Contexte
Le président, Emmerson Mnangagwa, a remporté un deuxième mandat à l’issue des élections générales qui se sont déroulées les 22 et 23 août, au cours desquelles l’électorat était également appelé à désigner les parlementaires et les représentant·e·s des autorités locales.
Répression de la dissidence
Cette année encore, les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ont été menacés, en particulier pendant la période des élections. Les membres du principal parti d’opposition, la Coalition des citoyen·ne·s pour le changement (CCC), ont été la première cible de la répression.
Un peu plus d’un mois avant le jour du scrutin, le président a promulgué la Loi de 2022 portant codification et réforme du Code pénal. Ce texte ne satisfaisait pas aux exigences de légalité, de proportionnalité et de nécessité, dans la mesure où il permettait aux autorités d’imposer des sanctions telles que la perte de la nationalité et la peine de mort à des personnes qui n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leurs droits humains. Il augmentait le risque pour les personnes exprimant des opinions dissidentes de faire l’objet d’une détention arbitraire, et contenait des dispositions excessivement générales qui érigeaient en infraction la participation à des réunions.
Entre le 17 mai et le 8 juin, Benjamin Watadza, Emmanuel Chitima, Comfort Mpofu, Lionel Madamombe, Gamuchirai Chaburumunda et Darlington Chigwena ont été arrêtés pour avoir organisé une manifestation pacifique à Harare, la capitale. Ces étudiant·e·s de l’Université du Zimbabwe manifestaient contre la détention prolongée et d’autres persécutions que subissaient des personnalités politiques de l’opposition, notamment Job Sikhala (voir Détentions arbitraires et procès inéquitables). Ils ont été inculpés de troubles à l’ordre public au titre de l’article 41 de la Loi portant codification et réforme du Code pénal, avant d’être libérés successivement entre le 5 et le 24 juillet.
Le 23 août, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement environ 40 membres du personnel du Centre de ressources électorales et du Réseau de soutien aux élections au Zimbabwe, des organisations de la société civile. Ces arrestations étaient en lien avec la publication d’un rapport du Forum des ONG de défense des droits humains du Zimbabwe détaillant des irrégularités électorales observées le 23 août. La police a saisi le téléphone portable des personnes arrêtées et les a forcées à s’allonger à plat ventre pendant trois heures. Elles ont été détenues au secret pendant deux jours au commissariat central de Harare, sans pouvoir contacter leurs avocat·e·s ni aucun membre de leur famille, en violation de la Constitution et des normes internationales d’équité. Elles ont été inculpées le 25 août d’infraction à l’article 66 de la Loi électorale, lu conjointement avec la Loi portant codification et réforme du Code pénal, et libérées contre le versement d’une caution de 200 dollars des États-Unis chacune. Les autorités leur reprochaient d’avoir tenté de révéler les résultats des élections avant l’annonce officielle de la Commission électorale du Zimbabwe.
Pendant et après les élections, des personnes soupçonnées d’être des représentants de l’État se sont livrées à une série d’enlèvements de militants de la CCC. Le 26 août, des agents en civil ont interrompu une conférence de presse de la CCC et tenté d’arrêter le porte-parole du parti, Promise Mkwananzi. D’autres enlèvements successifs ont ensuite été perpétrés, là encore par des agents présumés de l’État : le conseiller municipal Womberaiishe Nhende et l’un de ses amis, Sanele Mukhuhlani, ont été enlevés et torturés avant d’être abandonnés en périphérie de Harare le 2 septembre ; le 23 octobre, James Chidhakwa a lui aussi été enlevé et torturé, et on lui a injecté une substance non identifiée ; Takudzwa Ngadziore a été enlevé le 1er novembre et Tapfumanei Masaya le 11 novembre ; le corps de ce dernier a été retrouvé deux jours plus tard, abandonné dans le quartier de Cleveland, à Harare.
