Avant-propos et analyse mondiale de la situation des droits humains en 2022

L’année 2022 a été marquée par des conflits qui pour certains étaient nouveaux et pour d’autres perduraient ou connaissaient une résurgence. Sur le terrain, les violations du droit international humanitaire ont engendré d’épouvantables tragédies humaines. La réaction de la communauté internationale n’était pas à la hauteur des lourdes répercussions que les différents conflits avaient sur les droits fondamentaux, notamment quant au besoin de protection des personnes qui fuyaient ces conflits ainsi que d’autres violations flagrantes et généralisées représentant dans certains cas des crimes contre l’humanité. Au nombre de ces violations figurait la répression brutale de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, y compris lors de manifestations. Les personnes qui défendaient les droits humains étaient souvent les premières victimes de cette répression.

Par ailleurs, les violences fondées sur le genre commises contre des femmes, des filles et des personnes LGBTI demeuraient un problème mondial, en dépit des quelques mesures prises pour améliorer la protection apportée par la loi. Le droit à l’avortement, quant à lui, a connu de sérieux revers dans certains cas, et fortement progressé dans d’autres. Bien que de nombreux pays aient commencé à se relever de la pandémie de COVID-19, d’autres en subissaient toujours les effets. Les crises économiques liées à la pandémie, ainsi qu’une dette insoutenable, les conflits et le changement climatique, ont attisé la flambée du coût de la vie et l’insécurité alimentaire. Ces difficultés ont touché de manière disproportionnée les personnes les plus marginalisées, entraînant un accroissement des inégalités.

Ce sont là les principaux thèmes, profondément interdépendants, qui ressortent le plus clairement des recherches menées par Amnesty International sur 156 pays en 2022. La répression de la dissidence a facilité l’émergence de conflits. Réciproquement, les conflits armés et les coups d’État qui avaient eu lieu en 2021 ont ouvert la voie à la répression de la société civile. Les violences sexuelles commises contre des femmes et des filles étaient l’une des effroyables caractéristiques des conflits armés. Les guerres, les crises politiques, la hausse du coût de la vie, les restrictions du droit à l’avortement, les violences faites aux femmes et la discrimination figuraient parmi les principaux motifs qui ont poussé les gens à manifester. En ce qui concerne certaines de ces violations généralisées, les recherches d’Amnesty International ont mis en évidence les dommages toujours plus graves engendrés par le modèle économique des géants technologiques et elles ont aussi souligné la nécessité pressante de prendre des mesures plus audacieuses pour lutter contre la crise climatique et les dégradations de l’environnement.

Violations du droit international humanitaire et droits des personnes en mouvement

Aux quatre coins du monde, des conflits ont éclaté, d’autres ont connu une résurgence et d’autres encore perduraient. Les forces gouvernementales et des groupes armés étaient responsables de violations du droit international humanitaire et d’atteintes aux droits humains, dont certaines représentaient des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

En Europe, les forces russes ont commis un acte d’agression en envahissant l’Ukraine et elles se sont livrées à des violences contre la population civile avec des exécutions extrajudiciaires et des attaques aveugles ; elles ont également ciblé, en hiver, l’infrastructure énergétique du pays. En Afrique, les forces gouvernementales et les groupes armés combattant en Éthiopie, en République démocratique du Congo (RDC) et dans la région du Sahel, entre autres, ont causé la mort de milliers de civil·e·s, parfois lors de massacres. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les conflits de longue date qui sévissaient en Libye, en Syrie et au Yémen, ainsi que la reprise des hostilités armées entre Israël et un groupe armé palestinien en août, ont été marqués par des frappes aériennes aveugles et d’autres attaques illégales qui ont tué et blessé des civil·e·s. Des crimes de guerre ont également été commis en Afghanistan, où les talibans ont continué de tuer par représailles des membres du précédent régime et de ses forces de sécurité.

