conduits dans des commissariats situés en dehors de Varsovie, ce qui a restreint leurs possibilités de bénéficier des services d’un·e avocat·e.

Liberté d’expression

En mars, le tribunal de district de Płock a acquitté trois militantes accusées d’« offenses à des croyances religieuses » pour avoir détenu et distribué des affiches et des autocollants représentant la Vierge Marie auréolée des couleurs arc-en-ciel du mouvement LGBTI. L’appel interjeté par le parquet était en instance à la fin de l’année.

En juin, la police a clos l’enquête qui avait été ouverte pour « vol avec et sans effraction » à l’encontre de deux militant·e·s qui avaient participé à une campagne d’affichage accusant le gouvernement de manipuler les statistiques concernant le COVID-19.

En novembre, un tribunal de district de Varsovie a déclaré la journaliste Ewa Siedlecka coupable de diffamation pour des articles qu’elle avait écrits en 2019. Elle avait dénoncé une campagne haineuse liée au vice-ministre de la Justice de l’époque, qui visait des juges opposés aux « réformes » affaiblissant l’indépendance de la justice.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Face à la poursuite des atteintes aux droits des personnes LGBTI, la Commission européenne a engagé une procédure d’infraction. Elle a exigé en septembre de cinq conseils régionaux qu’ils retirent les déclarations hostiles aux LGBTI adoptées en 2019, sous peine de ne plus bénéficier des subventions de l’UE. Quatre de ces conseils se sont rétractés le même mois.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Plusieurs responsables des gardes-frontières ont reconnu avoir procédé au renvoi forcé illégal (pushback) de personnes demandeuses d’asile vers le Bélarus. Entre le 18 et le 19 août, 32 demandeurs et demandeuses d’asile afghans entrés dans le pays par le Bélarus ont été renvoyés de force de l’autre côté de la frontière. Les membres de ce groupe ont tous cherché à demander une protection internationale à la Pologne, mais les gardes-frontières leur ont interdit l’accès au territoire polonais. En dépit de deux injonctions de la CEDH, la Pologne ne leur a fourni ni nourriture, ni eau, ni abri, ni assistance médicale, ni possibilité de consulter un·e avocat·e4.

Le Parlement a adopté en octobre plusieurs modifications de la Loi relative aux étrangers et de la Loi relative à l’octroi d’une protection aux personnes étrangères. En vertu de ces modifications, les personnes qui passaient la frontière « de manière irrégulière » devaient quitter le territoire polonais et ne pouvaient plus y revenir. Il devenait donc de façon générale impossible à toute personne entrée illégalement en Pologne d’y demander l’asile.

Le 2 septembre, le président de la République a déclaré l’état d’urgence à la frontière avec le Bélarus, interdisant ainsi aux journalistes, aux médias et aux ONG d’accéder à la zone frontalière et empêchant les avocat·e·s de se rendre auprès des demandeurs et demandeuses d’asile5. Le 1er décembre, une modification de la législation relative à la protection des frontières a interdit l’entrée dans la zone frontalière sans limite de durée.

Torture et autres mauvais traitements

Abu Zubaydah, ressortissant palestinien détenu sur la base de Guantánamo, a saisi en avril le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] afin d’obtenir sa libération. Abu Zubaydah avait séjourné entre 2002 et 2003 dans un centre de détention secret situé sur le territoire polonais ; la Pologne n’a toujours pas appliqué pleinement l’arrêt de la CEDH lui ordonnant notamment de mener une enquête sérieuse sur cette affaire.

Droit au respect de la vie privée

En décembre, Ewa Wrzosek, procureure du district de Varsovie et membre de Lex Super Omnia, une association de défense de l’état de droit, a été informée par Apple que son téléphone avait été la cible du logiciel espion Pegasus, créé par la société de technologies de surveillance NSO Group.

Poland : Briefing on the Rule of Law and Independence of the Judiciary in Poland in 2020-2021 (EUR 37/4304/2021), 17 juin

Poland : Third-party Intervention to the European Court of Human Rights in the Case of Igor Tuleya (EUR 37/3548/2021), 20 janvier

« Pologne. Le recul des droits reproductifs marque un jour noir pour les Polonaises », 27 janvier

« Pologne. Une investigation numérique établit que les autorités ont bafoué les droits de réfugié·e·s », 30 septembre

« Pologne. L’état d’urgence risque d’aggraver la situation déjà difficile de 32 personnes en quête d’asile bloquées à la frontière », 2 septembre

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