Les autorités ont à plusieurs reprises utilisé une force excessive pour disperser des manifestant·e·s, notamment des populations locales qui protestaient contre des activités extractives. La répression de l’opposition politique dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale s’est poursuivie. Des dizaines de Papous autochtones ont été arrêtés, et certains ont été inculpés de chefs passibles de lourdes peines d’emprisonnement. La liberté d’expression restait entravée dans un contexte où des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et d’autres personnes ont subi des attaques physiques ou en ligne ou ont été visés par des arrestations et des poursuites en vertu de lois répressives. Une nouvelle loi sanctionnant diverses infractions en matière de violence sexuelle a été adoptée, mais des victimes de viol ont été empêchées d’accéder à la justice. La peine de flagellation a été appliquée à titre de châtiment judiciaire dans la province de l’Aceh. Les forces de sécurité ont perpétré des homicides illégaux, notamment en Papouasie et en Papouasie occidentale, souvent en toute impunité.
Contexte
Le Parlement a adopté en juin une loi créant trois nouvelles provinces à partir du morcellement des provinces existantes de Papouasie et de Papouasie occidentale en unités administratives plus petites. Le gouvernement a affirmé que la nouvelle organisation permettrait d’accélérer le développement et d’améliorer les services publics, mais la crainte qu’elle n’entraîne un renforcement de la présence militaire a suscité de nouvelles manifestations dans une région où un mouvement indépendantiste existait de longue date.
En décembre, le Parlement a adopté un nouveau Code pénal dont certaines dispositions étaient contraires au droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, au droit au respect de la vie privée ainsi qu’aux normes en matière de droits sexuels et reproductifs, et étaient discriminatoires à l’égard des femmes, des personnes LGBTI et des minorités. La nouvelle législation, qui devait se substituer au précédent Code pénal dans un délai de trois ans, rétablissait des peines d’emprisonnement pour le délit d’insulte envers la personne du président ou du vice-président, le gouvernement et les autres institutions de l’État, et interdisait la participation à toute manifestation n’ayant pas été préalablement autorisée. Elle érigeait en outre en infraction pénale les relations sexuelles en dehors du mariage entre personnes consentantes, ce qui permettait à l’État de s’ingérer dans les décisions privées des individus et des familles et pourrait être utilisé à mauvais escient pour poursuivre en justice des victimes d’agressions sexuelles ou des membres de la communauté LGBTI.
Liberté d’association et de réunion
Les autorités ont fait usage d’une force excessive contre des manifestant·e·s, notamment des personnes qui défendaient les droits fonciers et l’environnement, et ont procédé à des arrestations et des placements en détention dans ce contexte. Le 8 février, les forces de sécurité ont mené une opération contre des habitant·e·s du village de Wadas (province de Java-Centre) qui dénonçaient les conséquences sociales et environnementales d’un projet de carrière de pierre. Des heurts ont éclaté lorsque des centaines de militaires et de policiers sont arrivés dans le village afin de sécuriser le périmètre de la carrière. Soixante-sept personnes ont été arrêtées pendant les affrontements, puis ont été remises en liberté sans inculpation. La police a démenti avoir utilisé une force excessive contre les manifestant·e·s.
Erfaldi, un jeune homme âgé de 21 ans, a été tué par balles le 12 février alors qu’il participait à une manifestation contre l’exploitation d’une mine d’or dans le kabupaten (département) de Parigi Moutong, dans la province de Sulawesi-Centre. Selon les informations recueillies, des membres de la brigade de police mobile ont fait usage de gaz lacrymogène et tiré à balles réelles pour disperser les centaines de personnes qui bloquaient la route Trans-Sulawesi en signe de protestation contre l’absence du gouverneur de la province à une réunion organisée pour discuter des préoccupations des habitant·e·s quant aux conséquences de l’exploitation de la mine sur leurs moyens d’existence. Le procès d’un policier inculpé de la mort d’Erfaldi était en cours à la fin de l’année.
Papouasie et Papouasie occidentale
Les forces de l’ordre ont déployé uneforce disproportionnée face aux manifestations organisées dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale, où des dizaines de manifestant·e·s ont été arrêtés au cours de l’année. La police a arrêté sept militantes et militants politiques le 10 mai après une manifestation organisée à Djayapura, capitale de la Papouasie, contre le projet de partition des provinces de Papouasie et Papouasie occidentale. Tous ont été remis en liberté sans inculpation. Ce même 10 mai, des policiers ont frappé à coups de pied et de matraque en caoutchouc ou en bois des manifestant·e·s qui entendaient se rendre au parlement de district dans la ville d’Abepura, en Papouasie. Un étudiant qui parlementait avec des membres des forces de l’ordre s’est retrouvé avec un pistolet sur la tempe, puis a été frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Au moins 36 autres manifestants ont également été blessés.
En novembre, la police a violemment dispersé une manifestation silencieuse organisée à l’université des sciences et technologies de Djayapura à l’occasion du 21e anniversaire de l’enlèvement et de la mort du dirigeant indépendantiste Theys Eluay. Selon les informations recueillies, les agents ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les étudiant·e·s qui avaient hissé le drapeau de l’« Étoile du matin », emblème de l’indépendance papoue. Quinze hommes ont été arrêtés ; trois ont été inculpés de trahison et six d’infractions ayant trait à des violences contre des fonctionnaires de police. Les trois étudiants accusés de trahison étaient toujours en détention à la fin de l’année. Les autres ont été libérés sous caution.
Liberté d’expression
La Loi relative aux informations et transactions électroniques et d’autres lois contenant des dispositions restrictives ont été utilisées pour poursuivre et intimider des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes, des universitaires et d’autres personnes. La police a ouvert des enquêtes au titre de cette loi contre trois des 67 personnes arrêtées le 8 février dans le village de Wadas, en lien avec la publication sur les réseaux sociaux de vidéos des événements survenus ce jour-là. Les téléphones portables des intéressés ont été saisis, mais personne n’a finalement été inculpé. Par la suite, les comptes Twitter officiels du mouvement de protestation contre le projet d’exploitation minière de Wadas et les comptes personnels d’au moins sept militants qui participaient au mouvement ont été suspendus.
Le 6 avril, le tribunal de district de Ciamis (province de Java-Ouest) a déclaré Muhammad Kosman coupable de « propagation de fausses informations » et l’a condamné à 10 ans d’emprisonnement. Cet homme avait été arrêté en avril 2021 en vertu de la Loi no 1/1946 sur la désinformation et des dispositions de la Loi relative aux informations et transactions électroniques portant sur l’« apologie de la haine » après avoir mis en ligne sur YouTube une vidéo dans laquelle il insultait prétendument l’islam et le prophète Mahomet.
La police a ouvert en mai une enquête judiciaire sur un mouvement de contestation d’enseignant·e·s et d’autres membres du personnel d’une université de la province de Java-Ouest, à la suite d’une plainte en diffamation déposée contre eux par une ancienne doyenne de la faculté de droit au titre de la Loi relative aux informations et transactions électroniques. Les personnes concernées avaient critiqué les politiques et pratiques en vigueur dans la faculté et réclamé la démission de la doyenne. Au moins 14 personnes qui avaient pris part aux manifestations ont été interrogées, mais aucune n’avait été inculpée à la fin de l’année.
En mars, la police a officiellement inculpé Haris Azhar et Fatia Maulidiyanti de diffamation au titre des dispositions de la Loi relative aux informations et transactions électroniques. Le militant et la militante des droits humains avaient été accusés en 2021 de « propagation de fausses informations » en raison d’une vidéo YouTube dans laquelle ils reprenaient des allégations selon lesquelles le ministre de la Défense et des militaires avaient des liens avec l’industrie minière en Papouasie. Tous deux étaient passibles de quatre ans d’emprisonnement.
Journalistes
Pas moins de 53 cas d’agressions physiques, d’attaques numériques et d’autres attaques contre au moins 63 médias et journalistes ont été signalés pendant l’année. Selon des informations parues dans la presse, des policiers ont giflé et étranglé un journaliste qui couvrait une manifestation étudiante à Kendari, dans la province de Sulawesi-Sud-Est, en avril. Le téléphone portable du journaliste a été saisi et les vidéos sur lesquelles on voyait des policiers frapper une personne qui manifestait ont été supprimées contre son gré.
Entre le 23 et le 30 septembre, les appareils et les comptes de réseaux sociaux d’au moins 38 journalistes et d’autres employé·e·s du média en ligne Narasi ont été la cible d’un piratage coordonné. Dans le même temps, le site internet de Narasi a été temporairement mis hors d’état de fonctionner par une cyberattaque. Narasi était connu pour son travail sur la corruption, les affaires pénales impliquant des agents de l’État et d’autres questions sensibles.
Défenseur·e·s des droits humains
Au moins 35 cas d’agressions physiques et de cyberattaques visant 150 organisations ou militant·e·s des droits humains ont été signalés pendant l’année. Un incendie criminel a eu lieu le 9 mai dans les locaux de l’Institut d’aide juridictionnelle de Papouasie (LBH Papouasie), à Djayapura. Cet incendie, dans lequel une moto a été détruite, était lié aux activités de défense des droits humains de cette ONG en Papouasie. LBH Papouasie a déposé une plainte auprès de la police, mais les responsables n’ont pas été identifiés.
Violences sexuelles ou fondées sur le genre
La Chambre des représentant·e·s a adopté, le 12 avril, la Loi sur les infractions de violence sexuelle. Ce texte, proposé à l’origine en 2012 par des militant·e·s des droits des femmes, érigeait en infractions neuf formes de violence sexuelle, notamment le mariage forcé et le harcèlement sexuel physique, psychologique et en ligne.
Le 24 octobre, le site d’information indépendant Konde.co a été temporairement désactivé du fait d’une cyberattaque. Celle-ci est intervenue quelques heures après la publication d’un rapport dénonçant le fait que les autorités n’avaient pas enquêté sur le viol d’une femme en 2019, dans lequel des employés du ministère des Coopératives et des Petites et moyennes entreprises pourraient être impliqués. Selon ce rapport, la victime a été contrainte d’épouser l’un des auteurs présumés, dans le cadre semble-t-il d’un processus de « justice réparatrice » qui a eu pour conséquence l’arrêt de l’enquête pénale et la remise en liberté de toutes les personnes soupçonnées dans l’affaire. Site spécialisé dans les sujets liés aux femmes et aux groupes marginalisés, Konde.co avait déjà fait l’objet de cyberattaques en raison de ses activités.
Torture et autres mauvais traitements
Au moins 168 personnes ont été soumises à une peine de flagellation en Aceh, la seule province de l’Indonésie où était appliquée cette forme de châtiment. En janvier, une femme s’est évanouie à deux reprises alors qu’elle recevait 100 coups de fouet pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage. Son partenaire s’est vu infliger quant à lui 15 coups de fouet. Le même jour, trois autres hommes condamnés pour avoir commis ou « facilité » un adultère ont chacun reçu 100 coups de fouet.
Homicides illégaux
Trente-six cas présumés d’homicides illégaux commis par les forces de sécurité, ayant fait 41 victimes au total, ont été recensés pendant l’année. Cinq d’entre eux (concernant neuf victimes) ont eu lieu dans la province de Papouasie, portant à 105 le nombre de victimes d’homicides illégaux présumés dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale depuis février 2018.
Papouasie et Papouasie occidentale
Le 15 mars, dans le kabupaten de Yahukimo, des policiers ont abattu deux hommes et en ont blessé trois autres en ouvrant le feu sur des personnes qui manifestaient contre la partition de la Papouasie et de la Papouasie occidentale.
La police a arrêté 10 personnes, dont six membres de l’armée indonésienne, pour leur implication présumée dans le meurtre, suivi du démembrement, de quatre Papous en août dans le kabupaten de Mimika. Un commandant de la réserve stratégique de l’armée indonésienne a déclaré à des journalistes qu’il s’agissait de meurtres de droit commun, mais pas de violations des droits humains. Le 29 août, les forces de sécurité ont arrêté trois hommes dans le village de Bade (kabupaten de Mappi) et les ont torturés. L’un de ces hommes, Bruno Kimko, est mort et les deux autres ont été grièvement blessés. Dix-huit militaires de l’unité Yonif Raider 600/Modang ont été arrêtés, mais aucun n’avait été inculpé à la fin de l’année.
En mars, des expert·e·s des Nations unies ont exprimé leur inquiétude à propos de la détérioration de la situation des droits humains dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale, et demandé que des enquêtes exhaustives et indépendantes soient menées, notamment sur les homicides illégaux.
Le 8 décembre, le tribunal des droits humains de Makassar (province de Sulawesi-Sud) a acquitté un ancien commandant de l’armée des homicides illégaux perpétrés en 2014 dans le kabupaten de Paniai sur la personne de quatre lycéens. De nombreuses préoccupations existaient quant à la crédibilité du procès, dans lequel un seul suspect a été inculpé et tous les témoins à deux exceptions près étaient d’anciens membres des forces de sécurité. Les investigations menées précédemment par la Commission nationale des droits humains Komnas HAM avaient permis d’établir que des membres de l’unité militaire XVII/Cenderawasih avaient ouvert le feu sur des Papous autochtones qui protestaient contre le passage à tabac d’enfants papous par des militaires, tuant les quatre garçons et blessant 21 autres personnes. Selon la Komnas HAM, il s’agissait d’une attaque systématique et de grande ampleur contre des civil·e·s.
Recours excessif à la force
Deux enquêtes distinctes ont établi que l’utilisation excessive de la force par les policiers contre des supporters de football au stade Kanjuruhan de Malang (Java-Est), le 1er octobre, était la cause principale de la tragédie qui a fait 135 morts et 433 blessés. Selon les conclusions de l’équipe d’établissement des faits instaurée par le président et de la Komnas HAM, qui a mené ses propres investigations, l’utilisation de gaz lacrymogène a créé la panique et déclenché une bousculade dans laquelle les supporters ont péri. La Komnas HAM a précisé que les policiers avaient tiré au total 45 grenades lacrymogènes dans la foule. Sept suspects ont été identifiés, parmi lesquels trois policiers et un membre de l’armée indonésienne, et se sont vu notifier une inculpation pénale.
Lutte contre la crise climatique
L’Indonésie a revu en septembre sa contribution déterminée au niveau national. Elle a avancé de 10 ans (à 2060) son objectif de neutralité carbone et a amélioré son objectif inconditionnel de réduction de ses émissions pour 2030, s’engageant à les réduire de 32 % (contre 29 % précédemment) par rapport au scénario du statu quo. Elle a par ailleurs annoncé qu’elle était prête, sous conditions, à aller jusqu’à 43 % (au lieu de 41 %). Des analystes indépendants ont jugé que ces objectifs étaient très insuffisants et des voix se sont élevées pour critiquer la dépendance excessive de l’Indonésie à l’égard du charbon ainsi que l’insuffisance des politiques visant à soutenir son remplacement par des énergies renouvelables.