Des violences sexuelles, notamment utilisées comme arme de guerre, ont été perpétrées dans le contexte de conflits dans différentes régions. En République centrafricaine et au Soudan du Sud, des dizaines de femmes et de filles ont dénoncé les viols subis lors d’affrontements entre les forces gouvernementales et des groupes armés ou lors d’attaques lancées par des groupes armés. En Éthiopie, les forces tigréennes ont commis de multiples viols et autres violences sexuelles liés aux conflits. En Ukraine, où des violences sexuelles auraient été commises par les forces russes, les femmes étaient confrontées à d’autres menaces liées au genre, les attaques contre des établissements de santé ayant contribué à limiter fortement les services de santé maternelle.

La majorité des États membres de l’Assemblée générale des Nations unies ont dénoncé l’agression de la Russie contre l’Ukraine et le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a pris rapidement des dispositions pour créer une commission d’enquête à la suite de cette invasion. Compte tenu de l’inaction du Conseil de sécurité des Nations unies face à de nombreux conflits, l’Assemblée générale des Nations unies a alourdi le coût politique que devaient supporter les membres permanents du Conseil utilisant leur droit de veto. Pour ce faire, elle a adopté, en avril, une résolution qui prévoyait qu’elle se réunisse automatiquement à chaque fois que le droit de veto était utilisé au Conseil de sécurité. Elle s’est ainsi réunie après que la Russie eut abusé de son droit de veto, en septembre, pour bloquer une résolution du Conseil de sécurité exigeant que ce pays revienne sur sa décision d’annexer quatre régions d’Ukraine partiellement occupées. L’Assemblée générale a condamné la démarche de la Russie, l’estimant non valide et illégale. Cependant, cette décision de la Russie servant ses intérêts propres était loin d’être un cas isolé d’attitude sélective adoptée en cas de violations commises dans une situation de conflit.

Les pays occidentaux se sont positionnés haut et fort en faveur des efforts déployés par la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les allégations faisant état de crimes de guerre commis en Ukraine, alors que certains ne l’avaient pas fait dans nombre d’autres situations. Ainsi, le Royaume-Uni a alloué une aide supplémentaire à la CPI et les États-Unis lui ont apporté leur soutien politique, alors même que ce pays n’avait pas ratifié le Statut de Rome et malgré son opposition aux enquêtes mettant en cause certains de ses alliés politiques comme Israël ou ses propres ressortissant·e·s en Afghanistan et en Irak. Vingt ans après la création de la CPI, on pouvait se demander, au vu de ses initiatives, si ses principes s’appliquaient de la même manière à toutes les victimes de crimes de droit international, quelles que soient la situation et la région concernées. Alors qu’elle a fait publiquement la promotion de son enquête de grande ampleur et cruciale sur la situation en Ukraine, elle a consacré de bien moindres ressources à d’autres enquêtes, comme celles sur la situation au Nigeria et en Palestine. Autre exemple d’incohérence, le Conseil des droits de l’homme, bien qu’ayant condamné sans équivoque et à juste titre les violations commises en Ukraine, ne s’est pas véritablement préoccupé du conflit au Yémen, laissant un immense vide quant à l’obligation de rendre des comptes.

Plusieurs entreprises ont facilité des violations dans des situations de conflit ; des défenseur·e·s des droits humains et des organisations de défense de ces droits, ainsi que certains États, ont dénoncé leurs agissements. Amnesty International a recueilli des informations sur le rôle de plusieurs entreprises dans l’importation et la livraison de carburant susceptible d’être utilisé par l’armée de l’air du Myanmar pour mener des frappes aériennes contre des civil·e·s. À la suite de ce rapport, certaines des entreprises mises en cause ont annoncé qu’elles quittaient le Myanmar ou suspendaient leurs activités commerciales dans ce pays. Amnesty International a également établi que les algorithmes et les pratiques commerciales de Meta (propriétaire de Facebook et d’Instagram) avaient fortement contribué à de graves atteintes aux droits humains pendant l’année 2017, à la fois en amplifiant les contenus hostiles aux Rohingyas et en favorisant les agissements de l’armée du Myanmar contre cette population.

