Rapport Annuel 2016

Indonésie

République d’Indonésie
Chef de l’État et du gouvernement : Joko Widodo


Les forces de sécurité faisaient l’objet d’allégations de violations des droits humains, notamment de recours à une force excessive ou injustifiée. Des manifestants pacifiques ont été arrêtés de façon arbitraire tout au long de l’année, en particulier en Papouasie. Le gouvernement a limité les activités devant marquer le 50e anniversaire de graves violations des droits humains commises en 1965-1966. Dans tout le pays, des minorités religieuses ont été visées par des actes de harcèlement et d’intimidation ainsi que des agressions. En Aceh, un nouveau Code pénal islamique est entré en vigueur en octobre. Il élargissait le champ d’application des châtiments corporels à certaines relations sexuelles consenties. Quatorze personnes ont été exécutées.

CONTEXTE

En dépit des engagements pris pendant sa campagne électorale en 2014, le président Joko Widodo n’a rien fait concernant les violations des droits humains commises par le passé. Les restrictions à la liberté d’expression se sont aggravées et le recours à la peine de mort pour les infractions à la législation sur les stupéfiants a augmenté.

POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ

Des informations continuaient de faire état de violations des droits humains commises par la police et l’armée, notamment des homicides illégaux, un recours excessif et injustifié à la force, des actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En mars, des membres de la brigade de police mobile ont attaqué des habitants du village de Morekau, dans le district de Seram Bagian Barat (province des Moluques), car ces derniers avaient reproché à des agents de la brigade qui étaient entrés dans le village de déranger une cérémonie religieuse. Treize personnes ont été grièvement blessées. Personne n’a été inculpé alors que le responsable de la police régionale avait promis une enquête.
En août, des militaires qui n’étaient pas en service ont ouvert le feu devant une église de Timika, dans la province de Papouasie, et abattu deux personnes. À Timika également, la police a tiré sur deux lycéens non armés pendant une « opération de sécurité » en septembre, tuant l’un d’eux.
À Djakarta, la police provinciale a fait usage d’une force injustifiée contre des manifestants qui participaient à un rassemblement pacifique de travailleurs en octobre. Les policiers ont arrêté et frappé 23 manifestants, ainsi que deux militants apportant une aide juridique, qui ont indiqué avoir été blessés à la tête, au visage et au ventre. La police a prétendu que les manifestants étaient responsables de ces violences. Ils ont tous été libérés après avoir été inculpés de menaces à l’encontre de fonctionnaires et de refus de se disperser.

