Nicaragua - Rapport annuel 2023

La crise politique que traversait le pays a été marquée par de graves violations des droits humains : des opposant·e·s politiques ont notamment été déchus de leur nationalité et des défenseur·e·s des droits humains, des autorités religieuses et des personnalités autochtones ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires. L’Église catholique a été touchée par des violations de la liberté de religion, et des ONG ont encore été fermées. L’impunité pour les crimes contre l’humanité restait la règle. Des populations autochtones ont continué d’être persécutées et ont été la cible d’attaques meurtrières perpétrées par des groupes armés.

Contexte

Depuis le début de la crise politique en 2018, l’État a mis en place une violente répression de l’opposition, qui a causé au moins 355 décès et plus de 2 000 blessures. Le nombre de détentions arbitraires et de licenciements non justifiés a nettement augmenté et plus de 300 personnes ont été arbitrairement expulsées et déchues de leur nationalité.

Déchéance arbitraire de la nationalité

Le 9 février, le gouvernement a contre toute attente libéré et expulsé plus de 200 opposant·e·s politiques qui avaient été placés arbitrairement en détention entre 2018 et 2021. La plupart de ces personnes avaient notamment été poursuivies pour trahison ou pour des infractions liées au terrorisme dans le cadre de procédures judiciaires qui ne respectaient pas les exigences d’un procès équitable.

L’Assemblée nationale (organe législatif du Nicaragua) a approuvé une modification de la Constitution disposant que toute personne reconnue coupable d’un crime politique perdait sa nationalité nicaraguayenne. Cette modification a été appliquée arbitrairement pour priver de la nationalité nicaraguayenne toutes les personnes expulsées en février, ainsi que d’autres qui étaient déjà en exil, notamment des opposant·e·s politiques, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des membres de l’Église catholique.

Face à cette situation, d’autres pays ont proposé d’accorder la nationalité aux personnes rendues apatrides. Cependant, nombre de Nicaraguayennes et Nicaraguayens exilés se sont heurtés à des difficultés considérables, comme la barrière de la langue ou la discrimination, qui ont freiné leur intégration et leur accès aux droits humains, notamment à l’éducation, au travail et à la santé. Le Groupe d’experts des droits de l’homme sur le Nicaragua (GHREN), mandaté par les Nations unies, a exhorté les pays d’accueil à leur apporter de l’aide, en proposant notamment des cours de langue et des formations professionnelles, et à lutter contre la discrimination afin de faciliter l’intégration réelle de ces Nicaraguayennes et Nicaraguayens au sein de leur nouvelle société.

En parallèle, le gouvernement nicaraguayen a commencé à saisir les biens de ces personnes, sans respect des procédures légales, ce qui en a laissé beaucoup dans une situation de précarité économique. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a considéré que cette privation de nationalité et ces saisies constituaient de « graves atteintes aux droits humains » et a demandé au gouvernement d’autoriser le retour volontaire et en toute sécurité de ces personnes sur le territoire national, de cesser ces pratiques et de rétablir les droits des personnes concernées.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a quant à elle réaffirmé les mesures provisoires octroyées à des militant·e·s ayant perdu leur nationalité, notamment les défenseur·e·s des droits humains Guillermo Gonzalo Carrión Maradiaga et Vilma Núñez de Escorcia. La Cour a demandé à l’État d’abandonner les poursuites pénales engagées contre eux et de ne pas les placer en détention.

Liberté d’association

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a estimé que la situation au Nicaragua était l’un des exemples de fermeture de l’espace civique les plus graves de la région, évoquant l’annulation massive du statut juridique d’organisations de la société civile et leur dissolution forcée.

Entre août 2022 et septembre 2023, le Nicaragua a privé de leur statut juridique plus de 2 000 ONG, qui ne pouvaient donc plus exercer dans le pays. Cela portait à 3 394 leur nombre total depuis 2018.

Au cours de l’année, les autorités ont fermé l’Université centraméricaine, l’accusant d’être un « centre de terrorisme ». Elles ont également saisi des biens appartenant à des organisations comme la Croix-Rouge et l’Institut centraméricain d’administration d’entreprises.

Arrestations et détentions arbitraires

L’ONU a fait état de violations de la liberté de religion : l’Église catholique a été visée par des sanctions et des actes de harcèlement, et des religieux et des membres laïcs de l’Église ont fait l’objet de détentions arbitraires.

À la fin de l’année, au moins 119 personnes étaient arbitrairement maintenues en détention à l’issue de procès iniques, notamment Rolando Álvarez, évêque catholique de Matagalpa, condamné à 26 ans de prison pour conspiration et diffusion de fausses informations. Trois étudiantes ont été arrêtées en août pour des accusations similaires après la fermeture de l’Université centraméricaine.

En décembre, le HCR a condamné la disparition forcée de l’évêque Isidoro Mora et la vague de détentions d’autorités religieuses, dont le vicaire général Carlos Avilés.

Impunité

En mars, le GHREN a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les autorités, au plus au niveau, y compris le président, Daniel Ortega, et la vice-présidente, Rosario Murillo, étaient depuis avril 2018 impliqués dans des violations des droits humains et des actes s’apparentant à des crimes contre l’humanité. Il a recommandé à la communauté internationale de mener des enquêtes sur les atteintes aux droits humains commises au Nicaragua et de soutenir la société civile.

Le HCDH, la Commission interaméricaine des droits de l’homme et l’UE ont engagé le gouvernement de Daniel Ortega à lancer des enquêtes sur les violations des droits humains et à veiller à ce que justice soit rendue. Cependant, aucune enquête n’avait été ouverte à la fin de l’année et les crimes restaient impunis. De plus, le gouvernement a continué d’utiliser ses tactiques répressives, rendant presque impossible la défense des droits humains dans le pays.

Droits des peuples autochtones

Des populations autochtones étaient toujours confrontées à de graves atteintes aux droits humains, malgré les condamnations internationales. Des détentions arbitraires et des procès iniques de dirigeant·e·s autochtones ont été signalés, ainsi que des attaques meurtrières menées par des groupes armés. Bien que plusieurs personnes soient mortes ou aient été blessées dans des communautés comme celles de Wilú, Musawas et Sabakitang, l’impunité restait la règle et le gouvernement n’a pas ouvert d’enquête ni offert de réparations aux victimes. La législation répressive a aggravé la situation, notamment avec la suppression du statut juridique d’organisations autochtones et l’interdiction des manifestations publiques, prévue dans la Loi contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, en vigueur depuis juillet 2018.

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