Les droits à la liberté de réunion pacifique, d’association et d’expression ont fait l’objet de nouvelles restrictions. Les autorités ont continué d’arrêter arbitrairement des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes indépendants, des blogueurs et blogueuses et d’autres dissident·e·s et de les faire emprisonner à l’issue de procès inéquitables. La répression des pratiques religieuses ismaéliennes s’est accentuée. La torture et d’autres formes de mauvais traitements restaient monnaie courante. Les Pamiris et les Roms (ou Jughis) étaient toujours en butte à la discrimination et à la marginalisation.
Contexte
La frontière avec le Kirghizistan est restée fermée à la suite des affrontements survenus en 2021 et 2022.
Les coupures de courant généralisées qui se sont produites dans plusieurs régions et la hausse des prix ont cette année encore été une source importante de préoccupation pour la population.
Les organisations internationales de défense des droits humains restaient de fait interdites au Tadjikistan, et les observateurs et observatrices locaux de la situation des droits humains étaient la cible de sévères représailles. En conséquence, il était particulièrement difficile de recueillir des informations sur le pays.
Liberté d’expression
Les rares médias indépendants, défenseur·e·s des droits humains, blogueurs et blogueuses qui restaient étaient obligés de pratiquer l’autocensure sous peine de s’exposer à des poursuites motivées par des considérations politiques.
Les autorités ont continué de réprimer les médias indépendants qui se montraient critiques à leur égard. En juillet, le portail d’information Pamir Daily News et le site internet New Tajikistan 2, affilié à Group 24, un groupe d’opposition faisant l’objet d’une interdiction arbitraire, ont été interdits en tant qu’« organisations extrémistes ». Cette désignation exposait les personnes coopérant avec ces médias au Tadjikistan à un risque de responsabilité pénale.
Le 26 mai, Khourched Fozilov, un journaliste qui avait couvert des problèmes sociaux dans la vallée du Zeravchan, a été condamné à sept ans de prison pour sa participation présumée aux activités d’organisations interdites à l’issue d’un procès à huis clos qui s’est déroulé dans un centre de détention.
Des dissident·e·s en exil ont également été pris pour cible par le biais d’actes d’intimidation visant leurs familles restées au Tadjikistan. Des pressions ont ainsi été exercées sur les journalistes Anora Sarkorova et Roustami Joni, qui rendaient compte de violations des droits humains : selon certaines informations, leurs proches ont reçu des messages de menace et fait l’objet de manœuvres d’intimidation, d’interrogatoires et de poursuites pénales.
Liberté de réunion
Aucune manifestation de grande ampleur n’a été signalée depuis la répression violente exercée en 2022 contre des manifestant·e·s dans le district de Rouchan (région autonome du Haut-Badakhchan). Les autorités auraient réprimé les rassemblements physiques et surveillé les activités en ligne organisés à la mémoire des victimes à l’occasion du premier anniversaire de cette répression.
Des proches de membres de l’opposition vivant et manifestant à l’étranger ont aussi fait l’objet de représailles. D’après Human Rights Watch, une cinquantaine de personnes ont été arrêtées et interrogées au Tadjikistan après que des membres de leur famille ont participé à des manifestations lors de la visite du président, Emomali Rahmon, en Allemagne au mois de septembre. Des organes de sécurité tadjiks auraient aussi intimidé des militant·e·s de la diaspora qui protestaient contre l’expulsion d’Abdoullohi Chamsiddine (voir Détentions arbitraires et procès inéquitables) en exerçant des pressions sur leurs proches au Tadjikistan.
Liberté d’association
Le champ d’action des ONG restait très limité. Après les mesures de répression imposées dans le Haut-Badakhchan, cinq ONG ont été fermées sur décision de justice en raison de leurs soi-disant liens avec des groupes criminels. Parmi elles se trouvait l’Association des avocat·e·s du Pamir, dont le directeur, Manoutchehr Kholiknazarov, avocat et défenseur des droits humains, avait été condamné à 16 ans d’emprisonnement en 2022 à l’issue d’un procès inique[1]. Des centaines d’ONG partout dans le pays ont été contraintes de façon non officielle, par les organes de sécurité ou les autorités, de suspendre « volontairement » leurs activités ou de se dissoudre.
Les autorités ont également continué de diffamer des organisations informelles du Haut-Badakhchan en les qualifiant de groupes criminels.
Liberté de religion et de conviction
D’après certaines informations, le président, Emomali Rahmon, a signé en avril un décret autorisant les autorités à enterrer les dépouilles des personnes tuées au cours de prétendues « opérations anti-terroristes » dans des tombes anonymes, en des lieux choisis par l’État, non révélés à leurs familles et sans respect des rites religieux.
La répression des pratiques religieuses des ismaélien·ne·s, une minorité religieuse du Haut-Badakhchan, qui avait déjà pris de l’ampleur en 2022 avec la destruction de symboles religieux, la fermeture de lieux de culte et l’interdiction de fêtes religieuses, s’est intensifiée. L’État a continué d’ériger en infraction les prières collectives dans des habitations privées, de menacer les éducateurs et éducatrices religieux de poursuites et de confisquer des livres d’éducation religieuse, et a tenté, d’après certaines informations, de remplacer certaines pratiques par celles de la majorité musulmane sunnite.