IMPUNITÉ

Plus de 10 ans après le meurtre de Munir Said Thalib, éminent défenseur des droits humains, les autorités n’avaient toujours pas traduit en justice tous les responsables présumés de cet homicide.
Le mois de septembre a marqué le 50e anniversaire de graves violations des droits humains commises en 1965-1966. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont recensé toute une série d’atteintes aux droits fondamentaux perpétrées pendant et après le coup d’État manqué de 1965 : homicides illégaux, actes de torture y compris des viols, disparitions forcées, esclavage sexuel et autres violences sexuelles, esclavage, arrestations et détentions arbitraires, déplacements forcés ou encore travaux forcés. On estime qu’entre 500 000 et un million de personnes ont été tuées au cours de cette période et que des centaines de milliers d’autres ont été maintenues en détention sans inculpation ni jugement, pour des durées allant de quelques jours à plus de 14 ans. Même s’il n’existait plus d’obstacle juridique empêchant les victimes de jouir pleinement de leur citoyenneté, la culture de l’impunité régnait toujours pour les auteurs de ces crimes.
En mai, le procureur général a annoncé que le gouvernement établirait un mécanisme non judiciaire, sous la forme d’un « comité de réconciliation », afin de résoudre le problème posé par les violations des droits humains commises par le passé. Les groupes de défense des droits humains ont accueilli cette décision comme une avancée modeste mais positive après des décennies d’impunité pour les exactions perpétrées sous le régime de l’ancien président Suharto (1965-1998). Les victimes et les ONG continuaient toutefois à craindre que ce processus n’accorde la priorité à la réconciliation, au détriment de la vérité et de la justice.
En 2015, les habitants de l’Aceh ont célébré le 10e anniversaire de l’accord de paix signé à Helsinki en 2005 entre le gouvernement et le Mouvement pour l’Aceh libre, une organisation indépendantiste armée. Cet accord avait mis fin à un conflit de 29 ans qui avait fait entre 10 000 et 30 000 morts, dont une grande partie de civils. En novembre, la Chambre des Représentants du peuple de l’Aceh a nommé une équipe chargée de désigner les membres de la Commission vérité et réconciliation pour l’Aceh, un organe mis en place pour examiner les atteintes aux droits fondamentaux commises pendant le conflit. Certaines des dispositions du règlement prévoyant la création de cette Commission n’étaient pas conformes au droit international et aux normes correspondantes. Son mandat se limitait au crime de génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre et n’incluait pas d’autres crimes relevant du droit international tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées [1].
Les enquêtes sur des fusillades ainsi que sur des actes de torture et d’autres mauvais traitements imputables à la police et à l’armée ont continué de stagner. Alors que Joko Widodo avait promis une enquête approfondie sur les événements de décembre 2014 au cours desquels les forces de sécurité ont abattu quatre étudiants dans le district de Paniai, personne n’avait été traduit en justice à la fin de l’année [2].

