Avant propos et analyse mondiale - Rapport annuel 2021

Analyse mondiale en trois axes

L’année 2021 a été celle de l’espoir et des promesses : l’espoir nourri par chacun et chacune que les vaccins mettent un terme aux effets dévastateurs de la pandémie de COVID-19 et les promesses faites par les États et des groupes comme le G7 et le G20 de « reconstruire en mieux ». Cependant, ces promesses n’étaient souvent que de pure forme, certains gouvernements s’étant plus que jamais servis de la pandémie pour renforcer leurs positions.

La présente analyse expose les trois grands axes qui ressortent des recherches sur les droits humains qu’Amnesty International a menées dans 154 pays en 2021 : la santé et les inégalités, l’espace civique et le rejet des personnes réfugiées ou migrantes par les pays du Nord.

Santé et inégalités

Les vaccins ont fait naître l’espoir de voir enfin se terminer une pandémie qui, selon l’OMS, avait fait au moins 5,5 millions de morts à la fin de l’année 2021, certaines estimations donnant même des chiffres deux à trois fois supérieurs. De nombreux États ont promis de contribuer à la couverture vaccinale mondiale, et le G7 et le G20 ont pris des engagements importants. Néanmoins, en dépit des efforts déployés, en particulier par certains pays du Sud, la coopération internationale n’a pas été à la hauteur des attentes. Les pays à revenu élevé ont accumulé des millions de doses – bien plus que ce qu’ils pouvaient utiliser. Certains se sont ainsi retrouvés avec de quoi vacciner trois à cinq fois leur population. En septembre, une poignée de ces pays disposaient encore, selon les estimations, d’un excédent de plus de 500 millions de doses. Alors que le taux de vaccination dans l’UE dépassait 70 %, de nombreux pays du Sud n’avaient pas encore reçu de quoi administrer la première dose à leur population. À la fin de l’année, moins de 8 % des 1,2 milliard d’habitant·e·s que comptait l’Afrique présentaient un schéma vaccinal complet, ce qui faisait de ce continent le moins vacciné au monde, bien loin de l’objectif de 40 % fixé par l’OMS pour la fin de l’année 2021. Ces inégalités mondiales dans l’accès aux vaccins n’ont fait qu’enraciner davantage l’injustice raciale.

Par ailleurs, les pays riches, notamment les États membres de l’UE, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse, ont refusé de soutenir la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle. Ce faisant, ils ont bloqué systématiquement toutes les tentatives visant à accroître la production mondiale de vaccins, qui auraient permis aux pays à revenu faible ou intermédiaire d’obtenir plus de doses. En parallèle, les laboratoires pharmaceutiques, soutenus par de puissants États, ont fortement privilégié les pays à revenu élevé lors des livraisons de vaccins. Les principales entreprises pharmaceutiques aux commandes de la production de vaccins anti-COVID-19 ont monopolisé la propriété intellectuelle et empêché les transferts de technologie, faisant vigoureusement pression contre les mesures destinées à élargir la fabrication de ces vaccins au niveau mondial. Pourtant, la plupart de ces entreprises ont reçu des milliards de dollars de financements publics, tout en tirant d’énormes profits de la pandémie. Trois d’entre elles, BioNTech, Moderna et Pfizer, devraient engranger 130 milliards de dollars des États-Unis de recettes d’ici la fin 2022.

Les campagnes de vaccination nationales ont donné des résultats mitigés. Dans certains pays, les services de santé ont mené à bien le programme de vaccination grâce à des approches scientifiques, des campagnes d’information et du personnel soignant spécialement affecté à cette mission. Dans d’autres, en revanche, le programme de vaccination a été entaché par la corruption et s’est caractérisé par un manque de transparence et de concertation. D’autres encore ont déclassé dans l’ordre des priorités ou exclu délibérément nombre de personnes ou de groupes se trouvant dans des situations particulièrement fragiles, comme les personnes migrantes ou réfugiées, les personnes déplacées, les populations rurales ou autochtones, les détenu·e·s, les sans-abri et les personnes sans papiers, ainsi que d’autres catégories de population discriminées de longue date. En Russie, la vaccination des personnes sans domicile fixe ou migrantes sans papiers a été compliquée par l’obligation de présenter une pièce d’identité et de disposer d’une assurance maladie, ce qui n’était généralement pas possible pour ces groupes. Au Nicaragua, des médias ont dénoncé un certain favoritisme : des sympathisant·e·s du gouvernement auraient été vaccinés en premier, indépendamment de leur profil de risque à l’égard du COVID-19. En outre, beaucoup de pays, notamment dans la région des Amériques, n’ont pas mis en place de protocoles spéciaux pour adapter les opérations de vaccination à la culture des peuples autochtones.

