I. Interdiction absolue de la torture et principe de non-refoulement
II. La législation anti-terrorisme
Prendre consciemment des civils pour cibles lors d’attaques ne peut jamais être excusé et est toujours en violation flagrante avec les droits humains. De telles attaques provoquent de terribles blessures aux victimes directes et à leurs familles. De plus, cela génère un climat de peur qui terrorise toute la communauté. [1]
C’est pourquoi la prévention et la protection contre le terrorisme et les autres violences armées sont une des tâches fondamentales de l’autorité publique. Cependant, au nom de la lutte contre le terrorisme, de nombreux États adoptent des politiques sécuritaires, souvent attentatoires aux libertés fondamentales.
Sous couvert de la lutte contre le terrorisme, des personnes sont torturées, d’autres sont enfermées sans procès, d’autres encore sont victimes de disparitions forcées, la liberté d’expression est suspendue, etc. [2]
Ce phénomène est global : du Sri Lanka à la Russie, des USA à la Chine, de l’Inde à l’Arabie saoudite, les droits humains sont violés à grande échelle au nom de la sécurité.
Les États européens ont aussi été la proie de cette tendance générale. Les États membres de l’UE ont été complices de l’établissement de programmes de détention secrète de la CIA et de vols dits « de rapatriement ». Des personnes ont été détenues dans des prisons secrètes et peut-être même torturées sur le sol européen. Jusqu’à présent, presque personne n’a été interpellé sur la responsabilité de ces actes. L’impunité est quasi totale. [3]
Sur le site du SPF Affaires étrangères, on peut lire :
« La Belgique estime que la lutte contre le terrorisme ne peut pas porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales et au droit international humanitaire. Ce n’est pas en bafouant les droits et libertés que les terroristes cherchent justement à détruire, que nous lutterons efficacement contre le terrorisme. »
Cependant, au cours des dix dernières années, l’État belge s’est aussi rendu coupable de violations des droits humains dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme. Cette présentation se centre sur une série de violations récentes des droits humains.
Amnesty International s’inquiète particulièrement de l’érosion progressive de l’interdiction universelle et absolue de la torture. C’est pourquoi nous appelons la Belgique à se repositionner en première ligne dans la lutte contre la torture.
Amnesty International appelle aussi la Belgique à mener, au cours de la prochaine législature, une réflexion critique sur les instruments législatifs qui ont été développés dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ».
Ces législations peuvent avoir des impacts négatifs sur les droits et les libertés fondamentales des individus ; c’est pourquoi Amnesty International demande une évaluation claire et pertinente de celles-ci.
I. Interdiction absolue de la torture et principe de non-refoulement
Recommandations
La Belgique doit sans aucune réserve bannir la torture et porter cette revendication sur la scène mondiale. Cela inclut entre autres :
• que les preuves obtenues par la torture soient écartées des procédures judiciaires ; [4]
• que personne ne soit livré, ni transféré de manière forcée dans un pays où la personne en question court un risque réel de torture ; [5]
• que le ministre responsable, dans les dossiers d’extradition, ne s’appuie jamais sur des assurances diplomatiques ; [6] [7]
• qu’une attention particulière soit accordée à la lutte contre la torture dans la politique étrangère ; [8]
• que la Belgique ratifie le protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. [9]
a) Preuves obtenues sous la torture
L’interdiction de la torture établie, entre autres, par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et par la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est une interdiction absolue qui vaut toujours et partout. Bien qu’une collaboration intense entre les services de renseignement et les services de police puisse être nécessaire pour protéger la population, cette collaboration ne peut en aucun cas transgresser l’interdiction de la torture.
Cette interdiction implique, aussi, entre autres, que toute preuve obtenue par la torture (déclarations, ou autres pièces) soit écartée de toute procédure [10]. Mais la Belgique ne dispose pas actuellement de garanties légales suffisantes pour veiller à cette exclusion comme cela apparaît clairement dans l’affaire El Haski contre Belgique.
Amnesty International demande donc à la Belgique de prendre des mesures législatives complémentaires pour garantir que chaque moyen de preuve résultant de la torture soit écarté de toute procédure. Cette obligation doit être libellée de telle sorte que s’il existe un risque sérieux qu’un moyen de preuve soit issu de la torture, ce moyen soit écarté.