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Le prisonnier d’opinion Filep Karma a été libéré le 19 novembre après avoir passé plus de 10 ans derrière les barreaux pour avoir exprimé pacifiquement ses idées politiques. Il s’agit de la dernière mesure prise par les autorités dans le cadre d’efforts positifs mais limités en vue d’accroître la liberté dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale. En mai, le président a gracié cinq militants politiques de la province de Papouasie emprisonnés pour être entrés par effraction dans un complexe militaire, et il s’est engagé à gracier ou amnistier d’autres militants politiques.
Des prisonniers d’opinion, notamment Johan Teterissa aux Moluques, étaient toujours derrière les barreaux au titre des articles du Code pénal indonésien relatifs à la rébellion (« makar ») pour des manifestations pacifiques [3]. En Papouasie, au moins 27 personnes restaient emprisonnées en vertu de ces articles et les Moluques comptaient encore 29 prisonniers d’opinion.
Les arrestations et les incarcérations de militants pacifiques se sont également poursuivies dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale. En mai, les autorités ont arrêté 264 militants qui avaient organisé des manifestations pacifiques à l’occasion du 52e anniversaire du transfert par les Nations unies de la partie occidentale de l’île de Nouvelle-Guinée (Irian Jaya) sous l’autorité du gouvernement indonésien [4].
Deux cent seize membres du Comité national de Papouasie occidentale (KNPB) ont également été arbitrairement placés en détention pour avoir participé à des manifestations pacifiques en soutien à la candidature de la Papouasie au Groupe mélanésien Fer de lance, une organisation intergouvernementale du Pacifique sud. Si la plupart ont par la suite été libérés, 12 d’entre eux ont été inculpés, notamment au titre des lois sur la « rébellion », pour avoir participé à la manifestation [5].
Joko Widodo a annoncé en mai que les restrictions imposées aux journalistes étrangers qui demandaient à se rendre en Papouasie allaient être levées. À la fin de l’année, cette décision n’avait pas été pleinement mise en œuvre. Début octobre, trois militants papous qui avaient accompagné une journaliste française dans le district de Pegunungan Bintang, en Papouasie, pour couvrir les activités du KNPB ont été arrêtés et interrogés sur les activités de la journaliste par l’agent local des services d’immigration. Ils ont été maintenus en détention pendant 10 heures avant d’être libérés sans inculpation.
Tout au long de l’année, des condamnations de personnes exprimant pacifiquement leurs opinions, au titre des lois relatives à la diffamation, au blasphème et au
« discours de haine », ont continué à être signalées.
En mars, le tribunal de district de Bandung a condamné une femme à cinq mois de prison pour avoir écrit un message « privé » à un ami sur Facebook, dans lequel elle accusait son mari de la maltraiter. Ce dernier l’a dénoncée à la police après avoir découvert cette accusation en accédant à son compte. Elle a été inculpée au titre de l’article 27(1) de la Loi relative aux informations et aux transactions électroniques (Loi n° 11/2008) pour « transmission de contenu électronique portant atteinte aux bonnes mœurs » [6]. Trois autres personnes ont été déclarées coupables de diffamation aux termes de cette loi dans les provinces de Yogyakarta, de Sulawesi-Sud et de Java-Centre au cours de l’année.
Le gouvernement a continué de restreindre les activités commémorant les graves violations des droits humains commises en 1965-1966. En octobre, la police de Salatiga, dans la province de Java-Centre, a confisqué et brûlé des centaines d’exemplaires du magazine Lentera, dirigé par la faculté des sciences sociales et de la communication de l’université de Satya Wacana, à Salatiga, au motif qu’il comprenait une étude approfondie sur les violences et que sa couverture en commémorait le 50e anniversaire. Le même mois, le Festival des écrivains et lecteurs d’Ubud a annulé trois tables rondes consacrées à ces exactions après avoir été menacé par les autorités de voir son autorisation révoquée [7].
Au moins six personnes restaient détenues ou emprisonnées en application de la législation sur le blasphème. En janvier, six membres de Gafatar, un mouvement culturel national critiqué par des organisations islamiques qui l’accusaient de faire la promotion de croyances « déviantes », ont été arrêtés à Banda Aceh, dans la province de l’Aceh, et inculpés au titre de l’article 156 du Code pénal pour insulte à la religion. Le responsable du groupe a été condamné à une peine de quatre ans de prison.
En octobre, la police a adopté au niveau national une nouvelle circulaire (Surat Edaran n° SE/6/X/2015) sur le discours de haine.
Bien que ce texte porte sur des discours « visant à inciter à la haine ou à l’hostilité [envers] des personnes », les militants de la société civile craignaient qu’il puisse être utilisé pour inculper des personnes soupçonnées de diffamation et de blasphème.

LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION

Le harcèlement, les manœuvres d’intimidation et les agressions visant des minorités religieuses persistaient, encouragés par des lois et règlements discriminatoires, tant au niveau national que local.
En juillet, des membres de l’Église chrétienne évangélique (Gereja Injil di Indonesia, GIDI) ont incendié un lieu de culte musulman à Karubaga, dans le district de Tolikara, en Papouasie, où des musulmans célébraient l’Aïd al Fitr. Au départ, les membres de la GIDI s’étaient rassemblés pour se plaindre du bruit émanant de ce lieu de culte, qui gênait un événement de l’Église. Des policiers et des militaires chargés de la sécurité ont tiré dans la foule, tuant un homme. Des jeunes de la GIDI ont alors détruit le lieu de culte musulman et plusieurs boutiques des environs. Deux hommes ont été arrêtés pour incitation à la violence.
En octobre, des églises chrétiennes ont été attaquées par un groupe d’au moins 200 personnes dans le district d’Aceh Singkil après que les autorités locales eurent donné l’ordre de détruire 10 églises dans ce district, en citant des règlements pris au niveau de la province et du district pour restreindre les lieux de culte. Les assaillants ont incendié une église et tenté d’en attaquer une autre, avant d’en être empêchés par les forces de sécurité locales. Un assaillant a été tué pendant ces violences et 4 000 chrétiens environ ont fui immédiatement après en direction de la province de Sumatra-Nord. Dix personnes ont été arrêtées. Les autorités d’Aceh Singkil ont poursuivi leur projet de détruire les églises restantes [8].
En novembre, à Rembang, dans la province de Java-Centre, un lieu de culte d’une communauté religieuse autochtone locale a été incendié par une foule pendant des travaux de rénovation. Avant l’attaque, le dirigeant communautaire avait été menacé par une organisation islamique locale et le chef du district de Rembang lui avait également demandé d’arrêter les travaux de rénovation. À la fin de l’année 2015, personne n’avait été amené à rendre des comptes pour cette attaque.
La situation d’un certain nombre de minorités religieuses qui avaient été victimes de harcèlement, de violences et d’expulsions forcées demeurait incertaine. Trois cents membres d’une communauté de musulmans chiites n’avaient toujours pas pu rentrer chez eux à Sampang, dans la province de Java-Est, 131 personnes étaient sous le coup d’une condamnation à mort.

