KENYA - COUP DE PROJECTEUR SUR UN SCANDALE

DES RÉSEAUX DE MILITANTS AGISSENT POUR DÉMASQUER LES EXPULSIONS ILLÉGALES À L’ÉCHELLE LOCALE ET INTERNATIONALE.

Une dizaine de milliers de personnes vivent à Deep Sea, l'un des plus petits bidonvilles de Nairobi, au Kenya. Ils ont constamment peur de faire l'objet d'une expulsion illégale et subite. Bien que tout ce quartier ait déjà été rasé à trois occasions, ses habitants persistent à revenir, résistant à toutes les tentatives de détruire cette communauté pleine de vitalité.

Au coeur de Nairobi, au Kenya, un mouvement populaire gagne du terrain et monte en puissance. Son but ? Empêcher que des personnes ne soient expulsées illégalement de leur domicile et leur venir en aide lorsque cela se produit.

« J’ai assisté à un nombre incalculable d’expulsions forcées », raconte Naomi Barasa, qui a grandi à Korogocho, le deuxième bidonville du Kenya. Organisatrice de campagnes à Amnesty International Kenya, Naomi travaille en lien étroit avec l’équipe de réaction rapide de la capitale depuis 2009. La majorité de ses 1 000 membres environ sont des militants qui vivent dans les bidonvilles.

« Les expulsions sont toujours brutales au Kenya, explique-t-elle. Les gens sont surpris la nuit ou très tôt le matin. Auparavant, des marques rouges ou des croix ont pu être tracées sur les habitations. S’ensuit un important déploiement policier. Il peut arriver que 3 000 personnes soient sommées de quitter les lieux trois heures seulement avant que les bulldozers n’arrivent et ne cassent tout. »

DES RÊVES BRISÉS

Les expulsions sont musclées et dévastatrices.
« Fin octobre, une expulsion a débuté à 4 heures du matin, alors que c’était un jour d’école, en pleine période d’examens, relate Naomi. Ils ont même écrasé des poulets. »

Les femmes sont souvent en première ligne face aux expulsions et assument leurs conséquences. « Après une expulsion, nous avons vu des femmes fouiller les décombres à la recherche de pulls pour leurs enfants, parce qu’il pleuvait, raconte Naomi. Une autre personne creusait à la recherche d’un certificat. »

« J’ai vu les répercussions considérables des expulsions, confie Paul Helsloot, coordonnateur Campagnes à Amnesty Pays-Bas. Beaucoup d’habitants des bidonvilles gagnent leur vie en vendant des plats chauds ou des cigarettes. C’est une économie très vivante et, quand elle est détruite, les gens perdent non seulement leur source de revenus, mais aussi leurs réseaux d’entraide – les gens qui leur viennent en aide quand ils sont dans le besoin et s’occupent des enfants.

« Du jour au lendemain, les enfants sont privés d’école et n’y retournent parfois jamais, brisant le rêve de familles qui aspiraient à une vie meilleure pour leurs enfants », poursuit-il.

UNE MÉTHODE CLASSIQUE D’AMNESTY

Janefiver Nafuna, du bidonville de Deep Sea, à Nairobi, fait partie du millier de militants de l'équipe de réaction rapide de la capitale. Ils s'associent à Amnesty Kenya pour réagir rapidement lorsque des habitants subissent une expulsion illégale.
Amnesty Pays-Bas est membre fondateur du réseau international de réaction rapide aux expulsions forcées. « Il nous fallait un dispositif qui associe une action rapide et coordonnée et les outils traditionnels d’Amnesty », explique Paul.

Il y a 40 ans, Amnesty faisait parvenir à un réseau d’auteurs de lettres sa première action urgente en faveur d’une personne menacée de violations des droits humains. Aujourd’hui, le RRN reprend cette idée pour avertir des réseaux de militants dans plus de 20 pays lorsqu’une population est menacée d’expulsion forcée.

Inscrite dans le cadre de l’action d’Amnesty en faveur des droits économiques, sociaux et culturels, la campagne sur les expulsions forcées est actuellement axée sur les pays suivants : Roumanie, Italie, Serbie, Kenya, Nigeria, Ghana, Cambodge et Brésil.