Actuellement, il y a un projet de loi en cours d’examen devant la Chambre qui tend à établir la nullité des moyens de preuve obtenus de manière irrégulière. Le projet de loi vise ainsi à s’aligner sur la jurisprudence établie par la Cour de Cassation. Amnesty International recommande que la nullité d’un moyen de preuve issu de la torture soit explicitement consacrée. [11]
C’est pourquoi la Belgique doit, par exemple, dans le titre préliminaire du code d’instruction criminelle, faire référence explicitement à la nullité absolue et à l’écartement permanent de toute information obtenue par un comportement en contradiction avec l’article 3 de la CEDH.
CAS N° 1
Garanties procédurales belges insuffisantes Le cas Lahoucine El Haski En février 2006, Lahoucine El Haski a été condamné en Belgique à 7 ans de prison pour participation aux activités d’une organisation terroriste (le Groupe Islamique Combattant Marocain ou GICM) et d’autres infractions en lien (entre autres, faux en écriture). Dans la procédure ont été déposées des pièces qui avaient été fournies par les autorités marocaines. Les pièces avaient été rassemblées dans le cadre d’une enquête après l’attentat à la bombe à Casablanca en 2003. Parmi elles, il y avait aussi le témoignage d’un membre de la famille El Haski, qui décrivait l’objet et les activités du GICM. El Haski a fait appel du jugement, en vue, entre autres d’écarter de la procédure les déclarations rassemblées au Maroc. El Haski prétendait, en effet, que ces déclarations avaient été obtenues au moyen de comportements en contradiction avec l’article 3 de la CEDH (torture ou autres traitements cruels, inhumains et dégradants). La Cour d’appel de Bruxelles rejeta l’appel le 27 juin 2007. En 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans cette affaire. La Cour a condamné la Belgique pour rupture du droit à un procès équitable, sur le fondement de l’article 6 de la CEDH. Selon la Cour, il y avait un risque sérieux que, parmi les pièces marocaines, les témoignages aient été obtenus par la torture au Maroc. La Cour européenne des droits de l’homme a établi que l’emploi de déclarations pour lesquelles il existe un risque réel qu’elles aient été obtenues en contradiction avec l’article 3 de la CEDH entraîne automatiquement une violation de l’article 6 de la CEDH (Droit à un procès équitable). Même s’il n’est pas prouvé que ces moyens de preuve ont été obtenus par la torture, l’article 6 de la CEDH interdit aux tribunaux de les utiliser. L’affaire El Haski c/ Belgique montre clairement que les garanties légales belges, pour écarter de la procédure les éléments obtenus par la torture, sont inefficaces. |
b) Non-refoulement
L’interdiction absolue de la torture induit en première instance que personne ne peut être soumis à la torture. Cela implique, de plus, l’interdiction de livrer quelqu’un ou de transférer de manière forcée quelqu’un vers un pays où existe un risque réel que la personne soit torturée. C’est le principe de non-refoulement. Pendant la dernière législature, la Belgique a essayé au moins de deux façons de contourner cette interdiction.
• Assurances diplomatiques
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, certains gouvernements pensent avoir trouvé un moyen pour renvoyer, malgré tout, des personnes dans des pays où les risques de torture sont avérés. Pour parer à ces risques, les Etats demandent (et reçoivent) des garanties diplomatiques bilatérales indiquant que les prévenus en question ne seront pas torturés. La Belgique appartient depuis peu à la liste des pays qui essaient de contourner leurs obligations internationales de cette manière.
Amnesty International demande à la Belgique de revoir cette politique et de s’opposer de manière non ambigüe aux assurances diplomatiques.
En effet, les pays qui torturent ne respectent pas leurs obligations internationales. Pourquoi respecteraient-ils des promesses bilatérales incontrôlables ?
Ces assurances diplomatiques en matière de torture n’ont aucune force contraignante, elles ne sont donc pas fiables. De plus, le pays qui livre la personne, tout comme le pays où la personne est extradée, a tout intérêt à dissimuler la responsabilité des auteurs d’actes de torture.
Dans l’examen des demandes d’extradition, Amnesty International demande à la Belgique de ne jamais s’appuyer, en matière de torture, sur des assurances diplomatiques bilatérales et incontrôlables mais bien de se fonder sur une analyse sérieuse, au cas par cas, du risque de torture ou d’autres mauvais traitements.