De plus, les messages peu scrupuleux et les tentatives de manipulation de la part d’acteurs cherchant à semer la confusion à leur profit, parmi lesquels des personnalités politiques, voire des dirigeant·e·s, auxquels est venu s’ajouter le comportement irresponsable des plateformes de réseaux sociaux, ont alimenté la désinformation et accentué la réticence à la vaccination. Les conflits et les crises ont aussi eu des répercussions sur les programmes de vaccination, et plus généralement sur le droit à la santé, notamment en Éthiopie et au Yémen, du fait d’attaques contre des infrastructures civiles et de restrictions entravant l’acheminement de l’aide humanitaire. De même, en Afghanistan et au Myanmar, les troubles politiques ont poussé des systèmes de santé déjà fragiles au bord de l’effondrement.

Le droit fondamental à la santé et les droits humains en découlant étaient sans nul doute plus pertinents mais aussi plus menacés que jamais. L’occasion s’est présentée de s’appuyer sur les investissements mondiaux colossaux et les avancées médicales capitales à l’échelle de la planète pour améliorer les soins de santé, mais les gouvernements du monde entier n’ont pas su donner l’impulsion nécessaire en ce sens. Ils n’ont pas mis fin à des décennies de négligence et de financement insuffisant des services médicaux, ni rendu l’accès aux soins plus facile et plus équitable. Cela explique en grande partie l’ampleur de la crise qu’ont subie les systèmes de santé confrontés à un double défi : faire face à la pandémie de COVID-19 tout en assurant les soins courants. Ce sont les minorités racisées, les travailleuses et travailleurs migrants et les personnes âgées, ainsi que les femmes ayant besoin de soins de santé sexuelle et reproductive, qui en ont particulièrement pâti. Dans certains pays, les autorités n’ont fait qu’aggraver la situation, par exemple en niant l’existence de cas de COVID-19, en minimisant les risques ou en interdisant les vaccins en provenance de certains pays pour des raisons politiques. Dans plusieurs pays africains, tels que le Congo, le Nigeria et le Togo, le personnel soignant a dû se mettre en grève ou manifester pour réclamer des mesures destinées à améliorer des systèmes de santé dysfonctionnels ou le paiement de plusieurs mois d’arriérés de salaire. Ailleurs, y compris en Europe, des États ont engagé des représailles à l’encontre de professionnel·le·s de la santé qui avaient dénoncé la pression sur les services de santé.

