II.1.3. Quelles sont les principales manifestations du racisme aujourd’hui en Europe occidentale ?

Il y a évidemment le racisme quotidien : les injures du type « sale Arabe »ou « sale Flamand ».
Ou d’autres contre lesquelles il est plus difficile de se battre. C’est ce que l’on pourrait appeler le racisme institutionnel, ce sont des textes de loi ou certaines constitutions qui sont discriminatoires et en contradiction avec les Conventions internationales, mais légaux du point de vue du pays dans lequel ils sont inscrits .
Ce type de discrimination est établi par la loi. Il est donc « légal », mais peut par contre être remis en cause sur le plan de sa légitimité et de son bien-fondé. Les discriminations institutionnelles peuvent également être dénoncées sur le plan international, si elles entrent en contradiction avec des conventions juridiques internationales. Enfin, la société civile a également un rôle critique à jouer. Une loi n’est jamais éternelle, elle peut toujours être amandée ou supprimée. Nous abordons ce type de discrimination en première partie de dossier dans le chapitre consacré aux discriminations liées à l’autorité et aux systèmes discriminatoires, comme le système des castes en Inde.
Il y a aussi le racisme structurel. Il ne traduit pas une volonté manifeste de discriminer, mais il défavorise les citoyens issus de l’immigration, au travers de toutes une série de mécanismes. Par exemple, on oriente plus facilement une jeune fille arabo-musulmane vers la filière de l’enseignement technique ou professionnel. Une entreprise préférera engager des nationaux ou des Européens, en prétextant une homogénéité nécessaire de son personnel.76
Le racisme peut avoir plusieurs visages en fonction des sociétés ou des groupes, mais dans de nombreux cas, il est lié à des enjeux économiques et sociaux, comme la pauvreté et le retard dans l’éducation. Dans notre système économique de marché globalisé, les pauvres et les exclus appartiennent souvent à des groupes ethniques dont la position sociale est le résultat d’un passé d’exploitation, d’oppression et de discrimination couvrant plusieurs générations (voir le chapitre I.5.1 consacré aux systèmes discriminatoires, avec notamment les exemples du commerce triangulaire au XVIème siècle ou de la colonisation et du Code noir). Le racisme accentue ainsi les inégalités existantes.77
La discrimination raciale reste présente dans pratiquement toutes les sociétés et contribue à perpétuer les mauvais traitements, les actes de torture, les procès inéquitables et les exécutions extrajudiciaires.
Cette discrimination se conjugue souvent à d’autres formes de discrimination, liées au sexe, à l’orientation sexuelle, aux croyances, au statut social ou à l’âge des personnes.
Dans le monde entier, le racisme s’est nourri des réponses toutes faites et xénophobes apportées aux questions migratoires. « S’il n’y a pas assez des travail c’est à cause des étrangers », « on se fait envahir », « on n’est plus chez nous », « ils ont de drôles de coutumes », petites phrases banales qui, pour certaines personnes, servent à expliquer les maux du quotidien.
Racisme et profit
À la notion de racisme peut parfois s’additionner une notion de profit, de business.
Bien que le lien entre stéréotype (croyance), préjugé (jugement) et discrimination (comportement) soit observable, un préjugé négatif peut être exprimé formellement sans pour autant se traduire par un comportement concret de discrimination : un hôtelier peut, par exemple, se déclarer raciste lors d’un sondage (anonyme) d’opinion et traiter sans discrimination sa clientèle de couleur. Cette apparente contradiction s’explique si l’on tient compte du fait que les préjugés et les discriminations sont exprimés dans des contextes différents, l’un abstrait, l’autre concret avec des conséquences précises que l’on peut souhaiter éviter : conflit, perte de clientèle, sanction judiciaire,...77
Par exemple, un propriétaire de logement qui se trouve face à un étranger peut avoir deux attitudes :

 une attitude de discrimination pure et il refusera de prendre l’étranger comme locataire.

