Communiqué de presse

Espagne. De nouvelles informations font état d’un recours excessif à la force par la police contre des manifestants

Lundi 22 août, Amnesty International a exprimé sa préoccupation face aux récentes informations faisant état d’un recours excessif à la force par des agents de police intervenant pour disperser des manifestants vraisemblablement pacifiques du mouvement des « indignés », à Madrid.

Dans une lettre remise le 22 août au matin à María Dolores Carrión Martín, déléguée du gouvernement espagnol auprès de la Communauté de Madrid, Amnesty International s’est interrogée quant à l’usage de la force lors de l’intervention de la police sur l’avenue de la Castellana, dans la nuit du 4 au 5 août, ainsi sur la place Puerta del Sol et ses environs, les 17 et 18 août. L’organisation a demandé à la déléguée de préciser quelles mesures ont été prises en vue d’enquêter sur ces événements et d’empêcher qu’ils ne se reproduisent.

Dans la soirée du jeudi 4 août, plusieurs centaines de manifestants ont convergé vers le ministère de l’Intérieur, situé avenue de la Castellana, pour protester contre l’évacuation et le bouclage de la place Puerta del Sol trois jours plus tôt. Selon les médias, quelque 800 manifestants se trouvaient devant le ministère aux environs de 23 heures lorsqu’ils ont été chargés à plusieurs reprises par des policiers de la brigade antiémeutes. Les médias précisent que la réaction des forces de l’ordre a été déclenchée par des manifestants qui tentaient de placarder des affiches sur les grilles du ministère. Cependant, d’après les témoignages recueillis par Amnesty International, les policiers auraient chargé les manifestants sans distinction, y compris ceux qui protestaient pacifiquement. Sur des images diffusées sur Internet, on voit des membres de la brigade antiémeutes en train d’asséner des coups de matraque à des manifestants qui lèvent les mains et ne semblent opposer aucune résistance. Selon les médias, 20 personnes dont sept policiers ont été blessées lors de l’intervention des forces de l’ordre.

Angela Jaramillo, 58 ans, a indiqué à Amnesty International qu’elle se trouvait seule près d’un banc sur l’avenue de la Castellana, lorsqu’elle a vu environ 10 policiers de la brigade antiémeutes avancer en sa direction. Elle affirme s’être comportée de façon pacifique et avoir levé les mains en l’air. Mais une fois les agents des force de l’ordre arrivés à sa hauteur, l’un d’entre eux, une policière, l’a frappée au visage avec son bouclier, la faisant tomber sur le banc, avant de lui donner un coup de matraque au genou gauche qui lui a valu une contusion pour laquelle elle a dû se faire soigner ultérieurement. D’après Angela Jaramillo, environ cinq témoins de la scène sont venus lui porter assistance. L’une de ces personnes a alors élevé la voix contre les policiers qui s’éloignaient, leur reprochant leur comportement. Les policiers ont aussitôt fait demi-tour en direction des témoins et leur ont asséné des coups de matraque. Le récit d’Angela Jaramillo a été confirmé par l’une des personnes présentes lors des faits, une femme que les policiers ont également frappée à plusieurs reprises avec des matraques et qui a dû recevoir des soins pour des blessures à la nuque, aux hanches et aux jambes. Le lendemain, les deux femmes ont déposé plainte contre la police.

D’autres témoins ont également indiqué à Amnesty International que des membres de la brigade antiémeutes avaient frappé plusieurs manifestants avec leurs matraques, et que des coups avaient continué à être portés alors que ces manifestants se comportaient de façon pacifique et avaient signalé aux policiers la présence d’enfants, de personnes âgées et de personnes handicapées parmi eux. Amnesty International est également préoccupée par des témoignages concordants selon lesquels les policiers de la brigade antiémeutes ne portaient aucun élément d’identification sur leurs casques ou leurs uniformes, en violation de l’instruction n° 13/2007 du secrétaire d’État à la Sécurité.

Au vu de ces allégations, Amnesty International a demandé à la déléguée du gouvernement auprès de la Communauté de Madrid d’apporter des précisions concernant : l’ouverture d’une quelconque enquête sur l’usage de la force par la police dans la nuit du 4 au 5 août ; l’engagement éventuel de procédures disciplinaires à l’encontre des agents de police qui ne portaient pas de numéros d’identification visibles au cours de l’intervention ; les consignes et les instructions que reçoivent les policiers concernant le recours à la force, notamment l’usage des matraques, pour maintenir l’ordre lors des manifestations.