Comme on pouvait s’y attendre, les conflits armés ont entraîné des mouvements massifs de populations, qu’il s’agisse de personnes réfugiées ou déplacées dans leur propre pays. La politique d’accueil à bras ouverts de l’Union européenne (UE) à l’égard des personnes réfugiées fuyant l’agression de l’Ukraine par la Russie a montré que l’UE, l’un des blocs les plus riches au monde, était plus que capable de recevoir un grand nombre de personnes sollicitant une protection et de faire en sorte qu’elles aient accès aux services essentiels, comme la santé, l’éducation et le logement.

L’approche observée dans ce cas précis différait radicalement de celle adoptée vis-à-vis de personnes d’autres régions demandant une protection, ce qui témoignait d’un racisme et d’une discrimination profondément ancrés. Aux frontières tant terrestres que maritimes, les personnes réfugiées ou migrantes faisaient l’objet de renvois forcés, sommaires, parfois même violents, alors que certaines avaient été victimes de torture et d’autres violations dans des pays de transit comme la Libye. Beaucoup de ces personnes ont été abandonnées à leur sort et ont perdu la vie.

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la protection des personnes réfugiées a été mise à mal. Les autorités libanaises ont accéléré les retours « volontaires » de personnes ayant fui la Syrie. Dans la région des Amériques, faute de système robuste de protection internationale dans de nombreux pays, les personnes fuyant des situations de violence armée et d’autres crises, dont le nombre montait en flèche, se retrouvaient sans protection. Entre septembre 2021 et mai 2022, les États-Unis ont expulsé plus de 25 000 Haïtiennes et Haïtiens, et infligé à nombre de ces personnes des actes de torture et d’autres mauvais traitements liés au racisme à l’égard des personnes noires.

Les parties aux conflits armés doivent respecter le droit international humanitaire, enquêter sur les allégations de violations et poursuivre les responsables présumés. Les États doivent tous faire systématiquement pression sur elles en ce sens. Ils doivent aussi s’employer à renforcer la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui appelle à prendre des mesures spéciales pour protéger les femmes et les filles contre les violences sexuelles liées aux conflits, et affirmer l’importance d’une participation pleine et équitable des femmes à la résolution des conflits et à la construction de la paix. La CPI doit veiller à ce que l’affectation de fonds aux différentes enquêtes ne soit pas entachée de discrimination. Tous les États, sans exception, doivent faire en sorte que toutes les personnes fuyant des persécutions aient accès à la sécurité et à une protection internationale ; ils doivent aussi mettre fin aux différences de traitement envers les personnes qui sollicitent une protection.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

La répression de la dissidence et de la société civile demeurait l’une des principales tendances observées à l’échelle mondiale concernant les atteintes aux droits fondamentaux.
La répression de la liberté d’expression et d’association s’inscrivait parfois dans le contexte d’un conflit armé. En Russie, une nouvelle loi interdisait de fait les propos critiquant la guerre en Ukraine. Des milliers de poursuites administratives ou judiciaires ont été engagées au titre de ce texte, et des dizaines de médias indépendants ont été fermés. En Éthiopie, les autorités ont arrêté arbitrairement des professionnel·le·s des médias et contrecarré les appels à la paix lancés par des organisations de la société civile.

Dans d’autres cas, la répression faisait suite à une prise du pouvoir par les armes. En Afghanistan, les autorités talibanes ont soumis des journalistes à une détention arbitraire ainsi qu’à des actes de torture et d’autres mauvais traitements parce qu’ils avaient osé les critiquer, après leur prise du pouvoir en 2021. Au Myanmar, les autorités militaires au pouvoir depuis le coup d’État de 2021 ont arrêté des dizaines de professionnel·le·s des médias, maintenu des interdictions visant des médias indépendants et imposé des restrictions des activités légitimes des ONG, le non-respect de ces dispositions étant passible d’emprisonnement. Au Mali, où des coups d’État ont eu lieu en 2020 et 2021, les autorités ont suspendu les activités de diffuseurs aussi bien nationaux qu’étrangers et arrêté ou menacé des journalistes et d’autres personnes qui critiquaient le gouvernement ou l’armée.