Parallèlement, dans de nombreux pays, la pandémie et les mesures prises pour y faire face ont continué à avoir des effets dévastateurs sur d’autres droits économiques et sociaux, piégeant des centaines de millions de personnes dans l’extrême pauvreté. L’accroissement de la dette provoqué par la pandémie a restreint les possibilités de procéder aux investissements nécessaires dans les services sociaux essentiels, et la reprise économique tant promise a été mise à mal par un allégement limité de la dette. L’allégement minime de 45 milliards de dollars des États-Unis convenu par le G20 en avril 2020 et prolongé à deux reprises, jusqu’à fin 2021, ne s’est traduit que par un allégement réel de 10,3 milliards de dollars au profit de plus de 40 pays. À cette insuffisance s’est ajouté le fait que cette initiative n’a donné lieu qu’à une suspension des remboursements et que les 46 pays qui ont demandé à bénéficier de cette mesure ont tout de même dû verser 36,4 milliards de dollars au titre du remboursement de la dette. En outre, la mesure n’a pas permis de régler la question du remboursement des dettes contractées auprès de créanciers privés, dont seulement 0,2 % ont été suspendues.
Dans le même temps, l’année 2021 a offert aux États plusieurs occasions de jeter les bases de la responsabilité des entreprises et d’une gestion efficace des futures pandémies, à condition de placer les droits humains au cœur de ces efforts. En décembre, l’Assemblée mondiale de la santé a décidé de lancer un processus mondial visant à élaborer et à négocier un instrument international pour renforcer la prévention des pandémies et la préparation et la réaction à celles-ci ; cependant, aucune référence significative aux droits humains n’y avait été incluse à la fin de l’année. Tout traité de ce type n’aura qu’un effet limité s’il n’est pas accompagné d’une réforme complète du droit international de la santé et d’un changement susceptible de modifier en profondeur la démarche des États au sein des institutions concernées. Par ailleurs, alors qu’ils ne parvenaient pas à trouver un consensus depuis des décennies, les pays du G20 ont trouvé un accord sur une réforme du régime fiscal mondial. Cette décision, bien qu’imparfaite et insuffisante, allait dans la bonne direction pour régler l’un des problèmes mondiaux les plus épineux et les plus préjudiciables, à savoir l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale active des entreprises.

Espace civique

Au lieu de proposer un espace d’échange et de débat sur la meilleure façon de relever les défis de 2021, les États ont continué de réprimer les voix indépendantes et critiques, certains se servant même de la pandémie comme prétexte pour réduire encore l’espace civique. Pendant l’année, de nombreux gouvernements ont redoublé d’efforts pour imposer et/ou appliquer des mesures répressives contre leurs détracteurs et détractrices, souvent sous le prétexte officiel d’enrayer la mésinformation au sujet du COVID-19. En Chine, en Iran et ailleurs, les autorités ont arrêté et poursuivi des personnes qui critiquaient ou remettaient en question leur gestion de la crise sanitaire. Aux quatre coins du monde, des États ont empêché et dispersé abusivement des manifestations, parfois sous couvert de la réglementation visant à prévenir la propagation du coronavirus. Plusieurs États, notamment en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ont bloqué ou fortement restreint l’accès à Internet et aux réseaux sociaux. En Eswatini et au Soudan du Sud, par exemple, les autorités ont parfois bloqué l’accès à Internet pour tenter de faire avorter des manifestations prévues. Les attaques contre les journalistes, les opposant·e·s et les défenseur·e·s des droits humains, notamment celles et ceux qui défendaient les droits des femmes et des personnes LGBTI, ont été l’un des principaux aspects de la répression de la liberté d’expression.

L’élaboration et l’adoption de nouvelles lois restreignant les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ont constitué une régression. D’après le suivi réalisé par Amnesty International, des lois de ce type ont été introduites au cours de l’année dans au moins 67 des 154 pays couverts par ce rapport, parmi lesquels le Cambodge, l’Égypte, les États-Unis, le Pakistan et la Turquie. En parallèle, des restrictions instaurées en 2020 avec l’intention affichée de lutter contre la pandémie de COVID-19 ont été maintenues, même lorsque la situation sanitaire avait changé.

Les défenseur·e·s des droits humains et les personnes critiques à l’égard des autorités ne se sont pas laissés intimider et ont continué de s’exprimer haut et fort, malgré les attaques des pouvoirs publics et de puissantes entreprises s’appuyant sur un arsenal d’outils de plus en plus large. Parmi les pratiques adoptées, citons la détention arbitraire et les poursuites judiciaires injustes, les procès sans fondement et ayant vocation à intimider, les restrictions administratives et d’autres menaces, ainsi que les violences, notamment les disparitions forcées et la torture. Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (ou poursuites-bâillons) engagées à l’encontre de défenseur·e·s des droits humains pour les harceler se sont multipliées. Ce type de poursuites judiciaires a par exemple été utilisé au Kosovo contre des militant·e·s qui s’inquiétaient des conséquences environnementales des projets hydroélectriques de l’entreprise autrichienne Kelkos Energy. Les autorités d’Andorre ont elles aussi engagé des poursuites pénales pour diffamation contre une militante qui s’était exprimée ouvertement au sujet des droits des femmes devant un comité spécialisé des Nations unies.

