L’exploitation forestière illégale endémique et le développement urbain effréné ont entraîné des violations des droits fondamentaux des peuples autochtones et des personnes vivant dans la pauvreté en milieu urbain. Les libertés d’expression et d’association ont cette année encore fait l’objet d’importantes restrictions, et des procès inéquitables de membres et sympathisant·e·s de l’opposition politique se sont poursuivis. Les autorités ont arrêté, placé en détention et agressé des grévistes. La traite des personnes est restée courante malgré quelques mesures visant à lutter contre ce fléau. Le droit à un logement convenable n’était pas protégé et des atteintes aux droits humains liées à des prêts destinés à des personnes à faibles revenus ont été dénoncées.
Contexte
La campagne de répression lancée en 2017 par les autorités contre la presse indépendante, les organisations de la société civile et l’opposition politique s’est poursuivie tout au long de l’année. Des observateurs·trices indépendants ont signalé des irrégularités lors des élections communales de juin, à l’issue desquelles le Parti du peuple cambodgien (PPC, le parti au pouvoir) a remporté environ 80 % des sièges. Le Parti de la bougie, qui rassemblait notamment d’ancien·ne·s membres du Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), interdit sur décision de justice en 2017, a également participé à ces élections. La contribution déterminée au niveau national (CDN) du Cambodge est restée la même qu’en 2020, à savoir une réduction de 50 % des émissions historiques de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Dégradations de l’environnement
L’exploitation forestière illégale à grande échelle de forêts protégées s’est poursuivie, avec de graves conséquences pour les populations autochtones dont les moyens de subsistance et la culture dépendaient de ces forêts1. Tout au long de l’année, des militant·e·s autochtones ont signalé avoir reçu des menaces de mort de la part des autorités et indiqué que les individus qui exploitaient la forêt illégalement possédaient de plus en plus souvent des armes à feu. En août, à la suite d’un tollé général, le gouvernement a mis un terme à l’abattage des arbres de la forêt de Phnom Tamao, après que des centaines d’hectares eurent été rasés.
La destruction de lacs et de zones humides pour des projets immobiliers privés, en particulier autour de la capitale, Phnom Penh, s’est poursuivie, avec pour conséquences un risque accru d’inondations et, pour les riverains, dont beaucoup avaient des revenus précaires ou vivaient dans la pauvreté, la perte de leur logement et de leurs moyens de subsistance.
Le gouvernement a continué de vendre et donner des parcelles de Boeung Tamok, l’un des derniers lacs de Phnom Penh, à des individus et des entreprises privées qui vidaient ensuite le lac pour des projets immobiliers. En juillet, la Cour suprême du Cambodge a confirmé les déclarations de culpabilité et les peines de prison avec sursis prononcées pour « incitation à commettre un acte criminel » contre deux hommes et une femme défenseurs de l’environnement appartenant à l’organisation Mother Nature Cambodia. Ces trois personnes, qui avaient été arrêtées en 2020 pour avoir manifesté contre la privatisation du lac, étaient toujours sous le coup de conditions de mise à l’épreuve contraignantes. En septembre, les autorités ont démoli des abris utilisés par les pêcheurs locaux pour permettre l’aménagement du site du lac Boeung Tamok.
Liberté d’expression
Le 16 août, des membres de l’unité des gardes du corps du Premier ministre ont arrêté cinq journalistes et quatre militant·e·s appartenant à l’organisation pour la justice sociale Khmer Thavrak qui rassemblaient des informations sur les destructions résultant de l’exploitation illégale de la forêt de Phnom Tamao. L’un des journalistes aurait été frappé au visage alors qu’il filmait l’arrestation. Ces neuf personnes ont été libérées sans inculpation, mais elles ont dû signer un document indiquant qu’elles reconnaissaient avoir fait voler un drone sans autorisation.
Le 3 février, Veourn Veasna, un sympathisant du parti interdit PSNC, a été déclaré coupable d’« incitation à commettre un acte criminel » et condamné à deux ans d’emprisonnement pour un poème critiquant Hun Sen qu’il avait publié sur Facebook.
Liberté d’association
Le harcèlement judiciaire des membres et sympathisant·e·s de partis politiques de l’opposition s’est poursuivi en 2022. Le procès pour trahison du dirigeant du PSNC Kem Sokha, qui avait débuté en 2020, était toujours en cours à la fin de 2022 ; le verdict était annoncé pour le 3 mars 2023. Durant l’année, 115 autres membres et sympathisant·e·s du PSNC ont été jugés dans le cadre de procès collectifs et 67 de ces personnes ont été condamnées à des peines allant de cinq à 18 ans d’emprisonnement. Des experts des droits humains de l’ONU ont estimé que ces procès étaient entachés de graves irrégularités et ont appelé à une révision de toutes les déclarations de culpabilité.
Cinq membres du Parti de la bougie ont été arbitrairement placés en détention ou emprisonnés au cours de l’année. Le 7 septembre, Son Chhay, vice-président de ce parti, a été déclaré coupable de diffamation et condamné à une amende de 17 millions de riels (environ 4 098 dollars des États-Unis) ainsi qu’au versement de 3 milliards de riels (environ 727 132 dollars) au PPC à titre de dommages et intérêts pour avoir remis en question l’équité des élections du mois de juin.