Ailleurs, des États influents ont réprimé la société civile pour tenter d’empêcher, tant sur leur territoire qu’à l’étranger, les discussions relatives à leur bilan en matière de droits humains. Le gouvernement chinois a violemment dénigré un rapport du HCDH, solidement étayé et attendu de longue date, qui faisait état de possibles crimes contre l’humanité contre des Ouïghour·e·s et d’autres minorités ethniques musulmanes du Xinjiang, où des milliers d’hommes et de femmes étaient, semble-t-il, détenus arbitrairement. En parallèle, il a imposé une censure encore plus généralisée et plus sophistiquée dans le pays. Le gouvernement indien a interdit à des défenseur·e·s des droits humains de se rendre à l’étranger.

En Turquie, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur la désinformation qui renforçait les pouvoirs de contrôle du gouvernement sur les réseaux sociaux, et les autorités ont continué d’arrêter et de poursuivre des dizaines de journalistes, de défenseur·e·s des droits humains et de personnalités politiques de l’opposition, accusés sans aucun fondement d’infractions à la législation antiterroriste.

En Égypte, le gouvernement a tenté d’améliorer son image en amont de la 27e session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) qu’il allait accueillir en novembre, notamment en libérant des centaines de personnes détenues pour des raisons politiques. Cependant, sur la même période, il a arrêté de façon arbitraire environ trois fois plus de personnes à cause de leur dissidence réelle ou supposée, dont plusieurs centaines en raison d’appels à manifester pendant la COP27.

Les événements en Égypte illustraient la connexion entre, d’une part, la liberté d’expression et, d’autre part, la justice climatique et les dégradations de l’environnement. Ailleurs, des militant·e·s faisant campagne pour la protection de l’environnement ont été tués ou menacés. C’est en Amérique latine que ce drame était le plus évident. Dans son rapport de 2022, Global Witness a indiqué que les trois quarts des homicides de défenseur·e·s des droits relatifs à la terre et à l’environnement recensés en 2021 avaient eu lieu dans cette région.

Partout dans le monde, des personnes se sont rassemblées pour protester contre le manque de mesures de lutte contre le changement climatique et aussi contre la guerre, les crises politiques, la hausse du coût de la vie, les restrictions du droit à l’avortement, les violences faites aux femmes et la discrimination, entre autres motifs de préoccupation. Bien souvent, des États ont eu recours à une force illégale – et parfois même meurtrière – pour réprimer des manifestations. L’Iran a été le théâtre de tels abus : à partir de septembre, les autorités ont réagi au soulèvement sans précédent contre des décennies de discrimination liée au genre, de répression impitoyable et, plus généralement, contre la République islamique elle-même, avec des tirs à balles réelles, des tirs de projectiles en métal et en rouant de coups les contestataires ; ces violences ont fait des centaines de morts, dont des dizaines d’enfants. Au Pérou, plus de 20 personnes ont été tuées lorsque les forces de sécurité ont eu recours à une force illégale en réaction aux manifestations pendant la crise politique qui a suivi la destitution du président, en décembre.

Dans plusieurs pays du monde, les forces de sécurité ont utilisé des armes à feu et diverses armes à létalité réduite, dont des matraques, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre lors de manifestations. Certaines forces de sécurité ont arrêté de façon arbitraire des manifestant·e·s et les ont soumis à des actes de torture et d’autres mauvais traitements, parfois au moyen d’équipements intrinsèquement abusifs tels que des chaînes de cheville lestées. La prolifération et l’utilisation abusive d’équipements destinés à l’application des lois dans le contexte du maintien de l’ordre de manière générale étaient facilitées par l’absence, à l’échelle mondiale, de contrôle sous l’angle des droits humains des importations et exportations.