Des défenseur·e·s ont été arrêtés arbitrairement dans au moins 84 des 154 pays suivis par Amnesty International, dont 17 des 19 pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les Amériques demeuraient l’une des régions les plus dangereuses au monde pour les défenseur·e·s des droits humains : plusieurs dizaines d’entre eux ont été tués dans au moins huit pays. En Afghanistan et au Myanmar, les défenseur·e·s des droits humains ont été plus que jamais confrontés à la violence et aux manœuvres d’intimidation, et certains acquis en matière de droits humains ont été réduits à néant. Dans certains pays, les autorités ont pris des mesures radicales, qui auraient autrefois semblé impensables, pour contraindre des ONG et des médias à cesser leurs activités, comme en Russie et dans la région de Hong Kong, en Chine. En Afghanistan, plus de 200 médias ont été fermés dans tout le pays après l’arrivée des talibans au pouvoir. Lors d’une attaque particulièrement éhontée, le Bélarus a prétexté une alerte à la bombe pour dérouter un avion civil afin de pouvoir arrêter un journaliste exilé qui se trouvait à bord. Des groupes marginalisés qui osaient revendiquer leur place dans la vie publique et mener des luttes en faveur des droits humains se sont trouvés confrontés à des risques et des problèmes spécifiques, allant de la discrimination à l’exclusion en passant par des attaques racistes ou fondées sur le genre, en ligne et hors ligne. Par ailleurs, les États ont de plus en plus souvent eu recours à des outils technologiques, tels que des logiciels espions, contre des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des opposant·e·s politiques et d’autres voix critiques. Dans de nombreux pays, de l’Inde au Zimbabwe, les ONG ont eu plus de mal à mener leurs activités ou à bénéficier de financements étrangers, dans un contexte où se mêlaient les restrictions liées à la pandémie et la répression constante.

Des attaques visant l’espace civique, les minorités et les voix dissidentes ont aussi été lancées par des acteurs non étatiques, armés pour certains, parfois avec la complicité des autorités. Le cas de l’Inde en était une illustration parfaite : dans ce pays, les violences et les crimes motivés par la haine visant les dalits (opprimés), les adivasis (aborigènes) et les musulmans étaient toujours monnaie courante. Au Brésil, de nombreux militant·e·s écologistes ont cette année encore été tués par des acteurs non étatiques. En Europe, dans un contexte caractérisé par un racisme, une islamophobie et un antisémitisme montants, les membres de minorités, notamment les musulmans et les juifs, étaient de plus en plus souvent la cible de crimes motivés par la haine, notamment en Allemagne, en Autriche, en France, en Italie et au Royaume-Uni.

Face aux manifestations, les États ont eu tendance à encadrer l’espace civique par des mesures sécuritaires, à ériger en infraction les rassemblements pacifiques, à militariser le maintien de l’ordre, à user de pouvoirs liés à la sécurité nationale contre des mouvements de protestation et à introduire des réglementations destinées à réprimer les manifestations. La réponse des forces de sécurité aux manifestations a souvent été musclée : Amnesty International a recueilli des informations faisant état du recours à une force inutile et/ou excessive contre des manifestant·e·s dans au moins 85 des 154 pays examinés, toutes régions confondues. Les forces de sécurité ont régulièrement utilisé de manière abusive des armes à feu et des armes à létalité réduite, telles que des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, tuant illégalement des centaines de personnes et en blessant encore davantage. Dans certains pays, la tendance à la militarisation de la réponse des autorités aux manifestations s’est poursuivie, avec notamment l’utilisation de l’armée et de matériel militaire. Des systèmes judiciaires corrompus n’ont pas empêché, voire ont facilité, les attaques contre des manifestant·e·s, ainsi que contre des défenseur·e·s des droits humains et d’autres voix critiques.

