Contexte
En février, l’Algérie a rappelé son ambassadeur en poste en France après que la militante algérienne Amira Bouraoui eut fui dans ce pays. Les autorités ont alors engagé des poursuites contre six personnes, dont Amira Bouraoui et sa mère, sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, notamment pour « organisation d’immigration clandestine » et « constitution d’une association de malfaiteurs ».
En mars, à l’issue de l’examen périodique universel de l’Algérie, le pays a accepté les recommandations l’invitant à modifier sa législation répressive relative aux rassemblements publics et aux manifestations, ainsi que l’article de loi mettant les violeurs hors de cause s’ils épousaient leur victime. Il a par contre rejeté la recommandation visant à modifier les dispositions trop larges du Code pénal permettant de poursuivre en justice les personnes qui exerçaient pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression et de réunion[1].
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association s’est rendu en Algérie en septembre pour y évaluer la situation, et la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme a effectué une visite dans le pays en décembre.
Liberté d’expression
Les autorités ont poursuivi en justice et condamné plusieurs journalistes, au moins un militant et un chercheur en géopolitique, après avoir enquêté sur eux en raison de critiques qu’ils avaient exprimées, principalement en ligne. En avril, elles ont fermé au moins une radio et un journal en ligne[2].
Le 2 avril, un tribunal algérien a ordonné la dissolution du groupe Interface Média, dirigé par le journaliste Ihsane El Kadi, et de ses deux organes d’information, Radio M et le site Maghreb émergent. Il a également infligé au groupe une amende de 10 millions de dinars algériens (environ 73 862 dollars des États-Unis) à verser à l’Autorité de régulation de l’audiovisuel. En juin, une cour d’appel a condamné Ihsane El Kadi à sept ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, en raison de son travail de journaliste, notamment de ses articles pour le quotidien français La Croix.
Le 4 juillet, un tribunal à Alger a condamné à trois ans d’emprisonnement et à une amende le militant amazigh Slimane Bouhafs pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », une accusation infondée liée à ses publications en ligne[3].
Le 13 août, les médias ont annoncé le retrait du film Barbie des salles de cinéma algériennes pour « atteinte à la morale ».
En août, les autorités ont promulgué la Loi organique no 23-14 relative à l’information, qui imposait des règles indues en matière de licence et de propriété. Elle prévoyait par exemple que les médias soient exclusivement détenus par des personnes de nationalité algérienne. Elle comprenait des dispositions vagues et de large portée qui interdisaient notamment aux journalistes de publier « des informations fausses » ou « de faire l’apologie du colonialisme, de porter atteinte à la mémoire nationale et aux symboles de la guerre de libération nationale ». Elle prévoyait également de lourdes amendes et la confiscation de biens pour tout média recevant des financements étrangers, en dehors des fonds destinés au paiement des abonnements et de la publicité.
Le 26 octobre, la cour d’appel de la ville de Constantine, dans l’est de l’Algérie, a condamné Mustapha Bendjama à 20 mois d’emprisonnement, dont 12 avec sursis, pour avoir reçu des fonds de l’étranger « susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’État » et pour « publication d’informations ou de documents classifiés sur un réseau électronique », en lien avec ses activités de journaliste. Ce tribunal a également condamné Raouf Farrah à la même peine sur la base des mêmes accusations, pour avoir collecté de l’argent pour des personnes en détention et pour son travail de chercheur.
Liberté d’association
Les autorités ont intensifié la répression exercée contre des groupes indépendants, ordonnant la fermeture de deux organisations de défense des droits humains et suspendant au moins un parti politique.
Le 23 janvier, à Béjaïa, une ville de l’est de l’Algérie, les autorités ont mis le Centre de documentation et d’information en droits de l’homme de la LADDH sous scellés, invoquant une décision judiciaire ayant ordonné la dissolution de la LADDH. La direction de la Ligue n’avait appris qu’en janvier l’ordre de dissolution, qui datait de juin 2022 et qui avait été prononcé à la suite d’une plainte déposée par le ministère de l’Intérieur.
Le 30 janvier, à Tizi Ouzou, également dans l’est de l’Algérie, les autorités ont procédé à la fermeture administrative de la Maison des droits de l’homme et du citoyen, qui était affiliée à la LADDH depuis 1990 et qui tenait un centre de documentation et une bibliothèque[4].
En février, Abderrahmane Zitout a entamé une troisième grève de la faim pour protester contre la prolongation de sa détention provisoire en lien avec les activités militantes de son frère[5], Mohamed Larbi Zitout, membre de Rachad, une formation politique que les autorités avaient arbitrairement qualifiée de « terroriste » en février 2022.
Le 23 février, le Conseil d’État, la plus haute instance administrative du pays, a suspendu la formation politique Mouvement démocratique et social et ordonné la fermeture de son siège.
En septembre, les autorités ont de façon arbitraire empêché, pour la deuxième année consécutive, le parti politique Rassemblement pour la culture et la démocratie d’organiser son université d’été, qui devait se tenir du 28 septembre au 1er octobre dans la ville de Batna.
Liberté de réunion pacifique
Les autorités ont continué de restreindre indûment le droit de réunion pacifique, notamment en procédant à des arrestations en amont de la tenue de manifestations annoncées.
Au moins 40 militant·e·s, dont Soheib Debbaghi, Mohamed Tadjadit et l’avocat Sofiane Ouali, ont été arrêtés le 20 août, selon le Comité national pour la libération des détenus. Le but de cette arrestation aurait été d’empêcher un rassemblement pacifique qui devait se tenir à Ifri, dans l’est de l’Algérie, en commémoration du Congrès de la Soummam de 1956, un événement marquant de l’histoire de la lutte du pays pour l’indépendance. Ces personnes ont été libérées le jour même.