Amnesty International est également préoccupée par des informations plus récentes faisant état d’un recours excessif à la force par des policiers contre des manifestants et des journalistes sur la place Puerta del Sol et ses environs, les 17 et 18 août. Des séquences vidéo filmées au cours ces deux jours et largement diffusées sur Internet montrent des membres de la brigade antiémeutes en train de frapper des manifestants et des journalistes vraisemblablement pacifiques. Les médias indiquent qu’au moins 11 personnes ont signalé avoir été blessées. Selon les déclarations faites à la presse par María Dolores Carrión Martín, des enquêtes internes ont été ouvertes pour certains cas dans lesquels des policiers pourraient avoir commis des actes de violence. Aussi, Amnesty International a-t-elle demandé à la déléguée du gouvernement auprès de la Communauté de Madrid de préciser la nature et la portée de ces enquêtes, mais aussi de garantir que soient menées sans délai des investigations indépendantes, approfondies et efficaces sur toutes les allégations d’usage excessif de la force par la police, et de rendre public le résultat de ces procédures.

Amnesty International reconnaît qu’il incombe à la police de garantir l’ordre public et de faire respecter les règles du droit. Toutefois, les normes internationales relatives aux droits humains destinées à protéger les droits à la vie et à l’intégrité physique et morale disposent que les agents chargés de l’application des lois sont tenus d’éviter ou de limiter l’usage de la force ainsi que d’appliquer, en toutes circonstances, les principes de proportionnalité et de nécessité. Amnesty International appelle les autorités espagnoles à respecter à tous moments leurs obligations découlant du droit international relatif aux droits humains ainsi que les normes internationales relatives au maintien de l’ordre, notamment les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.


Informations supplémentaires

Depuis le 15 mai 2011, des rassemblements ont lieu dans plusieurs villes d’Espagne pour exiger un changement du système politique et des réformes dans certains domaines dont l’économie, l’emploi, le logement, l’éducation et la santé.

Amnesty International a déjà exprimé sa profonde inquiétude face aux informations et autres éléments faisant état d’un recours excessif à la force sur la place de Catalogne à Barcelone le 27 mai au matin, lorsque des membres de la brigade antiémeutes des Mossos d’Esquadra (la police autonome catalane) sont intervenus pour disperser des manifestants. D’après des séquences vidéo et des témoignages et des documents concordants, des membres des Mossos d’Esquadra ont frappé à plusieurs reprises avec des matraques des manifestants vraisemblablement pacifiques et tiré des balles en caoutchouc et des cartouches à blanc. Amnesty International a recueilli et publié des informations sur les cas de personnes qui ont signalé des blessures résultant d’un recours excessif à la force par des responsables de l’application des lois, et qui ont remis des témoignages officiels en vue d’obtenir justice et réparation.

Amnesty International a déjà fait part de ses préoccupations face aux informations selon lesquelles la police a recouru à une force excessive lors de manifestations à Madrid le 15 mai, à Lérida le 27 mai, à Valence le 9 juin et à Barcelone le 15 juin.

Le 7 juillet, Amnesty International a écrit au ministre espagnol de l’Intérieur de l’époque, Alfredo Pérez Rubalcaba, et au conseiller à l’Intérieur du gouvernement autonome de Catalogne, Felip Puig i Godes, pour exprimer sa profonde inquiétude face aux informations qui lui étaient parvenues. Depuis, plus de 43 000 personnes ont signé une pétition mise en ligne par Amnesty International Espagne pour demander aux autorités espagnoles d’enquêter sur les violences présumées, d’engager des procédures contre les policiers qui ont fait usage d’une force excessive, d’accorder des réparations aux victimes, de mettre en place une commission chargée d’enquêter sur les opérations de maintien de l’ordre lors de la manifestation du 27 mai à Barcelone et de respecter à tous moments leurs obligations découlant du droit international relatif aux droits humains ainsi que des normes internationales relatives au maintien de l’ordre. À ce jour, aucune réponse n’a été reçue.

Le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois, adopté par l’Assemblée générale des Nations unis en 1979, dispose en son article 3 : « Les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions. » De plus, conformément à l’article 5 des Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, ces derniers « [e]n useront avec modération et leur action sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre » et « [s]’efforceront de ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et de respecter et de préserver la vie humaine ». Par ailleurs, la législation espagnole prévoit que les responsables de l’application des lois sont tenus de respecter les principes de « cohérence », d’« opportunité » et de « proportionnalité » dans l’exercice de leurs fonctions (Loi organique 2/1986 relative aux forces de police et de sécurité, article 5-2-c).

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