Détentions arbitraires et procès inéquitables
Des défenseur·e·s des droits humains, des membres et sympathisant·e·s de l’opposition, des militant·e·s, des journalistes et d’autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes ont été détenus et poursuivis arbitrairement, en toute impunité. Les autorités ont instrumentalisé la justice pour réduire au silence toute opposition pacifique.
Le 5 avril, Fadzayi Mahere, députée de la CCC et ancienne porte-parole du parti, a été jugée coupable de publication ou communication de fausses déclarations portant préjudice à l’État, sur le fondement de l’article 31 de la Loi portant codification et réforme du Code pénal. Elle a été condamnée à payer une amende de 500 dollars des États-Unis. Il lui était reproché d’avoir diffusé en janvier 2021 une vidéo sur les réseaux sociaux, dans laquelle on pouvait voir une femme aux prises avec un agent de police alors qu’elle tenait dans les bras un bébé inanimé. Fadzayi Mahere s’était livrée à la justice le 11 janvier et avait été maintenue en détention pendant sept jours avant d’être remise en liberté sous caution par un magistrat de Harare.
Le 28 avril, Jacob Ngarivhume, dirigeant du parti d’opposition Transform Zimbabwe, a été déclaré coupable et condamné à quatre ans de prison, dont un avec sursis. Il avait été arrêté en juillet 2020 pour son rôle de meneur et d’organisateur de manifestations contre la corruption qui avaient eu lieu plus tôt dans le mois. Il était accusé d’incitation à la violence publique pour avoir utilisé son compte Twitter (devenu X) pour organiser des manifestations dans tout le pays, manifestations qui avaient été réprimées par les forces de sécurité. Il a été mis hors de cause en appel le 11 décembre 2023, après avoir passé huit mois en prison.
Le 3 mai, près d’un an après son arrestation en juin 2022, Job Sikhala, ancien député CCC de la circonscription de Zengeza-Ouest, a été déclaré coupable d’« entrave à la justice » par un tribunal de première instance et condamné à payer une amende de 600 dollars des États-Unis. Mis hors de cause en appel le 28 novembre, il est resté incarcéré à la prison de sécurité maximale de Chikurubi, à Harare, dans l’attente d’un autre procès, cette fois pour incitation à la violence et troubles à l’ordre public. Ces charges avaient été retenues contre lui à la suite d’un discours qu’il avait prononcé lors de la veillée funèbre de Moreblessing Ali, enlevée en 2022, semble-t-il par un sympathisant de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), le parti au pouvoir. Le corps de la victime avait été retrouvé sans vie trois semaines plus tard.
Le 15 août, 40 militant·e·s de la CCC ont été arrêtés à la suite d’un meeting électoral à Machipisa, dans la municipalité de Highfields, à Harare. Inculpés d’infractions à la Loi relative au maintien de la paix et de l’ordre, ils ont été libérés sous caution le 24 août.
Le 4 septembre, Doug Coltart et Tapiwa Muchineripi, de l’organisation Avocats du Zimbabwe pour les droits humains, ont été arrêtés pour avoir informé la police que leurs clients, Womberaiishe Nhende et Sonele Mukhuhlani, étaient en mauvaise santé et suivis médicalement après avoir été enlevés et torturés par des agents de l’État (voir Répression de la dissidence). Les deux avocats ont été inculpés d’« entrave à la justice », puis libérés sous caution le 5 septembre par le tribunal de première instance de Harare, avec l’obligation de se présenter chaque semaine au commissariat central de Harare.
Attaques et homicides illégaux
Tinashe Chitsunge, un militant de la CCC, aurait été lapidé à mort le 3 août par un groupe de la ZANU-PF à Glen View South, dans la banlieue de Harare. L’attaque aurait eu lieu alors qu’il tentait de fuir une foule de sympathisant·e·s de la ZANU-PF qui s’en prenaient à des militant·e·s de l’opposition pendant un rassemblement.
