Indonésie - Rapport annuel 2023

Des manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés et des manifestations ont été dispersées avec une force excessive. Des opérations militaires en Papouasie ont donné lieu à des homicides illégaux, des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Des militants indépendantistes ont été emprisonnés. Les forces de sécurité infligeaient couramment des actes de torture et d’autres mauvais traitements à des suspects de droit commun ; dans certains cas, des personnes sont mortes des suites de ces agissements. En Papouasie, des groupes armés non étatiques se sont eux aussi rendus coupables d’homicides illégaux. Le gouvernement n’a pas mené de véritables consultations auprès des populations concernées par des projets de développement controversés. L’Indonésie est restée très dépendante du charbon comme source d’énergie, et ses plans pour abandonner les combustibles fossiles étaient insuffisants.

Contexte

Les tensions se sont intensifiées en Papouasie après la prise en otage, en février, d’un pilote néo-zélandais par des membres de l’Armée de libération nationale de l’Organisation de la Papouasie libre (TPNPB-OPM) à l’aéroport de Paro, situé dans les montagnes reculées du département de Nduga, dans la province de Papouasie des hautes terres. En réaction, l’armée indonésienne a relevé son niveau d’alerte dans ce département, qui est passé à l’état d’« alerte de combat », et a déployé de nouvelles troupes dans la région, suscitant des craintes pour la sécurité des populations civiles dans ce secteur et dans ses alentours.

Liberté de réunion

Les forces de sécurité ont arrêté des manifestant·e·s pacifiques et utilisé une force excessive pour disperser des manifestations, provoquant ainsi fréquemment des blessures.
Le 5 août, la police a arrêté 18 personnes dans la Grande Mosquée de Sumatra-Ouest, à Padang, la capitale de la province, lors de manifestations contre les projets de raffinerie de pétrole et d’usine pétrochimique dans le village de Nagari Air Bangis, dans le département de Barat. La police a emmené d’autres protestataires qui se trouvaient dans l’édifice, dont certains étaient en train de prier, y compris des femmes qui ont été traînées en dehors de la mosquée. Au moins cinq journalistes qui couvraient l’événement ont été agressés physiquement et menacés par des agents de police. Toutes les personnes arrêtées, dont des dirigeant·e·s locaux, des militant·e·s, des étudiant·e·s et des avocat·e·s, ont ensuite été remises en liberté sans inculpation. Ces événements ont eu lieu à la suite d’une manifestation à Nagari Air Bangis qui a duré six jours et qui était menée par des habitant·e·s inquiets des risques que représentait la construction d’une raffinerie pour leurs moyens de subsistance et l’environnement.
Le 14 août, les forces de sécurité ont arrêté sept personnes et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestant·e·s qui bloquaient une route à Bandung, dans la province de Java-Ouest, pour protester contre le projet d’expulsion d’environ 300 habitant·e·s de Dago Elos, un quartier en périphérie de la ville. Parmi les personnes interpellées figuraient des habitants de Dago Elos et un avocat qui leur apportait son aide dans ce conflit foncier. Elles ont toutes été relâchées le 16 août, mais trois d’entre elles ont été accusées d’avoir commis des actes violents. Plusieurs personnes auraient été blessées en conséquence de l’utilisation excessive de la force par la police[1].

Liberté d’expression

Les autorités ont continué de mener des poursuites pour atteintes à la sûreté de l’État contre des personnes ayant exercé leur droit à la liberté d’expression, notamment pour appeler à l’indépendance de la Papouasie. Au moins trois militant·e·s papous ont été emprisonnés au cours de l’année pour avoir exprimé leurs opinions.
Le 8 août, le tribunal du district de Djayapura a déclaré Yoseph Ernesto Matuan, Devio Tekege et Ambrosius Fransiskus Elopere coupables de trahison au titre des articles 55 et 106 du Code pénal, et les a condamnés à 10 mois d’emprisonnement chacun. Ces trois étudiants avaient été arrêtés en novembre 2022 alors qu’ils participaient à une veillée à la faculté des sciences et technologies de Djayapura pour commémorer le 21e anniversaire de l’enlèvement et de l’assassinat du dirigeant indépendantiste Theys Eluay. À cette occasion, le drapeau représentant l’« Étoile du matin », emblème de l’indépendance papoue, avait été levé. Les trois hommes ont été libérés en septembre après avoir purgé leur peine[2].

Homicides illégaux

Au moins 26 interventions des forces de sécurité ont donné lieu à des homicides illégaux en Papouasie, faisant au total 58 victimes.
En septembre, les forces de sécurité ont tué par balle cinq Papous autochtones à Dekai, la préfecture du département de Yahukimo, dans la province de Papouasie des hautes terres. Les forces de sécurité ont affirmé que ces jeunes gens, âgés de 15 à 18 ans, avaient été tués lors d’un échange de tirs avec la TPNPB-OPM. D’autres sources ont indiqué qu’ils n’étaient pas membres de ce groupe armé, et qu’ils rentraient simplement dans leur village après avoir acheté de la nourriture à Dekai. Toute personne quittant Dekai devait se présenter à un poste de sécurité à la périphérie de la ville, faute de quoi elle était automatiquement considérée comme membre de la TPNPB-OPM. À la fin de l’année, les autorités judiciaires n’avaient ouvert aucune enquête sur ces homicides présumés.