 une attitude plus mercantile : il acceptera de louer son bien à un étranger mais à un prix plus élevé ou à des conditions moins bonnes (insalubrité, etc).
La seconde attitude est aussi un acte discriminatoire mais avec la notion de profit en plus.
En France, une propriétaire a été condamnée pour discrimination raciale au logement par le tribunal correctionnel de Metz Elle a été condamnée à trois mois de prison avec sursis, 1000 euros d’amende et 1000 euros à verser en dommages et intérêts à la personne victime de discrimination.
La propriétaire du logement avait refusé de louer un studio en septembre 2004 à une étudiante d’origine sénégalaise.
L’étudiante, actuellement âgée de 23 ans, s’était vu refuser en septembre par téléphone la location de ce studio, lorsque la propriétaire avait réalisé que l’étudiante était d’origine africaine, malgré un premier contact positif.
La propriétaire avait réagi en entendant le prénom de la jeune étudiante, lui demandant d’en préciser l’origine, avant de lui demander directement : « Vous êtes Noire ? » . C’est alors que la propriétaire avait répondu « alors ce ne sera pas possible », invoquant le fait que les voisins de l’immeuble ne l’accepteraient pas.
L’avocat de la jeune étudiante a indiqué à l’AFP qu’il avait plaidé pour que la peine de prison infligée à la propriétaire du studio soit remplacée « par un stage de citoyenneté prévu par les lois Perben ». 78
Autre exemple : un patron de discothèque, qui a pour habitude de ne pas accepter des étrangers dans sa boîte de nuit (soi-disant pour ne pas risquer de perdre sa clientèle traditionnelle) mais accepte de temps à autre une jolie fille étrangère pour donner une touche d’exotisme et attirer la clientèle masculine !
Ici aussi nous retrouvons la notion de profit.
De plus, dans les deux cas, le propriétaire ou le patron se protègent d’une éventuelle accusation de discrimination. La manœuvre est donc bénéfique pour eux et ne présente qu’un minimum de risque.
On retrouve le même processus dans l’embauche au noir d’immigrés. Ils sont en général mal payés pour un travail souvent dangereux et ne bénéficient d’aucune assurance pour les risques encourus.
Débat
Connaissez-vous d’autres pratiques qui contournent les lois antidiscriminatoires et qui sont motivées par la recherche de profit ?
Exemples de discrimination à l’embauche
Les critères de sélection à l’embauche sont souvent subjectifs et varient d’un employeur à un autre. Pour certains, le refus d’engager des immigrés vient de la supposée réaction de la clientèle.
Fatima Saadi, 20 ans, d’origine comorienne, en a fait les frais. Étant diplomée au Bac commercial, elle a postulé à un poste de vendeuse de cures de minceur, proposé par une boutique du 12ème arrondissement de Paris. Un rendez-vous téléphonique est pris sans accroc. La gérante n’a pas hésité à la refouler en l’apercevant : « Ah ! Mais vous êtes Noire, je ne savais pas que vous étiez d’origine africaine, je ne peux pas me permettre d’engager une personne de couleur à cause de ma clientèle. C’est mauvais pour mon image » lui lance-t-elle en refusant de prendre son curriculum vitae. Fatima a porté plainte. Le parquet a requis 2 mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amendes en octobre 2003 contre la gérante.79
En Belgique, et plus particulièrement en Flandre, l’affaire de la firme Feryn, située à Kapeller-op-den-Bos, a choqué une partie de l’opinion publique. Cette firme est spécialisée dans l’installation de portes électriques basculantes et a récemment fait les titres des médias en raison de son refus d’engager des travailleurs d’origine étrangère. Parce que, selon le directeur, ses clients ne souhaitent pas voir de Marocains chez eux. Suite à cette déclaration, il a dû affronter le courroux du gouvernement flamand et sous l’effet de fortes pressions, l’entreprise a fini par revoir sa position. Mais la firme continue à jouir du soutien de certains membres de la société, et ce principalement dans le cadre du cyclotourisme. En effet, la caravane bleue aux couleurs de la firme est applaudie spontanément et à répétition, non pas par admiration pour les mollets musclés des coureurs mais pour saluer la gestion du personnel chez Feryn.80
Aux Etats-Unis, la filiale américaine du groupe français de restauration collective Sodexho a passé un accord suite à la plainte collective déposée par environ 3000 employés noirs qui affirmaient être écartés des promotions internes et victimes de discrimination raciale dans leur évolution professionnelle.
L’affaire débute en mars 2001. Cette action collective pour discrimination raciale ou « Class action » a été initiée par une dizaine de cadres et notamment par Cynthia Carter-McReynolds, responsable des services de restauration de la grande université noire de Washington, qui s’est vue refuser 50 demandes de promotion.
Un quart des 100000 salariés de Sodexho aux États-Unis sont Noirs, mais s’ils sont fortement représentés dans les postes non-cadres, seulement 1 cadre sur 8 est Noir, et la proportion tombe à 2 % chez les cadres supérieurs.
En 2002, un juge fédéral a accepté que la plainte devienne une « Class action ». Les études statistiques sur les postes occupés et l’évolution professionnelle des Noirs au sein de cette entreprise, ont été étayées par les témoignages de cadres intermédiaires noirs qui progressaient moins que certains collègues blancs pourtant moins qualifiés.
Le procès aurait dû commencer le 2 mai 2005, mais, le 27 avril, Sodexho USA a annoncé qu’elle verserait 80 millions de dollars aux 3000 employés concernés « afin d’éviter les inconvénients d’une longue procédure, sans pour autant reconnaître une quelconque responsabilité ».81
Débat
Que pensez-vous de la résolution du problème ? Finalement, qui sont les « gagnants » dans l’histoire ?

Au-delà des difficultés financières et matérielles engendrées par le manque d’accès au marché du travail, viennent se greffer des difficultés de voisinage liées à la condition des étrangers, des difficultés de communication et un manque de considération.
La discrimination passive
Souvent, les témoins de discriminations ne réagissent pas, laissent faire. Nous appelons cela de la discrimination passive car ne pas réagir à un acte raciste peut être considéré comme une attitude de cautionnement de cet acte !
Jeu
Proposez aux élèves une mise en situation : vous êtes témoin du refus d’un étranger à l’entrée d’une boîte de nuit, apparemment simplement du fait de sa couleur de peau...
Comment réagissez-vous ?
Laissez d’abord les élèves s’exprimer librement, proposez-leur ensuite les différents choix ci-dessous (ou d’autres qui vous viennent à l’esprit).
n Vous trouvez ça révoltant, mais par manque d’audace, par peur ou pour n’importe quelle autre raison, vous vous taisez et puis vous êtes là pour vous amuser, donc vous entrez dans la boîte ;
n Vous trouvez cela révoltant, vous ne réagissez pas mais vous ne rentrez pas dans la boîte. Vous la boycottez ;
n Vous êtes satisfait de l’attitude du videur. Le fait de pouvoir entrer vous valorise par rapport à ceux qui ne peuvent pas. Vous faites partie d’un groupe privilégié. Nous retrouvons ici la notion de profit et une vision de supériorité de soi vis-à-vis de l’autre (qu’il soit étranger ou non).
Conclusion du jeu : quelles sont les principales raisons de la discrimination passive ?
Pour en savoir plus
http://www.aidh.org/Racisme/expliqu_rac_1.htm
http://www.aidh.org/Racisme/esp_pedagog/conseurop/kit/kit.htm
http://www.agenda-respect.be

La direction se réserve le droit d’entrée...mais sur base de quoi ?
C’est dans ce même quotidien que se banalisent les actes racistes.
Une enquête du MRAX et du Centre pour l’égalité des chances et de lutte contre le racisme, a conclu qu’en Belgique, par exemple, les boîtes de nuit sélectionnent leurs clients en fonction de leur origine.
« La direction se réserve le droit d’entrée ». Cet avertissement ornant la porte de nombreuses discothèques et autres endroits de sortie ne peut servir d’alibi à une violation de la législation réprimant les actes racistes et xénophobes.
« Si la direction désire refuser l’accès de son établissement aux personnes en état d’ébriété ou à celles ne portant pas de smoking, libre à elle. Elle pourrait même imposer à ses clients de porter un nez de clown ou de se déguiser en grenouille si cela lui chante. Mais le refus opposé en raison de la prétendue race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine nationale ou ethnique du client est sanctionné pénalement. Tout comme le tri qui, bien que muet, est clairement basé sur ces critères.
En 2000, le MRAX s’investissait dans une large campagne visant à dénoncer les discriminations dans les lieux de loisirs. La campagne prenait notamment la forme d’une enquête de terrain recourant à la méthode du « testing » : des couples européens, non-européens et mixtes vêtus de manière similaire et adoptant tous un comportement correct se présentaient tour à tour à l’entrée d’une discothèque et observaient la réaction des portiers. Ces tests de situation ont permis de conclure, de manière prévisible, que les principales victimes de la discrimination étaient les hommes d’origine étrangère. Les motifs de refus d’entrée les plus fréquemment invoqués étaient l’obligation d’être accompagné ou de posséder une carte de membre. L’enquête mettait ainsi en lumière l’existence d’une véritable politique discriminatoire dans le chef de certains tenanciers de discothèques. Depuis lors, le phénomène n’a pas disparu, comme l’illustre la fréquence des témoignages parvenant à leur service juridique ».82
Témoignage
« Se voir refuser l’entrée quelque part, c’est pas très gai quand il y a une file de vingt-cinq personnes derrière toi. Alors tu demandes le motif et avant même d’entendre la réponse, tu dis bon ça va j’ai compris : c’est la clientèle, c’est ma tenue pas correcte, c’est privé, c’est ceci, c’est cela, mais pas la peine de continuer parce que vous voyez, je la connais déjà, la chanson. Alors je m’en vais. Je ne discute pas, je m’en vais, tout simplement. Une fois quand même j’ai porté plainte au commissariat - enfin porter plainte, façon de parler parce qu’au commissariat non plus, on n’a jamais voulu me recevoir. Va perdre ton temps ailleurs ils m’ont dit au commissariat. Va perdre ton temps ailleurs. Toujours la même chanson, non, c’est pas gai gai... » Said82
Débat
Sur base de quels justificatifs une boîte de nuit, un restaurant, un hôtel, une entreprise peut-elle en refuser l’accès ?
Tenue correcte exigée ? Carte de membre obligatoire ?

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