Néanmoins, en mai, à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies, un groupe d’experts gouvernementaux a publié un rapport qui avançait l’idée d’un instrument juridiquement contraignant visant à réglementer ce commerce. L’Argentine, la Mongolie et l’UE ont été les moteurs d’une alliance mondiale de plus de 60 États en faveur d’un éventuel traité. Des organisations de défense des droits humains ont proposé d’inclure dans cet instrument plusieurs éléments qu’elles considéraient comme essentiels.

Des États ont aussi réprimé les mouvements de protestation par d’autres moyens. Les autorités de plusieurs pays, dont l’Australie, l’Inde, l’Indonésie et le Royaume-Uni, ont adopté de nouvelles lois imposant des restrictions pour les manifestations. D’autres gouvernements ont usé de l’état d’urgence (Sri Lanka) ou de prétextes comme la pandémie de COVID-19 (Chine) ou la sécurité dans le contexte des élections (Guinée, où un coup d’État a également eu lieu en 2021) pour empêcher les manifestant·e·s de remettre en cause les politiques publiques. Des gouvernements ont aussi étouffé l’espace civique en ligne pour tenter de contrecarrer l’action de protestataires. L’Iran et le Myanmar figuraient parmi les pays ayant interrompu ou perturbé l’accès à Internet et les télécommunications.

La réaction de la communauté internationale face à ces scandaleuses atteintes aux droits humains et à d’autres violations qui dépassaient le cadre de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, a été incohérente, à l’instar de celle des Nations unies et de la CPI face à des situations de conflit armé. D’un côté, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a créé un mandat de rapporteur·euse spécial·e sur la situation des droits humains en Russie et un mécanisme d’enquête sur l’Iran à la suite de la répression meurtrière des manifestations dans ce pays. De l’autre, il a décidé par un vote de ne pas enquêter davantage ni même de débattre au sujet des éléments recueillis par les Nations unies elles-mêmes indiquant que des crimes contre l’humanité pouvaient avoir été commis dans le Xinjiang (Chine), et il a renoncé à une résolution sur les Philippines. De même, les alliés d’Israël ont fermement rejeté les conclusions d’un ensemble grandissant d’organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, selon lesquelles ce pays avait mis en place un système d’apartheid, cette analyse ayant pourtant été approuvée par des spécialistes des Nations unies. En parallèle, le système international de protection des droits humains, l’un des trois « piliers » des Nations unies, continuait de souffrir d’un déficit de financement chronique, certains États cherchant à instrumentaliser le processus budgétaire pour empêcher la mise en application des mécanismes nécessaires.

Les gouvernements doivent cesser d’utiliser des prétextes pour réprimer la dissidence et empêcher le débat sur leur bilan en matière de droits humains. Ils doivent enquêter sur les homicides, les manœuvres d’intimidation et le harcèlement subis par les défenseur·e·s des droits humains, empêcher les forces de sécurité d’utiliser une force inutile ou excessive pendant les manifestations, et abroger ou modifier les lois qui violent le droit de réunion pacifique. Au niveau multilatéral, les États doivent appuyer les négociations pour la conclusion d’un nouveau traité visant à contrôler le commerce des équipements destinés à l’application des lois. Ils doivent également mettre en place de manière cohérente des mécanismes de reddition de comptes pour toutes les atteintes flagrantes aux droits humains relevant d’une pratique bien établie.

Violences fondées sur le genre et droits sexuels et reproductifs

Les violences faites aux femmes, aux filles et aux personnes LGBTI demeuraient un problème touchant le monde entier. Certaines de ces atteintes aux droits fondamentaux ont eu lieu dans le contexte de conflits armés, comme indiqué plus haut. Cependant, elles étaient pour la plupart commises en temps de paix et dans le cadre du foyer.

