1.3) Les défenseurs des droits humains

En 2006, les autorités chinoises ont intensifié
la répression contre les avocats et les
militants du droit au logement. Un grand
nombre de défenseurs des droits humains
ont été soumis à de longues périodes de
détention arbitraire sans inculpation et ont
été harcelés par les forces de police ou par
des bandes locales de malfaiteurs, manifestement avec l’assentiment des premières.

Amnesty International constate que
toujours plus de défenseurs et défenseuses
des droits humains sont assignés à résidence,
sans inculpation ni procès. L’assignation
à résidence peut être décidée par
la police contre des criminels présumés.
Pour les activistes des droits humains, ces
assignations dépassent toutefois souvent le
maximum de six mois prévu par la loi.
Leurs proches sont également victimes
d’intimidations.

Certains faits récents montrent cependant
une plus grande tolérance face aux
personnes qui militent pour les droits individuels,
avec pour preuve, notamment, les
succès obtenus par des familles qui réclamaient
une meilleure indemnisation pour
leur logement menacé de démolition.
Dernièrement, les médias chinois et internationaux
ont beaucoup parlé du cas
emblématique d’une famille de Chongqing
opposant une résistance farouche à des
promoteurs qui tentaient de faire démolir
sa maison, qui a hérité du surnom de
« maison clou ». L’attitude de défiance de
cette famille a fini par payer au bout de
trois ans, en avril 2007, lorsqu’elle a obtenu
de meilleures indemnités, qu’elle a acceptées.
Dans le même temps cependant,
d’autres familles auraient été expulsées de
leur logement ou de leur terre, parfois avec
violence et, vraisemblablement, sans
indemnités suffisantes.

Hu Jia, un militant contre le sida, a été
assigné à résidence en juillet 2006 pour 214
jours, pour avoir participé à une action de
protestation sous forme de grève de la
faim. La police l’a empêché de sortir de
chez lui. Même sa femme Zeng Jinyan a été
surveillée : la police la suivait souvent
quand elle quittait le domicile et elle a
reçu des menaces et des intimidations.

Wei Jingsheng : 18 ans
en prison !

Wei Jingsheng se fit
connaître pour son rôle
dans le « mouvement
démocratique » de 1979 :
son dazibao affiché sur
le Mur de la démocratie, réclamant la
« cinquième modernisation », est resté
célèbre. Dénonçant les réformes comme un
leurre destiné à masquer la mise en place
d’une nouvelle dictature communiste, il
attaque violemment les nouveaux responsables
politiques. Les autorités prirent
prétexte de sa correspondance avec
l’étranger sur la guerre sinno-vietnamienne
pour l’accuser de trahison et activité révolutionnaire.
Condamné à 15 ans de prison,
il est libéré en septembre 1993, mais arrêté
à nouveau en mars 1994 et condamné à 14
ans de prison. Il a été libéré pour raison
médicale en novembre 1997 après 18 ans
d’incarcération et expulsé aux États-Unis.

Témoignage

Au lendemain de sa libération définitive,
Wei Jingsheng, écrivit à Amnesty International
 :

« Merci à tous mes amis d’Amnesty...
Quand j’étais en prison, le traitement
que je subissais variait de temps en
temps, parfois meilleur, parfois pire. Au
début, je ne savais pas, mais plus tard, je
compris que les pressions exercées par la
communauté internationale jouaient un
rôle important dans ces variations... Votre
travail est d’une valeur inestimable pour
ceux qui souffrent de l’oppression politique.
Son succès est peut-être plus grand
que vous ne l’imaginez... »

Durant sa détention, Wei Jingsheng sera
proposé au Prix Nobel de la Paix, se verra
décerner le Prix Sakharov des droits de
l’Homme par le Parlement européen. Aux
yeux du monde, ce résistant de longue date
prend la stature d’un Havel ou d’un
Mandela. Trop gênant en prison pour Jiang
Zemin, à qui il refusa l’achat de son
silence, il est expulsé de Chine en
novembre 1997. Le temps d’un vol transpacifique,
il passe de l’enfer des camps au
faste du Bureau ovale, à Washington, où le
reçoit Bill Clinton...
Tout juste sorti de dix-huit années de souffrances
carcérales, le célèbre dissident
déclare : « Ne croyez pas pour autant que je
me sente libre. Je le serai quand il me sera
possible de déambuler dans une ville de
mon pays ».
Depuis, Wei Jingsheng vit aux
États-Unis, dans une ferme de Virginie,
mais passe la majeure partie de son temps
à sillonner le monde afin de promouvoir la
cause de la démocratie en Chine.(4)

• Gao Zhisheng, avocat et défenseur des
droits humains, a vu les activités de son
cabinet suspendues en novembre 2005.
Arrêté en août 2006, cet homme connu
pour son franc-parler a été détenu au secret
dans un lieu inconnu jusqu’à l’ouverture
de son procès, en décembre 2006. Son
arrestation a été officialisée en octobre et il
a été inculpé d’« incitation à la subversion ».
Au mois de décembre, Gao Zhisheng a été
condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement
assortie d’un sursis de cinq
ans.