Bien souvent, les États ont ensuite procédé à des arrestations et engagé des poursuites, utilisant de plus en plus des moyens technologiques, tels que la reconnaissance faciale et d’autres méthodes de surveillance, pour identifier les chefs de file des manifestations et les participant·e·s à celles-ci.

Les personnes réfugiées ou migrantes rejetées par les pays du Nord

Des déplacements de grande ampleur ont eu lieu en 2021, sous l’effet de crises nouvelles ou persistantes. La situation en Afghanistan, en Éthiopie et au Myanmar, entre autres, a entraîné de nouvelles vagues de déplacements. Cette année encore, des milliers de personnes ont quitté le Venezuela, et le conflit persistant en République démocratique du Congo a conduit, à lui seul, 1,5 million de personnes à abandonner leur domicile en 2021. Au niveau mondial, des millions de personnes ont continué de fuir leur pays en raison de violations des droits humains liées aux conflits et à la violence, aux inégalités, au changement climatique et aux dégradations de l’environnement, les minorités ethniques étant parmi les groupes les plus touchés. Selon le HCR, à la mi-2021, on comptait à travers le monde 26,6 millions de personnes réfugiées et 4,4 millions de personnes demandeuses d’asile. La plupart passaient des années dans des camps, notamment au Bangladesh, en Jordanie, au Kenya, en Ouganda et en Turquie, et beaucoup vivaient dans la crainte permanente d’être renvoyées dans le pays qu’elles avaient fui pour des raisons de sécurité.

Au niveau local, l’élan de solidarité en faveur des personnes en mouvement s’est renforcé, comme le montrait le nombre croissant de pays – 15 à la fin de l’année – où un système de parrainage permettait aux populations locales d’accueillir des réfugié·e·s. En revanche, cette solidarité faisait en général cruellement défaut aux niveaux national et international. Les discours xénophobes sur l’immigration ont continué de se diffuser dans l’opinion publique, en particulier dans les pays du Nord, tandis que les politiques intérieures se durcissaient. Une bonne dizaine de pays de l’UE ont appelé les autorités de l’organisation à affaiblir les règles de protection des réfugié·e·s. La communauté internationale n’a pas apporté un soutien suffisant et, pire encore, a restreint l’accès aux lieux sûrs.

Trop souvent, les personnes en mouvement étaient également victimes de tout un éventail de violences, et l’impunité était la norme pour les auteurs des violations généralisées subies par ces personnes, comme les renvois forcés illégaux (pushbacks), la torture et les violences sexuelles. De nombreux États se sont soustraits à leurs responsabilités en matière de protection et ont bafoué les droits en tentant d’empêcher les entrées de personnes réfugiées ou migrantes sur leur territoire et les arrivées spontanées. La pratique des renvois forcés illégaux s’est de plus en plus inscrite dans la normalité, notamment à de nouveaux points de tension comme la frontière entre le Bélarus et l’UE. Les autorités chargées du contrôle aux frontières des États-Unis ont renvoyé de force plus d’un million de personnes réfugiées ou migrantes à la frontière mexicaine, utilisant comme prétexte les mesures sanitaires dans le contexte de la pandémie de COVID-19. De même, les États ont de plus en plus cherché à externaliser les procédures nationales de demande d’asile, même face à l’afflux de personnes réfugiées qu’ils affirmaient vouloir aider, comme celles en provenance d’Afghanistan. Par ailleurs, ils ont continué de déployer des technologies de surveillance ou fondées sur l’exploitation de données pour introduire des mesures sécuritaires et conforter les violences aux frontières. Ces technologies étaient souvent utilisées de manière disproportionnée dans des pays à population majoritairement blanche, de façon systématiquement discriminatoire à l’égard des personnes de couleur.