Des centaines de féminicides (homicides fondés sur le genre qui visent des femmes et sont facilités par l’impunité) ont été enregistrés rien qu’au Mexique, et cela reflétait une pratique bien établie sur tout le continent américain. Des réfugiées vénézuéliennes ont été victimes de violences et de discrimination fondées sur le genre en Colombie, en Équateur, au Pérou et à Trinité-et-Tobago. Des femmes autochtones ont signalé avoir été stérilisées de force au cours des années précédentes au Canada et ont continué d’être victimes de manière disproportionnée de viols et de violences sexuelles aux États-Unis. Ailleurs dans le monde, le niveau de violence demeurait élevé, tant en ligne que hors ligne. Au Pakistan, plusieurs meurtres de femmes tuées par un membre de leur famille ont eu un grand retentissement. Malgré cela, le Parlement n’avait toujours pas adopté le projet de loi sur la violence domestique en instance depuis 2021. En Inde, des violences contre des femmes dalits et adivasis ainsi que d’autres crimes motivés par la haine liée à la caste ont été commis en toute impunité.

Certains États ont pris des mesures pour améliorer la protection apportée par la loi, poussés à cela par la pression que des défenseures des droits humains ont exercée. En Europe, de nouvelles lois relatives au viol consacrant le principe du consentement sont entrées en vigueur en Belgique, en Espagne et en Finlande. En Afrique et en Asie, plusieurs pays, dont la Chine, le Congo, l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Zimbabwe, ont adopté des lois visant en partie à renforcer la protection des femmes et des filles contre les violences sexuelles et fondées sur le genre. Cependant, bien trop souvent, dans ces pays et ailleurs dans le monde, les autorités ont failli concrètement à leur obligation de protéger les femmes et les filles contre les violences endémiques liées au genre, et elles n’ont pas pris de mesures concrètes pour remédier à l’impunité des responsables de ces crimes. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les autorités en Arabie saoudite, en Égypte, en Irak, en Iran et au Yémen ont même engagé des poursuites pénales et recouru à d’autres formes de harcèlement contre des femmes défenseures et militantes des droits humains qui dénonçaient des violences sexuelles.

Comme toujours, ces violences avaient pour toile de fond une discrimination généralisée à l’égard des femmes, des filles et des personnes LGBTI, en droit et dans la pratique, sous-tendue par des attitudes et des normes sociales discriminatoires. L’Afghanistan a connu une dégradation particulièrement grave des droits des femmes et des filles. De nouveaux décrets pris par les talibans ont interdit aux femmes et aux filles de voyager sans être accompagnées d’un chaperon masculin, de se rendre dans les jardins publics, de suivre des études secondaires et supérieures, et de travailler pour des ONG.

Par ailleurs, l’année 2022 a été marquée à la fois par des revers et par des progrès concernant le droit à l’avortement. Après la suppression en juin de la protection fédérale de ce droit aux États-Unis, plusieurs États américains ont adopté des lois interdisant ou restreignant l’accès à l’avortement, tandis que d’autres ont voté majoritairement en faveur de sa protection. Dans cinq autres pays du continent américain, l’avortement demeurait une infraction pénale. Cependant, la Cour constitutionnelle colombienne l’a dépénalisé jusqu’à la 24e semaine de grossesse et en Équateur, une nouvelle loi l’a dépénalisé en cas de viol.

Des évolutions similaires ont été observées dans toute l’Europe. En Hongrie, en Pologne et en Slovaquie, de nouvelles mesures ont été adoptées pour limiter l’accès à l’avortement, tandis que plusieurs autres pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, ont levé certaines restrictions en la matière. Dans le même temps, des défenseures des droits humains ont été persécutées dans plusieurs pays, notamment à Andorre et en Pologne, pour avoir soutenu le droit à l’avortement.