Un phénomène nouveau : les défenseurs
des droits humains à la campagne

En Chine, les villageois et les militants des
zones rurales sont de plus en plus
nombreux à tenter d’obtenir justice pour
diverses atteintes, dont l’application illégale
d’amendes et de taxes, qui semblent
souvent liées à la corruption de hauts
responsables locaux. Il est parfois arrivé
que ces litiges donnent lieu à des manifestations
qui ont provoqué des affrontements
entre les villageois et la police, dont
certains se sont achevés dans la violence.
Les statistiques nationales officielles indiquent
une augmentation des troubles
sociaux, tant dans les villes que dans les
zones rurales : le nombre total d’« incidents
de masse » recensés officiellement est passé
de 74000 à 87000 entre 2004 et 2005.
Certains villageois ont tenté de faire perdre
leur place à des responsables corrompus en
votant lors d’élections organisées au niveau
de leur village. Officiellement, ces élections
sont présentées comme une forme importante
de démocratie populaire, mais elles
sont souvent entachées de graves irrégularités
et violations de procédure, et des militants
qui tentaient de promouvoir un
suffrage libre et transparent ont été la cible
de menaces, de harcèlement et d’autres
atteintes.

Des informations font régulièrement état
de graves violations des droits humains
dans le cadre de la mise en oeuvre des
mesures de planification familiale en
Chine (dans le cadre de la loi de limitation
des naissances). Ainsi, un militant, Chen
Guangcheng
, a récemment été condamné à
plus de quatre années de prison après avoir
tenté de faire obtenir réparation à des
femmes victimes d’avortements et de stérilisations
forcés, dont les instigateurs
seraient des représentants des autorités
locales de la ville de Linyi (province du Shandong).

Pour plus d’informations sur le
cas de Chen Guangcheng, voir le chapitre 5
« Violences et discriminations à l’égard des
femmes ».

Régulièrement, des villageois manifestent
contre les amendes imposées aux femmes
enceinte après avoir accouché d’un
premier enfant.

• Yang Maodong est surtout connu pour
avoir fourni une assistance juridique à des
villageois de Taishi, dans la province du
Guangdong, alors que ceux-ci s’efforçaient
d’obtenir la destitution du chef de leur
village, apparemment corrompu, en 2005.
Il a déjà été arrêté, placé en résidence
surveillée et battu par la police pour les
activités qu’il a menées en faveur des habitants
de Taishi. Plus récemment, la police a
torturé Yang Maodong pendant sa garde à
vue, dans le but de le forcer à « avouer » des
« transactions commerciales illégales ». Ces
atteintes l’auraient poussé à commettre
une tentative de suicide.

En 2006, le militant et avocat Gao Zhisheng
a lancé une « grève de la faim tournante »
afin de protester contre le traitement
réservé à Yang Maodong et à d’autres défenseurs
des droits humains. Yang Maodong a
lui-même rejoint ce mouvement en février
2006 et a de nouveau été placé en détention
alors qu’il observait la grève.

Pour plus d’informations :

www.amnesty.be/doc/article10978.html

Shi Fukui (h), 40 ans, défenseur des
droits humains (action urgente d’AI - avril
2007)

Shi Fukui, défenseur des droits humains, a
été passé à tabac et menacé de mort pour
avoir encouragé la population locale à
voter contre le chef de son village de
l’ouest de la province du Jiangsu, qu’il a
accusé de corruption. Il a pris la fuite avec
sa famille, et Amnesty International craint
que sa vie ne soit en danger.

Depuis plusieurs années, Shi Fukui mène
campagne contre des fonctionnaires
corrompus de son village, Tanhu, qui fait
partie de l’agglomération de Lizhuang
(comté de Ganyu).
Certains hauts responsables, parmi
lesquels figurerait le chef du village, ont
menacé de tuer Shi Fukui et ses proches.
Selon d’autres villageois, ils ont utilisé à
cet effet le système de diffusion sonore du
village. Le 4 avril, un élu local du village se
serait introduit chez Shi Fukui et l’aurait
battu, ainsi que son épouse, devant leur fils
âgé de deux ans. À la suite de cet événement,

Shi Fukui aurait eu des contusions
au visage, et son épouse aurait été atteinte
d’une surdité temporaire à une oreille.
Leur agresseur aurait menacé de frapper le
père de Shi Fukui, âgé de quatre-vingt-deux
ans, et de tuer le militant et sa famille, en
laissant entendre que leur mort pourrait
subvenir au cours d’un « accident de
voiture ». Son père serait tombé gravement
malade à la suite de ces manoeuvres d’intimidation
et de harcèlement.
Shi Fukui était devenu célèbre à l’échelle
locale, notamment après avoir contesté la
décision prise par la commission du planning
familial du comté de Ganyu d’infliger
une amende à lui et à sa femme pour avoir
eu un deuxième enfant sans y avoir été
autorisés. Le couple a estimé que cette
amende était disproportionnée (16000
yuans, soit environ 1500 euros, alors que le
maximum applicable aux termes de la
législation locale est de 10000 yuans), et il
a supposé que la somme supplémentaire
serait empochée par des fonctionnaires des
autorités locales. Lorsqu’il a formé un
recours contre cette condamnation, la
commission du planning familial aurait
augmenté cette somme, en la fixant à plus
de 28000 yuans (environ 2700 euros).

Le 8 juillet 2006, des membres d’un gang
local, engagés, semble-t-il, par des responsables
du planning familial, ont enlevé
l’épouse de Shi Fukui à son domicile et, ce
faisant, ont jeté son bébé à terre. Elle a été
placée en détention dans les locaux du
planning familial, mais relâchée le jour
même après que le frère de Shi Fukui, qui
vit au Canada, a contacté cet organisme en
menaçant de révéler cette affaire à
l’étranger et de poursuivre les autorités
locales pour violation du droit chinois.

À partir de l’année 2002 environ, Shi Fukui
était devenu réputé, à l’échelle locale, pour
contester les mesures qu’il considérait
malhonnêtes ou abusives ; il a notamment
dénoncé l’imposition illégale de taxes aux
paysans locaux, la surfacturation des frais
de scolarité, et des atteintes aux droits des
travailleurs. Il a évoqué un grand nombre
de ces questions dans une lettre qu’il a
envoyée au Haut-Commissariat aux droits
de l’homme des Nations unies en 2004.
Certaines de ses activités, qui consistaient
souvent à faire connaître l’existence de
violations présumées, ont permis qu’unepression soit exercée sur les autorités, et
parfois que les victimes obtiennent réparation.
Ses actions semblent avoir encouragé
d’autres villageois à employer l’ensemble
des procédures légales à leur disposition
pour demander des comptes aux représentants
des autorités locales qu’ils estiment
corrompus.

Pour plus d’informations :

http://www.amnesty.be/doc/article10...

Avocat, un métier risqué mais plein d’avenir

Depuis deux mois, des “défenseurs des
droits individuels” font une grève de la
faim tournante pour protester contre les
brutalités policières. Le dissident Hu Ping
analyse pourquoi la profession d’avocat est
devenue si menacée.

L’émergence d’avocats “défenseurs des
droits individuels” [selon l’expression en
vigueur en Chine] est un des phénomènes
les plus importants de la société chinoise
de ces dernières années.

Dans la Chine de Mao Tsé-toung, les avocats
étaient une espèce éteinte. D’une part,
pour des considérations idéologiques : à
l’époque, l’accent était mis sur la lutte des
classes ; chacun devait se positionner
fermement sur ce plan ; comment auraiton
pu autoriser quelqu’un à défendre des
gens mauvais, des ennemis de classe ?

D’autre part, c’était l’époque de l’appartenance
à l’"unité de travail”, la danwei, à
laquelle tout un chacun était rattaché. Elle
prenait entièrement en charge la vie d’un
individu. Quand survenait un conflit ou
des tensions, il n’y avait qu’un seul moyen
pour les régler : aller trouver son organisation
et ses dirigeants. Les tribunaux
n’étaient que des coquilles vides, et les
avocats n’avaient aucun espace où déployer
leurs talents. Après le lancement des
réformes et l’ouverture du pays sur l’extérieur,
les individus se sont affranchis de
leur unité de travail. Désormais, aller
trouver son organisation ne sert plus à
grand-chose pour régler un différend, et les
tribunaux jouent un rôle indispensable –
tout comme les avocats, qui ont fait leur
grand retour.

Le nouvel essor de la profession d’avocat
s’est accompagné tout naturellement de
l’apparition de défenseurs spécialisés dans
la protection des droits individuels. Les
premiers du genre se consacraient surtout
au conseil juridique des dissidents politiques.
En théorie, aujourd’hui, le Parti
communiste chinois ne peut plus [comme
il l’a longtemps fait] qualifier de “contrerévolutionnaires”
les avocats qui défendent
des personnes accusées de ce même crime
[disparu du Code pénal]. En d’autres
termes, même si, au fond, il les considère
avec une grande hostilité, il est forcé d’admettre
leur existence légale. Nous savons
bien que les défenseurs des dissidents politiques
ont toujours pris comme position de
principe de ne pas s’occuper du fond mais
uniquement de la forme. Peu importe que
les propos tenus par quelqu’un soient ou
non “réactionnaires”, ils s’intéressent
uniquement au fait de savoir si leur
problème juridique peut se concevoir
comme une question de droit à l’expression
d’une opinion [protégé par la Constitution].
C’est ainsi que ces avocats-là sont
devenus les défenseurs des droits fondamentaux,
tel celui de la liberté d’expression,
et qu’ils sont légalement reconnus
pour agir ainsi par les autorités dictatoriales,
aussi étrange que cela paraisse !
On pourrait penser que défendre la cause
des dissidents est ce qu’il y a de plus dangereux,
car cela revient à s’opposer directement
aux autorités dictatoriales. En fait,
pas nécessairement ! Pour une raison très
simple : depuis les événements du 4 juin
1989 [répression du mouvement prodémocratique
de Tian’anmen], les autorités sont,
pour reprendre l’expression, “[comme] un
cochon mort, [qui] ne craint plus l’eau
bouillante”, autrement dit : cause toujours,
je condamne !

Proches de la population, porte-parole des
déshérités

Malheureusement, comme le souligne le
jeune juriste Wang Yi, la bataille des
avocats contre les instances gouvernementales
est perdue d’avance, et le danger est
d’autant plus important que les chances de
gagner sont grandes. Prenons l’exemple de
l’affaire du village de Taishi [dans la
province du Guangdong, en 2005, des
paysans en colère contre la corruption du
chef de village avaient voulu le révoquer et
avaient été durement réprimés ; l’avocat
qui défendait leur cause avait été placé
comme eux en détention, avant d’être
libéré]. Si l’affaire avait été portée devant
les tribunaux, les défenseurs auraient
apporté toutes les preuves du caractère
corrompu des administrateurs du village et
d’autres fonctionnaires locaux. Comment,
face à de telles évidences, les juges
auraient-ils pu mentir en les regardant
droit dans les yeux et chercher à disculper
les fonctionnaires véreux ? Aussi, du côté
gouvernemental, avait-on tout intérêt à
tuer le mal dans l’oeuf. Arrêtons d’abord
l’avocat, on pourra toujours le condamner
pour faux témoignage. De nombreuses
affaires de droits individuels lésés
semblent de prime abord peu sensibles
d’un point de vue politique, et non sans
espoir de victoire juridique. Mais, justement,
pour peu que les accusés disposent
de solides appuis, ils n’hésiteront pas à
porter les coups les plus retors pour
abattre les défenseurs, qui courent alors un
très grand danger. Ainsi, dans la Chine
d’aujourd’hui, le métier d’avocat est
devenu risqué, et ceux qui se battent pour
la défense des droits d’autrui manquent
eux-mêmes cruellement de garanties en ce
qui concerne la protection de leurs propres
droits.

Aujourd’hui, ces avocats, défenseurs envers
et contre tout des droits individuels, sont
devenus nos héros des temps modernes,
car ce sont eux qui se trouvent en première
ligne. Tout en appartenant à l’élite intellectuelle,
en raison de leurs longues études,
ils sont très proches de la population et de
ceux qu’on appelle les “déshérités”, et
méritent bien leur titre de porte-parole des
gens du commun. Par ailleurs, leur degré
de formation facilite leur reconnaissance
par la communauté internationale. A
Taïwan, ce n’est pas un hasard si, au sein
de la deuxième génération de dirigeants de
l’opposition, beaucoup sont d’anciens
avocats. Mais cela [l’existence d’une opposition
constituée], ce sera pour plus tard. Au
stade actuel, les avocats chinois se consacrent
encore entièrement à la défense des
droits de l’homme.

Adressons ici nos plus profonds respects à
ces personnes ! Ce sont les droits fondamentaux
de chacun d’entre nous que ces
avocats défendent. A nous de veiller sur
eux et de protéger également leurs droits !

Article paru dans le Courrier International,
n°805, 6 Avril 06

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