Au moindre signe annonciateur d’une expulsion, l’équipe de recherche du Secrétariat international d’Amnesty évalue la menace avant d’envoyer une alerte par courriel à tous les bureaux ou sections d’Amnesty membres du RRN, en leur expliquant ce qu’il convient de faire, comment et quand.

Les sections demandent ensuite à leur réseau national de militants de réagir, par exemple en envoyant des courriels ou en signant des pétitions.

Le rayon d’action potentiel est énorme : Amnesty Pays-Bas à elle seule possède un réseau de correspondants électroniques fort de 80 000 militants.

« Une action visait le gouverneur de l’État de Rivers, au Nigeria, raconte Paul (les habitants d’un quartier situé au bord de l’eau, à Port Harcourt, étaient alors menacés d’expulsion). Nous avons publié des messages sur sa page Facebook, informé nos ambassades – l’ambassadeur des Pays-Bas a envoyé un courrier et rendu visite aux habitants, et l’expulsion a été stoppée. »

GAGNER DU TEMPS

La méthode de réaction rapide ne règle pas définitivement le problème. « Le quartier était sauvé, mais c’est alors que le gouverneur a subitement entrepris d’en expulser un autre. Il s’agit donc d’un dispositif d’urgence qui permet de gagner du temps pour mener des actions de plus long terme en donnant aux habitants les moyens d’agir, en les formant et en les mobilisant en vue de trouver une solution durable. »

Ce qui nous ramène à l’action de Naomi, à Nairobi, où Amnesty fait campagne aux côtés de la RRT en faveur d’une loi sur les expulsions et les réinstallations conforme au droit international relatif aux droits humains. Bloqué au Parlement depuis 2010, le projet de loi pourrait être bientôt présenté au nouveau gouvernement kenyan.

Au Kenya, il est très difficile de stopper les expulsions, précédées par des préavis extrêmement courts et peut-être même facilitées par des incendies. « C’est une manière de désorganiser et de disperser les gens, explique Naomi, parce que, quand vous êtes dispersés, vous ne pouvez pas réagir. »

UNE RÉACTION ÉNERGIQUE

La vie quotidienne à Deep Sea : une femme se fait faire des nattes dans un salon de coiffure en plein air. Quand les gens sont chassés de chez eux illégalement, ils perdent leur domicile, mais aussi leur travail et leur revenu, ainsi que des réseaux de soutien importants - des voisins qui peuvent garder leurs enfants, des relations amicales.
Mais les militants kenyans de la RRT réagissent énergiquement. « Ils se documentent beaucoup pour recenser les expulsions. Nous menons également des campagnes de sensibilisation actives sur le droit au logement et les moyens de résister. Ainsi, le jour où les rumeurs d’expulsion se vérifient, les gens savent qu’il s’agit d’une violation des droits humains. »

« Même si l’expulsion a déjà eu lieu, il est très important de se rendre là-bas, de s’indigner avec les gens et de leur donner de l’espoir », ajoute Naomi. Elle raconte que la RRT s’est procuré des couvertures auprès de personnes bienveillantes dans des marchés aux puces et a aidé des gens à remplacer leurs médicaments lorsqu’une expulsion les a laissés à la rue sans ressources. « C’est vraiment très important pour les victimes », confie-t-elle.

Soutenue par Amnesty Kenya, la RRT prévoit aujourd’hui d’étendre son réseau dans tout le Kenya et de trouver des moyens de se rapprocher du RRN international auquel Paul participe. « Nos membres s’intéressent de près au militantisme international, explique Naomi. La plupart n’ont pas accès à Internet et aux nouvelles technologies, mais nous avons beaucoup de gens qui peuvent écrire des lettres à l’échelle locale. Des gens d’ici ont déjà envoyé des courriers contre les expulsions au Nigeria et au Zimbabwe, ont reçu des visites de solidarité d’autres pays et ont noué des liens. »

Il faut rendre le réseau international encore plus fort, estime Paul. « Il faut y associer davantage de sections à travers le monde et être plus vigilants sur les expulsions qui surviennent à des périodes très peu pratiques – Noël, les vacances d’été, le week-end – où il est quasiment impossible de mobiliser les gens. Il faut être créatif, y compris en dehors des heures de bureau. »

L’objectif des militants reste on ne peut plus clair. Paul le résume ainsi : « Nous braquons le projecteur sur l’expulsion et en faisons un scandale. »

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