Celles et ceux qui parvenaient à passer les frontières se retrouvaient souvent aussi dans des situations désastreuses. Dans de nombreux pays, les autorités ont continué d’arrêter illégalement et de détenir pour des durées indéterminées des personnes réfugiées ou migrantes, souvent sans fondement juridique valable ou sans permettre à ces personnes de contester la légalité de leur détention. Certains États se sont aussi livrés à des expulsions illégales. Amnesty International a recueilli des informations crédibles indiquant que des personnes réfugiées ou migrantes avaient été renvoyées illégalement dans leur pays ou repoussées à la frontière dans au moins 48 des 154 pays ayant fait l’objet d’un examen en 2021. En Libye, des milliers de personnes ont été victimes d’une disparition forcée après avoir été débarquées par les gardes-côtes libyens, qui bénéficiaient de l’appui de l’UE, tandis que des centaines d’autres ont été reconduites de force à des frontières terrestres en dehors de toute procédure en bonne et due forme. La Malaisie a expulsé plus d’un millier de personnes vers le Myanmar, malgré le risque réel de persécutions et d’autres graves violations des droits humains.

De nombreux États appliquaient des mesures discriminatoires illégales aux personnes en mouvement, y compris réfugiées ou demandeuses d’asile. Au Pérou, environ un million de migrant·e·s, dont une moitié de demandeurs et demandeuses d’asile en situation régulière, étaient ainsi privés de certains droits, tels que l’accès aux soins de santé. Cependant, les pressions pour que cessent les pratiques abusives dont étaient victimes les travailleuses et travailleurs migrants se sont accentuées grâce à la médiatisation de certains projets, comme les préparatifs de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Bien que ces pressions aient abouti à des réformes dans certains pays, de vives inquiétudes demeuraient. Les appels à abandonner progressivement le recours à la détention contre des migrant·e·s, en particulier mineurs, ont aussi pris de l’ampleur.

Recommandations

Afin de tenir leurs promesses, les États et les institutions doivent ancrer fermement leurs mesures de redressement pour l’après-pandémie et leurs interventions destinées à faire face à la crise dans un cadre axé sur les droits humains, et favoriser un véritable dialogue avec la société civile, dont ils doivent faire un partenaire dans la recherche de solutions.

Tous les États doivent mettre en place des mesures, notamment législatives, pour empêcher les laboratoires d’entraver l’accès aux vaccins anti-COVID-19. Il faut que les pays riches, en particulier, redistribuent leurs doses excédentaires aux pays à faible revenu et allègent davantage la dette de ces pays pour faciliter la reprise économique. Les entreprises pharmaceutiques, quant à elles, doivent livrer les vaccins en priorité aux pays qui en ont le plus besoin. Les plateformes de réseaux sociaux doivent prendre des mesures concrètes pour réagir de manière adéquate à la diffusion d’informations fausses ou trompeuses.

Les États doivent cesser de se servir de la pandémie comme excuse pour étouffer l’information indépendante et le débat, et lever de toute urgence les restrictions injustifiées qui pèsent sur les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. En parallèle, ils doivent adopter des lois garantissant l’instauration d’un environnement sûr et propice dans lequel les gens puissent se rassembler pour défendre et promouvoir les droits humains, ou étendre leurs lois existantes dans ce domaine, et modifier ou abroger les textes qui empêchent les ONG de mener leurs activités légitimes, notamment de rechercher, de recevoir et d’utiliser des financements. Il est également crucial que les États suppriment l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour organiser une manifestation pacifique et veillent à ce que les mesures d’urgence et autres mesures restrictives prises pendant la pandémie ne deviennent pas la « nouvelle norme ». Ils doivent resserrer les contrôles à l’exportation et à l’importation de matériel susceptible d’avoir une fonction légitime dans le cadre du maintien de l’ordre mais pouvant aisément être utilisé à mauvais escient, comme les matraques, le gaz lacrymogène, le gaz poivre et les balles en caoutchouc.

Les États doivent remplir leur obligation de protéger les personnes sollicitant une protection internationale, respecter et préserver les droits de celles-ci, et leur permettre de rester sur le territoire, dans des conditions décentes, jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée. Ils doivent cesser les renvois forcés illégaux et l’externalisation, et favoriser les systèmes de parrainage citoyen. Ils doivent aussi mettre fin aux atteintes, notamment à la discrimination contre les personnes migrantes, ne plus détenir d’enfants migrants et renforcer les réformes destinées à éliminer les pratiques abusives au travail.

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