trois ans après l’expulsion de cette communauté par les autorités locales à la suite de menaces de violences de la part d’un rassemblement anti-chiite [9].
Des membres de l’église presbytérienne Yasmin et de l’église Filadelfia ont continué de se réunir devant le palais présidentiel à Djakarta, car leurs églises, situées respectivement à Bogor et Bekasi, restaient fermées. Bien que la Cour suprême ait annulé le retrait par l’administration de Bogor du permis de construire de l’église Yasmin en 2011, la municipalité de Bogor continuait de s’opposer à la réouverture du lieu de culte.

CHÂTIMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Pendant l’année, au moins 108 personnes ont été fustigées en Aceh au nom de la charia, pour jeux d’argent, consommation d’alcool ou « adultère ». En octobre, le Code pénal islamique de l’Aceh est entré en vigueur. Il élargissait le champ d’application des châtiments corporels aux relations sexuelles entre personnes de même sexe et aux rapports intimes au sein de couples non mariés. Les contrevenants encouraient des peines pouvant atteindre respectivement 100 et 30 coups de bâton. Cet arrêté compliquait l’accès à la justice pour les victimes de viol, car c’était elles qui devaient désormais apporter des éléments prouvant le viol. Les fausses accusations de viol ou d’adultère étaient également passibles de fustigation [10].

PEINE DE MORT

Au total, 14 détenus ont été exécutés en janvier et en avril, dont 12 étrangers. Toutes ces exécutions étaient liées à des infractions à la législation sur les stupéfiants. Le président Widodo avait déjà déclaré qu’il refuserait d’examiner toutes 131 personnes étaient sous le coup d’une condamnation à mort.

Notes

[1Indonesia : Appointment of Aceh Truth Commission selection team a step closer to truth and reparation for victims (ASA 21/2976/2015) Indonesia : Paniai shootings – make investigation findings public and bring perpetrators to justice (ASA 21/0001/2015)

[2.Indonésie : Craintes pour la santé d’un prisonnier d’opinion (ASA 21/3083/2015)

[3Indonesia : End attacks on freedom of expression in Papua (ASA 21/1606/2015)

[4Indonesia : End mass arbitrary arrests of peaceful protesters in Papua (ASA 21/1851/2015)

[5Indonesia : Two women convicted under internet law for social media posts (ASA 21/1381/2015)

[6Indonesia : Stop silencing public discussions on 1965 violations (ASA 21/2785/2015)

[7.Indonésie : La minorité chrétienne en Aceh menacée (ASA 21/2756/2015)

[8Indonésie : Trois ans plus tard, des chiites du district de Sampang expulsés de force attendent toujours de rentrer chez eux (ASA 21/2335/2015)

[9Indonésie. Il faut abroger le texte de loi imposant la flagellation pour des relations sexuelles entre adultes consentants (nouvelle, 23 octobre)

[10Indonésie. Synthèse. Une justice déficiente. Procès iniques et recours à la peine de mort en Indonésie (ASA 21/2434/2015)

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