CAS N° 2
Vers une chambre de torture tchétchène avec les remerciements de la Belgique ? Le cas Arbi Zarmaev Le Ministre de la Justice belge Stefaan De Clerck a décidé le 8 mars 2011 d’accepter l’extradition d’Arbi Zarmaev vers la Fédération de Russie. Les autorités russes réclamaient l’extradition de Zarmaev sur la base de son implication dans un meurtre perpétré en Tchétchénie. Le procès devrait se tenir en Tchétchénie où la torture et autres mauvais traitements sont pratiqués systématiquement. L’homme prétendait, en outre, avoir été un des chefs rebelles pendant la guerre civile dans la région, ce qui augmentait de surcroît le risque de torture. La Belgique estimait que l’homme risquait la torture mais pensait pouvoir écarter ce risque par un accord bilatéral avec la Fédération de Russie. Malgré des preuves évidentes que, dans le passé, la Russie n’avait pas respecté de tels accords, malgré un avis négatif de la Cour d’appel, et malgré des interpellations répétées de différentes organisations de protection des droits humains, le Ministre accepta la demande d’extradition. Le 30 janvier 2013, le Conseil d’État a décidé de ne pas annuler la décision du Ministre. Actuellement, le dossier est pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme. Jusqu’au jugement de la Cour, l’extradition est suspendue. Cette affaire est un précédent très négatif à deux points de vue. L’utilisation par la Belgique des assurances diplomatiques contre la torture n’avait pas été rapportée à Amnesty International jusqu’à présent. De plus, l’affaire se situe en dehors du champ d’application habituel de cette pratique. Dans la plupart des autres cas, l’emploi des garanties se limite toujours aux personnes inculpées d’infractions en lien avec le terrorisme. |
• Retour « volontaire » forcé
Lors de la dernière législature, la Belgique a adopté une autre technique pour contourner le principe de non-refoulement. Une personne qui ne pouvait être transférée de force vers un autre pays, était consciemment mise sous pression pour donner son accord à un rapatriement dit volontaire.
La Belgique a été condamnée pour cette pratique par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire M.S. contre Belgique. Les comportements inacceptables de la Belgique dans l’affaire concernant monsieur M.S. sont un exemple de l’absence de portée de la notion actuelle de « non rapatriable », une catégorie qui cache un nombre élevé de personnes qui ne sont pas prises en considération pour bénéficier de la protection subsidiaire ou du statut de réfugié mais qui, dans le même temps, ne peuvent être renvoyées de force.
Amnesty International se joint à Vluchtelingswerk Vlaanderen à propos de cette problématique et appelle la Belgique à développer des solutions pour les « non rapatriables ».
CAS N° 3
Retour volontaire forcé vers l’Irak M.S., un homme d’origine irakienne, a été condamné en Belgique en 2005 pour participation à des attentats terroristes. Directement après avoir purgé sa peine, M.S. fut à nouveau maintenu en détention. Par la suite, il a été à chaque fois détenu en centre fermé. Le rapatriement n’était pas possible parce qu’il était fort vraisemblable qu’en Irak, il eut été soumis à des actes de tortures ou autres traitements cruels, inhumains et dégradants. Les autorités belges lui expliquèrent que la seule possibilité pour lui de rester en Belgique consistait en des périodes de détention administrative successives. Mis sous pression de cette façon, M.S. donna son accord à un retour « volontaire » vers l’Irak. À son arrivée en Irak en octobre 2010, il fut immédiatement incarcéré. Pendant un peu moins d’un mois, il n’eut de contact ni avec des avocats ni avec sa famille. Il fut finalement libéré. La Cour européenne des droits de l’homme et Amnesty International considèrent cette affaire comme un retour forcé, en contradiction avec l’article 3 de la CEDH. La Belgique mit M.S. sous une telle pression qu’on ne pouvait plus parler de volonté de retour de sa part. La Belgique a été condamnée le 31 janvier 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a qualifié ce retour de retour forcé, et la condamnation de la Belgique a porté sur la violation de l’article 3 de la CEDH. [12] |
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II. La législation anti-terrorisme
Recommandation
Le pouvoir législatif doit évaluer les lois adoptées ces dernières années en matière de lutte contre le terrorisme.
Articles 140 bis et 141 ter du code pénal belge
La mise en œuvre de la décision-cadre de l’UE du 28 novembre 2008 en accord avec la Convention du Conseil de l’Europe de prévention du terrorisme du 15 mai 2005, a conduit au début de l’année 2013, à l’insertion de nouvelles dispositions dans le code pénal.