Le militant de la CCC Vutisani Mushiyi a été admis à l’hôpital de Chiredzi après avoir été agressé le 4 août dans la ville de Chiredzi-Sud, semble-t-il par des partisan·e·s de la ZANU-PF. Il a affirmé avoir été attaqué en représailles à son refus de quitter ses fonctions de président du système d’irrigation de Chilonga, à Chiredzi-Sud, après avoir été poussé à la démission par un candidat de la ZANU-PF aux élections législatives.
Droit à la santé
Le pays était aux prises avec une épidémie de choléra, due principalement à une grave pénurie d’eau salubre. Fin septembre, près de 7 000 nouveaux cas présumés avaient été enregistrés, et le bilan humain atteignait 100 morts le 9 octobre. Le Zimbabwe faisait face à des épidémies récurrentes de choléra, exacerbées par la pauvreté et par la déficience des infrastructures.
Dans la ville de Chitungwiza, la population était obligée d’acheter de l’eau en bouteille par manque d’eau salubre. Des militant·e·s locaux ont demandé aux pouvoirs publics d’intervenir, soulignant la charge excessive pesant sur les autorités locales pour améliorer l’accès à l’eau, ainsi que le coût élevé des produits chimiques utilisés pour le traitement des eaux. À mesure que le nombre de cas de choléra augmentait, des problèmes de gestion des eaux usées et l’inefficacité de la collecte des déchets ont rendu la situation encore plus difficile, laissant craindre une aggravation de la crise à l’approche de la saison des pluies.
Le président Emmerson Mnangagwa s’était engagé en juillet, pendant sa campagne électorale, à mettre en place un programme de forage de puits sur tout le territoire afin d’élargir l’accès à une eau salubre. Mais cette promesse n’a guère été tenue, en raison des problèmes de sous-investissement chronique et de disparité de revenus qui persistaient dans le pays.
Droits des femmes et des filles
Le gouvernement n’a pas pris de mesures de prévention de la fistule obstétricale ni pleinement répondu aux besoins de prise en charge médicale des femmes qui en souffraient. Il n’a notamment pas élaboré de cadre politique adéquat en matière de santé maternelle ni veillé à ce que celle-ci soit suffisamment financée, en dépit des appels lancés en ce sens par des organisations de la société civile, et alors que la question avait été soulevée au Parlement comme un enjeu d’intérêt national.
Le cadre juridique relatif à l’accès des adolescentes à des services de santé sexuelle et reproductive restait lacunaire. À la fin de l’année, le Parlement n’avait toujours pas modifié la Loi relative à la santé publique de manière à permettre au personnel de santé de fournir des services de santé sexuelle et reproductive aux adolescentes sans le consentement de leurs parents. Le coût de certains services de santé essentiels était en outre prohibitif pour de nombreuses femmes et filles, et les établissements scolaires ne proposaient pas d’éducation complète à la sexualité.
Les grossesses demeuraient répandues chez les adolescentes, avec 108 naissances vivantes pour 1 000 femmes et filles âgées de 15 à 19 ans. Le gouvernement n’avait toujours pas tenu sa promesse de ramener ce chiffre à 100 pour 1 000 femmes à l’horizon 2022. La mortalité maternelle restait élevée, avec 462 décès pour 100 000 naissances vivantes, d’après les statistiques les plus récentes du Fonds des Nations unies pour la population.
Les mariages d’enfants étaient courants. On estimait que 33 % des femmes âgées de 20 à 24 ans étaient mariées avant leurs 18 ans.
Les résultats des élections d’août n’ont pas été synonymes d’une réelle amélioration du problème de sous-représentation des femmes aux postes de décision. Sur les 26 membres du gouvernement nommés en septembre, six seulement étaient des femmes. Sur 70 femmes candidates à l’Assemblée nationale, seules 22 ont remporté un siège, alors que 637 hommes ont été élus députés.
Droits des enfants
Le 19 juillet, la Loi no 8 de 2023 portant modification de la Loi relative à l’enfance a été promulguée. Ce texte avait notamment le mérite de ne plus contenir de dispositions qualifiant les personnes de moins de 18 ans de « jeunes personnes », terme remplacé par celui de « mineur·e·s », conformément à la Constitution.