Les États doivent prendre des mesures exhaustives pour prévenir les violences fondées sur le genre commises contre des femmes, des filles et des personnes LGBTI, violences qui ont un caractère endémique ; ils doivent aussi protéger et soutenir les victimes, et lutter contre l’impunité des responsables de ces crimes. Tous les États qui continuent de considérer l’avortement comme une infraction pénale doivent réformer leur législation en la matière afin que toutes les personnes puissent accéder aux informations et services relatifs à l’avortement, ainsi qu’à des soins post-avortement, sans discrimination ni coercition, et dans le respect de leur autonomie reproductive et de leurs autres droits humains.

Droits économiques et sociaux

Dans toutes les régions, les crises économiques liées à la pandémie de COVID-19 ainsi que la dette insoutenable, les conflits et le changement climatique, ont attisé la flambée du coût de la vie et l’insécurité alimentaire. En octobre, le Fonds monétaire international a indiqué que plus de 60 % des pays à faible revenu et plus de 25 % des marchés émergents ne seraient probablement pas en mesure de régler le service de leur dette. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a non seulement interrompu l’approvisionnement en blé dont dépendaient de nombreux pays, mais aussi contribué à une augmentation considérable du coût des combustibles. Ces difficultés ont été accentuées par le fait que de nombreux gouvernements ne se sont pas attaqués aux obstacles structurels ni aux causes profondes – tels que les inégalités socioéconomiques et la faiblesse des dépenses publiques de santé et pour la protection sociale – empêchant la concrétisation des droits à l’alimentation, à la santé, à la sécurité sociale, au logement et à l’eau. Elles ont touché de manière disproportionnée les personnes les plus marginalisées, dans toutes les régions.

L’Union africaine avait désigné 2022 comme l’Année de la nutrition pour l’Afrique, mais des phénomènes météorologiques extrêmes ont entraîné une malnutrition dans plusieurs pays de la région. La grave sécheresse qui a frappé la Somalie a conduit à une flambée du nombre de cas de malnutrition, et les inondations au Nigeria ont déclenché une épidémie de maladies à transmission hydrique qui a fait des centaines de morts. Du fait des crises économiques, 97 % de la population vivait dans la pauvreté en Afghanistan, contre 47 % en 2020, et la population du Sri Lanka était confrontée à d’importantes pénuries de denrées alimentaires, de combustible, de médicaments et d’autres denrées de première nécessité. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les crises économiques ont aussi aggravé l’insécurité alimentaire. En Syrie et au Yémen, le conflit y a largement contribué. La région des Amériques a été le théâtre de crises humanitaires, notamment en Haïti, où plus de 40 % de la population étaient en situation d’urgence alimentaire, et au Venezuela, où la majorité de la population était en situation d’insécurité alimentaire. En raison de la guerre avec la Russie, au moins 500 000 enfants ont basculé dans la pauvreté en Ukraine. Ailleurs en Europe, la flambée des prix de l’énergie, en partie due à la guerre, a contribué à une inflation record et à des crises du coût de la vie, qui ont touché de manière disproportionnée les personnes les plus marginalisées.

Le changement climatique a également contribué à la pauvreté, à la malnutrition et à des déplacements de populations. La montée du niveau de la mer et les inondations ont affecté les populations côtières pauvres dans plusieurs pays comme le Bangladesh, le Honduras et le Sénégal, tandis que la hausse des températures, s’ajoutant à des projets d’infrastructures énergétiques, a eu de graves répercussions pour des populations autochtones au Canada et en Russie. En Inde et au Pakistan, entre autres, les personnes travaillant en plein air, comme les agriculteurs et agricultrices, les vendeurs et vendeuses de rue et les travailleuses et travailleurs journaliers, ont grandement pâti de vagues de chaleur sans précédent et de la pollution de l’air. Au Pakistan, les pluies et les inondations, aggravées par le changement climatique, ont aussi eu des effets catastrophiques sur l’existence et les moyens de subsistance de la population. Malgré tous ces problèmes et en dépit de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, en juillet, d’une résolution bienvenue reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable, l’action des États pour le climat demeurait lamentablement insuffisante. Bien que la COP27 ait abouti à l’adoption d’un projet de fonds d’indemnisation des pertes et préjudices pour les personnes touchées par le changement climatique, elle n’a pas permis d’obtenir un accord sur l’abandon progressif des combustibles fossiles. Par ailleurs, les engagements actuels des États concernant la réduction des émissions condamneraient l’humanité à subir les effets dévastateurs d’un réchauffement climatique de 2,5 °C.