Le 8 septembre, un tribunal d’Amizour, dans le nord de l’Algérie, a placé sous contrôle judiciaire le militant politique Khaled Tazaghart, a confisqué son passeport et lui a interdit de voyager, sur la base d’éléments controuvés l’accusant de « diffusion de fausses informations ». Il avait publié sur Facebook des appels à un rassemblement pacifique en mémoire des victimes des feux de forêt en Algérie.
Torture et autres mauvais traitements
Les autorités judiciaires ont continué de ne pas tenir compte de témoignages présentés devant des tribunaux faisant état d’actes de torture.
En juillet, un tribunal d’Alger a condamné l’ancien militaire et lanceur d’alerte Mohamed Benhlima à sept ans d’emprisonnement et à une amende. Mohamed Benhlima avait demandé l’asile en Espagne en 2019 avant d’être extradé vers l’Algérie en 2021. Lors d’une audience le 12 juillet, il a déclaré devant la cour que des responsables de l’application des lois l’avaient torturé en le dénudant, en lui attachant les jambes et les bras et en déversant sur lui de l’eau froide. Il a également dit avoir été menacé, frappé et soumis à un harcèlement sexuel. Le juge n’a pas ordonné d’enquête sur ces allégations.
Liberté de religion et de conviction
Les autorités ont continué de recourir à l’ordonnance no 06-3, qui établissait des restrictions pour les religions autres que l’islam sunnite. Elles ont fermé au moins deux églises, ce qui portait à 31 le nombre d’églises fermées depuis 2018.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
Les autorités n’ont pas modifié la Loi no 08-11 du 25 juin 2008 de manière à interdire explicitement les expulsions collectives du territoire. Elles n’ont pas non plus adopté de loi assurant la mise en œuvre de la Convention relative au statut des réfugiés [ONU] et de son Protocole facultatif.
Selon la Direction de la surveillance du territoire du Niger, un organe de la police nationale nigérienne, entre janvier et décembre l’Algérie a expulsé de façon sommaire vers le Niger au moins 18 302 personnes migrantes originaires pour la plupart d’Afrique de l’Ouest.
Droits des femmes
Le Code pénal et le Code de la famille continuaient de contenir des dispositions illégalement discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage, de mariage, de divorce, de garde des enfants et de tutelle.
En mai, les autorités ont promulgué la Loi no 23-04 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes, qui mentionnait « la prostitution d’autrui », l’exploitation sexuelle et le mariage forcé. Les infractions figurant dans cette loi étaient passibles d’amendes et de peines allant jusqu’à 30 ans d’incarcération, voire de la réclusion à perpétuité en cas d’actes de torture ou de violences sexuelles infligées à la victime.
Le groupe militant Féminicides Algérie a recensé au moins 36 féminicides. Des associations de défense des droits des femmes ont continué de demander que le féminicide soit érigé en infraction pénale.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Le Code pénal continuait de réprimer les relations sexuelles consenties entre adultes de même sexe, qui étaient passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et d’une amende.
En janvier, le ministère du Commerce a lancé une campagne contre tous les produits contenant des « couleurs et symboles attentatoires aux valeurs morales », faisant ainsi référence aux couleurs de l’arc-en-ciel du mouvement LGBTI.
Le 10 août, l’Autorité de régulation de l’audiovisuel a suspendu pour une durée de 20 jours les programmes d’Essalam TV, une chaîne de télévision privée algérienne, en raison de la diffusion d’un film montrant un mariage entre deux hommes, ces scènes ayant été jugées « contraires aux préceptes de l’islam et aux mœurs de la société algérienne ».
Droits des travailleuses et travailleurs
En mai, les autorités ont promulgué la Loi no 23-02, qui restreignait le droit de former un syndicat. Ce texte permettait aux pouvoirs publics de rejeter une demande de constitution d’une organisation syndicale au titre de dispositions formulées en termes imprécis se référant « à l’unité nationale, aux valeurs [et] aux constantes nationales ». Il leur permettait également de dissoudre un syndicat pour divers motifs, notamment en cas de « persistance dans le recours à des grèves illicites », et de punir d’une amende tout syndicat qui aurait adhéré à une organisation syndicale internationale, continentale ou régionale sans les en informer. De plus, il punissait d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et d’une amende toute acceptation de dons ou de legs provenant de l’étranger sans l’accord préalable de l’autorité compétente.
Droit à un environnement sain
En avril, l’Algérie a connu une vague de chaleur extrême qui, selon la plateforme World Weather Attribution, aurait été « presque impossible sans le changement climatique ». En juillet, au moins 140 feux de forêt ont fait des ravages dans 17 régions, tuant au moins 34 personnes et en déplaçant 1 500 autres[6].
Peine de mort
Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort. La dernière exécution remontait à 1993.
[1]« Algérie/Maroc. De graves problèmes persistent malgré l’examen de la situation des droits humains par l’ONU », 6 avril
[2]« Algérie. La condamnation d’un journaliste illustre une nouvelle fois l’escalade de la répression contre les médias », 3 avril
[3]Algérie. Un militant condamné à la suite d’une expulsion, 29 août
[4]« Algérie. La décision de dissoudre la principale organisation de défense des droits humains doit être annulée », 8 février
[5]Algérie. Le frère emprisonné d’un militant observe une grève de la faim, 20 février
[6]« L’appel de plusieurs président·e·s à lutter contre la crise climatique souligne la nécessité d’abandonner les combustibles fossiles », 3 août