Torture et autres mauvais traitements

Les forces de sécurité ont soumis des personnes détenues à des actes de torture et d’autres mauvais traitements en vue d’obtenir des informations ou des « aveux ».
La torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient monnaie courante en Papouasie ; des cas de détention arbitraire et de torture dans le cadre d’opérations militaires ont ainsi été signalés dans le département de Nduga et dans ses environs. Le 6 avril, des militaires ont arrêté et torturé six Papous autochtones du village de Kwiyawagi, dans le département de Lanny Jaya, en Papouasie des hautes terres. Ces deux hommes et quatre garçons ont été emmenés par hélicoptère dans le quartier général de l’armée à Timika, où Wity Unue, qui était âgé de 17 ans, est décédé, selon certaines informations, des suites des actes de torture qui lui ont été infligés. Les cinq autres ont été libérés sans inculpation le 20 avril, mais il a été signalé qu’ils étaient en mauvais état de santé. À la fin de l’année, personne n’avait été traduit en justice dans cette affaire.
En septembre, huit membres de la division des stupéfiants de la police métropolitaine de Djakarta ont été cités comme suspects dans une affaire où un trafiquant de drogue présumé était mort sous les coups qui lui avaient été infligés lors d’un interrogatoire en juillet. Aucun d’entre eux n’avait été inculpé à la fin de l’année.
En août, le corps d’Imam Masykur a été retrouvé plus de trois semaines après que cet homme eut été enlevé et torturé par trois soldats appartenant aux Forces de sécurité de la présidence et à l’armée indonésienne. Selon la Commission asiatique des droits humains, ces trois soldats avaient arrêté le jeune homme de 25 ans à Djakarta après l’avoir accusé de vendre des substances illégales, et ils avaient réclamé une rançon en échange de sa libération. Le corps d’Imam Masykur a été retrouvé dans le réservoir d’un barrage à Java-Ouest. En décembre, les trois hommes ont été condamnés à la réclusion à perpétuité et renvoyés de l’armée.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Onze cas de violences commises par la TPNPB-OPM en Papouasie ayant abouti à 24 homicides illégaux ont été recensés au cours de l’année.
Le 28 août, un porte-parole du groupe armé a annoncé que celui-ci avait tué Michelle Kurisi Doga à Kolawa, dans le département de Lanny Jaya, en Papouasie des hautes terres. Au moment de sa mort, Michelle Kurisi voyageait pour recueillir des données sur les déplacements dus aux opérations militaires dans le département de Nduga mais, selon le porte-parole, la TPNPB-OPM la soupçonnait de faire partie des services de renseignement militaire[3].
Le Néo-Zélandais pris en otage par la TPNPB-OPM en février n’avait toujours pas été libéré à la fin de l’année.

Droits économiques, sociaux et culturels

Le gouvernement n’a pas mené de véritables consultations ni mis en place des procédures effectives de diligence requise en matière de droits humains avant d’autoriser le lancement de la construction d’une écoville sur l’île de Rempang, un projet d’aménagement industriel et touristique de plusieurs milliards de dollars. Ce projet impliquait la relocalisation d’environ 7 500 personnes vivant dans 16 villages principalement habités par le peuple autochtone tempatan, ce qui allait les priver de l’accès à leurs terres ancestrales. Le peuple tempatan et d’autres communautés locales se sont fortement opposées à ce projet d’aménagement Des consultations ont été menées auprès des populations concernées en août, mais certaines réunions ont semble-t-il donné lieu à un lourd dispositif de sécurité et, selon des observateurs·trices, il ne s’est agit que de séances d’information à sens unique des habitant·e·s par le gouvernement et l’entreprise.
Plusieurs manifestations dénonçant l’acquisition des terres pour le projet d’écoville de Rempang ont été organisées en août et en septembre, donnant lieu à des affrontements avec les forces de sécurité le 7 septembre. Des manifestant·e·s ont jeté des pierres et des bouteilles d’eau, et les forces de sécurité ont répliqué avec des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Au moins 20 manifestant·e·s ont été blessés, et environ 25 élèves de deux écoles voisines ont dû être hospitalisés après avoir inhalé du gaz lacrymogène. À la suite des événements du 7 septembre, de nouveaux postes de sécurité conjoints de la police et de l’armée ont été installés sur l’île. Selon la section locale de l’Institut d’aide judiciaire, une ONG, au moins 35 personnes ont été accusées d’avoir eu recours ou d’avoir menacé de recourir à la violence contre des agents dans l’exercice de leurs fonctions, infraction passible d’une peine allant jusqu’à un an et quatre mois d’emprisonnement[4].

Droit à un environnement sain

L’Indonésie a produit une part croissante de son électricité au moyen d’énergies renouvelables, mais elle restait fortement dépendante du charbon dans ce domaine. Le charbon représentait également la principale exportation du pays. Les plans d’abandon des combustibles fossiles pour la production d’énergie, tels qu’exposés dans le Règlement présidentiel n° 112 de 2022 sur l’accélération du développement des énergies renouvelables pour l’approvisionnement en électricité, étaient insuffisants. Par exemple, alors que ce texte interdisait la création de nouvelles centrales à charbon, il permettait le développement de celles déjà prévues. Ainsi, le gouvernement a donné suite à un projet visant à produire 35 000 mégawatts d’électricité, approuvé en 2015 et nécessitant la construction à travers le pays de 109 centrales alimentées principalement par du charbon.

[1]“Masyarakat Indonesia belum merdeka dari kekerasan negara”, 16 août
[2]“Bebaskan tiga mahasiswa Papua dari pidana makar”, 8 août
[3]“Usut pelaku pembunuhan Michelle Kurisi dan kekerasan bersenjata atas warga sipil di Tanah Papua”, 30 août
[4]“Jangan paksa masyarakat Batam menerima proyek strategis nasional”, 8 septembre

Toutes les infos
Toutes les actions

L’avortement est un droit. Parlementaires, changez la loi !

L’avortement est un droit humain et un soin de santé essentiel pour toute personne pouvant être enceinte. Ceci sonne comme une évidence ? Et bien, ce n’est pourtant pas encore une réalité en (…)

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit