4.8. L’esclavage moderne ou les sévices subis par les domestiques.

4. 8. L’esclavage moderne, ou les sévices subis par les domestiques

L’esclavage n’a pas disparu. Il se pratique désormais surtout à l’intérieur des maisons et concerne essentiellement les femmes.

Mais que signifie le mot “esclavage” ? Il faut attendre 1926 pour que la Société des Nations donne pour la première fois une définition internationale de l’esclavage : “L’état où la condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux”. Les conditions de travail de beaucoup de domestiques correspondent bien à la notion d’esclavage moderne.

Une récente étude de l’OIM (Organisation International pour les Migrations) évalue entre 12000 et 14000 le nombre d‘Ethiopiennes travaillant actuellement au Liban, principalement comme employées de maison, sans la moindre protection et soumises à toutes sortes de mauvais traitements. En deux ans, au moins 67 de ces femmes sont mortes dans des conditions suspectes, alors que beaucoup d’entre elles n’ont jamais plus donné signe de vie.

Les migrantes employées comme domestiques sont souvent ignorées par leur pays d’origine et considérées comme quantité négligeable par leur pays de résidence. En Arabie Saoudite, malgré un code du travail contenant un certain nombre de dispositions favorables aux femmes (par exemple, le congé de maternité et une protection contre le licenciement pendant la grossesse et le congé de maternité), les domestiques sont explicitement privées de protection. L’une après l’autre, des domestiques ont raconté comment elles étaient contraintes de travailler entre dix-huit et vingt heures par jour et de dormir dans un coin ou dans un couloir, tout en étant régulièrement violées et battues. Dans les rares cas où elles sont autorisées à déposer des plaintes à la police, celles-ci sont ignorées, tournées en ridicule ou simplement démenties par leurs employeurs. Après quoi, les autorités classent l’affaire ou, pire, punissent la plaignante.

Etre esclave en France

Elles viennent d’Afrique, d’Asie ou du Proche-Orient, croyant trouver un travail et un logement en Europe... Mais à l’arrivée, elles deviennent des bonnes à tout faire. Elles sont séquestrées, privées de papiers, et travaillent 15 à 18 heures par jour, 7 jours sur 7, sans congé ni salaire.

Il est très difficile d’investiguer d’un point de vue policier ou judiciaire, parce que certains “ employeurs ” bénéficient d’une immunité diplomatique, et sont mutés au bon moment vers un autre pays. Quant aux jeunes filles, elles sont tellement intimidées, menacées -parfois battues ou violées-, privées de tous document qu’elles n’osent pas demander de l’aide. Elles sont dans un état psychologique déplorable et se méfient de tout le monde. . Et puis, il faut obtenir un permis de séjour pour porter plainte. Sortir et demander de l’aide, c’est risquer de se faire refouler vers son pays d’origine. Et même lorsque la victime ose déposer une plainte, après avoir hésité, il peut y avoir prescription ; si néanmoins la plainte est reçue, le Code pénal français ne prévoit rien concernant ce genre de délit. Le mot esclavage n’y figure même pas !

Selon le Comité Contre l’Esclavage Moderne (CCEM), la majorité des “ esclaves domestiques ” installés en France viennent d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb et de Madagascar. Des cas venant d’Asie du Sud-Est commencent à être signalés. Il s’agit à plus de 98 % de femmes et de petites filles qui arrivent ici mineures et restent chez leur employeur jusqu’à leur 18 ans. Ensuite, le plus souvent, elles sont renvoyées parce qu’elles sont moins dociles et, étant clandestines, représentent un danger pour leur employeur. Aussi, parce que leur patronne n’aime pas voir les hommes de la maison tourner autour d’elles.

En France, les employeurs de ces “bonnes à tout faire” sont surtout des Français mariés avec une personne originaire du pays où l’esclave sera recruté, ou encore des Français expatriés qui ont travaillé dans ces pays et en ont ramené une “petite bonne” en rentrant en France. Mais les diplomates installés en France en engagent aussi (cela concerne cependant moins de 20 % des cas selon le CCEM).

Souvent, les jeunes filles sont confiées par leur famille. La tradition de donner un enfant en semi-adoption est très répandue dans les pays musulmans. Cela s’appelle " Kafala ". L’enfant donné (ou vendu) vient généralement de la campagne. Il est pris en charge par un "Kafil" qui habite la ville. C’est une façon de donner à l’enfant une chance de sortir de la misère, et ça peut très bien marcher. Mais ça peut aussi déboucher sur un trafic d’esclaves.

Quelques exemples parmi tant d’esclaves anonymes

Aline a quitté l’Afrique pour la France à onze ans, pour s’occuper des cinq enfants d’un couple. “Une vieille tradition africaine” dit son employeur, qui, la fillette grandissant, la harcèle sexuellement.

Des voisins alertés aident la gamine à s’enfuir. Son employeur la retrouve et la ramène. Le Comité Contre l’Esclavage Moderne (CCEM) est prévenu. Une action en justice est entamée. Aline a aujourd’hui 18 ans. Elle est sauvée.

Henriette a débarqué, il y a 5 ans, chez une Togolaise mariée à un Français, qui ensuite la “prête” à une amie mauritanienne. Là, Henriette dort par terre et travaille 15 heures par jour sans salaire. Une voisine de l’immeuble la croise dans l’escalier... et intervient.

Rachida est une petite Béninoise de 13 ans. Elle vit chez une compatriote qui la bat et l’oblige à travailler. Là encore c’est une voisine qui la rencontre sur le chemin de l’école où elle conduit les enfants de sa patronne et est frappée par son air terrorisé, ses haillons et les traces de coups sur son visage. Elle aide la fillette à se sauver, alerte la police qui prévient le Comité, et accueille l’enfant chez elle.

Après la mort de ses parents, Safia vit avec sa grand-mère en Somalie. Celle-ci est trop pauvre pour la nourrir et la confie à un oncle à Djibouti. Celui-ci s’en débarrasse auprès d’une certaine Naïma qui est employée à l’ambassade de Djibouti à Paris. Safia et une autre petite fille de 8 ans se lèvent à 4 heures du matin et travaillent jusqu’à la nuit. Elles sont battues, malades, blessées, leurs plaies “désinfectées” à l’eau de Javel, et dorment sur un tapis dans une salle de bain sans chauffage. C’est là aussi qu’on leur jette les restes des repas familiaux. Safia arrive à s’enfuir. Le Comité engage des poursuites contre Naïma, mais se heurte à l’immunité diplomatique de celle-ci qui émigre au Canada. Safia vit aujourd’hui dans une famille d’accueil.

Haïti : les restaveks, esclaves dans les maisons. En Haïti, la pauvreté à la campagne oblige de nombreuses familles à envoyer leurs enfants, parfois âgés de sept à huit ans à peine, travailler en ville comme domestiques non rémunérés. Les parents ne sont généralement pas payés. Ils espèrent simplement que l’enfant sera bien nourri.

La plupart de ces restaveks travaillent pour des ménages pauvres, à peine plus favorisés qu’eux au plan économique. Ils travaillent durement pendant de longues heures, faisant le ménage, la cuisine et allant chercher de l’eau et de la nourriture à des kilomètres sous une chaleur écrasante. Souvent, ce sont des filles. Leur nourriture se résume en général aux maigres restes laissés par la famille, et ils n’ont pas le temps de jouer ou de se faire des amis. Nombre d’entre eux sont battus et maltraités, et ceux qui tentent de s’échapper sont sévèrement punis.

Recherche :
Quels sont les points communs entre toutes ces histoires d’esclaves domestiques ?
Pour en savoir plus :

  Libertés !, dossier “L’Europe, nouvelle terre d’esclavage ?”, mensuel d’Amnesty Belgique Francophone, n° 389, décembre 2002.

  Sylvie O’DY, Esclaves en France, Editions Albin Michel, 2001. Une série de récits poignants relatant le parcours de jeunes femmes ou de mineures d’âge originaires du Tiers Monde, ayant été soumises par chantage ou violences à un asservissement domestique total. Ce sont des récits anonymes (pour raison de sécurité) ayant pour cadre des milieux très divers : diplomatie, beaux quartiers ou même grands ensembles.

  Henriette AKOFA, Une esclave moderne, éditions Michel Lafont, 2000.

  Dominique TORRES, Esclaves, éditions Phebus, 1996.

  Christiane TAUBIRA-DELANNON, L’esclavage raconté à ma fille, de Bibliophane - Daniel Radford, 2002. Une mère raconte à sa fille l’histoire des souffrances et des révoltes des peuples victimes de l’esclavage. Un chapitre est consacré à l’esclavage moderne.

  J.R.CADET, Restavec. Enfants esclaves en Haït, i éd. du Seuil, 2002. Un livre très émouvant sur le sort des petites filles haïtiennes placées comme “bonnes” dans des familles riches de l’île et surexploitées.

  CCEM, Comité Contre l’Esclavage Moderne http.//www.esclavagemoderne.otg/CCEM/FR/

  En France : 31 rue des Lilas 75019 Paris. / E-mail ccem@imaginet.fr

  En Belgique : ctms.ccem@freebel.be

  Organisation internationale pour les migrations, site internet : http://www.iom.int

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