Droits des travailleuses et travailleurs
La police a arrêté et agressé physiquement des travailleurs et travailleuses grévistes et des membres de syndicats qui réclamaient de meilleurs salaires et la réintégration de personnes qui avaient perdu leur emploi à la suite de licenciements massifs au casino NagaWorld, à Phnom Penh, fin 2021.
En janvier, 28 membres du Syndicat des employé·e·s khmers de NagaWorld (LRSU) ont été arrêtés par les autorités. La présidente du LRSU, Chhim Sithar, ainsi que neuf autres personnes ont été inculpées d’« incitation à commettre un acte criminel ». Ces 10 personnes ont par la suite été libérées sous caution, mais l’affaire était toujours en cours à la fin de l’année. Les 18 autres membres du syndicat ont été relâchés sans inculpation après s’être engagés par écrit à ne plus participer à des mouvements de grève. Chhim Sithar a de nouveau été arrêtée le 26 novembre 2022 pour avoir violé des termes de son régime de libération conditionnelle dont ni elle ni son avocat n’avaient connaissance.
Six membres du LRSU, trois hommes et trois femmes, ont été arrêtés le 5 février alors qu’ils quittaient un centre de dépistage anti-COVID-19, à la suite d’une directive gouvernementale selon laquelle toute personne ayant participé à la grève de NagaWorld devait se faire tester. Les trois hommes ont été inculpés d’« obstruction aux mesures liées au COVID-19 » au titre de la Loi relative au COVID-19 adoptée en 2021, qui prévoyait des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de réclusion. Ils ont été libérés sous caution, mais à la fin de l’année ils étaient toujours inculpés.
Le 11 août, la police a frappé à coups de poing et de pied des personnes qui manifestaient devant le casino NagaWorld, blessant au moins 17 femmes, et une de ces femmes a en conséquence dû être hospitalisée. Le 12 septembre, des membres de la police ont frappé des syndicalistes et des grévistes avec de talkies-walkies alors que ces personnes essayaient de remettre au ministère de l’Emploi une pétition réclamant la résolution du conflit et le retrait des accusations selon lesquelles Yang Sophorn, présidente de l’Alliance cambodgienne des syndicats, agissait illégalement en soutenant la grève.
Le 30 septembre, NagaWorld a déposé des plaintes pénales contre quatre membres du LRSU pour violation de propriété privée, dommages intentionnels avec circonstances aggravantes, et séquestration illégale.
Traite des êtres humains
Le 9 septembre, le ministère de la Justice a annoncé la mise en place d’une unité opérationnelle chargée de coordonner les enquêtes et les poursuites dans les affaires de traite de travailleuses et travailleurs étrangers au Cambodge. Des opérations menées par les autorités à Phnom Penh et dans la ville de Sihanoukville ont permis de secourir des centaines de travailleuses et travailleurs victimes de la traite.
Selon les médias et d’autres sources, de nombreuses autres victimes, y compris des enfants, étaient retenues dans des « camps d’esclaves » et forcées à participer à des escroqueries, y compris en ligne. Les personnes secourues ont indiqué avoir subi des viols, des coups et d’autres violences physiques de la part de leurs gardiens. Certaines victimes sont mortes en tentant de s’échapper. Les personnes arrêtées pour leur implication dans la traite d’êtres humains étaient pour la plupart des subalternes.
Le 30 août, Chen Baorong, dirigeant de l’ONG de lutte contre la traite d’êtres humains Cambodia-China Charity Team, et deux autres hommes, Chen Xiaohua et Tan Xiaomei, ont été condamnés par le tribunal provincial de Sihanoukville à deux ans d’emprisonnement. Les poursuites engagées contre eux semblaient être des représailles pour la mauvaise publicité qu’a valu au Cambodge sur la scène internationale le sauvetage d’un homme victime de la traite qui a affirmé que les personnes qui l’avaient enlevé avaient « récolté » son sang. Leurs peines ont été ramenées en appel à 10 mois le 21 décembre.
Droits économiques, sociaux et culturels
En avril, le bureau du conseiller-médiateur pour la conformité de la Société financière internationale (IFC), un organe international chargé de traiter les plaintes des personnes touchées par des projets soutenus par l’IFC, a accepté d’étudier une plainte déposée par des ONG locales au nom de 19 personnes, dont des personnes autochtones, plainte selon laquelle des atteintes aux droits humains telles que des ventes de terres sous la contrainte, des déplacements forcés ou encore le travail des enfants, auraient été commises en raison de l’absence de diligence requise et d’une supervision inadaptée des prêts accordés par six sociétés et banques de microfinancement cambodgiennes.
Droits en matière de logement
En l’absence de titres de propriété foncière, des milliers de personnes risquaient d’être expulsées de chez elle sans pouvoir bénéficier de l’indemnisation prévue par la loi cambodgienne. Selon l’ONG Sahmakum Teang Tnaut, spécialisée dans les droits fonciers et les droits en matière de logement, 1 507 familles avaient subi une expulsion forcée depuis 2020 parce qu’elles ne pouvaient pas prouver qu’elles étaient propriétaires des terres sur lesquelles elles vivaient.