Détentions arbitraires et procès inéquitables
Les détentions arbitraires et les procès inéquitables restaient monnaie courante. Le 23 janvier, plusieurs procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme [ONU] ont fait part de leur inquiétude concernant la définition trop large de ce qui constituait une organisation terroriste au regard de législation tadjike. Les accusations liées à des actes présumés de terrorisme pouvaient donner lieu à l’application de pouvoirs exceptionnels, de mesures d’urgence et de restrictions des procédures régulières.
Les ressortissant·e·s tadjiks vivant à l’étranger et renvoyés de force au Tadjikistan risquaient l’emprisonnement à l’issue de procès iniques. Le 18 janvier, l’Allemagne a expulsé Abdoullohi Chamsiddine, un émigré proche de plusieurs dirigeants du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan, un parti politique injustement interdit. D’après des sources non officielles, à son arrivée au Tadjikistan, cet homme a été soumis à une disparition forcée puis placé en détention à l’isolement par le Comité de sûreté de l’État. Le 29 mars, un tribunal de la capitale, Douchanbé, l’a condamné dans le cadre d’un procès à huis clos à sept ans de réclusion pour avoir « appelé publiquement à un changement violent de l’ordre constitutionnel »[2].
En juillet, la peine d’emprisonnement de l’avocat spécialisé dans la défense des droits humains Bouzourgmekhr Yorov a été prolongée de 10 ans. Accusé fallacieusement de représenter des membres du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan, qui faisait l’objet d’une interdiction arbitraire, il avait été condamné en 2016 à 28 ans de réclusion, une peine qui avait par la suite été réduite de 10 ans.
D’après certaines informations, le 29 septembre, Nizomiddine Nasriddinov, militant ayant coopéré avec l’organisation interdite Group 24, a été condamné à huit ans et demi de prison pour une accusation similaire, après avoir été renvoyé de force vers le Tadjikistan par le Bélarus le 8 janvier. Dans ce cas comme dans le précédent, aucune preuve ni information officielle concernant le procès n’a été rendue publique.
Torture et autres mauvais traitements
La torture et d’autres formes de mauvais traitements demeuraient très répandues. D’après les informations disponibles, plusieurs organes de sécurité, en particulier le Comité de sûreté de l’État et la 6e direction du ministère de l’Intérieur, y avaient recours dans le but d’extorquer des « aveux » et d’incriminer des tiers. Parmi les méthodes utilisées figuraient semble-t-il l’utilisation d’aiguilles enfoncées sous les ongles, les décharges électriques, les coups, les violences sexuelles, la privation de sommeil, la suffocation au moyen de sacs en plastique et l’injection de drogues.
Abdoukakhkhor Rozikov est mort en garde à vue le 2 janvier dans la ville de Koulob. Sa mort a été attribuée par de nombreuses personnes à des actes de torture, et des photos et vidéos de son corps ont corroboré ces allégations. Dans une démarche rare visant à amener les responsables à répondre de leurs actes, trois anciens policiers ont été condamnés le 25 juillet à 14 ans de réclusion chacun pour leur implication dans sa mort.
Des personnes détenues ont cette année encore signalé des mauvais traitements, notamment des coups, un manque d’accès à la nourriture et à l’eau et des cellules froides et humides. Un grand nombre de détenu·e·s seraient atteints de la tuberculose mais ne recevraient pas les traitements médicaux adéquats.
Discrimination
Pamiris
En avril, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale [ONU] a exprimé son inquiétude au sujet de la marginalisation et de la discrimination dont faisaient l’objet les Pamiris, une minorité ethnique et religieuse résidant principalement dans le Haut-Badakhchan. Bien que le Tadjikistan ait adopté une Loi sur l’égalité et l’élimination de toutes les formes de discrimination en 2022, celle-ci ne protégeait pas les Pamiris car les autorités refusaient de les reconnaître en tant que groupe ethnique et linguistique distinct. Le processus d’assimilation forcée de la population pamiri s’est poursuivi, l’utilisation des langues pamiriennes et l’affirmation de l’identité pamiri étant interdites dans les institutions publiques, les écoles, les médias, les performances artistiques et les espaces publics.
Roms (ou Jughis)
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a également souligné la nécessité de mettre en place une stratégie exhaustive pour faire face à la marginalisation de la population rom/jughi et aux préjugés véhiculés à leur encontre dans les médias. La discrimination structurelle dont cette population faisait l’objet était particulièrement flagrante dans le domaine de l’éducation, le taux de scolarisation des enfants roms/jughis étant très faible.
Droit à un environnement sain
Le Tadjikistan dépendait de l’aide financière internationale pour atteindre ses objectifs climatiques, et ses projets en faveur de l’adaptation au changement climatique étaient majoritairement pilotés par des organisations internationales. En août, la Banque mondiale a constaté d’importants problèmes de santé et des pertes économiques significatives dus à la pollution de l’air, celle-ci ayant contribué au taux de mortalité à hauteur de 78 décès pour 100 000 habitant·e·s.
[1]Tajikistan : Prominent members of Pamiri minority arbitrarily detained, tortured and unfairly convicted, 21 septembre
[2]Un dissident tadjik expulsé et condamné, 11 avril