À travers le monde, le droit au logement a été mis à mal par des expulsions forcées, qui ont souvent concerné les personnes les plus en butte à la discrimination. En Afrique, dans les Amériques et en Asie, les États ont poursuivi la mise en œuvre de projets extractifs, agricoles ou infrastructurels sans avoir recueilli au préalable le consentement, donné librement et en toute connaissance de cause, des populations autochtones concernées, ce qui a parfois conduit à leur expulsion forcée de leurs terres. En Tanzanie, les autorités ont expulsé de force des membres du peuple autochtone masaï de leurs terres ancestrales pour mettre en place un projet touristique.

Les travaux visant à l’élaboration d’un traité sur l’imposition mondiale des entreprises multinationales, parrainé par les Nations unies, se sont poursuivis, donnant lieu à l’adoption d’une résolution par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre. Cette démarche reflétait le fait que l’accord mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques, conclu en 2021 et alors en vigueur, n’allait pas suffisamment loin pour corriger l’affectation déséquilibrée des droits d’imposition entre les sources de bénéfice d’une entreprise, souvent situées dans des pays de l’hémisphère sud, et le siège juridique de cette entreprise, généralement installé dans un pays de l’hémisphère nord. D’autres engagements volontaristes sont nécessaires pour assurer la mise en place d’un système équitable qui fournira des ressources supplémentaires indispensables, en particulier aux pays à faible revenu, afin de mieux garantir les droits économiques, sociaux et culturels des personnes.

Les États doivent prendre des mesures urgentes pour atténuer la crise climatique et maintenir le réchauffement de la planète sous la barre des 1,5 °C au-dessus des niveaux de l’ère préindustrielle, notamment en accordant la priorité à un abandon progressif mais rapide des combustibles fossiles, tout en assurant une transition juste et respectueuse des droits humains vers une économie sans carbone. Ils doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit de toutes les personnes, y compris des personnes et groupes marginalisés, à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, à la santé, à la sécurité sociale, au logement et à l’eau. Ils doivent aussi veiller à ce que tout projet envisagé sur le territoire de peuples autochtones soit soumis à l’obtention préalable du consentement de ceux-ci, donné librement et en toute connaissance de cause.

Les pays riches et les institutions financières internationales doivent de toute urgence alléger la dette et contribuer financièrement aux efforts internationaux déployés pour aider les pays dans le besoin à concrétiser les droits économiques, sociaux et culturels de leur population, notamment dans le contexte de la crise climatique. Les pays à faible revenu doivent en outre bénéficier de davantage d’équité et d’inclusion grâce à la réforme mondiale de l’imposition soutenue par les Nations unies, qui permettra de fournir des ressources supplémentaires essentielles à cet effet.

Mécanismes internationaux de protection des droits humains

L’année 2023 marque le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne, et le 25e anniversaire de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme [ONU]. Cependant, certains comportements des États ont mis à mal ces instruments, comme l’application incohérente ou insuffisante des obligations en matière de droits humains, les réactions internationales incohérentes face à des violations flagrantes et généralisées des droits fondamentaux, et les contributions financières insuffisantes aux mécanismes internationaux de protection des droits humains.

Dans ce contexte, les États doivent renouveler leurs engagements et prendre des mesures concrètes pour renforcer l’architecture internationale des droits humains et en accroître la solidité. Ils doivent notamment augmenter le budget consacré au pilier des Nations unies que constituent les droits fondamentaux, en accordant la priorité à une application cohérente de l’ensemble de leurs obligations internationales en matière de droits humains et en veillant à ce que les mécanismes internationaux puissent traiter les atteintes à ces droits de manière cohérente et efficace partout dans le monde.

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