La Ligue des Droits de l’Homme a été entendue par le Sénat sur ces modifications législatives. Pour une analyse approfondie, Amnesty renvoie à leur intervention et à la note qui a été distribuée aux parlementaires. [13]
Le changement le plus important a été l’introduction de l’article 140 bis du code pénal, qui prévoit de punir l’incitation publique à commettre des actes terroristes. [14]
Les éléments constitutifs de l’infraction sont trop vagues et peuvent conduire à différentes interprétations. Une trop large interprétation de ce fait punissable risque sérieusement de porter atteinte aux droits humains et en particulier à la liberté d’opinion, à la liberté de la presse et à la liberté d’association. [15] [16]
Vu l’impact potentiel de cette disposition sur, entre autres, la liberté d’opinion, Amnesty International plaide pour qu’une évaluation et un débat soient menés sur la question de l’adaptation de la loi.
Il faut non seulement évaluer l’adéquation spécifique de cette nouvelle incrimination mais aussi tenir compte des autres lois spéciales qui visent à prévenir et à sanctionner les infractions terroristes.
En 2008-2009, un exercice semblable avait déjà été lancé [17]. Notamment parce que cet exercice avait lieu en même temps que le débat parlementaire sur la réforme des services de renseignement et la loi sur les méthodes particulières de recherche (loi MPR), l’évaluation a été passée sous silence et la loi a été votée. En 2013, à l’occasion de l’incrimination de l’incitation au terrorisme, de nouvelles séances ont été tenues mais la portée des débats a été limitée au projet de loi en discussion.
Recommandations
Amnesty International recommande une évaluation approfondie et sérieuse des différentes lois qui ont été adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. L’attention doit, entre autres, porter sur :
– La loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d’enquête (modifiée par les lois du 27 décembre 2005 et du 16 janvier 2009) (MPR).
– La mise en œuvre de la décision-cadre 2008/919/JBZ du Conseil du 28 novembre 2008 modifiant la décision cadre 2002/475/JBZ.
– La loi du 4 février 2010 relative aux méthodes de recueil des données par les services de renseignement et de sécurité, MB 10 mars 2010.
1) 3/10/2013 : Extradition de N. Trabelsi, vers les Etats-Unis, sans attendre l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.
Contrairement à ses obligations en matière de droit international des droits de l’Homme, le gouvernement belge n’a pas attendu la décision de la Cour pour répondre à la demande américaine, annihilant ainsi de facto une dernière possibilité de recours pour Mr. Trabelsi.
À cet égard, la référence, dans le communiqué de presse du SPF Justice, à l’arrêt du Conseil d’État n’est pas pertinente. En effet, la décision du Conseil d’État est elle-même soumise à l’appréciation souveraine de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le 6 décembre 2011, la vice-présidente de la section de la Cour chargée de l’affaire Trabelsi a indiqué au Gouvernement belge, en application de l’article 39 du Règlement de la Cour, de ne pas extrader le requérant vers les États-Unis d’Amérique et ce, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour. Suite à différentes interventions du Gouvernement belge, la Cour a en outre décidé, le 15 janvier 2013 : "de refuser la levée de la mesure provisoire et de maintenir celle-ci pendant la durée de la procédure devant la Cour".
Enfin, la Cour de Strasbourg a fait savoir qu’elle attendait l’arrêt - rendu le 23 septembre dernier - du Conseil d’État (en raison de la nécessité de procéder à l’épuisement des voies de recours internes) et qu’elle rendrait le sien dans les toutes prochaines semaines suivant cet arrêt.
Amnesty International et la Ligue des Droits de l’Homme ne peuvent que condamner avec force cette atteinte grave à la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme que notre pays s’est pourtant engagé de longue date à respecter. Il donne ainsi un très mauvais exemple aux autres États européens parties à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
2) Projet de loi modifiant le titre préliminaire du code d’instruction criminelle sur les nullités des preuves.
Il a été adopté et publié au Moniteur belge le 12 novembre dernier.
Version du 14/10/2013
Pour tout renseignement complémentaire, contactez Mme Montserrat CARRERAS, chargée de relations avec les autorités politiques :
– Tél : +32 2 538 81 77 – Email : mcarrerasATamnestyPOINTbe (remplacez AT par « @ » et POINT par « . ») – Twitter : twitter.com/AmnestyLobby |